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Décisions

Cass. com., 29 janvier 2020, n° 18-14.574

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Guyonnet (ès qual.), Manginli (Sté), DND (SARL), Gomis (ès qual.)

Défendeur :

Domino's Pizza France (SAS), HVM Pizza (SARL), BW (Sté), Meynet (ès qual.), Jessico (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Spinosi, Sureau

T. com. Nanterre, 5e ch., du 27 sept. 20…

27 septembre 2016

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 janvier 2018), que, s'estimant victimes d'actes de concurrence déloyale, les sociétés DND et Manginli, qui exploitaient des points de vente de livraison et vente de pizzas à emporter, ont assigné en réparation de leur préjudice la société Domino's Pizza France (la société DPF), franchiseur d'un réseau à cette enseigne, les sociétés Jessico et BW, ses franchisées, et la société HVM Pizza, sa filiale qui avait, à Annecy, exploité en location-gérance un fonds de commerce acquis par la société DPF à la société Jessico avant qu'il ne soit revendu par la société DPF à la société BW ; que les sociétés Manginli et DND ayant été mises en liquidation judiciaire, M. Guyonnet et la société Gomis ont été désignés respectivement liquidateur judiciaire de chacune de ces deux sociétés ;

Attendu que la société Gomis et M. Guyonnet, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'expertise et de condamnation in solidum des sociétés DPF, Jessico, HVM Pizza et BW du fait d'actes de concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que pour établir les abandons de créance et délais excessifs de paiement consentis par la société DPF à la société Jessico et destinés à fausser le jeu de la concurrence, les sociétés Manginli et DND produisaient notamment les preuves de ce que le prix d'acquisition du fonds de commerce de la société Jessico par la société DPF publié au BODACC, soit 470 000 euros, comparé au prix d'acquisition mentionné dans les comptes de la société DPF pour l'exercice clos le 30 juin 2008, soit 355 000 euros, révélait un abandon de créance d'au moins 115 000 euros consenti à la société Jessico par la société DPF, ainsi qu'un jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 décembre 2014 tranchant un litige entre un ancien franchisé de la société DPF et cette dernière, où cet ancien franchisé exposait que " la stratégie de Domino's Pizza repose sur le développement rapide de son nombre de franchisés auxquels elle apporte un soutien financier indirect en n'exigeant pas le payement des redevances qu'ils doivent, leur permettant ainsi de pratiquer des tarifs agressifs destinés à faire disparaître les réseaux concurrents ", le témoignage de MM. Gilles Boubigot, ancien franchisé de la société DPF, attestant que " les pizzas et les menus sont vendus très en dessous du prix du marché, le modèle étant assez déficitaire à son lancement et durant de nombreuses années, le temps d'éradiquer les concurrents. Comment : Domino's prête continuellement des fonds aux franchisés pour combler leurs pertes d'exploitation liées aux bas prix et aux dépenses marketing somptuaires " et que telle avait été la pratique du gérant de la société Jessico, les rapports Sorgem, qui confirmaient la pratique de délais de paiement consentis de façon anormalement longue par le franchiseur à ses franchisés, les comptes de la société Jessico pour les années 2003 et 2004, qui établissaient notamment que la " dette fournisseurs " de la société Jessico pour l'année 2004 " a augmenté de 127 424 euros, représentant quasiment l'intégralité des achats de matières premières de l'exercice évalués à 133 707 euros et les documents attestant que " fin mars 2007, Jessico cumulait une dette considérable à l'égard de DPF, pour un montant de plus de 580 000 euros, conduisant cette dernière à prendre un nantissement sur le fonds de commerce de son franchisé le 21 mai 2007, à la suite d'une ordonnance rendue par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Annecy le 4 avril 2007", l'ordonnance citée confirmant formellement cet endettement de 580 000 euros de la société Jessico à l'égard de la société DPF, et encore le courrier du Parquet de la cour d'appel de Paris du 28 février 2014 établissant que les abandons de créance opérés par DPF au profit de ses franchisés avaient donné lieu à " deux révélations au Procureur de la République " de la part de l'un des commissaires aux comptes de la société DPF ; qu'en jugeant que " les demanderesses n'apportent aucun élément probant à l'appui de ces assertions ", sans analyser ni mentionner, même sommairement, l'ensemble des éléments de preuve précités, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que les sociétés Manginli et DND exposaient, que " lors de la reprise de ce territoire (à Annecy) par la société BW, après une courte période de location-gérance de la société HVM Pizza, la société BW a pu, bénéficiant d'un fonds de commerce acquis à vil prix, continuer de pratiquer une politique commerciale agressive, et ainsi augmenter de façon drastique son chiffre d'affaire ", ainsi que les résultats de cette société l'établissaient, que " la société BW a incontestablement bénéficié de la clientèle précédemment constituée de façon illicite par la société Jessico, et entretenue par la société HVM le temps de sa location-gérance. Elle a continué à pratiquer des prix prédateurs " ; qu'en jugeant que " les prétendus abandons de créance dont aurait bénéficié Jessico n'auraient pas pu bénéficier à la société BW car cette dernière a repris l'exploitation du point de vente non directement de la société Jessico mais de la société HVM Pizza, filiale de la société Domino's, qui l'avait acquis dans l'intervalle de la société Jessico ; qu'ainsi l'argumentaire des sociétés Manginli et DND est inopérant ", sans vérifier, comme il lui était demandé si indépendamment de la période de transition de neuf mois pendant laquelle la société DPF, après avoir acquis le fonds de la société Jessico en mai 2008 pour le prix de 470 000 euros, l'avait confié en location-gérance à la société HVM Pizza avant de le revendre pour la somme de 388 000 euros à la société BW le 9 février 2009, cette dernière cession à vil prix n'avait pas permis à la société BW de poursuivre la politique commerciale agressive d'élimination de la concurrence dictée par la société DPF, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; 3°) qu'en jugeant que " les prétendus abandons de créance dont aurait bénéficié Jessico n'auraient pas pu bénéficier à la société BW car cette dernière a repris l'exploitation du point de vente non directement de la société Jessico mais de la société HVM Pizza, filiale de la société Domino's, qui l'avait acquis dans l'intervalle de la société Jessico ; qu'ainsi l'argumentaire des sociétés Manginli et DND est inopérant ", et en statuant ainsi par des motifs inopérants au regard de la responsabilité des sociétés DPF, HVM Pizza et Jessico, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; 4°) qu'en jugeant qu' " en outre, les intimées justifient de la présence dans la zone de chalandise d'Annecy d'un grand nombre d'enseignes concurrentes rattachées à des réseaux, telle Pizza Hut ou Allo Pizza, mais aussi d'autres enseignes indépendantes, dans le cadre d'un marché très concurrentiel, et dont il n'est pas allégué qu'elles seraient gérées dans des conditions anormales, ce qui vient, en tout état de cause relativiser grandement le lien de causalité entre la perte de marge alléguée par la société Manginli et la société DND pour le fonds de commerce dont elles ont ou ont eu charge de l'exploitation et les agissements du seul fonds de commerce que les intimées exploitent ou ont pu exploiter ", et en statuant ainsi par un motif " relativisant " le lien de causalité allégué sans l'exclure, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) qu'un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyal, générateur d'un trouble commercial ; qu'en jugeant qu'" en outre les appelantes n'établissent aucun lien de causalité entre d'une part les prétendues libéralités dont auraient bénéficié la société Jessico, puis la société BW et d'autre part un quelconque effet sur le marché local sur lequel ces dernières opéraient (et) qu'en particulier, il n'est démontré aucune opération commerciale de promotion abusive visant à évincer la concurrence qui aurait été financièrement permise par les largesses invoquées par les appelantes ", la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; 6°) qu'en jugeant qu'" en outre les appelantes n'établissent aucun lien de causalité entre d'une part les prétendues libéralités dont auraient bénéficié la société Jessico, puis la société BW et d'autre part un quelconque effet sur le marché local sur lequel ces dernières opéraient (et) qu'en particulier, il n'est démontré aucune opération commerciale de promotion abusive visant à évincer la concurrence qui aurait été financièrement permise par les largesses invoquées par les appelantes ", sans vérifier, comme il lui était demandé, si la stratégie d'élimination de la concurrence poursuivie par la société DPF en soutenant abusivement ses franchisés à l'unique fin de capter la clientèle sur un secteur donné n'était pas la cause de la chute du chiffres d'affaires des sociétés DND et Manglini, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; 7°) que pour justifier de la nécessité d'une expertise, les sociétés Manginli et DND rappelaient notamment qu'il " a été fait sommation à plusieurs reprises à la société DP France de produire l'acte de cession de fonds de commerce intervenu entre elle et la société Jessico " et qu'il n'a pas été déféré à cette injonction, que " les sociétés Manginli et DND n'ayant jamais pu obtenir la communication des comptes de la société Jessico postérieurs à l'année 2004, elles ont fait assigner le gérant de la société Jessico devant le tribunal de commerce d'Annecy le 11 avril 2016 lequel a été condamné à publier et communiquer ses comptes par ordonnance en date du 11 mai 2016. Toutefois, (ni) la société Jessico, ni son gérant n'ont procédé à la communication de leurs comptes. De même ni la société DPF ni la société BW n'ont procédé à cette communication alors que lors d'un rachat de fonds de commerce doivent être annexés les trois derniers bilans " et d'une façon générale que " DP France et la majorité de ses franchisés ne publient leurs comptes qu'avec réticence, le plus souvent sous la contrainte de décisions de justice ", que concernant les abandons de créance consentis aux franchisés Domino's Pizza, le prix d'acquisition au BODACC du fonds de commerce de la société Jessico, soit 470 000 euros, comparé au prix d'acquisition mentionné dans les comptes de la société DPF pour l'exercice clos le 30 juin 2008, soit 355 000 euros, établissait un abandon de créance de 115 000 euros consenti à la société Jessico par la société DPF, mais que cette somme " est sans doute minorée par rapport à la réalité, ce qui explique que la société DPF n'ait jamais produit l'acte de cession en cause, ni la transaction intervenue entre elle et Jessico ", et que la société BW elle-même rappelait, page 15, paragraphe 6, de ses conclusions d'appel, que " de leur propre aveu, les demanderesses indiquent " qu'elles ne disposent pas (...) d'un quelconque moyen de vérifier de manière précise la consistance exacte des comptes " dettes fournisseurs " des sociétés Jessico, BW et HVM Pizza " ; qu'en jugeant que " la demande d'expertise qui s'accompagne de la demande de communication d'un nombre important de documents pour permettre aux appelantes de voir confirmer leurs hypothèses se heurte aux dispositions de l'article 146 du Code de procédure civile ", sans rechercher si les sociétés Manginli et DND n'étaient pas contraintes, pour prouver dans tous leurs éléments les faits qu'elles dénonçaient, de recourir à des éléments en la seule possession de leurs adversaires, ce qui excluait toute carence de la part des sociétés Manginli et DND dans l'administration de la preuve et ce qui justifiait ainsi leur demande de désigner un expert financier " avec la mission de vérifier l'ensemble des balances et/ou grands livres des sociétés DPF, HVM Pizza, Jessico et BW, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 146 du Code de procédure civile ; 8°) que pour établir les abandons de créance et délais excessifs de paiement consentis par la société DPF à la société Jessico et destinés à fausser le jeu de la concurrence, les sociétés Manginli et DND produisaient notamment les preuves de ce que le prix d'acquisition du fonds de commerce de la société Jessico par la société DPF publié au BODACC, soit 470 000 euros, comparé au prix d'acquisition mentionné dans les comptes de la société DPF pour l'exercice clos le 30 juin 2008, soit 355 000 euros, révélait un abandon de créance d'au moins 115 000 euros consenti à la société Jessico par la société DPF, ainsi qu'un jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 décembre 2014 tranchant un litige entre un ancien franchisé de la société DPF et cette dernière, où cet ancien franchisé exposait que " la stratégie de Domino's Pizza repose sur le développement rapide de son nombre de franchisés auxquels elle apporte un soutien financier indirect en n'exigeant pas le payement des redevances qu'ils doivent, leur permettant ainsi de pratiquer des tarifs agressifs destinés à faire disparaître les réseaux concurrents ", le témoignage de M. Gilles Boubigot, ancien franchisé de la société DPF, attestant que " les pizzas et les menus sont vendus très en dessous du prix du marché, le modèle étant assez déficitaire à son lancement et durant de nombreuses années, le temps d'éradiquer les concurrents. Comment : Domino's prête continuellement des fonds aux franchisés pour combler leurs pertes d'exploitation liées aux bas prix et aux dépenses marketing somptuaires " et que telle avait été la pratique du gérant de la société Jessico, les rapports Sorgem, qui confirmaient la pratique de délais de paiement consentis de façon anormalement longue par le franchiseur à ses franchisés, les comptes de la société Jessico pour les années 2003 et 2004, qui établissaient notamment que la " dette fournisseurs "de la société Jessico pour l'année 2004 " a augmenté de 127 424 euros, représentant quasiment l'intégralité des achats de matières premières de l'exercice évalués à 133 707 euros " et les documents attestant que " fin mars 2007, Jessico cumulait une dette considérable à l'égard de DPF France, pour un montant de plus de 580 000 euros, conduisant cette dernière à prendre un nantissement sur le fonds de commerce de son franchisé le 21 mai 2007, à la suite d'une ordonnance rendue par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Annecy le 4 avril 2007 ", l'ordonnance citée confirmant formellement cet endettement de 580 000 euros de la société Jessico à l'égard de la société DPF, et encore le courrier du Parquet de la cour d'appel de Paris du 28 février 2014 établissant que les abandons de créance opérés par DPF au profit de ses franchisés avaient donné lieu à " deux révélations au procureur de la République " de la part de l'un des commissaires aux comptes de la société DPF ; qu'en jugeant que la demande d'expertise devait être rejetée au motif éventuellement adopté qu'" en l'espèce, aucun commencement de preuve d'une faute des défenderesses n'est apporté ", sans analyser ni mentionner, même sommairement, l'ensemble des éléments de preuve précités, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'au titre des agissements qu'il est reproché à la cour d'appel de n'avoir pas suffisamment examinés, le moyen invoque l'achat d'un fonds de commerce à vil prix, des abandons de créances et des délais de paiement excessifs consentis par un franchiseur à des franchisés, ces actes étant considérés comme constitutifs de concurrence déloyale pour avoir permis à leurs auteurs et " complices " de pratiquer des " prix prédateurs ", et de se livrer à " une pratique commerciale agressive d'élimination de la concurrence " ; que toutefois, l'achat d'un fonds de commerce à vil prix et des abandons de créance, faute d'être illicites par eux-mêmes, ne peuvent être qualifiés d'actes de concurrence déloyale ; qu'en ce concerne les délais de paiement, illicites au regard de l'article L. 443-1,1° du Code de commerce alors applicable, les sociétés DND et Manginli se bornaient à faire valoir que la dette fournisseur de la société Jessico avait crû considérablement entre 2003 et 2007, représentant alors plus de la moitié de son chiffre d'affaires, " ce qui est totalement hors norme et irrégulier au regard des délais de paiement " ; qu'en l'état de telles allégations, impropres à caractériser des agissements constitutifs de concurrence déloyale ou non assorties d'offres de preuve, il ne peut utilement être reproché à la cour d'appel d'avoir refusé d'ordonner l'expertise demandée et de ne pas avoir retenu la responsabilité de sociétés recherchées pour ces faits ;

Et attendu, en second lieu, que le rejet des demandes des sociétés Manginli et DND étant justifié par les motifs vainement critiqués par les deux premières et deux dernières branches, les griefs des troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, qui critiquent des motifs surabondants relatifs au préjudice, sont inopérants ; d'où il suit que, pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs, LA COUR : Rejette le pourvoi.