CA Montpellier, 4e ch., 8 janvier 2020, n° 17-02093
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Financo (SA)
Défendeur :
Rêv' Solaire (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Torregrosa
Conseillers :
Mme Rodier, M. Combes
Avocats :
Mes Salvignol, Leboucher
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon bon de commande n° 57153 signé le 30 avril 2013, les époux F... et C... E... ont contracté avec la société Rêv' Solaire pour la fourniture, la pose et l'installation au sein de leur maison d'habitation d'un système " kit de développement durable résidentiel " comprenant 12 panneaux photovoltaïques, un ballon thermodynamique et une éolienne, moyennant un prix global de 30 700 .
Cette opération était financée en totalité par un crédit affecté, souscrit le même jour auprès de la SA Financo par l'intermédiaire de la société Rêv' Solaire, remboursable au taux de 5,52 % avec un différé d'amortissement de 450 jours et 144 mensualités.
Le paiement par l'établissement de crédit de la facture éditée le 22 juillet 2013 intervenait le 2 août 2013.
Les époux E... constataient des dysfonctionnements immédiats de l'installation, notamment en ce que l'éolienne, à usage exclusivement personnel, consommait davantage d'électricité qu'elle n'en rapportait, de sorte qu'elle a dû être déposée.
Les époux E... s'adressaient alors vainement à la société Rêv' Solaire, laquelle était placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce en date du 9 juillet 2014, Maître I... H... étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Les époux E... s'adressaient tout aussi vainement à la SA Financo qui refusait l'annulation du crédit. Ils continuaient dès lors d'honorer les échéances du crédit dans l'attente de la solution du litige.
Par actes d'huissier en dates des 19 et 31 août 2016, les époux F... et C... E... faisaient délivrer assignation à la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H..., et à la SA Financo, devant le tribunal d'instance de Béziers, aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire':
- la suspension de l'exécution du crédit,
- la nullité du contrat principal conclu avec la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H...,
- la fixation de leur créance au passif de cette société,
- la nullité du contrat de crédit affecté,
- la privation de la SA Financo de tous droits au remboursement des sommes qu'elle a versées entre les mains de la société Rêv' Solaire et sa condamnation à leur restituer toutes sommes de d'ores et déjà versées en remboursement du crédit, à savoir la somme de 8 639,72 arrêtée au 8 août 2016, somme à parfaire,
- la condamnation solidaire de la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et de la SA Financo à prendre en charge le coût des travaux de dépose des panneaux et de l'éolienne et de remise en état,
- leur condamnation solidaire à leur payer :
* la somme de 4 000 en réparation du préjudice subi,
* celle de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- leur condamnation in solidum aux entiers dépens.
Par jugement réputé contradictoire en date du 3 mars 2017, le tribunal d'instance de Béziers a :
Rejeté l'exception d'incompétence,
Rejeté la demande en suspension du contrat de prêt,
Prononcé la nullité du contrat intervenu le 30 avril 2013 entre Monsieur F... E... et Madame C... E..., d'une part, et la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H..., d'autre part,
Condamné la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H..., à prendre en charge le coût de l'enlèvement de l'intégralité des éléments installés et de la remise en état des existants,
Ordonné à cet effet l'inscription au passif de la société Rêv' Solaire de la somme de 1 680 au titre de la remise en état de l'habitation des demandeurs, mais rejeté en revanche la demande tendant à voir inscrire la créance correspondant à la totalité du capital emprunté,
Prononcé la nullité du contrat de prêt intervenu le même jour entre Monsieur F... E... et Madame C... E..., d'une part, et la SA Financo, d'autre part,
Condamné la SA Financo à restituer à Monsieur F... E... et Madame C... E... la somme de 10 893,56 , correspondant aux mensualités versées arrêtées au 2 février 2017, outre les mensualités postérieurement versées jusqu'au jour de la présente décision, et de toutes sommes payées par les emprunteurs à quelque titre que ce soit,
Condamné in solidum la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H..., et la SA Financo à payer à Monsieur F... E... et Madame C... E... :
- la somme de 2 000 à titre de dommages et intérêts,
- celle de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejeté le surplus des demandes des époux E...,
Rejeté l'ensemble des demandes de la SA Financo,
Condamné in solidum la société Rêv' Solaire, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître I... H..., et la SA Financo aux dépens,
Prononcé l'exécution provisoire.
APPEL
La SA Financo a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 10 avril 2017.
La dénonce de déclaration d'appel a été délivrée le 21 août 2017 à Maître I... H..., ès qualités de mandataire judiciaire, liquidateur de la SAS Rêv' Solaire, par acte signifié à personne habilitée à le recevoir.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 août 2019.
Vu les dernières conclusions en date du 29 juillet 2019 de la SA Financo - dites conclusions n° 3, de 73 pages - auxquelles il est expressément référé pour complet exposé des motifs et du dispositif ;
Vu les dernières conclusions en date du 5 août 2019 des époux F... et C... E... - de 58 pages - auxquelles il est expressément référé pour complet exposé des motifs et du dispositif ;
SUR CE
En l'état de la signification à personne habilitée de la dénonce de déclaration d'appel faite à Maître I... H..., ès qualités de mandataire judiciaire, liquidateur de la SAS Rêv' Solaire, il sera statué par arrêt réputé contradictoire.
Sur la qualification du contrat et la compétence du tribunal d'instance :
Pour rejeter l'exception d'incompétence du tribunal d'instance, soulevée par la SA Financo, et retenir sa compétence à l'exclusion de celle du tribunal de commerce comme celle du tribunal de grande instance, le premier juge a justement retenu en substance que :
- la SA Financo ne démontre pas que l'installation avait une destination commerciale dans le cadre de la profession habituelle des demandeurs,
- il ressort des pièces contractuelles du dossier que les époux E... ont été démarchés pour souscrire des contrats visant expressément les règles du Code de la consommation,
- quand bien même le bon de commande vise " la revente de la totalité de la production " les époux E..., qui n'ont pas la qualité de commerçants, ont conclu l'opération avec un contrat de crédit affecté relevant du droit de la consommation, destiné à équiper le toit de leur maison dans le but de satisfaire un intérêt personnel étranger à la satisfaction d'intérêts d'une entreprise ;
- il s'agit là d'un acte de gestion courante pour satisfaire aux besoins domestiques par prélèvement sur ce même réseau et les gains susceptibles d'en résulter restent accessoires, sauf à caractériser une surcapacité de production, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- en conséquence, au regard des opérations d'acquisition et de financement du 30 avril 2013, les demandeurs doivent être considérés comme des consommateurs au sens des dispositions du droit de la consommation et bénéficier, en conséquence, de sa réglementation protectrice.
Y ajoutant, la cour retiendra les arguments des intimés suivants :
- En application de l'article L. 121-21 du Code de la consommation, devenu l'article L. 221-1 du même Code - qui dispose qu'est soumis aux dispositions de ce Code quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services - les contrats de l'espèce conclus à Herpian, au domicile des époux E..., sont soumis aux dispositions impératives régissant le démarchage à domicile, et ce d'autant que le contrat de crédit affecté est assorti d'un bordereau de rétractation visant la loi sur le démarchage à domicile';
- L'achat par un particulier d'une installation photovoltaïque ne peut être commerciale du seul fait qu'elle serait accessoire à la vente d'électricité produite grâce à celle-ci, dès lors que cette installation n'est pas principalement destinée à un usage personnel. Or en l'espèce, le ballon thermodynamique, destiné à la production domestique d'eau chaude sanitaire, et l'éolienne, supposée produire une électricité immédiatement consommable et non cessible, pour les prix respectivement de 4 000 et 8 000, dépassent le montant de l'installation des panneaux solaires de 11 630, ces derniers étant les seuls éléments affectés à la revente d'électricité. Il en ressort que l'installation est principalement destinée à l'usage personnel des consommateurs, ce qui exclut tout débat concernant leur qualité éventuelle de commerçants ;
- La revente d'électricité, imposée dans le contrat, est présentée aux consommateurs comme le moyen d'assurer un autofinancement de l'opération, sans profits supplémentaires, mais avec un objectif écologique d'énergie propre et de développement durable. Cette installation s'est révélée en réalité déficitaire puisque le gain mensuel retiré de 85 à 90 ne peut aucunement compenser les échéances mensuelles du crédit à hauteur de 375,64 et que, par ailleurs, l'éolienne exclusivement destinée à la production domestique consomme davantage d'électricité qu'elle n'en produit. Il ne peut donc être retenu de caractère lucratif de la faible revente d'électricité qui ne permet pas de dégager de bénéfices mais uniquement de réaliser quelques économies dans le cadre de l'amélioration de l'habitat et de l'incitation des particuliers à équiper leur domicile d'installations écologiques pour participer à l'effort national. Dans son économie générale et sa finalité, l'opération est donc principalement destinée à satisfaire un intérêt personnel et un objectif général, étrangers à la satisfaction des intérêts d'une entreprise, de sorte qu'elle ne peut caractériser un acte de commerce.
- Il est de principe que la vente d'électricité n'est plus un acte de commerce mais devient un acte civil lorsqu'en raison de son importance relative, rapportée à l'activité principale de l'intéressé, elle n'est que l'accessoire d'une activité exercée en qualité de non-commerçant. En l'espèce, la revente de l'électricité n'est que partielle et la production est faible. Le contrat signé ultérieurement avec ERDF, tiers aux contrats de fourniture et de crédit affecté, ne permet pas de requalifier rétroactivement ces derniers en actes de commerce, d'autant qu'ils s'inscrivent tous deux dans le cadre d'une opération de démarchage à domicile relevant des dispositions du Code de la consommation.
Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de l'exception d'incompétence.
Sur la nullité du bon de commande et la nullité subséquente du contrat de crédit affecté :
Ainsi que le font valoir les intimés, le bon de commande encourt la nullité lorsqu'il ne satisfait pas aux exigences des dispositions impératives de l'article L. 121-23 du Code de la consommation en vigueur au jour du contrat.
En l'espèce, le descriptif du bon de commande n'est pas conforme à ces dispositions en ce qu'il comporte de nombreuses imprécisions :
- il n'est pas indiqué la taille des panneaux, ni leur poids, ni leur aspect,
- il n'est pas indiqué le nombre d'onduleurs puisqu'il est mentionné : " onduleur(s) "
- la puissance de l'onduleur ou des onduleurs n'est pas précisée, ni sa marque qui reste incertaine : " SB ou Power one "
- le ballon ne comporte aucune référence,
- l'éolienne ne comporte aucune référence.
Or, le Kit photovoltaïque est composé de plusieurs éléments qui doivent chacun faire l'objet d'une description précise avec leur marque, leur nombre et leur prix unitaire.
Les consommateurs ne pouvaient, à la seule lecture du bon de commande, connaître les caractéristiques suffisantes des produits achetés.
Le premier juge en a tiré la très juste analyse que :
- le contrat ne précise pas les détails techniques de la pose des matériels, ni les caractéristiques en termes de rendement de l'éolienne.
- Il n'y a aucun élément sur le poids des matériaux, leur surface permettant d'apprécier la compatibilité de l'installation avec le logement destiné à les accueillir.
- Les références de l'onduleur sont également imprécises.
- Au surplus la date de livraison est erronée puisque visant la date même du bon de commande, ce qui équivaut à une absence de délai. Sans examiner les autres moyens, ces éléments suffisent à emporter la nullité du contrat.
Le jugement sera confirmé sur la nullité du contrat principal et, par conséquent, du crédit affecté, les deux contrats étant liés.
Sur la faute de la banque la privant de son droit à restitution du capital :
Le premier juge a justement retenu sur ce point qu'en l'espèce :
- il est établi que la société de crédit a informé les emprunteurs du déblocage des fonds par courrier du 2 août 2013, soit avant même que ceux-ci aient une attestation de conformité, indispensable au raccordement.
- Elle ne s'est assurée ni de ce que le raccordement était réalisé ni de ce que Monsieur F... E... et Madame C... E... avaient obtenu l'autorisation de l'urbanisme pour l'éolienne.
Les intimés reprochent valablement à l'appelante son manque de vigilance en ce qu'elle a procédé au déblocage des fonds sur la base de documents imprécis et douteux et ne détaillant nullement l'opération, insuffisant pour permettre aux prêteurs de s'assurer de l'exécution complète du contrat principal.
En effet, l'attestation de fin de travaux, préimprimée et peu circonstanciée en dépit de la complexité du dispositif, ne permet pas de s'assurer de la réalisation de la totalité de l'opération.
Mais surtout, la signature attribuée à Monsieur E... n'a manifestement aucune ressemblance avec la signature réelle de ce dernier. En effet, la comparaison entre les divers documents en possession de la banque aurait dû lui permettre d'apprécier la discordance des signatures (bon de commande, contrat de crédit, fiches de solvabilité et copie de carte d'identité) et donc du caractère douteux du procès-verbal de réception.
Le premier juge en a tiré la juste analyse de ce que :
- à supposer même que l'attestation de livraison ait pu convaincre de la réalisation de la prestation, il ressort manifestement des pièces produites que la demande de financement est datée de 2012, soit un an avant le contrat et que le PV de réception n'est pas daté et ne porte pas la signature des deux époux, étant au surplus relevé que la signature prétendument attribuée à Monsieur E... ne correspond pas à celle qui figure sur le contrat de prêt.
- Ces manœuvres grossières auraient dû l'inciter à s'assurer auprès de l'emprunteur de la bonne exécution de la prestation financée, en réclamant à tout le moins une attestation de livraison et de fin de travaux sans réserve.
En libérant les fonds de façon prématurée, sur la base de documents douteux et insuffisants à prouver l'exécution complète du contrat principal, l'organisme de crédit a donc manqué à son obligation de vigilance et de prudence et cette faute la prive de tout droit à remboursement à l'encontre des époux E....
Le premier juge a encore justement relevé la particulière négligence du prêteur dans le choix de son intermédiaire, manifestement dénué de la formation pourtant devenue obligatoire en la matière.
Le jugement sera donc confirmé sur la sanction retenue d'une privation du prêteur de tout droit à remboursement des sommes versées à la société Rêv' Solaire et, par conséquent, de sa condamnation à rembourser aux époux E... les échéances qu'ils ont réglées en remboursement du contrat de crédit au jour du jugement et ultérieurement à celui-ci.
Sur les autres demandes :
Le premier juge a fait une juste appréciation des sommes à fixer au passif de la société Rêv' Solaire comme des dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi par les époux E....
En effet, ceux-ci ont d'emblée subis des désagréments liés à la défaillance de l'éolienne, puis à l'absence de rentabilité de l'installation qui ne correspondait pas à l'économie générale qui leur avait été présentée. Ils ont été contraints d'engager une procédure qui s'est avérée lourde et longue, en se heurtant à la liquidation judiciaire de l'entreprise qui les avait démarchés et à la résistance abusive de son partenaire de financement.
Le jugement sera confirmé sur ces points et la condamnation in solidum de l'appelante au paiement des dommages et intérêts.
Le jugement sera confirmé sur les frais irrépétibles et les dépens.
L'appelante, qui a conclu à trois reprises et très longuement, en citant de multiples jurisprudences de juridictions du fond, a contraint les intimés à y répondre dans les mêmes proportions. Dans ces conditions, il est équitable d'allouer aux intimés une somme complémentaire de 2 000 au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
L'appelante qui échoue en toutes ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens de l'appel.
Par ces motifs, Vu les dispositions précitées du Code de la consommation, Vu les articles 1134 et 1147 anciens du Code civil, Vu les pièces produites, LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire et mis à disposition au greffe, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SA Financo à payer à Monsieur F... E... et Madame C... E..., ensemble, la somme de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.