Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-22.295
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Goyard Saint-Honoré (SA)
Défendeur :
Fauré Le Page Paris (SAS), Fauré Le Page Maroquinier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, Me Bertrand
LA COUR :
I. Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mai 2017), la société de droit français Goyard Saint-Honoré (la société Goyard) a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de malles, d'articles de voyage et d'articles de maroquinerie.
2. Sa filiale, la société Goyard Asie-Pacifique, établie à Hong Kong, a, le 1er juillet 2012, conclu avec la société de droit japonais Hankyu Hanshin Department Store (la société Hankyu) un contrat ayant pour objet la distribution de ses produits dans un comptoir dédié du grand magasin de cette dernière à Osaka.
3. Les sociétés de droit français Fauré Le Page Paris et Fauré Le Page Maroquinerie (les sociétés FLP), qui exercent également une activité dans le domaine de la maroquinerie, sous la marque Fauré Le Page, et qui disposent de points de vente à Paris et à Osaka, ont, le 3 septembre 2014, en accord avec la société Hankyu, ouvert dans le même magasin, un comptoir de vente sous l'enseigne Fauré Le Page, situé à proximité de celui de la société Goyard à l'étage des maroquineries de marques prestigieuses.
4. Le 30 septembre 2014, la société Hankyu a informé les sociétés FLP de sa décision de déplacer leur comptoir au rez-de-chaussée du magasin.
5. Reprochant à la société Goyard de s'être rendue coupable d'actes de dénigrement et d'avoir exercé sur la société Hankyu un chantage économique pour obtenir des conditions commerciales manifestement abusives, les sociétés FLP l'ont assignée en réparation de leur préjudice.
II. Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé :
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
Enoncé du moyen
7. La société Goyard Saint Honoré fait grief à l'arrêt de dire que la loi française doit s'appliquer au litige, de dire, en conséquence, qu'elle s'est rendue coupable de pratique restrictive de concurrence à l'encontre des sociétés FLP, de dire qu'elle a créé un trouble commercial et d'image et s'est rendue coupable de dénigrement à l'encontre des sociétés FLP et de la condamner à leur verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral et celle de 250 000 euros au titre du préjudice commercial alors que " dans ses conclusions d'appel, la société Goyard St-Honoré faisait, en particulier, valoir que c'est le marché japonais qui est susceptible d'être affecté par le dénigrement allégué " et que le marché affecté " ou susceptible d'être affecté " par l'acte restrictif de concurrence allégué, lequel aurait abouti au déménagement du point de vente à l'enseigne FLP appartenant au distributeur Hankyu Hanshin à l'intérieur de son propre centre commercial Umeda Hankyu d'Osaka, est bel et bien le marché japonais " ; qu'en affirmant qu'il n'aurait pas été allégué que le marché japonais ait été affecté par les agissements dénoncés par les sociétés FLP, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de la société Goyard St-Honoré, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile. "
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
8. Pour dire que, conformément à l'article 4.2. du règlement CE n° 854/2007 du parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, dit Rome II, relatif à la loi applicable aux obligations non contractuelles, la loi française doit s'appliquer au litige, l'arrêt retient qu'il n'est nullement allégué que le marché japonais ait été affecté par les agissements dénoncés par les sociétés FLP, qui n'étaient susceptibles de préjudicier qu'à leurs intérêts.
9. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, la société Goyard faisait valoir que c'était le marché japonais qui était susceptible d'être affecté par l'acte restrictif de concurrence et le dénigrement allégués, la cour d'appel, qui a dénaturé ces écritures, a violé le principe susvisé.
Et sur le même moyen, pris en sa quatrième branche :
Enoncé du moyen
10. La société Goyard fait le même grief à l'arrêt alors que " selon l'article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007, dit Rome II ", la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être, c'est-à-dire la loi du marché qui est affecté ou qui est susceptible d'être affecté par les actes incriminés ; que si le principe selon lequel la loi applicable à l'action en concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être connaît une exception lorsque ce comportement affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, c'est précisément à la condition que ces actes ne soient pas susceptibles d'affecter le marché ; qu'en affirmant qu'il ne serait pas établi que le marché japonais ait été affecté par les agissements dénoncés par les intimées lesquelles sollicitent la réparation d'un préjudice les affectant personnellement et exclusivement ", sans rechercher si les agissements litigieux n'étaient pas susceptibles d'affecter le marché japonais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007, dit Rome II ". "
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 :
11. Si le principe selon lequel la loi applicable à l'action en concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou sont susceptibles de l'être connaît une exception lorsque ce comportement affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, c'est à la condition que ces actes n'aient pas d'effet sur le marché.
12. Après avoir constaté que la société Goyard, qui entretenait des relations avec la société Hankyu, avait obtenu de celle-ci, sous la menace d'une rupture de partenariat, le déplacement du point de vente de ses concurrents, les sociétés FLP, dans son magasin d'Osaka, et que le dénigrement était caractérisé par la lettre du 15 septembre 2014 adressée par la société Goyard à la société Hankyun, l'arrêt retient que, dans la mesure où il n'est nullement établi que le marché japonais ait été affecté par les agissements dénoncés par les sociétés FLP, les actes de concurrence invoqués sont susceptibles d'affecter exclusivement les intérêts de ces dernières.
13. Relevant ensuite que les sociétés FLP demandent la réparation d'un préjudice les affectant personnellement et exclusivement et que les parties ont chacune leur siège en France, il en déduit que, conformément à l'article 4.2 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007, la loi française s'applique.
14. En se déterminant ainsi, par voie de simple affirmation, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les agissements litigieux n'étaient pas susceptibles d'affecter le marché japonais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, LA COUR : Casse et Annule, sauf en ce qu'il admet la pièce n° 8 aux débats, l'arrêt rendu, le 10 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.