Cass. com., 15 janvier 2020, n° 18-15.431
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Favel, Favel SPRL (Sté)
Défendeur :
Coopérative U enseigne (SAC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Sudre
Avocats :
SCP Delamarre, Jehannin, SCP Delvolvé, Trichet
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2018), que la société Système U centrale nationale, devenue la société anonyme coopérative U enseigne (la société Système U), a entretenu à compter de 2006, une relation commerciale avec la société Favel SPRL (la société Favel), société de droit belge, dirigée par M. Favel, pour la fourniture de produits électroménagers fabriqués en Chine ; que la société Système U, souhaitant renforcer le contrôle qualité des produits importés, a mis en place, au cours de l'année 2013, un nouveau processus de validation nécessitant l'envoi de divers documents de conformité ; qu'à compter du 1er octobre 2013, la société Système U a cessé toute commande auprès de la société Favel et lui a adressé, le 17 janvier 2014, un projet de convention annuelle mentionnant un chiffre d'affaires en baisse de moitié par rapport à celui de l'année précédente ; que le 23 mai 2014, la société Favel et M. Favel ont assigné la société Système U devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, pour la première, et préjudice moral, pour le second ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Favel fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que pour établir son entière coopération dans la mise en place de la nouvelle procédure qualité adoptée par la société Système U, la société Favel produisait aux débats un courriel du mois d'août 2013 par lequel elle exprimait sa volonté de tenir les nouveaux délais de production tout en respectant cette procédure, ainsi que le courriel de prise de contact du 5 juillet 2013 avec le laboratoire API aux fins de réaliser les tests ; qu'en retenant pourtant que la société Favel aurait exprimé sa réticence à l'égard du nouveau système de contrôle tout au long de l'année 2013, sans examiner, serait-ce sommairement, ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que l'article 1er du contrat du 18 février 2013 stipulait que " Système U pourra faire procéder à des contrôles de conformité des produits qui lui seront livrés par le laboratoire de son choix " ; que pour dire que la rupture des relations commerciales établies serait imputable à la société Favel, la cour d'appel a pourtant retenu qu'elle serait mal fondée à prétendre que " la procédure qualité ne s'applique qu'aux " produits livrés ", et non aux échantillons adressés au laboratoire API ; qu'en jugeant ainsi applicable le contrôle qualité aux simples échantillons transmis au laboratoire API, quand les termes clairs et précis du contrat du 18 février 2013 visaient uniquement les produits livrés, la cour d'appel l'a dénaturé, en violation de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ; 3°) que la cessation pure et simple des commandes constitue une rupture des relations commerciales établies ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté " l'absence de commande après septembre 2013 " ; que la cour d'appel a pourtant retenu qu' " en l'état des manquements fautifs par Favel lesquels présentent une gravité tant suffisante que répétée, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que Favel est exclusivement l'auteur de la rupture " ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la société Système U, qui avait cessé les commandes, était l'auteur de la rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du Code de commerce ; 4°) que la baisse brutale des commandes constitue une rupture partielle des relations commerciales établies ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société Système U, en envoyant le 17 janvier 2014, un contrat de référencement pour l'année 2014, aurait manifesté sa volonté de poursuivre les relations ; qu'en statuant ainsi quand ce contrat de référencement portait sur un chiffre d'affaires de 500 000 , correspondant à la moitié de la valeur des commandes passées en 2013, de sorte que son envoi démontrait à tout le moins que la société Système U avait partiellement rompu les relations commerciales établies, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du Code de commerce ; 5°) que le partenaire commercial qui rompt des relations commerciales établies doit, sauf urgence, mettre en demeure son contractant de se conformer à ses obligations avant de rompre les relations en raison de l'inexécution contractuelle ; qu'il incombe donc à l'auteur de la rupture d'avertir son partenaire qu'à défaut de remédier à l'inexécution, il sera mis un terme au contrat ; qu'en l'espèce, la société Favel démontrait dans ses conclusions que la société Système U ne l'avait pas mise en demeure de mettre un terme à ses supposés manquements contractuels ; que la cour d'appel a pourtant considéré que " l'appelant ne peut valablement prétendre n'avoir pas été mis en demeure ou averti par son partenaire commercial alors qu'il est amplement justifié par Système U de l'envoi de nombreux courriels à Favel, tout au long de l'année 2013 avec l'objectif d'appliquer la procédure qualité et de remédier aux divers manquements répétés avec des conseils adaptés " ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement caractériser une interpellation suffisante de la société Favel, par laquelle il lui aurait été indiqué que, faute pour elle de remédier aux prétendus manquements constatés, il serait mis fin aux relations commerciales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; 6°) que le partenaire commercial qui rompt des relations commerciales établies doit notifier formellement à son partenaire sa décision de mettre un terme au contrat ; qu'en l'espèce, la société Favel démontrait dans ses conclusions que la société Système U n'avait jamais dénoncé formellement la rupture des relations commerciales ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la société Système U n'a jamais formellement dénoncé les relations contractuelles, se bornant à ne plus passer commande à compter du 1er octobre 2013 ; qu'en déboutant pourtant la société Favel de ses demandes indemnitaires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que les nombreux courriels échangés entre les parties établissent que la société Système U a, dès le mois de décembre 2012, informé la société Favel de la nouvelle procédure de contrôle qualité qu'elle avait mise en œuvre, progressivement, au cours de l'année 2013 ; qu'il relève que le contrat-cadre signé le 18 février 2013 stipule l'engagement de la société Favel de se conformer au contrôle qualité des produits livrés ; qu'il constate que, dans ses courriels des 22 mai et 29 août 2013, la société Système U a invité la société Favel à remédier aux manquements constatés à ses obligations contractuelles et que, par courriel du 14 août 2013, elle lui a rappelé la nécessité de respecter ses obligations ; qu'il retient ensuite que, dans son courriel du 12 septembre 2013, la société Favel s'est montrée réticente à se conformer à la nouvelle procédure de contrôle qualité, tandis que plusieurs défauts de conformité affectant la commande de juin 2013 avaient été constatés ; qu'il retient encore, par une interprétation souveraine des termes du contrat du 18 février 2013, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la procédure de contrôle qualité s'appliquait dès la phase des tests de préproduction ; qu'il retient enfin que le non-respect, par la société Favel, de la procédure de contrôle qualité et le défaut de conformité des produits constatés, conduisant à des retards de livraison, constituaient des manquements aux obligations contractuelles de celle-ci suffisamment graves pour justifier que la société Système U, qui n'était tenue d'aucune obligation d'achat, cesse momentanément ses commandes à compter du 1er octobre 2013 et lui propose, le 17 janvier 2014, un nouvel accord-cadre prévoyant une baisse du chiffre d'affaires de moitié par rapport à l'année précédente ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu retenir que la rupture de la relation commerciale était imputable à la société Favel ;
Attendu, en second lieu, que la responsabilité ainsi retenue de la société Favel dans la rupture de la relation commerciale rend les griefs des cinquième et sixième branches sans portée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que M. Favel fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation alors, selon le moyen : 1°) que commet une faute la centrale de référencement qui sans rompre formellement les relations contractuelles s'abstient de répondre aux demandes du dirigeant de son partenaire commercial et le laisse dans l'expectative sur le sort des relations commerciales ; qu'en retenant pourtant que M. Favel ne justifierait pas d'une faute de la société Système U, quand le silence gardé par la société Système U, qui n'avait jamais formellement dénoncé les relations contractuelles avec la société Favel était fautif, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; 2°) que M. Favel faisait valoir qu'il avait subi un préjudice lié à l'anxiété professionnelle ; qu'il produisait des attestations médicales établissant la réalité de son préjudice ; qu'en retenant pourtant que M. Favel n'aurait pas justifié l'existence d'un préjudice, sans examiner serait-ce sommairement les attestations médicales, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que le rejet du premier moyen rend le second sans portée ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.