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Décisions

Cass. com., 29 janvier 2020, n° 17-15.156

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

SNCF mobilités (EPIC)

Défendeur :

Pellegrini (ès qual.), Switch (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Alain Bénabent

Cass. com. n° 17-15.156

29 janvier 2020

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 décembre 2016), que par une décision n° 09-D-06 du 5 février 2009, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), saisi par plusieurs sociétés, dont la société Switch, a sanctionné la Société nationale des chemins de fer français, devenue la SNCF mobilités (la SNCF) et la société de droit américain Expedia Inc. (la société Expedia) pour avoir mis en œuvre en violation des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce, une entente ayant pour objet et pour effet de favoriser leur filiale commune, la société GL-expedia devenue l'Agence voyages-sncf.com (l'Agence VSC), sur le marché des services d'agence de voyages prestés pour les voyages de loisirs, au détriment des concurrents ; que M. Pellegrini, liquidateur judiciaire de la société Switch, a assigné la SNCF en réparation du préjudice subi par cette société résultant de la pratique anticoncurrentielle sanctionnée par l'Autorité ;

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième, septième et neuvième branches : - Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Pellegrini, ès qualités, une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société Switch alors, selon le moyen : 1°) que l'indemnisation d'une perte de clientèle éventuelle, sur internet, en conséquence d'une entente privilégiant une société proposant des produits concurrents consiste tout au plus en une perte de chance de réaliser les ventes escomptées ; qu'en écartant en l'espèce l'existence d'une perte de chance et accordant à la société Switch " l'indemnisation du préjudice concurrentiel qu'elle a subi en raison de l'impossibilité pour elle de proposer ses produits à la clientèle détournée par la SNCF au profit de l'agence VSC " à hauteur du manque à gagner correspondant à la perte du chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser, après avoir retenu, par un autre motif non contraire adopté du jugement, " qu'il est impossible de savoir avec certitude comment un marché aurait évolué de manière certaine en l'absence d'infraction ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil ; 2°) que l'indemnisation de la disparition ou la diminution de la faculté pour une société de proposer ses produits à la vente sur internet, en conséquence d'une entente privilégiant une autre société proposant des produits concurrents, consiste en une perte de chance ; qu'en disant que le préjudice ne consistait pas en une simple perte de chance, après avoir retenu que la société Switch avait seulement perdu " la faculté de proposer ses produits ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil ; 3°) qu'un gain manqué futur et éventuel découlant de la disparition ou la diminution de la faculté pour une société de proposer ses produits à la vente sur internet consiste tout au plus en une perte de chance ; qu'en écartant l'existence d'une perte de chance pour condamner la SNCF à indemniser la société Switch, sur le fondement d'une méthode d'évaluation décrite pourtant comme " se rapportant à une situation contrefactuelle hypothétique " relative à une " évolution future probable ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil ; 4°) qu'en décidant que seul le segment de l'e-tourisme doit être pris en considération pour le calcul de la part de marché de la société Switch à partir de laquelle son préjudice indemnisable consécutif à la pratique anticoncurrentielle doit être évalué, tout en constatant qu'il a été définitivement jugé par un arrêt du 23 février 2010 que la SNCF a commis une pratique anticoncurrentielle illicite ayant eu des effets restrictifs de concurrence sur le marché des services d'agences de voyage prestés pour les voyages de loisir, la cour d'appel qui a modifié le marché pertinent dans le seul but de majorer artificiellement la part de marché de la société Switch et partant le montant de son préjudice a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil, ensemble l'article 1351 du même Code ; 5°) qu'en décidant que seul le segment de l'e-tourisme doit être pris en considération pour le calcul de la part de marché de la société Switch à partir de laquelle son préjudice indemnisable consécutif à la pratique anticoncurrentielle doit être évalué, tout en constatant que la société Switch dispose de huit agences " en dur " et réalise 90 % (seulement) de son chiffre d'affaire en ligne, ce dont il résulte que la société Switch développait au moins une partie de son activité en dehors du segment du e-tourisme sur un marché plus large, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil ; 6°) que l'indemnisation allouée ne peut excéder la réparation intégrale du dommage ; qu'en condamnant la SNCF à verser la somme de 6,9 millions d'euros à la société Switch, au titre de gains manqués incluant des pertes dues à un " effet différé " défini comme " une baisse du volume d'affaires induite par l'absence de fidélisation de la clientèle directement détournée... une fidélisation due à la satisfaction du client mais également par les recommandations faites de " bouche à oreille et sur internet " ", cependant que l'indemnisation d'un tel effet différé conduisait à réparer un préjudice purement éventuel excédant le montant de réels gains manqués, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du dommage ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir rappelé qu'il avait été définitivement jugé que, durant l'entente, les agences de voyages en ligne concurrentes de l'Agence VSC n'avaient eu aucune possibilité d'accéder au canal mis en place par la SNCF pour vendre leurs propres produits et relevé que la société Switch était un concurrent de l'Agence VSC sur le marché des services d'agences de voyages prestés pour les voyages de loisirs, l'arrêt retient que la société Switch a subi un manque à gagner correspondant à la perte du chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser auprès de la clientèle internaute de la SNCF, dont elle a été évincée du fait de la pratique anticoncurrentielle ; qu'ayant ainsi caractérisé un préjudice certain, c'est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel a retenu que le préjudice subi par la société Switch ne s'analysait pas en une perte de chance ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir constaté que, dans le cadre de l'atteinte à l'économie engendrée par la pratique anticoncurrentielle, l'Autorité avait défini le marché pertinent comme étant celui des services d'agences de voyages prestés pour les voyages de loisirs sur le territoire français sans distinguer les différents canaux de distribution, agences en ligne, agences physiques ou centres d'appels, au motif qu'ils étaient substituables, c'est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel a retenu que, s'agissant de l'appréciation du préjudice subi par la société Switch, il convenait de prendre en compte le segment du marché spécifiquement affecté par la pratique anticoncurrentielle, soit celui restreint aux seules activités réellement concernées par cette pratique, soit le segment des ventes de prestations de voyages de loisir en ligne et qu'elle a écarté la part de 10 % correspondant aux ventes réalisées par la société Switch par l'intermédiaire d'agences en " dur " ;

Et attendu, en dernier lieu, qu'après avoir précisé qu'il existait une perte directe et immédiate de volume d'affaires du fait de la pratique anticoncurrentielle, l'arrêt retient qu'il existe également une perte certaine due à un effet différé de la pratique, défini par l'expert judiciaire comme correspondant à une baisse du volume d'affaires induite par l'absence de fidélisation de la clientèle détournée ; qu'après avoir relevé que l'évaluation que faisait la société Switch de cet effet différé conduisait, ainsi que l'avait souligné l'expert judiciaire, à des effets cumulatifs dépassant le montant du préjudice direct, l'arrêt retient que le montant du préjudice demandé à ce titre doit être réduit ; qu'ayant ainsi caractérisé la certitude du préjudice causé par cet effet différé, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans violer le principe de la réparation intégrale du préjudice que la cour d'appel en a fixé le montant ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses quatrième, cinquième, huitième, dixième et onzième branches : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs, LA COUR : Rejette le pourvoi.