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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 janvier 2020, n° 16-17051

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autobel (SARL)

Défendeur :

Renault Retail Group (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Mes Lallement, Pechier, Ingold, Varela

T. com. Bordeaux, du 8 juill. 2016

8 juillet 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Autobel assure le lavage et le nettoyage de véhicules automobiles.

La société Renault Retail Group exploite à Angoulême un fonds de commerce de vente de véhicules neufs.

Le 20 septembre 2000, la société Autobel a signé un contrat de prestation de services d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction avec la société Renault Retail Group pour son établissement d'Angoulême, pour la préparation de véhicules neufs à la vente.

Le 6 février 2014, un nouveau contrat de prestation de services a été conclu, modifiant les conditions tarifaires de la relation et portant sur la préparation de véhicules neufs et d'occasion, pour une durée d'une année au-delà de laquelle il serait reconduit de manière indéterminée, à charge pour la partie qui souhaiterait y mettre fin de respecter un préavis de trois mois.

Le 29 septembre 2014, la société Renault Retail Group a notifié à la société Autobel la résiliation du contrat avec effet au 30 novembre 2014, soit un préavis de deux mois seulement, en raison de la cession de son fonds de commerce d'Angoulême et proposé, en janvier 2015, une indemnité complémentaire de 20 000 euros de ce fait.

Prétendant à une indemnisation de 95 517 euros sans parvenir à une issue amiable du litige, la société Autobel a assigné la société Renault Retail Group, le 16 juin 2015, devant le tribunal de commerce de Bordeaux qui, par jugement du 8 juillet 2016, a :

- ordonné à la société Renault Retail Group de payer à la société Autobel la somme de 20 000 euros ;

- débouté la société Autobel du surplus de ses demandes ;

- dit ne pas avoir lieu à l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit ne pas avoir lieu à exécution provisoire ;

- mis les dépens à la charge de la société Autobel.

La société Autobel est appelante de ce jugement suivant déclaration du 3 août 2016 et par conclusions transmises par RPVA le 28 octobre 2019 elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I-5° de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société Renault Retail Group avait rompu les relations commerciales avec elle de manière brutale ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- constater la brusque rupture des relations commerciales entre les parties aux torts exclusifs de la société Renault Retail Group ;

- constater que la société Renault Retail Group aurait dû respecter un préavis d'une durée d'au moins 8 mois ;

- condamner la société Renault Retail Group a lui payer les sommes suivantes :

* 64 609, 83 euros au titre de la perte de marge brute ;

* 12 900 euros au titre du coût du licenciement de M. X ;

* 5 000 euros au titre du préjudice moral subi ;

- condamner la société Renault Retail Group au versement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros en appel et de 3 500 euros en première instance ;

- condamner la société Renault Retail Group aux dépens distraits en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Renault Retail Group, intimée, par conclusions transmises par RPVA le 18 octobre 2019, demande à la Cour de :

Vu l'ancien article 1134 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu les contrats régularisés entre les parties les 20 septembre 2000 et 6 février 2014,

Vu le jugement rendu le 8 juillet 2016 par le Tribunal de commerce de Bordeaux,

Vu les pièces versées aux débats,

Ou tout autre fondement que votre Juridiction peut appliquer d'office en vertu des dispositions de l'article 12 du Code de procédure civile,

- recevoir la société Renault Retail Group en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée ;

- confirmer la décision entreprise en tous ses points ;

- débouter purement et simplement la société Autobel de l'ensemble de ses demandes ;

Y ajoutant,

- condamner la société Autobel à lui payer une indemnité de procédure de 4 000 euros et aux dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur la durée du préavis

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels...

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Le juge ne peut se dispenser de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties ou des usages susceptibles de leur être applicables.

Il n'est pas en débat que la relation commerciale établie entre les parties comme présentant un caractère suivi, stable et habituel et permettant raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre elle est de 14 ans au jour de la rupture. En revanche, la durée du préavis requis en conséquence est contestée.

En effet, la société Renault Retail Group soutient que le préavis de deux mois accordé auquel s'ajoute l'indemnité de 20 000 euros correspondant à quatre mois supplémentaires qu'elle a offert à la société Autobel répare à suffisance le préjudice résultant de la rupture litigieuse, imposée par la cession de son fonds de commerce au Groupe Michel par acte du 1er décembre 2014, tandis que la société Autobel sollicite un préavis de 8 mois tenant compte de son état de dépendance économique, faisant valoir qu'elle a été créée pour répondre aux attentes de la société Renault Retail Group qui représente 80 % de son chiffre d'affaires.

Pour fixer à quatre mois la durée de préavis manquante, le jugement entrepris retient, après avoir relevé que la société Renault Retail Group a respecté un préavis de deux mois, d'une part que la rupture a été brutale compte tenu du secret gardé par la société Renault Retail Group sur le projet de cession pourtant porté à la connaissance des représentants du personnels dès le 5 juin 2014, d'autre part, que la dépendance économique de la société Autobel vis-à-vis de cette société relève d'un choix stratégique de sa part qu'elle doit assumer, enfin, que l'activité de la société Autobel ne revêt ni caractère d'exclusivité imposée, ni expertise quelconque ce qui lui permettait de se diversifier.

Toutefois, si la cour adopte ces motifs, elle considère néanmoins que la durée de préavis manquante est de six mois comme demandé par la société Autobel, eu égard à la durée de 14 ans des relations commerciales des parties, étant au surplus relevé que la société Renault Retail Group ne justifie par aucune pièce de ses démarches en vue d'inciter son acquéreur à reprendre le contrat de la société Autobel, ce que le courrier de celle-ci du 24 novembre 2014 (pièce 6), qui ne contient aucune information à cet égard, n'est pas de nature à établir.

Sur les préjudices

Quant à la marge brute perdue, le jugement entrepris retient une marge brute annuelle moyenne de 40 000 euros pour les exercices 2011-2013 et considère en conséquence que l'offre d'indemnisation à hauteur de 20 000 euros de la société Renault Retail Group est satisfaisante.

La société Renault Retail Group fait valoir que les marges brutes invoquées en première instance et en appel ont varié à la hausse sans explication. Elle soutient que la marge brute globale de la société Autobel était déficitaire depuis plusieurs années lors de la rupture eu égard à ses marges brutes d'exploitation, négatives et non incluses dans les marges brutes annuelles prétendues. Elle en déduit une marge annuelle moyenne de 13 693 euros après réintégration de ces marges d'exploitation rendant plus que satisfaisante son offre d'indemnité à hauteur de 20 000 euros.

La société Autobel n'analyse pas les bilans et comptes de résultats 2011-2014 produits et ne répond pas à cet argumentaire. Elle soutient que les coûts salariaux associés à son activité de prestation de services ne doivent pas être pris en compte faute de preuve de leur caractère variable, que le jugement entrepris ne justifie pas ses calculs et que sa marge brute annuelle moyenne est de 129 219,66 euros au vu de l'attestation de son expert-comptable (pièce 15), ce dont elle déduit qu'il lui est dû 64 609,83 euros pour les six mois de préavis manquants.

Au vu tant des pièces comptables versées aux débats que des explications qui précèdent, dont il résulte une perte de marge moyenne de 6 846,50 euros (13 693 : 12 x 6), la cour estime suffisante la somme de 20 000 euros retenue par le jugement entrepris dont la société Renault Retail Group demande la confirmation.

S'agissant du coût du licenciement d'un salarié, le jugement entrepris a exactement retenu que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° ne visent pas à indemniser les conséquences de la rupture mais seulement sa brutalité. La société Autobel ne discute d'ailleurs pas ce motif ni ne répond à l'argumentaire de la société Renault Retail Group qui reprend ce motif et fait valoir en outre qu'il est contradictoire de vouloir exclure la masse salariale du calcul de la marge brute d'un côté et de prétendre à l'indemnisation d'un licenciement de l'autre. Cette demande ne peut donc être accueillie.

Enfin, quant au préjudice moral allégué, les circonstances de la rupture rappelées ci-dessus, si elles témoignent d'une certaine imprévisibilité rendant la rupture brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ne suffisent pas à établir le caractère vexatoire et déloyal qui fonde cette demande laquelle ne peut donc être accueillie.

Sur les demandes accessoires

Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la société Autobel, partie perdante doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de la condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; y ajoutant, Condamne la société Autobel aux dépens d'appel ; Condamne la société Autobel à payer à la société Renault Retail Group une indemnité de procédure de 4 000 euros et rejette toute autre demande.