CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 22 janvier 2020, n° 19-18745
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Ordre des architectes
Défendeur :
Ministre chargé de l'Economie, Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ienne-Berthelot
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Reille
Par assignation enregistrée au greffe de la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2019, l'Ordre des architectes a déposé une requête afin de sursis à exécution de la décision n° 19-D-19 de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) en date du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d'architecte.
Le 21 octobre 2019 l'Ordre des architectes a préalablement formé un recours en annulation et en réformation de cette décision devant la cour d'appel de Paris.
Il ressort des éléments du dossier que, par ladite décision, l'Autorité de la concurrence a sanctionné l'Ordre des architectes, l'association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et Commande Publique ainsi que plusieurs architectes et sociétés d'architecture pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur les prix dans le secteur des marchés publics de la maîtrise d'œuvre pour la construction d'ouvrages publics en France, en violation des articles 101 § 1 TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, et plus précisément pour avoir mis en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Hauts-de-France, de la région Centre-Val de Loire, de la région Occitane et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (articles 1 à 4 de la décision), ainsi que pour avoir mis en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale portée par un conseil régional l'encontre d'un architecte (article 5 de la décision).
Dans sa décision du 30 septembre 2019, l'ADLC a énoncé :
Article 1er : Il est établi que l'Ordre des architectes, l'association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, la société d'architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, M. David Lauer, la société d'architecture Pierre Coppe Architectes, la société d'architecture A. Trium Architectes et la société d'architecture Concept plan GC, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Hauts de France, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, depuis septembre 2013.
Article 2 : ll est établi que l'Ordre des architectes a enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Centre Val de Loire depuis juin 2014.
Article 3 : Il est établi que l'Ordre des architectes, M. Marc Julla, M. Bernard Laguens, la société d'architecture Atelier 2A et la société d'architecture Bleu Gentiane, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Occitanie, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, depuis septembre 2014.
Article 4 : Il est établi que l'Ordre des architectes et M. Francois Rouanet ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Provence Alpes Côte d'Azur, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, à compter de novembre 2014.
Article 5 : il est établi que l'Ordre des architectes a enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale portée par un conseil régional à l'encontre d'un architecte, à compter de novembre 2015.
Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 :
- À l'Ordre des architectes, une sanction de 1 500 000 euros ;
- À l'association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, une sanction de 1 euro ;
- À M. David Lauer, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Pierre Coppe Architectes, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture A.Trium Architectes, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Concept plan GC, une sanction de 1 euro ;
- À M. Marc Julla, une sanction de 1 euro ;
- À M. Bernard Laguens, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Atelier 2A, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Bleu Gentiane, une sanction de 1 euro ; et
- À M. François Rouanet, une sanction de 1 euro.
Article 7 : l'Ordre des architectes fera, par ailleurs, publier le texte figurant au paragraphe 513 de la présente décision, en respectant la mise en forme, sur l'édition électronique et papier du numéro du magazine " Le Moniteur ", qui paraîtra immédiatement après la publication de la présente décision. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs et blancs de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d'architecte ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. L'Ordre adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le 30 octobre 2019.
L'Ordre fera également figurer, pendant une durée de trois mois, sur la page d'accueil de son site internet national et de ses sites internet régionaux, le premier paragraphe du texte inclus au paragraphe 513 de la présente décision avec un lien vers le communiqué de presse relatif à la présente décision publié sur le site internet de l'Autorité.
Par assignation en date du 25 octobre 2019, l'Ordre des architectes demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution, d'une part, du paiement de l'amende et, d'autre part, aux injonctions de publication.
L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 11 décembre 2019 et mise en délibéré pour être rendue le 22 janvier 2020.
Par assignation déposée au greffe de la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2019, l'Ordre des architectes fait valoir :
1- Rappel du cadre juridique applicable en cas de violation flagrante des règles de droit.
Il est soutenu que même si, en règle générale, le Premier président de la cour d'appel saisi d'une demande de sursis à exécution ne peut se prononcer sur le fond de la motivation de la décision qui lui est soumise, il ressort cependant de la jurisprudence que ce principe connaît une exception lorsque la décision contestée est affectée d'une violation flagrante des règles de droit applicables ayant pour conséquence de la menacer sérieusement d'annulation de sorte que son exécution serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives prévues à l'article L. 464-8 du Code de commerce.
2- Sur la violation flagrante des règles de droit à raison de l'absence d'imputabilité des pratiques critiquées aux personnes morales auteurs desdites pratiques.
Il est fait valoir qu'en considérant que les pratiques poursuivies devaient être imputées à l'Ordre des architectes, " seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, et non au CNOA et aux CROA ", l'Autorité a commis une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que le Conseil National de l'Ordre des architectes (CNOA) et les Conseils Régionaux de l'Ordre des architectes (CROA) visés ont bien chacun individuellement la personnalité morale et sont juridiquement capables de se voir infligés des amendes.
- Sur la pratique décisionnelle constante du Conseil de la concurrence.
Il est argué que le Conseil de la concurrence a eu à connaître, à plusieurs reprises, de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des honoraires d'architectes et qu'à chaque fois, il a imputé les pratiques anticoncurrentielles poursuivies au CNOA et aux CROA mis en cause, et non à l'Ordre des architectes.
Il est cité plusieurs décisions rendues en matière par le Conseil de la concurrence.
Par ailleurs, au terme de la phase d'enquête administrative, les enquêteurs de la DGCCRF ont considéré que les pratiques identifiées devaient être notifiées à chacun des quatre CROA concernés et non à l'Ordre des architectes.
- Sur la jurisprudence.
Il est fait valoir que la personnalité juridique des CROA a été clairement constatée à l'occasion de contentieux dans lesquels leur capacité à ester en justice était remise en cause (par exemple, CA Lyon, 15 mars 2016 RG n° 14/02384).
La capacité d'ester en justice étant l'un des principaux attributs d'une entité ayant la personnalité juridique, il ne fait pas de doute que le CROA et les CNOA, organismes de droit privé chargés de mission de service public, sont bien dotés de la personnalité morale.
- Sur la position exprimée par le ministre de la Culture
Il est mis en exergue que dans ses observations en date du 22 novembre 2018, le ministre de la Culture énonçait très clairement que tant le CNOA que les CROA sont dotés de la personnalité juridique.
En outre, si l'article 39 du Décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977 sur l'organisation de la profession d'architecte indique, de façon générique, que " l'ordre des architectes est placé sous la tutelle du ministre chargé de la Culture ", c'est pour préciser, juste après, que cette tutelle est, dans les faits, exercée sur le CNOA et les CROA: " le ministre chargé de la Culture est représenté par un commissaire du Gouvernement auprès du conseil national et par un commissaire régional du Gouvernement auprès de chaque conseil régional ".
- Sur le motif invoqué par l'Autorité de la concurrence pour considérer que le CNOA et les CROA n'auraient pas la personnalité morale.
Il est d'abord fait observer que ni la notification des griefs ni le Rapport établi par les rapporteurs en charge de l'instruction de la saisine n'évoquent les débats parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 ou l'arrêt du Conseil d'État en date du 3 avril 1981, auxquels l'Autorité se réfère pour prouver que le CNOA et les CROA n'ont pas de personnalité morale.
Ensuite, il est fait valoir que les CNOA et CROA disposent de tous les attributs de la personnalité morale tels que l'immatriculation au répertoire des entreprises, l'existence d'organes propres de décision, une indépendance budgétaire et financière ainsi que la détention d'un patrimoine propre.
Enfin, il est précisé que le CNOA et les CROA sont des entités totalement indépendantes tant vis-à-vis de l'Ordre des architectes que les unes par rapport aux autres, le CNOA n'exerçant aucun pouvoir hiérarchique sur les CROA.
Ainsi, elles doivent être distinguées de l'Ordre des architectes.
Au vu de tout ce qui précède, il est manifeste qu'en sanctionnant l'Ordre des architectes pour des pratiques mises en œuvre par le CNOA et les CROA, alors que ces derniers disposent bien de la personnalité morale et sont juridiquement capables de se voir infliger une amende, l'Autorité a violé les règles de droit applicables en matière d'imputabilité.
Dans ces conditions, il existe un risque sérieux d'annulation de la décision par la cour d'appel de Paris, ce qui permet de caractériser l'existence d'une conséquence manifestement excessive au sens de l'article L. 464-8 du Code de commerce.
Par conséquent, il est demandé à ce titre de surseoir à l'exécution des articles 6 et 7 de la décision, jusqu'à ce que la cour d'appel de Paris ait statué sur le bien-fondé du recours formé par l'Ordre à l'encontre de la décision.
3- Sur la violation flagrante des règles de droit à raison des conditions imposées pour les injonctions et publications.
Il est soutenu que dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel a fait découler le droit à un recours juridictionnel effectif de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et que les juridictions européennes considèrent que " le droit à un recours effectif est garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et selon l'article 52, paragraphe 1, de cette charte, toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi ".
En l'espèce, les injonctions prévues à l'article 7 de la décision imposent une publication du texte rédigé par l'Autorité " immédiatement après la publication de la présente décision ". La publication devrait donc intervenir avant même la notification formelle de la décision.
Il est argué qu'une telle pratique, qui n'est pas prévue par les textes, réduit considérablement toute voie de recours offerte conformément à l'article L. 464-8 du Code de commerce, en totale méconnaissance du droit au recours effectif.
En effet, une fois le texte de l'Autorité publié, le référé-suspension que pourraient introduire les parties concernées pour obtenir une suspension de l'exécution de l'injonction n'aurait plus d'objet dès lors que l'injonction aurait été déjà exécutée.
A titre subsidiaire et en cas de rejet de la présente demande, il est donc demandé de suspendre temporairement, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de l'adoption de la décision du Premier président à intervenir, les injonctions de publication prévues à l'article 7 de la décision afin de laisser à l'Ordre des architectes un délai raisonnable pour exécuter la décision.
En conclusion, il est demandé de :
- constater les conséquences manifestement excessives pour l'Ordre des architectes causées par l'exécution de la décision n° 19-D-19 de l'Autorité de la concurrence, et notamment ses articles 6 et 7, en cas d'annulation ou de réformation ultérieure de cette décision par la cour d'appel de Paris ;
En conséquence,
- ordonner le sursis à exécution des sanctions prévues aux articles 6 et 7 de la décision n° 19-D-19 jusqu'à ce que la cour d'appel de Paris ait statué sur le bien-fondé du recours formé par l'Ordre des architectes à l'encontre de la décision n° 19-D-19.
A titre subsidiaire, en cas de rejet de la demande de sursis à exécution :
- ordonner la suspension temporaire, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de l'adoption de la décision du Premier président à intervenir, des injonctions prévues à l'article 7 de la décision n° 19-D-19 de l'Autorité de la concurrence afin d'accorder à l'Ordre des architectes un délai raisonnable pour exécuter, le cas échéant, lesdites injonctions.
En tout état de cause, dire que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Par observations déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 4 décembre 2019, l'Autorité de la concurrence fait valoir :
I- Sur l'admissibilité des constatations fondées sur l'existence d'une violation flagrante des règles de droit dans le cadre de la demande de sursis à l'exécution d'une décision de l'Autorité de la concurrence
Il est soutenu que le législateur a entendu restreindre les exceptions au principe d'application immédiate des décisions de l'Autorité aux seuls cas dans lesquels le paiement immédiat de la sanction pécuniaire ou l'exécution immédiate des injonctions prononcées est susceptible de porter une atteinte irréversible à l'entreprise mise en cause.
Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il n'appartient pas au magistrat délégué par le Premier président de contrôler la légalité de la décision, objet du recours dont la cour aura à connaître.
Si, dans de rares hypothèses, la jurisprudence a pu admettre que le sursis à exécution d'une décision soit accordé au motif d'une violation flagrante des règles de droit, ce n'est que lorsque des irrégularités graves de procédure étaient alléguées et à la stricte condition que la décision soit " sérieusement menacée d'annulation de ce chef ".
Ainsi, les contestations relatives à d'éventuelles irrégularités de la procédure devraient, pour être accueillies, d'une part, être susceptibles de justifier l'annulation de la décision en cause et d'autre part, apparaître de manière manifeste à la seule lecture de cette même décision.
En l'espèce, les violations de droit alléguées par le demandeur au sursis relèvent de l'appréciation du juge du fond.
II- Sur la violation flagrante des règles de droit à raison de l'absence d'imputabilité des pratiques aux personnes morales auteures desdites pratiques
1- Sur l'examen de l'application des règles d'imputabilité par le juge du référé
Il ressort d'une jurisprudence constante que les règles d'imputabilité des pratiques relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union. Leur appréciation ressort par conséquent de l'analyse du fond et non de la procédure.
2- Sur les conséquences de l'imputabilité des pratiques à l'Ordre
Il incombe au demandeur au sursis de démontrer en quoi les effets négatifs allégués sont susceptibles d'entraîner des conséquences manifestement excessives, en s'appuyant sur des éléments concrets et des justificatifs.
Au cas présent, l'Ordre se borne à alléguer l'existence d'une menace sérieuse d'annulation de la décision sans fournir aucun élément ou justificatif de nature à permettre à la cour d'apprécier l'existence des conséquences manifestement excessives et le caractère irréversible de l'atteinte résultant prétendument de la décision concernée.
Par conséquent, ses demandes ne pourront qu'être rejetées.
3 - Sur l'imputabilité des pratiques à l'Ordre des architectes
Tout d'abord, au plan des principes, il est constant que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à la personne juridique qui sera susceptible de se voir infligée des amendes.
Par ailleurs, l'article 21 de la loi n° 77-2 sur l'architecture dispose que " l'ordre des architectes [...] a la personnalité morale et l'autonomie financière " (paragraphe 451). L'Ordre est ainsi doté - de par la loi elle-même - à la fois de la personnalité juridique et de l'autonomie financière qui lui permettent, au sens de la jurisprudence, de se voir infliger des amendes.
Il est soutenu que la circonstance que les CNOA et CROA jouissent des prérogatives traditionnellement attachées à la personnalité juridique (ressources propres, autonomie des compte, capacité à ester en justice...) et que l'Autorité, comme les juridictions judiciaires ou le ministère de la Culture, aient dans d'autres espèces pu considérer que ces derniers disposaient de la personnalité juridique, n'est pas de nature à contredire cette analyse.
Il résulte de ce qui précède qu'en imputant les pratiques en cause à l'Ordre, l'Autorité de la concurrence n'a violé aucune règle de droit.
III- Sur la violation flagrante des règles de droit à raison des conditions imposées pour l'injonction de publication
Il est d'abord rappelé que la jurisprudence a déjà considéré qu'une injonction de publication visant à faire publier le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence dans des revues professionnelles, alors même que cette dernière n'était pas définitive, procède du principe fondamental de la publicité des décisions à forme ou contenu juridictionnel et ne saurait justifier l'octroi d'un sursis à exécution, à condition que la publication incriminée soit assortie d'une mention relative à la possibilité d'un recours devant la cour d'appel.
En l'espèce, dès lors que les injonctions en cause prévoient expressément la possibilité de mentionner l'existence d'un recours pendant, le requérant est infondé à arguer de la violation de son droit à un recours effectif. En pareille hypothèse, la circonstance que les injonctions prévoient que la publication doive être mise en œuvre immédiatement après la publication de la décision et non sa notification - laquelle intervient quelques jours après la première - ne saurait, en elle-même, remettre en cause cette analyse.
Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les requêtes formulées en l'espèce, qui visent à obtenir le sursis à exécution de la sanction pécuniaire et des injonctions de publication prévues aux articles 5 et 6 de la décision sont infondées et doivent être rejetées.
Par avis reçu en date du 6 décembre 2019, le ministre de l'Économie fait valoir :
I - Sur la demande de sursis à exécution des sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence
Il est rappelé le texte de l'article L. 468-4 du Code de commerce et il est argué qu'au cas particulier, les conditions prévues par cet article pour l'octroi d'un sursis à exécution ne sont pas réunies.
Il découle de la jurisprudence en vigueur que les objections relatives à d'éventuelles irrégularités procédurales, pour être accueillies, doivent être susceptibles de justifier l'annulation de la décision en cause et apparaître de manière évidente à la seule lecture de cette même décision.
En l'espèce, le demandeur au sursis considère que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur manifeste d'appréciation tendant à l'imputation des pratiques prohibées à l'Ordre des architectes et non aux CROA et CNOA. Une telle appréciation requiert que la violation soit manifeste, c'est-à-dire qu'elle résulte de façon évidente à l'examen de la décision contestée et des pièces produites.
Or, l'Ordre des architectes ne fournit aucun élément concret à l'appui de son argumentation de nature à prouver le caractère manifestement excessif des conséquences entraînées.
En tout état de cause, les violations alléguées relèvent de l'appréciation du juge du fond.
II - Sur la demande de suspension temporaire des injonctions de publication
Il est soutenu que les obligations de publication ne présentent pas de difficultés de mise en œuvre ni ne génèrent des conséquences manifestement excessives en soi.
Il est fait valoir que la jurisprudence a déjà eu occasion de préciser que la publication de la décision de l'Autorité sur son site internet, suivie par la mention de l'existence d'un recours pendant, ôtait tout caractère manifestement excessif aux conséquences entraînées.
Au cas présent, cette solution s'impose d'autant plus que cette affaire a été relayée dans les médias et sur les journaux d'information spécialisés.
En conclusion, il est demandé de rejeter la demande de sursis à exécution de la décision n° 19- D-19 de l'Autorité de la concurrence et de dire que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux au fond.
Par conclusions récapitulatives du 10 décembre 2019, l'Ordre des architectes fait valoir :
Sur la position exprimée par le ministère de la Culture :
dans ses observations, le Ministère de la Culture énonce que tant le CNOA que le CROA sont dotés de la personnalité juridique. L'Autorité n'apporte aucun élément permettant de contester cette situation, la position exprimée par le Ministère de la Culture permet de caractériser "la flagrance" de l'erreur commise par l'Autorité.
Sur le motif invoqué par l'ADLC pour considérer que le CNOA et les CROA n'auraient par la personnalité morale :
L'Autorité se réfère à un arrêt du Conseil d'Etat et aux débats parlementaires, alors que cela n'a jamais été évoqué tout au long de la phase écriture de la procédure.
L'absence de reconnaissance express dans la Loi d'une personnalité morale attachée aux CNOA et CROA ne permet pas de les en priver. Le Conseil de la concurrence a déjà au préalable considéré le CNOA et les CROA comme des entités dotées de la personnalité orale pouvant être sanctionnés, la jurisprudence considère aussi qu'ils sont dotés d'une personnalité morale. Ceux-ci disposent de tous les attributs de la personnalité morale (immatriculation, organes propres de décision, patrimoine propre, indépendance budgétaire et financière). Si l'Ordre des architectes dispose légalement de la personnalité morale, celui-ci ne dispose d'aucun des attributs de la personnalité morale. Les CNOA et CROA sont indépendantes vis-à-vis de l'Ordre des architectes, ce sont des entités juridiques distinctes et elles doivent être distinguées de l'Ordre des architectes.
En sanctionnant l'Ordre des architectes pour des pratiques mises en œuvre par les CNOA et les CROA, alors que ceux-ci disposent de la personnalité morale, l'Autorité a manifestement violé les règles de droit applicables en matière d'imputabilité.
Par avis en date du 4 décembre 2019, le Ministère public rappelle d'abord, s'agissant de la qualification de violation flagrante des règles de droit, que la flagrance est communément définie comme une évidence qui ne peut être niée. Quant à l'erreur manifeste d'appréciation, une telle erreur doit revêtir un caractère grossier dans l'appréciation des faits qui ont motivé la décision de l'administration.
Or, aucune flagrance ou erreur manifeste d'appréciation n'apparaît dans la présente affaire. En effet, il ne peut être retenu une erreur grossière de l'Autorité dans l'appréciation de l'existence de la personnalité juridique des CROA et du CNOA, cette violation invoquée relevant de l'examen de l'affaire au fond, conformément à une jurisprudence établie.
Il est souligné que si la décision attaquée reconnaît l'attribution au CNOA et aux CROA de certaines composantes de la personnalité juridique, elle retient une interprétation littérale de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, conférant au seul Ordre des architectes cette personnalité morale et que l'Autorité s'est en outre fondée sur les travaux parlementaires et la jurisprudence afin d'imputer les pratiques reprochées à l'Ordre.
Par ailleurs, au niveau européen, la pratique décisionnelle de la Commission, validée par la jurisprudence, adopte cette même approche.
En conclusion, le Ministère public invite à rejeter la demande de sursis à exécution de la décision n° 19-D-19 présentée par l'Ordre des architectes, en ce qu'elle implique un examen de la légalité de la décision qui relève du seul juge du fond en l'absence de violation flagrante des règles de droit applicables et estime qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire de suspension temporaire des injonctions de publication, dans la mesure où ces dernières n'ont pas été exécutées à ce jour et feront l'objet d'une exécution à l'issue de la présente procédure.
Les parties ont été entendues en leurs observations orales à l'audience publique du 11 décembre 2019, la décision a été mise en délibéré pour être rendue le 22 janvier 2020.
SUR CE
Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce " les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Economie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.
Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le premier président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité " ;
Considérant que l'Autorité de la concurrence a rendu une décision (n° 19-D-19) le 30 septembre 2019 déclarant :
Article 1er : Il est établi que l'Ordre des architectes, l'association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, la société d'architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, M. David Lauer, la société d'architecture Pierre Coppe Architectes, la société d'architecture A. Trium Architectes et la société d'architecture Concept plan GC, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Hauts de France, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, depuis septembre 2013.
Article 2 : ll est établi que l'Ordre des architectes a enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant a diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Centre Val de Loire depuis juin 2014.
Article 3 : Il est établi que l'Ordre des architectes, M. Marc Julla, M. Bernard Laguens, la société d'architecture Atelier 2A et la société d'architecture Bleu Gentiane, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traite sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant a diffuser et à imposer une méthode de calcul d' honoraires à l'ensemble des architectes de la région Occitanie, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, depuis septembre 2014.
Article 4 : Il est établi que l'Ordre des architectes et M. Francois Rouanet ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant a diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de la région Provence Alpes Cote d'Azur, chacun pour la durée indiquée au paragraphe 466, a compter de novembre 2014.
Article 5 : il est établi que l'Ordre des architectes a enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une décision d'association d'entreprises consistant à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale portée par un conseil régional à l'encontre d'un architecte, à compter de novembre 2015.
Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 :
- À l'Ordre des architectes, une sanction de 1 500 000 euros ;
- À l'association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, une sanction de 1 euro ;
- À M. David Lauer, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Pierre Coppe Architectes, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture A.Trium Architectes, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Concept plan GC, une sanction de 1 euro ;
- À M. Marc Julla, une sanction de 1 euro ;
- À M. Bernard Laguens, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Atelier 2A, une sanction de 1 euro ;
- À la société d'architecture Bleu Gentiane, une sanction de 1 euro ; et
- À M. Francois Rouanet, une sanction de 1 euro.
Article 7 : l'Ordre des architectes fera, par ailleurs, publier le texte figurant au paragraphe 513 de la présente décision, en respectant la mise en forme, sur l'édition électronique et papier du numéro du magazine " Le Moniteur ", qui paraîtra immédiatement après la publication de la présente décision. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs et blancs de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d'architecte ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. L'Ordre adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le 30 octobre 2019.
L'Ordre fera également figurer, pendant une durée de trois mois, sur la page d'accueil de son site internet national et de ses sites internet régionaux, le premier paragraphe du texte inclus au paragraphe 513 de la présente décision avec un lien vers le communiqué de presse relatif à la présente décision publié sur le site internet de l'Autorité.
Considérant que l'Ordre des architectes demande qu'il soit sursis à exécution de la décision au motif que la décision contestée est affectée d'une violation flagrante des règles de droit applicables ayant pour conséquence de la menacer sérieusement d'annulation de sorte que son exécution serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives prévues à l'article L. 464-8 du Code de commerce, que cette violation flagrante des règles de droit réside dans l'imputabilité des pratiques à l'Ordre des architectes alors que les pratiques reprochées ont été mises en œuvre par le CNOA et plusieurs CROA.
Considérant qu'il est constant qu'il n'appartient pas au magistrat délégué de contrôler la légalité de la décision objet du recours, que les violations du droit alléguées par le requérant relèvent de l'appréciation du juge de fond, qu'en l'espèce il n'appartient pas au juge statuant sur le sursis à exécution d'apprécier l'application qu'à fait l'Autorité de la concurrence des règles d'imputabilité, laquelle incombe au juge du fond.
Considérant que l'Ordre des architectes ne démontre pas en quoi l'exécution de la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence et notamment ses articles 6 et 7, aurait des conséquences manifestement excessives.
Considérant qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire de suspension temporaire des injonctions prévues à l'article 7 (injonctions de publication).
Par ces motifs, - Rejetons la demande de l'Ordre des architectes de sursis à exécution de la décision n° 19-D-19 de l'Autorité de la concurrence en date du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d'architecte. - Déclarons irrecevable la demande de l'ordre des architectes d'ordonner la suspension temporaire des injonctions prévue à l'article 7 (injonctions de publication). - Disons que les dépens seront à la charge du demandeur.