CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 15 janvier 2020, n° 18-27366
PARIS
Ordonnance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ienne-Berthelot
Avocats :
Mes de Meersman, Zelenko
Le 9 novembre 2018 le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) du Tribunal de grande instance (ci-après TGI) de Bobigny a rendu, en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance autorisant des opérations de visite et saisie dans les locaux des sièges sociaux et/ou des établissements secondaires des entreprises suivantes ainsi que dans les locaux des entreprises des mêmes groupes qui seraient situés à la même adresse :
- SAS A, SAS B et SA C : <adresse>;
- SAS D : <adresse> ;
- SAS E : <adresse> ;
- SA X : <adresse> ;
- SARL F : <adresse> ;
- SARL G et SAS H : <adresse> ;
- SA I : <adresse> ;
- SARL J : <adresse>.
L'ordonnance était accompagnée de 123 pièces annexées à la requête du Directeur régional adjoint des entreprises de la consommation du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France.
L'autorisation de visite et saisie des lieux susmentionnés était délivrée au motif que les entreprises citées seraient présumées participer à une entente ayant pour objet et/ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, ce qui constitue une pratique prohibée aux termes des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE.
Il résultait de l'ordonnance du JLD que dans le cadre de l'exploitation de leurs marchés forains, les collectivités peuvent conclure une convention de délégation de service public avec des sociétés gestionnaires de marchés d'approvisionnement alimentaires et spécialisés. A ce titre, les sociétés actives sur le secteur de la gestion de marchés d'approvisionnement, halles et foires sont chargées, pour le compte de la commune, du recrutement, de l'accueil, du placement des commerçants, de la perception des droits de place, de la prise en charge des opérations de manutention, de l'entretien des installations voire du nettoyage, de la collecte et du traitement des déchets.
Dans sa requête, l'administration faisait état d'informations selon lesquelles les entreprises précitées auraient pris une part active à une ou plusieurs ententes visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et se répartir les marchés, et ce en violation des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE. Divers documents étaient produits à l'appui de la requête dont la consultation permettait de retenir les comportements dénoncés.
Il en résultait que l'administration faisait état de cas d'absence de réponse des sociétés dans la cadre des consultations, selon elle l'absence de réponse est considérée comme suspecte dans le mesure où elle a fortement amoindri les chances des collectivités d'obtenir une offre économiquement avantageuse, cette situation est interprétée par l'administration comme le résultat de comportements anticoncurrentiels rendus possibles par la faible intensité de la concurrence sur les consultations, certaines entreprises ont bénéficié des pratiques sus mentionnées, certaines entreprises listées (dont X) apparaissent au coeur des pratiques relevées, il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve se trouvent dans leurs locaux.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, le JLD de Bobigny a autorisé des visites domiciliaires au sein des locaux de plusieurs sociétés mises en cause par ordonnance du 9 novembre 2018.
Les opérations de visite et saisie se sont déroulées le 22 novembre 2018 dans les locaux des sociétés X et Y.
Le 3 décembre 2018, la SA X et la société Y ont interjeté appel contre l'ordonnance du JLD de Bobigny du 9 novembre 2018 devant le greffe du tribunal de grande instance de Bobigny ; la déclaration d'appel est parvenue à la cour d'appel le 5 décembre 2018.
L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 13 novembre 2019 et mise en délibéré pour être rendue le 15 janvier 2020.
SUR L'APPEL
Par conclusions du 29 mars 2019 et conclusions n° 2 récapitulatives déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 1er octobre 2019, les appelantes font valoir :
1 - L'absence de motivation et de vérification par le JLD du bien-fondé de la requête
- A titre préliminaire, sur le devoir du JLD d'opérer un contrôle effectif du bien-fondé de la requête
Il découle de l'article 455 du Code de procédure civile ainsi que de la jurisprudence de la Haute juridiction une obligation de motivation pour le juge saisi d'une requête de visite domiciliaire.
En l'espèce, l'absence de motivation et les erreurs factuelles contenues dans l'ordonnance en ce qui concerne la société X démontrent que le JLD n'a pas exercé son devoir de contrôle sur le bien-fondé de la demande de la DIRECCTE et a donc autorisé des opérations de visite et saisies infondées.
- L'absence de contrôle effectif du bien-fondé de la requête par le JLD en l'espèce
Sur le défaut de motivation dans l'ordonnance en ce qui concerne la société X
Il est mis en exergue que la société X n'est mentionnée que deux fois dans l'ordonnance et toujours de façon marginale.
La première référence à la société X figure dans la description du Marché des Enfants Rouges (page 19 de l'ordonnance), où son nom apparaît indistinctement aux côtés de cinq autres entreprises dans une liste mentionnant simplement les sociétés ayant déposé une candidature pour avoir accès au dossier d'appel d'offres mais qui, après avoir pris connaissance du dossier, ont décidé de ne pas présenter d'offre.
La seconde référence figure dans les développements de l'ordonnance relative à l'implantation géographique des sociétés actives dans le secteur de la gestion de marchés d'approvisionnement, halles et foires en Ile-de-France.
Par ailleurs, à aucun moment le JLD fait siens les arguments de la DIRECCTE, l'ordonnance se contentant d'affirmer " selon l'administration ", " l'administration a constaté... ", sans que jamais un contrôle in concreto soit réalisé de façon autonome de la part du premier juge.
Sur les erreurs factuelles de l'ordonnance concernant la société X
Contrairement à ce que prétend l'ordonnance, l'annexe 17 ne cite à aucun moment le " groupe G " et surtout mentionné la société X comme une des entreprises présentes à la fois à Paris (sur 26 marchés) et ailleurs en Ile-de-France (sur 34 marchés).
Il est argué que ces erreurs majeures démontrent, de façon flagrante, l'absence totale de vérification par le JLD des éléments d'informations soumis par la DIRECCTE à son contrôle.
2 - L'absence d'indices dans la requête permettant de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée
- A titre préliminaire, sur le rôle du juge du second degré
Il ressort de l'article L. 450-4, alinéa 6 du Code de commerce que le Premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure n'a pas seulement pour devoir de vérifier la légalité formelle de l'ordonnance mais doit également procéder à un examen des faits.
Ce contrôle factuel s'impose également du fait de l'effet dévolutif de l'appel.
- Sur l'absence d'indices permettant de présumer la participation aux pratiques suspectées
Le seul fait de ne pas soumettre d'offre sur un marché après lecture du document de consultation ne suffit pas à autoriser une visite domiciliaire
i - La nécessité d'indices suffisants pour établir une présomption de participation aux pratiques suspectées
Il est fait valoir que l'article 38 du décret relatif aux marchés publics régissant la procédure de mise à disposition du dossier de consultation précise expressément que cette étape préliminaire d'accès au dossier a justement pour objectif de permettre aux entreprises de " décider de demander ou non à participer à la procédure ".
En outre, l'absence de présentation d'offre, qui se distingue de l'accès au dossier de consultation, ne peut en aucun cas être l'indicateur d'une éventuelle collusion dans une économie de marché où l'entreprise demeure libre de choisir son client.
Il est argué que d'une part, une entreprise a intérêt à se déclarer candidate afin de ne pas se priver de l'opportunité de présenter une offre et d'autre part, elle a de multiples raisons de ne pas soumettre d'offre une fois le dossier de candidature analysé : rentabilité trop faible, demandes trop complexes à mettre en œuvre, etc.
Ainsi, l'absence de présentation d'une offre par la société X dans le cadre du Marché des Enfants Rouges est un simple fait sans rapport avec l'éventuelle existence de pratiques anticoncurrentielles, dont la preuve est recherchée.
Par ailleurs, dans le cas de la société X, ce fait n'est corroboré par aucun autre élément.
Il ne saurait donc à lui seul constituer un indice de nature à justifier une visite domiciliaire.
ii - La nécessité d'un faisceau d'indices concernant directement la société X pour établir une présomption de participation aux pratiques suspectées
Il est soutenu que la référence de la DIRECCTE aux ordonnances de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 septembre 2013 et de la cour d'appel de Nîmes du 10 février 2015, n'est pas pertinente dans la mesure où dans ces affaires, il existait plusieurs indices à l'encontre des sociétés visitées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
iii - La nécessité d'un faisceau d'indices sérieux et en lien avec des pratiques prohibées pour établir une présomption de participation aux pratiques suspectées
Il est cité une jurisprudence de la cour d'appel de Paris soulignant l'importance du caractère sérieux et en lien avec les pratiques prohibées des indices existants.
Au cas présent, l'absence de présentation d'offre par la société X ne peut être qualifiée d'indice sérieux, ainsi qu'exposé supra, ni présente un lien avec les pratiques suspectées, le Marché aux Enfants Rouges ne faisant pas partie des marchés dans lesquels il y a eu peu de participation, ni de ceux dans lesquels des offres manifestement non conformes ont été soumises.
Le prétendu second indice concernant la société X est basé sur une erreur factuelle grossière
Il est d'abord soutenu que sans élément complémentaire, rien ne permet d'affirmer que les implantations locales des entreprises du secteur, qui, par définition, ne peuvent pas toutes couvrir l'ensemble du territoire français, résultent d'une pratique anticoncurrentielle consistant à se répartir les territoires.
De surcroît, l'ordonnance contient une erreur factuelle majeure concernant la société X qui rend le raisonnement du JLD dénué de toute logique.
Il est rappelé que selon l'ordonnance, le bien-fondé de la requête prendrait racine dans la suspicion d'une répartition des territoires entre les sociétés, selon laquelle certaines seraient uniquement présentes à Paris (quatre), certaines qu'en Ile-de-France à l'exclusion de Paris (trois), et enfin seules deux à Paris et en Ile-de-France.
En premier lieu, non pas trois mais bien six sociétés sont actives à travers l'ensemble de l'Ile-de-France, à l'exception de Paris intra-muros et le plus souvent dans les mêmes départements, de sorte que la concurrence est donc bien plus intense que ne le décrivent la DIRECCTE et le premier juge.
Deuxièmement, l'erreur factuelle commise par le JLD rend caduc son raisonnement tendant à impliquer la société X dans les pratiques prohibées.
En effet, contrairement à ce que prétend l'ordonnance, la société X est active à la fois à Paris et ailleurs en Ile-de-France, aux côtés des sociétés I et G.
Il s'en suit que cette branche du faisceau d'indices - l'unique dans laquelle la société X est visée, les deux autres étant génériques et ne la visant pas expressément -, ne permet en aucun cas de fonder une présomption d'existence de pratiques prohibées.
Pour l'ensemble de ces raisons, il est demandé d'annuler l'ordonnance.
En conclusion, il est demandé de :
- annuler l'ordonnance et par suite, ladite opération de visite et saisie :
- en ce que le JLD n'a pas opéré un contrôle effectif du bien-fondé de la requête ;
- en ce que l'ordonnance a autorisé une opération de visite et saisie au domicile de X et Y en l'absence d'indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence de pratiques dont la preuve est recherchée, et n'est donc pas fondée ;
- se prononcer à nouveau et dire non fondée la requête de la DIRECCTE du 6 novembre 2018 visant à la conduite d'opérations de visite et saisie dans les locaux de X et Y ;
- ordonner la restitution immédiate à X et Y des documents et fichiers informatiques saisis dans leurs locaux situés <adresse> ;
- condamner la DIRECCTE à payer à X et Y la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la DIRECCTE aux entiers dépens.
Par conclusions en réplique enregistrées le 1er août 2019, l'administration fait valoir :
I - Sur la prétendue absence de motivation et de vérification par le JLD du bien-fondé de la requête
Sur le devoir du JLD
Il est rappelé que la rédaction de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas la même que celle de l'article L. 450-4 du Code de commerce aujourd'hui en vigueur et que c'est à présent la chambre criminelle et non la chambre commerciale de la Cour de cassation qui a compétence en matière de visites domiciliaires.
Il est également argué que le raisonnement retenu par la Cour d'appel de Metz dans son ordonnance du 25 novembre 2011 n° 11/00429 a été invalidé par la Cour de cassation.
Sur le prétendu défaut de motivation de l'ordonnance en ce qui concerne la société X
Il est d'abord fait valoir qu'il s'agit ici de la recherche de pratiques collectives et que le fait de participer, ne serait-ce qu'une fois, à une entente c'est y avoir participer.
En l'espèce, ce qui interpelle la société X c'est que sur l'ensemble des entreprises qui ont fait acte de candidature pour l'obtention de la délégation de service public pour l'exploitation du marché des Enfants Rouges, seulement deux d'entre elles ont finalement déposé une offre.
Il est soutenu que si les raisons de ces abstentions multiples peuvent être certes légitimes, elles peuvent également s'expliquer par l'existence d'une concertation entre les candidats.
De surcroît, dans le cadre d'une pratique collective, outre les indices concernant l'entreprise proprement dite, doivent être pris en compte les indices retenus s'agissant des autres intervenants, lesquels, selon une jurisprudence constante, doivent être examinés selon la méthode dite du faisceau d'indices.
L'administration cite deux ordonnances rendues par les Cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Nîmes, respectivement, le 5 septembre 2013 et le 10 février 2015 dans des affaires comparables.
Les magistrats ont ici considéré que l'absence de certaines entreprises à l'occasion de certaines consultations, ou le fait qu'elles ne soient pas concernées par certains des indice pris isolément, n'était pas incompatible avec leur participation à une concertation globale.
En second lieu, la constatation, opérée par l'administration, selon laquelle seuls les groupes W et G ainsi que les sociétés X et I gèrent des marchés situés à Paris intra-muros alors qu'à l'inverse, les sociétés D, K ainsi que le groupe L assurent la gestion de marchés présents dans l'ensemble de l'Ile-de-France hormis à Paris, a simplement pour but d'indiquer qu'il existe des éléments permettant de suspecter qu'une telle modalité de répartition géographique des marchés ne peut être exclue.
Il est argué que reste à déterminer si une telle répartition repose sur des explications économiquement rationnelles ou sur un accord occulte entre les entreprises, ce que l'enquête s'efforce de faire.
Enfin, il suffit de se reporter aux attendus de la page 23 de l'ordonnance pour s'assurer que le JLD ne se borne pas à décrire les éléments qui lui sont présentés par l'administration, mais en tire ses propres conclusions.
S'agissant des erreurs factuelles de l'ordonnance concernant la société X
Il est repris un passage de l'ordonnance qui vient contredire ce que les appelants soutiennent dans leurs écritures concernant l'existence d'erreurs matérielles.
Quant à l'annexe 17, il s'agit d'une note établie par la DIRECCTE qui recense les marchés forains par société gestionnaire à partir des éléments issus des sites internet des entreprises et des informations récoltées dans le cadre de la veille concurrentielle effectuée auprès des acheteurs publics en Ile-de-France.
Il suffit de consulter cette annexe pour constater qu'y figure la liste des marchés de X.
II - Sur la prétendue absence d'indices permettant de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée
Sur le rôle du juge du second degré
Il est fait observer que dans leur rappel de la mission du juge du second degré, les appelants se fondent sur une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui n'a plus de compétence en la matière.
Sur l'affirmation selon laquelle " le seul fait de ne pas soumettre d'offre sur un marché après lecture du document de consultation ne suffit pas à autoriser une OVS "
Il est d'abord rappelé que selon la jurisprudence, au stade préparatoire de l'enquête, il est demandé au JLD de retenir des présomptions simples d'agissements prohibés, étant précisé qu'une seule présomption simple suffit.
Par ailleurs, il est soutenu qu'une entente de répartition des marchés, pour atteindre son but, doit réunir le plus grand nombre possible, voire l'ensemble, des entreprises intervenant dans le secteur, d'autant sur un marché comme celui en question, qui ne met pas en jeu de technicité particulière ou de spécificité des prestations, et où le titulaire d'un marché donné est, a priori, en mesure de proposer une offre sur chacun des autres marchés.
Autrement dit, le fait de s'abstenir de soumissionner pour l'attribution de ces marchés constitue un comportement économiquement non rationnel de la part d'une entreprise du secteur, qui aurait normalement intérêt à tenter de maximiser son chiffre d'affaires afin d'obtenir globalement des conditions d'exploitation optimisées.
Ainsi, il était parfaitement cohérent de procéder à la recherche de preuves d'éventuelles pratiques prohibées auprès de l'ensemble des opérateurs du secteur.
Il est argué que le fait que la société X n'apparaisse que dans la phase de demande de dossier pour l'attribution du marché des Enfants Rouges, ne retire rien au fait qu'elle est un acteur important du secteur en Ile de France, où elle exploite une soixantaine des marchés.
Dès lors, et en particulier dans l'hypothèse d'une entente se traduisant par le renoncement à concourir pour l'attribution de certains marchés, la faible présence de la société X au sein de la dizaine de consultations examinées n'était pas de nature à exclure sa participation à une concertation globale, et justifiait ainsi qu'elle soit visée par la requête présentée au JLD.
Sur l'affirmation selon laquelle le prétendu second indice concernant la société X serait basé sur une erreur factuelle grossière
Il est fait valoir que s'il est exact que l'ordonnance omet de citer la société X parmi celles qui exploitent des marchés à la fois dans Paris intra-muros et dans le reste de l'Ile de France, la requête l'indique sans ambiguïté. Cette erreur de plume ne fait donc pas grief.
En outre, cette erreur n'affecte qu'un élément tout à fait secondaire du faisceau d'indices ayant conduit à ces présomptions, le faible nombre d'offres effectivement déposées dans le cadre de nombreuses consultations et la reconduction dans plusieurs cas du précédent titulaire du marché étant les principaux éléments laissant présumer une concertation de l'ensemble des acteurs du secteur, visant à éviter l'exercice entre eux d'une véritable concurrence, notamment par les prix.
Enfin, il est rappelé que d'après la jurisprudence, des erreurs matérielles dans la requête et reprises dans l'ordonnance sont sans portée sur la validité de l'autorisation.
En conclusion, il est demandé de :
- dire et juger mal fondées les sociétés X et Y dans toutes leurs demandes et les en débouter ;
- déclarer régulière l'ordonnance rendue le 9 novembre 2018 par le JLD du TGI de Bobigny autorisant les opérations de visite et saisie ;
- rejeter, en conséquence, la demande formulée par les sociétés X et Y d'annulation de l'ordonnance du JLD de Bobigny du 9 novembre 2018 et des actes d'enquête subséquents ;
- condamner lesdites sociétés aux entiers dépens.
Par avis reçu le 5 novembre 2019, le Ministère public soutient :
I - Un contrôle effectif a été exercé par le JLD de Bobigny sur le bien-fondé de la demande de la DIRECCTE
Au cas présent, le JLD a signé le 9 novembre 2018 l'ordonnance d'autorisation après avoir vérifié, à partir des pièces annexées à la requête, la réalité du soupçon de participation des appelantes à des agissements anticoncurrentiels, prohibés par les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et 101 TFUE.
L'exigence posée par l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce est ainsi respectée.
Pour ordonner les mesures de recherche de preuve, l'ordonnance mentionne que la société X fait l'objet de suspicions pour avoir bénéficié des pratiques anticoncurrentielles auxquelles elle a participé; elle la cite parmi les sociétés actives dans le secteur de la gestion de marchés d'approvisionnement, halles et foires en Ile-de-France; elle la cite, de même que cinq autres entreprises, dans la description du Marché des Enfants Rouges, pour avoir déposé une candidature à l'appel d'offres avant de ne pas présenter d'offres, seulement deux sociétés ayant finalement candidaté.
L'erreur relevée dans la concordance entre le texte de l'ordonnance et la pièce n° 17 n'emporte aucune conséquence quant à la régularité de l'autorisation de mesures de visites et saisies.
Il est soutenu que l'erreur contenue dans la pièce n° 17 jointe à la requête, résultant de la présence intempestive et restée inaperçue du seul mot " pas ", ne suffit pas à caractériser à elle-même un défaut de contrôle de la part du JLD.
En effet, l'ordonnance fait mention de ce que les appelantes interviennent sur les marchés de Paris.
Cette mention est exacte, ainsi que cela a été vérifié sur la pièce n° 17, et suffit à fonder, au regard des indices retenus permettant de soupçonner leur participation à une pratique anticoncurrentielle, l'autorisation d'effectuer des visites et saisies dans leurs locaux.
Ainsi, le fait que l'intervention des appelantes sur d'autres marchés ne soit pas mentionnée dans l'ordonnance est sans conséquence sur la légitimité de la visite domiciliaire ordonnée par le JLD.
II - L'existence d'un faisceau d'indices, réunis sur les différentes entreprises ayant demandé l'accès au dossier d'appel d'offres, justifie les mesures de visites et saisies ordonnées par le JLD
Concernant la société X, l'ordonnance établit qu'elle figure dans la liste d'entreprises ayant demandé l'accès au dossier d'appel d'offres du marché des Enfants Rouges à Paris, dans un contexte où seulement deux entreprises ont déposé une offre, parmi lesquelles la société X ne figure pas.
1 - Le contentieux du recours sur la légalité d'une ordonnance ayant autorisé des visites et saisies exclut que puisse être apprécié le bien-fondé des justifications apportées par les requérantes
Il est fait valoir que la seule question soumise au Premier président de la Cour d'appel de Paris est de savoir si le JLD disposait d'indices suffisants établissant un soupçon de participation à une pratique prohibée pour ordonner les mesures de visite et saisie dans les locaux de la SA X et de la société X GROUP.
Il n'est donc pas possible, dans le cadre du présent recours, de statuer sur la légitimité de la participation des sociétés appelantes à l'appel d'offres considéré.
2 - L'existence d'indices suffisants pour autoriser les mesures de visites et saisies ordonnées par le JLD
En l'espèce, le faisceau d'indices présenté au JLD est constitué par l'activité, en matière d'appel d'offres, de la société X, au regard des comportements, en parallèle, des entreprises intervenant dans les appels d'offres concernant le même secteur d'activité.
Il est soutenu que ce parallélisme, ainsi que l'absence de la plupart des entreprises concernées de la phase d'attribution des marchés publics dans le secteur de la gestion des marchés d'approvisionnement, halles et foires, justifie qu'une vérification soit effectuée, en phase d'enquête et que cette vérification inclue les sociétés appelantes.
Il est rappelé que selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, " les présomptions d'entente apparaissent lors de la mise en perspective de l'ensemble de ces agissements ou abstentions et au regard aussi des réponses ou non réponses des autres sociétés visées, ce qui constitue un faisceau d'indices de pratiques anticoncurrentielles, même s'il apparaît que la société (...) s'est abstenue ".
Ainsi, il est inexact de considérer, comme le font les appelantes, que le JLD n'aurait pas pris sa décision que sur le fondement d'un seul indice non significatif.
En conclusion, le Ministère public invite à confirmer en tous ses éléments l'ordonnance rendue par le JLD de Bobigny le 9 novembre 2018 et à rejeter le recours déposé à son encontre.
SUR CE
SUR L'APPEL
1 - Sur l'absence de motivation et de vérification par le JLD du bien fondé de la requête en ce qui concerne la société X.
Il convient de rappeler que l'article L. 450-4 du Code de commerce qui s'applique en l'espèce prévoit que "le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée", ainsi, il résulte de l'ordonnance du 9 novembre 2018 que le JLD a rendu sa décision après avoir vérifié, à partir des pièces annexées à la requête, la réalité du soupçon de participation des appelantes à des agissements anticoncurrentiels, prohibés par les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et 101 TFUE. L'exigence posée par l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce est ainsi respectée.
Il convient de rappeler que pour motiver son ordonnance, le juge précise que la société X fait l'objet de suspicions pour avoir bénéficié des pratiques anticoncurrentielles auxquelles elle a participé, que " certaines entreprises ont bénéficié tout particulièrement des pratiques mentionnées ci-dessus, que les entreprises [...]X [...] apparaissent ainsi au coeur des pratiques relevées, qu'il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve se trouvent dans les locaux des entreprises précitées " (page 23).
Ainsi l'ordonnance cite l'entreprise DADOUN parmi les sociétés actives dans le secteur de la gestion de marchés d'approvisionnement, halles et foires en Ile de France, elle la cite, de même que cinq autres entreprises, dans la description du Marché des Enfants Rouges, pour avoir déposé une candidature à l'appel d'offres avant de ne pas présenter d'offres, seulement deux sociétés ayant finalement candidaté.
En l'espèce, s'agissant de la recherche de pratiques collectives, le fait de participer, ne serait-ce qu'une fois, à une entente peut démontrer son implication présumée.
L'erreur relevée dans la concordance entre le texte de l'ordonnance et la pièce n° 17 n'emporte aucune conséquence quant à la régularité de l'autorisation de mesures de visites et saisies.
Il en résulte que la motivation de l'ordonnance du JLD est suffisante et résulte de l'examen attentif de la requête et des pièces selon la méthode dite du "faisceau d'indices".
Ce moyen sera rejeté.
2- Sur l'absence d'indice dans la requête permettant de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée.
Il est d'abord rappelé que selon l'article L. 450-4 du Code de commerce, la demande d'autorisation présentée au juge peut ne comporter que "des indices permettant de présumer l'existence de pratiques dont la preuve est recherchée". Selon la jurisprudence, au stade préparatoire de l'enquête, il est demandé au JLD de retenir des présomptions simples d'agissements prohibés, étant précisé qu'une seule présomption simple suffit. En l'espèce, une entente de répartition des marchés, pour atteindre son but, doit réunir le plus grand nombre possible, voire l'ensemble, des entreprises intervenant dans le secteur, d'autant sur un marché comme celui en question, qui ne met pas en jeu de technicité particulière ou de spécificité des prestations, et où le titulaire d'un marché donné est, a priori, en mesure de proposer une offre sur chacun des autres marchés. Ainsi, le fait de s'abstenir de soumissionner pour l'attribution de ces marchés constitue un comportement économiquement non rationnel de la part d'une entreprise du secteur, qui aurait normalement intérêt à tenter de maximiser son chiffre d'affaires afin d'obtenir globalement des conditions d'exploitation optimisées.
Ainsi, il était parfaitement cohérent de procéder à la recherche de preuves d'éventuelles pratiques prohibées auprès de l'ensemble des opérateurs du secteur. Dans le cadre d'une pratique collective, outre les indices concernant l'entreprise proprement dite, doivent être pris en compte les indices retenus s'agissant des autres intervenants, lesquels, selon une jurisprudence constante, doivent être examinés selon la méthode dite du "faisceau d'indices". Il en résulte que l'absence de certaines entreprises à l'occasion de certaines consultations, ou le fait qu'elles ne soient pas concernées par certains des indices pris isolément, n'est pas incompatible avec leur participation à une concertation globale. Le fait que l'intervention des appelantes sur d'autres marchés ne soit pas mentionnée dans l'ordonnance est sans conséquence sur la légitimité de la visite domiciliaire ordonnée par le JLD de Bobigny.
Ce moyen sera rejeté.
Ainsi l'ordonnance du JLD du TGI de Bobigny du 9 novembre 2018 autorisant les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux des sociétés appelantes, SA X : <adresse> sera confirmée dans toutes ses dispositions.
La demande de restitution des documents et fichiers informatiques saisis présentée par les sociétés appelantes sera rejetée.
Enfin aucune considération ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort: - Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 9 novembre 2018; - Déclarons régulières les opérations de visite et saisies autorisées par l'ordonnance du JLD dans les locaux de la SA X <adresse>, - Rejetons la demande de restitution des documents et fichiers informatiques saisis présentée par les sociétés appelantes ; - Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Disons que la charge des dépens sera supportée par les sociétés appelantes.