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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 janvier 2020, n° 18-14922

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oustric (SAS); Savenier (ès qual.); Enjalbert (ès qual.)

Défendeur :

BMW France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

Avocats :

Mes Régnier, Bourgeon, Baechlin, Vogel

CA Paris n° 18-14922

22 janvier 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La société BMW France est l'importateur en France de véhicules neufs et pièces de rechanges et accessoires des marques BMW et Mini qu'elle distribue à travers un réseau de concessionnaires pour la vente de véhicules neufs des pièces de rechanges et des services de réparation, et de réparateurs agréés pour la vente des pièces de rechanges et des services de réparation.

La société Oustric, anciennement dénommée Auto Service Quercy Tarn & Garonne, ou encore Assa 128, était devenue concessionnaire BMW à Montauban et Cahors en 1998. En 2001, elle s'est vue confier la concession Mini sur ces deux sites. En 2005, elle a résilié le contrat de concession Mini du site de Cahors, demeurant réparateur agréé pour les deux marques BMW et Mini.

La société BMW France a dénoncé les contrats de concession exclusive passés avec son réseau et proposé, à compter du 1er octobre 2003, de nouveaux contrats à durée déterminée de 5 ans.

En mai 2007, elle a informé la société Oustric de sa volonté de restructurer les concessions autour d'un seul concessionnaire à Agen, regroupant Montauban et Cahors. À cet effet, elle a dénoncé les contrats qui arrivaient à leur terme.

La société Oustric a alors entamé des discussions avec divers repreneurs potentiels pour son fonds de commerce, vendu le 11 janvier 2010 à la société Sipa qui a repris les seules activités de concessionnaire de la marque BMW et les services de réparateur agréé pour la marque Mini pour le site de Montauban, la société Oustric s'engageant à fermer le site de Cahors.

Entre temps, par jugement du 6 octobre 2009, le tribunal de commerce de Montauban, a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Oustric.

Puis, par acte du 18 décembre 2014, estimant le résultat des négociations avec la société Sipa très défavorable et en rejetant la responsabilité sur la société BMW France qui aurait tardé à lui présenter des candidats sérieux à la reprise de son fonds de commerce conformément aux accords passés entre elles, l'a assignée en responsabilité afin d'obtenir l'indemnisation de ses pertes d'exploitation pour l'année 2009 et de ses moins-values au titre des coûts de fermeture du site de Cahors et de la non valorisation de ce site.

Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société BMW France de ses exceptions d'irrecevabilité, sauf en ce qui concerne la prescription de la demande de la société Oustric - anciennement dénommée Auto Services Quercy Tarn & Garonne et de Me Savenier, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de celle-ci - d'indemnisation de 1 124 956 euros en contrepartie des pertes d'exploitation subies en 2009 ;

- dit que cette demande se heurte à la prescription quinquennale ;

- débouté la société Oustric, anciennement dénommée Auto Services Quercy Tarn & Garonne et Me Savenier, ès-qualités, de la totalité de leurs demandes ;

- condamné la société Oustric, anciennement dénommée Auto Services Quercy Tarn & Garonne, à payer à la société BMW France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC ;

- rejeté les demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la société Oustric, anciennement dénommée Auto Services Quercy Tarn & Garonne, aux dépens.

Le tribunal de commerce de Montauban a prononcé la liquidation judiciaire de la société Oustric par jugement du 16 avril 2019, Me Enjalbert étant nommé en qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci.

Vu l'appel de ce jugement interjeté le 12 juin 2018 par la société Oustric et les dernières conclusions déposées et notifiées le 16 octobre 2019 par Me Enjalbert ès qualitésì qui demande à la cour de :

- déclarer recevable son intervention volontaire et constater que l'instance est régulièrement reprise ;

- dire la société Oustric recevable et fondée en son appel principal ;

- dire la société BMW France recevable, mais mal fondée en son appel incident ;

Vu les articles 1134 - alinéa 3, devenu 1104 du Code civil et 1147, devenu 1217 du Code civil,

- infirmer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a jugé non prescrites les demandes de la société Oustric relatives à la compensation des pertes éprouvées du fait de la décote imposée par le groupe SIPA au titre des " buy back ", des coûts de fermeture du site de Cahors et de la non-valorisation du fonds de commerce de Cahors et en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir invoquée par la société BMW France tirée d'une prétendue autorité de la chose jugée ;

- dire et juger que la société BMW France a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Oustric en n'honorant pas les engagements qu'elle avait pris dans des accords sur un schéma de cession du fonds de commerce BMW et Mini de la société Oustric intervenu au premier trimestre 2008 et réitéré au premier quadrimestre 2009 ;

En conséquence,

- condamner la société BMW France à payer les sommes suivantes à Maître Jean-Claude Enjalbert ès qualités :

* 1 124 956 euros en contrepartie des pertes d'exploitation subies en 2009,

* 200 000 euros en compensation des pertes éprouvées du fait de la décote imposée par la société SIPA au titre des " buy backs " dans le cadre de la cession du fonds de commerce de Montauban,

* 289 197,03 euros en contrepartie des coûts de fermeture du site de Cahors imposé en dernier lieu par la société SIPA se décomposant comme suit : (sic)

* 100 000 euros en contrepartie de la non-valorisation du fonds de commerce de Cahors outre les intérêts au taux légal, l'ensemble de ces sommes à compter de l'acte introductif d'instance, à titre de complément de dommages et intérêts.

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil ;

- condamner la société BMW France à payer une indemnité de procédure de 10 000 euros à Me Enjalbert ès qualitésì et aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société BMW France, intimée, déposées et notifiées le 28 octobre 2019, qui demande à la cour de :

Vu l'article 122 du CPC,

Vu l'article L. 110-4 du Code de commerce et l'article 2224 du Code civil, Vu l'article 1134 du Code civil,

A titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la demande de la société Oustric portant sur les pertes d'exploitation subies en 2009 était prescrite ;

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de fin de non-recevoir du fait de la prescription des demandes indemnitaires de la société Oustric fondées :

* sur les conditions de " Buy Back ",

* sur la non-valorisation du site de Cahors et

* sur les coûts de fermeture du site de Cahors

- juger ces demandes prescrites et donc irrecevables ;

- en conséquence débouter Maître Enjalbert, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;

2) A titre subsidiaire,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'irrecevabilité des demandes de la société Oustric au titre de l'autorité de la chose jugée

- les déclarer irrecevables en ce qu'elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée ;

3) A titre plus subsidiaire, si, par extraordinaire, il devait être décidé que les demandes de Maître Enjalbert, ès qualités ne sont pas prescrites,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la société BMW France n'avait pas engagé sa responsabilité à l'égard de la société Oustric relativement aux préjudices allégués et en conséquence débouter Maître Enjalbert, ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;

4) Plus subsidiairement encore,

- dire et juger que Maître Enjalbert, ès qualités ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'elle allègue, ni du lien de causalité entre les prétendues fautes et les préjudices allégués et en conséquence, le débouter de ses demandes indemnitaires ;

5) En tout état de cause,

- débouter Maître Enjalbert, ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Maître Enjalbert, ès qualités à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Vu l'article 554 du Code de procédure civile, il convient de recevoir l'intervention volontaire de Me Enjalbert, nommé en qualité de liquidateur judiciaire de la société Oustric par jugement du tribunal de commerce de Montauban 16 avril 2019.

Maître Enjalbert, ès qualités soutient que la société BMW France aurait engagé sa responsabilité en ne respectant les assurances données par accord du premier trimestre 2008 pour l'inciter à s'inscrire dans un schéma de cession de son fonds de commerce, réitéré en février 2009. Il ajoute que la prescription n'a pas pu courir avant que la cession ne soit définitive ou à tout le moins autorisée par le juge commissaire, soit postérieurement au 18 décembre 2009. Il demande en conséquence la condamnation de la société BMW France à lui payer :

- 1 124 956 euros en contrepartie des pertes d'exploitation subies en 2009,

- 200 000 euros en compensation des pertes éprouvées du fait de la décote imposée par la société SIPA au titre des " buy backs " dans le cadre de la cession du fonds de commerce de Montauban,

- 289 197,03 euros en contrepartie des coûts de fermeture du site de Cahors imposé en dernier lieu par la société SIPA se décomposant comme suit : (sic)

- 100 000 euros en contrepartie de la non-valorisation du fonds de commerce de Cahors.

La société BMW France soulève une fin de non-recevoir tirée de la prescription de telles demandes, relatives à des pertes connues mois par mois dès 2009 et aux conditions de la cession connues au plus tard dès la promesse datée du 27 novembre 2009 soit plus de cinq ans avant assignation du 18 décembre 2014.

Vu l'article 2224 du Code civil selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer,

La cour retient ce qui suit.

D'une part, les faits à l'origine du préjudice allégué étaient connus de la société Oustric plus de cinq ans avant l'assignation du 18 décembre 2014.

Ces faits résultent, selon l'appelante :

- de la perte de marge contributive que la société Oustric retirait de son activité Mini du fait du non-renouvellement de son contrat de concession pour cette marque au-delà du 1er octobre 2008,

- de la longueur des discussions de cession au groupe SIPA agréé tardivement avant d'aboutir à la cession du 11 janvier 2010,

- des annulations de livraisons imposées par la société BMW France suite à l'ouverture de la procédure de sauvegarde par jugement du 6 octobre 2009.

Maître Enjalbert, ès qualités soutient vainement que la prescription n'a pas pu courir avant la manifestation du dommage ou de son aggravation, soit :

- avant l'arrêté, en novembre 2010 de l'exercice 2009

- avant la cession par laquelle le groupe SIPA refuse de reprendre le site de Cahors, dont il est prétendu que la société Oustric l'avait maintenu en exploitation pour pouvoir s'inscrire dans le schéma de cession qui prévoyait la cession de Mautauban et Cahors prétendument convenu entre celle-ci et la société BMW France suivant accord pris courant 2008 et réitéré en février 2009.

En effet et comme le retiennent les premiers juges, les pertes extrêmement graves des comptes de l'exercice 2009 étaient connues dès avant l'arrêté de compte de novembre 2010 puisqu'elles ont conduit la société Oustric à solliciter la procédure de sauvegarde, ouverte par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 6 octobre 2009. En outre, cette société imputait déjà ses difficultés financières à la durée des discussions avec la société SIPA dans son courrier du 21 octobre 2009 (pièce appelante 48). Si bien qu'il importe peu, s'agissant du point de départ de son délai pour agir, que sa demande à ce titre reste à parfaire au vu de la clôture des comptes de l'exercice en novembre 2010, la question du chiffrage du préjudice étant indifférente quant à l'appréciation du caractère prescrit ou non de l'action.

D'autre part, la société Oustric avait connaissance, au plus tard le 27 novembre 2009, date du compromis de cession du seul fonds de commerce de Montauban, des conditions prétendument préjudiciables de cette cession qu'elles avaient acceptées dès septembre 2009 (pièce appelante 48).

Elle était donc en mesure d'agir à l'encontre de la société BMW France en indemnisation des pertes d'exploitation de 2009 qu'elle impute à ces conditions, plus de cinq ans avant l'assignation du 18 décembre 2014.

Il en est de même s'agissant de la minoration du prix de cession prétendument imposée par le groupe SIPA en raison de la valeur de reprise des "buy back", comme des coûts de fermeture également imposée par SIPA du site de Cahors, conditions prétendument défavorables de la cession dont la société Oustric rend la société BMW France responsable pour n'avoir pas respecté les engagements précités.

D'ailleurs, dans son courrier précité du 21 octobre 2009 à la société BMW France, elle indiquait : "dès le 4 juin 2009, je vous ai très clairement indiqué les coûts de fermeture de Cahors" (pièce appelante 48), dont elle présentait un premier chiffrage dès le 7 décembre 2009 (pièce intimée 1).

Enfin, il en est encore de même de la non-valorisation du fonds de commerce de Cahors - dont la fermeture est acceptée par la société Oustric et prétendument imposée par SIPA, faute pour la société BMW France d'honorer les engagements pris envers la cédante en février 2009 - dès lors que cette non-valorisation résulte de cette fermeture.

La société Oustric qui avait ainsi connaissance de sa situation financière très délicate et des éléments qu'elle considère comme responsables de ses pertes financières plus de cinq ans avant l'assignation du 18 décembre 2014 était donc en mesure, avant cette date, d'agir en responsabilité à l'encontre de la société BMW France, afin d'en obtenir l'indemnisation.

Par ailleurs et vu l'article 2240 du Code civil, la lettre de la société BMW France du 8 janvier 2010 proposant son "aide" - à hauteur de 50 000 euros correspondant au "buy back" et un "accompagnement" de 200 000 euros pour la fermeture du site de Cahors (pièce appelante 53-2) ne s'analyse pas en une reconnaissance interruptive du délai de prescription.

En effet la société BMW France se borne à y mentionner : "nous vous confirmons bien volontiers que dans le cadre de la cession de fonds de commerce (...) autorisée par Mme Marcadier, juge commissaire (...) Nous sommes disposer [sic] à vous consentir les aides suivantes " [reprises ci-dessus]. (...) "Ainsi que nous vous l'avons déjà précisé à de nombreuses reprises, nous ne saurions prendre en charge quelque somme que ce soit au titre de la prétendue valorisation du fonds de commerce de Cahors. Même si la société SIPA n'a pas souhaité poursuivre l'activité de ce site, le prix d'acquisition du fonds de commerce de Montauban prend néanmoins en considération la valorisation de ce fonds de commerce. Quoiqu'il en soit nous rappelons que la fermeture du site de Cahors a relevé de votre seule décision à la suite de la procédure de sauvegarde à l'encontre de votre société. Pour notre part nous consentions, vous le savez à y maintenir votre contrat de réparateur agréé." Or, de telles énonciations ne contiennent ni une reconnaissance de responsabilité claire et sans équivoque ni une offre d'indemnisation incontestable, peu important même les conditions posées à cette aide.

Les demandes de Maître Enjalbert, ès qualités à ce titre sont donc irrecevables comme prescrites.

Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, Maître Enjalbert, ès qualités, partie perdante doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de la condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.

Par ces motifs, LA COUR, statuant dans les limites de l'appel, Reçoit l'intervention volontaire de Me Enjalbert, nommé en qualité de liquidateur judiciaire de la société Oustric par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 16 avril 2019 ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite la demande d'indemnisation à hauteur de 1 124 956 euros en contrepartie des pertes d'exploitation subies en 2009 et statué sur l'indemnité de procédure ainsi que les dépens ; L'infirme pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare prescrites les demandes de Maître Enjalbert, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Oustric, tendant à la condamnation de la société BMW France à lui payer : - 1 124 956 euros en contrepartie des pertes d'exploitation subies en 2009, - 200 000 euros en contrepartie de la décôte du prix de cession du fonds de commerce de Montaubon imposée au titre des " buy backs ", - 289 197,03 euros en contrepartie des coûts de fermeture du site de Cahors - 100 000 euros en contrepartie de la non-valorisation du fonds de commerce de Cahors; Condamne Maître Enjalbert, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Oustric, aux dépens d'appel et à payer à la société BMW France une indemnité de procédure de 10 000 euros.