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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 23 janvier 2020, n° 18-03345

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Campus Privé d'Alsace (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pollet

Conseillers :

M. Robin, Mme Garczynski

Avocats :

Mes Harter, Lhote, SCP Cahn & Associés

TGI Strasbourg, du 25 juin 2018

25 juin 2018

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Selon contrat en date du 3 mai 2015, M. X s'est inscrit à la formation d'ostéopathe, d'une durée de cinq ans, dispensée par la SARL Campus privé d'Alsace, exerçant une activité d'enseignement sous la dénomination " Oscar ".

A l'issue de la première année d'enseignement, par courrier en date du 22 mai 2016, M. X a informé la direction d'" Oscar " de sa volonté de quitter la formation et de récupérer son dossier, en raison de sa décision de se réorienter vers d'autres études.

En date du 22 juin 2016, la SARL Campus privé d'Alsace lui a répondu en rappelant que le contrat était conclu pour une durée déterminée de cinq ans et que sa signature avait entraîné l'obligation de payer la totalité des frais de scolarité, pour toute la durée du cycle.

Face au refus de payer de M. X, la SARL Campus privé d'Alsace l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, par acte d'huissier du 3 janvier 2017, en vue d'obtenir sa condamnation au paiement.

Par jugement en date du 25 juin 2018, le tribunal a

- débouté M. X de sa demande principale en nullité du contrat pour vice de consentement,

- débouté M. X de sa demande subsidiaire tendant à faire déclarer comme abusives les clauses des articles 2 et 4 du contrat,

- débouté M. X de sa demande très subsidiaire fondée sur la constatation de l'existence d'une clause pénale au sein des articles 2 et 4 du contrat, ayant un caractère excessif et disproportionné,

- débouté M. X de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné M. X à payer à la SARL Campus privé d'Alsace la somme de 32 000 euros au titre des quatre années de frais de scolarité restant dues, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2017,

- condamné M. X aux entiers frais et dépens,

- condamné M. X à payer à la SARL Campus privé d'Alsace une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

Afin d'écarter la nullité du contrat pour vice du consentement, le tribunal a retenu que, si la société Campus privé d'Alsace n'avait pas informé M. X de son défaut d'agrément par le ministère des Affaires sociales et de la Santé, l'étudiant n'avait pas fait de cet agrément une condition déterminante de son engagement.

Par ailleurs, le tribunal a jugé non abusives les clauses figurant aux articles 2 et 4 du contrat d'inscription, dès lors que, conformément à la loi, elles limitent la faculté de résiliation d'un contrat à durée déterminée en prévoyant deux hypothèses de résiliation, le cas de force majeure ou l'existence de circonstances exceptionnelles et graves.

Le tribunal a en outre retenu que le motif invoqué par M. X était purement volontaire et librement décidé, et qu'il ne présentait pas de caractère légitime et impérieux.

Enfin, le tribunal a écarté le moyen relatif à l'existence d'une clause pénale excessive et disproportionnée, dès lors que le nombre d'étudiants inscrits est un élément essentiel pour l'organisation de la formation et que l'économie du contrat est calculée sur la totalité de la période de formation.

M. X a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 25 juillet 2018.

Il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et

- à titre principal, de prononcer la nullité du contrat de formation pour vice du consentement et débouter la SARL Campus privé d'Alsace de l'ensemble de ses prétentions,

- en tout état de cause, de juger que les articles 2 et 4 des conditions générales du contrat d'inscription de la SARL Campus privé d'Alsace sont des clauses abusives devant être réputées non écrites et juger que M. X a justifié la résiliation du contrat d'inscription par un motif légitime et impérieux,

- à titre subsidiaire, de juger que les articles 2 et 4 du contrat d'inscription doivent être analysés comme une clause pénale excessive et disproportionnée et ramener le montant de la clause pénale à de plus justes proportions,

- en tout état de cause, de condamner la SARL Campus privé d'Alsace à lui payer la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure, et la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.

À titre liminaire, il porte à la connaissance de la cour un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 18 octobre 2018 dans une affaire similaire, ayant considéré que les articles 2 et 4 des conditions générales d'inscription à la formation d'ostéopathie proposée par la SARL Campus privé d'Alsace sont des clauses abusives devant être réputées non écrites et ayant, pour ce motif, débouté la SARL Campus privé d'Alsace de sa demande de paiement.

Sur sa demande principale, M. X soutient qu'au vu de l'ancien article 1116 du Code civil relatif au dol, son consentement a été vicié en raison de la dissimulation, lors de son inscription, par la SARL Campus privé d'Alsace de son défaut d'agrément. Il ajoute que, selon l'article 1er du contrat d'inscription, il ne lui était pas possible de se rétracter après la notification du défaut d'agrément, intervenue le 27 juillet 2015, dès lors que le contrat avait été signé près de trois mois auparavant.

En tout état de cause, il reprend son argumentation sur l'existence de clauses abusives au sein des articles 2 et 4 du contrat et soutient que la limitation de la faculté de résiliation offerte à l'élève au cours du cursus, laissée à la seule appréciation discrétionnaire de la SARL Campus privé d'Alsace, est abusive au regard des articles L. 132-1 et R. 132-1 du Code de la consommation. Il s'appuie sur une recommandation de la commission des clauses abusives (n° 91-01 du 6 septembre 1991) et sur la jurisprudence de la Cour de cassation et de la cour d'appel de Colmar, selon lesquelles la clause d'un contrat d'enseignement qui prévoit le paiement intégral de la scolarité par l'élève, sans lui réserver la possibilité de rompre le contrat pour un motif légitime et impérieux, doit être considérée comme abusive.

Il considère que sa volonté de se réorienter et ses mauvais résultats obtenus au terme de la première année de formation constituaient un motif légitime et impérieux justifiant la rupture du contrat.

Subsidiairement, il soutient qu'en application de l'article 1226 du Code civil relatif à la clause pénale, les articles 2 et 4 du contrat d'inscription, selon lesquels l'étudiant est contraint de se réinscrire en année supérieure et de régler l'intégralité des frais de scolarité, doivent s'analyser comme une clause pénale excessive et disproportionnée.

La SARL Campus privé d'Alsace conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de M. X aux frais et dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle se réfère aux motifs du jugement attaqué, ajoutant que le jugement du 18 octobre 2018 invoqué par l'appelant a fait l'objet d'un appel et n'est pas définitif.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique

- le 2 avril 2019 pour M. X,

- le 8 février 2019 pour la SARL Campus privé d'Alsace.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance en date du 4 juin 2019.

MOTIFS

Sur la nullité du contrat pour vice du consentement

Si, lors de la conclusion du contrat d'inscription en date du 3 mai 2015, la société Campus privé d'Alsace n'a pas informé M. X du fait qu'elle n'avait pas obtenu le renouvellement de son agrément par le ministère des Affaires sociales et de la Santé, elle a porté à sa connaissance, par lettre du 9 juillet 2015, que ce renouvellement lui avait été refusé, et invité M. X à confirmer son inscription.

Le 27 juillet 2015, M. X a signé et retourné à la société Campus privé d'Alsace un formulaire aux termes duquel il a déclaré avoir pris connaissance du communiqué de l'école du 9 juillet 2015 et confirmé sa présence pour la rentrée du 28 septembre 2015.

M. X ayant maintenu son inscription et effectué la première année de scolarité en étant informé du défaut d'agrément de l'école, et n'ayant pas invoqué ce motif pour justifier sa volonté de ne pas poursuivre le cycle de formation après cette première année, il ne démontre pas que l'agrément de l'école était une condition déterminante de son inscription et donc que son consentement a été vicié.

Au surplus, l'agrément de la société Campus privé d'Alsace ayant été renouvelé le 9 mars 2016, avant que M. X ne décide de résilier le contrat, il n'est pas fondé à invoquer une erreur portant sur une condition qui s'est finalement réalisée.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. X de sa demande de nullité du contrat pour vice du consentement.

Sur le caractère abusif des clauses figurant aux articles 2 et 4 du contrat

L'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable en l'espèce, dispose :

Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163, 1164 du Code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.

En l'espèce, les conditions générales du contrat d'inscription contiennent les stipulations suivantes : Article 2, alinéas 1 et 2 : " Le contrat devenu définitif dans les conditions prévues à l'article 1 a nécessairement une durée ferme et déterminée égale à l'entier cycle de formation choisi.

En conséquence de cette durée déterminée, l'inscription de l'étudiant en année supérieure est automatique pendant toute la durée du cycle convenue, sans possibilité pour l'étudiant de suspendre ou résilier son engagement et de différer le paiement des sommes dues en conséquence de celui-ci ".

Article 4, alinéas 1, 2 et 3 : " Toute inscription acceptée entraîne obligation du règlement de la totalité des frais de scolarité du cycle sous réserve de ce qui est énoncé ci-après :

Un escompte de 2 % est accordé sur le montant total des frais de scolarité versé en 1 seule fois sans délai de paiement.

Il n'en sera différemment qu'en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles et graves, soumises à l'appréciation de la Direction d'Oscar, saisie à la requête de l'étudiant qui devra statuer dans un délai de 30 jours, par décision non susceptible de recours et après avoir entendu les parents à sa demande ou à leurs demandes ".

Il résulte de ces clauses que l'étudiant ne peut résilier le contrat qu'en cas " de force majeure ou de circonstances exceptionnelles et graves ", alors que l'école, quant à elle, peut le faire en cas " d'incident suscité par l'étudiant inscrit, tel que l'absentéisme, comportement contraire à la Charte Générale et Pédagogique de l'École " et, mais seulement avant le début des cours annuels, " en cas d'effectif insuffisant ou de raison pédagogique et d'organisation majeure ".

Par ailleurs, l'appréciation du motif de résiliation invoqué par l'étudiant est laissée à la discrétion de la direction de l'école, qui statue " par décision insusceptible de recours ".

S'il est loisible aux parties de prévoir que le contrat sera à durée déterminée pour toute la durée du cycle d'études, les clauses précitées, en ce qu'elles font du paiement du prix total de la scolarité un forfait intégralement acquis à l'établissement d'enseignement dès la signature du contrat, sans réserver le cas d'une résiliation par l'étudiant pour un motif légitime et impérieux, créent un déséquilibre significatif entre les parties.

Ce déséquilibre doit être apprécié en tenant compte du fait que le contrat s'adresse à des jeunes de 18 ou 19 ans sortant du lycée qui, d'une part, peuvent, après avoir débuté dans l'enseignement supérieur, se rendre compte que la scolarité qu'ils ont choisie ne correspond pas à leurs aptitudes ou à leurs aspirations, et qui, d'autre part, ont des moyens financiers limités.

Il convient donc de réputer non écrites l'article 2, alinéa 2 (" en conséquence de cette durée déterminée, l'inscription de l'étudiant en année supérieure est automatique pendant toute la durée du cycle convenue, sans possibilité pour l'étudiant de suspendre ou résilier son engagement et de différer le paiement des sommes dues en conséquence de celui-ci ") et l'article 4, alinéa 3, des conditions générales du contrat (" il n'en sera différemment qu'en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles et graves, soumises à l'appréciation de la Direction d'Oscar, saisie à la requête de l'étudiant qui devra statuer dans un délai de 30 jours, par décision non susceptible de recours et après avoir entendu les parents à sa demande ou à leurs demandes ").

Sur l'existence d'un motif légitime et impérieux de résiliation du contrat

Les conditions de résiliation du contrat par l'étudiant telles que fixées par les conditions générales étant inapplicables pour les raisons ci-dessus, la faculté de résiliation du contrat par M. X doit, en l'espèce, être appréciée au regard de la jurisprudence constante, qui exige un " motif légitime et impérieux ".

M. X justifie qu'il avait obtenu au premier semestre de son année de formation en ostéopathie une moyenne générale de 7,68 alors que la moyenne de la promotion était de 10,84, et, au second semestre, une moyenne de 4,88 alors que la moyenne de la promotion était de 10,51. Dès le début de la formation ses résultats étaient donc médiocres et ils se sont effondrés en cours d'année.

La société Campus privé d'Alsace soutient que la cause en était un absentéisme et un défaut d'investissement de la part de M. X. Elle n'en rapporte toutefois aucune preuve, ne justifiant pas avoir alerté l'étudiant sur l'insuffisance de ses résultats, ni l'avoir invité à se ressaisir et encore moins lui avoir proposé un quelconque soutien à cet effet. Elle ne justifie pas non plus lui avoir proposé un redoublement, alors que, dans ce cas, le contrat prévoit que l'étudiant peut renoncer à l'exécution du contrat pour l'année supérieure.

Étant observé que M. X était mineur lors de la signature du contrat, pour n'avoir atteint l'âge de 18 ans que le 5 juin 2015, et que ses mauvais résultats obtenus en première année d'études d'ostéopathie pouvaient s'expliquer par le fait qu'il avait pris conscience après avoir débuté dans ces études, qu'elles ne correspondaient pas à ses capacités ou ses attentes, son désir de se réorienter vers d'autres études constituait un motif impérieux et légitime de résiliation du contrat. Au demeurant, M. X s'est effectivement dirigé dans une autre voie, ainsi qu'il résulte de son inscription en 2017-2018 en licence première année de psychologie et en 2018-2019 en licence seconde année de psychologie.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Campus privé d'Alsace en paiement des quatre années de scolarité restant dues.

Sur le caractère abusif de la procédure

Pour être mal fondée, la procédure engagée par la société Campus privé d'Alsace ne peut cependant pas être qualifiée d'abusive. Il convient donc de rejeter la demande de M. X en dommages et intérêts de ce chef et de confirmer sur ce point le jugement déféré.

Sur les dépens et les frais exclus des dépens

La société Campus privé d'Alsace, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à M. X la somme de 2 500 euros au titre des frais exclus des dépens exposés par M. X, ces condamnations entraînant le rejet de la demande de la société Campus privé d'Alsace tenant à être indemnisée de ses propres frais exclus des dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique, Infirme le jugement rendu le 25 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, sauf en ce qu'il a - débouté M. X de sa demande principale en nullité du contrat pour vice de consentement, - débouté M. X de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Statuant à nouveau dans cette limite, Déclare abusives et réputées non écrites les clauses figurant - à l'article 2, alinéa 2, des conditions générales du contrat d'inscription de la société Campus privé d'Alsace (" en conséquence de cette durée déterminée, l'inscription de l'étudiant en année supérieure est automatique pendant toute la durée du cycle convenue, sans possibilité pour l'étudiant de suspendre ou résilier son engagement et de différer le paiement des sommes dues en conséquence de celui-ci "), - à l'article 4, alinéa 3, desdites conditions générales (" il n'en sera différemment qu'en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles et graves, soumises à l'appréciation de la Direction d'Oscar, saisie à la requête de l'étudiant qui devra statuer dans un délai de 30 jours, par décision non susceptible de recours et après avoir entendu les parents à sa demande ou à leurs demandes " ; Rejette les demandes de la société Campus privé d'Alsace ; Condamne la société Campus privé d'Alsace à payer à M. X la somme de 2 500 (deux mille cinq cents euros) au titre des frais exclus des dépens exposés en première instance et en cause d'appel ; Condamne la société Campus privé d'Alsace aux dépens de première instance et d'appel.