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Décisions

Cass. com., 29 janvier 2020, n° 18-11.725

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

General Import (SAS)

Défendeur :

Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix

Aut. conc., du 30 nov. 2017

30 novembre 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, que l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) ayant été saisie, par la société Sodiwal, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation à Wallis-et-Futuna, consistant en des accords exclusifs d'importation entre la société General Import et ses fournisseurs, la société General Import a communiqué, à la demande de la rapporteure chargée de l'instruction de l'affaire, des informations portant sur ses relations commerciales avec ses fournisseurs ; que, par une décision du 28 septembre 2017, la rapporteure générale adjointe de l'Autorité a fait droit à la demande de la société General Import de protection de ces informations au titre du secret des affaires ; que la rapporteure en charge de l'instruction l'ayant informée que certaines pièces sur lesquelles portait la protection paraissaient devoir être communiquées à toutes les parties, pour les besoins du débat devant l'Autorité, la société General Import s'est opposée à la levée du secret des affaires ; que, par une décision du 30 novembre 2017, la rapporteure générale adjointe de l'Autorité a rendu les pièces en cause accessibles à l'ensemble des parties ; que la société General Import a formé un recours contre cette décision ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches : - Attendu que la société General Import fait grief à l'ordonnance du rejet de son recours alors, selon le moyen : 1°) que pour faire droit à la demande de la rapporteure en charge de l'instruction tendant au déclassement des pièces cotées 472 et 473, le rapporteur général de l'Autorité, après avoir rappelé les textes applicables et visé les courriers échangés entre General Import et la rapporteure, s'était borné à indiquer : "dans son courriel du 23 novembre 2017, la société General Import s'oppose à l'utilisation pour les besoins du débat devant l'Autorité des pièces portant les cotes 472 et 473, dont elle a demandé la protection au titre du secret des affaires. Or, la rapporteure estime que les autres parties doivent en prendre connaissance. Dans ces conditions, il y a lieu de rendre les éléments identifiés dans l'article 1er du dispositif de la présente décision accessibles à tous " ; qu'en jugeant que le rapporteur général de l'Autorité avait " motivé sa décision en faisant référence à la nécessité de déclasser les cotes 472 et 473 pour les besoins du débat devant l'Autorité et au motif qu'un débat contradictoire a[vait] eu lieu avant que celui-là ne prenne sa décision ", cependant que la décision n° 17-DEC-522 du 30 novembre 2017 du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ne renfermait pas une telle motivation, le délégué du premier président de la cour d'appel a dénaturé cette décision et violé l'article 1103 du Code civil (anciennement l'article 1134 du même Code) ; 2°) que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence qui statue sur une demande de déclassement de pièces couvertes par le secret des affaires est tenu de motiver sa décision et le cas échéant d'exposer les motifs justifiant la levée du secret ; qu'en rejetant le moyen d'annulation de la société General Import tiré du défaut de motivation de la décision rendue par le rapporteur général au motif que l'article R. 463-15 du Code de commerce " n'exigeait pas de décision spécialement motivée ", le premier président délégué a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme par refus d'application, ensemble les articles R. 463-15, L. 464-8-1 et L. 463-1 du Code de commerce ; 3°) que ni l'existence d'un débat contradictoire préalable ni le fait que les parties aient exposé leurs moyens ne sont de nature à dispenser le rapporteur général de son obligation de motiver sa propre décision ; qu'en rejetant le moyen de la société General Import fondé sur le défaut de motivation de la décision du rapporteur général " compte tenu du débat contradictoire préalable qui a[vait] permis à la société General Import de faire valoir ses arguments " et au motif que la rapporteure chargée de l'instruction avait pour sa part précisé les motifs sur lesquelles elle fondait sa demande de déclassement, le délégué du premier président de la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles R. 463-15, L. 464-8-1 et L. 463-1 du Code de commerce ; 4°) que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ne peut se borner, pour justifier qu'il soit fait droit à une demande de déclassement de pièces couvertes par le secret des affaires présentée par le rapporteur, à faire référence aux motifs avancés par le rapporteur au soutien de cette demande, sans se prononcer par des motifs propres sur son bien-fondé ; qu'en se bornant, pour ordonner la levée du secret sur un certain nombre de pièces communiquées à la rapporteure par la société General Import, à indiquer que " la rapporteure estime que les autres parties doivent en prendre connaissance " sans porter d'appréciation personnelle sur la pertinence de cette affirmation de la rapporteure, le délégué du premier président de la cour d'appel a violé les articles R. 463-15, L. 464-8-1 et L. 463-1 du Code de commerce ;

Mais attendu que si c'est à tort que le premier président a rejeté le moyen pris du défaut de motivation de la décision du rapporteur général qui lève la protection au titre du secret des affaires sur certaines pièces, en retenant que l'article R. 463-15 du Code de commerce n'exigeait pas de décision spécialement motivée, la société General Import est sans intérêt à critiquer l'ordonnance de ce chef dès lors que le premier président a statué sur le fond, en vertu de l'effet dévolutif du recours, et conformément aux conclusions dont il était saisi ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche : - Vu les articles L. 463-4 et R. 463-15 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter le recours formé contre la décision de levée du secret des affaires prise par la rapporteure générale adjointe de l'Autorité, l'ordonnance relève que les produits commercialisés par la société General Import et ses fournisseurs ne font pas l'objet d'accords écrits et retient qu'en l'absence de tels accords, l'existence d'une éventuelle infraction aux dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce ne pourra être établie que par la technique dite du faisceau d'indices ; qu'elle en déduit que la production des informations communiquées par la société General Import, en version confidentielle, est nécessaire pour les débats devant l'Autorité, afin de caractériser ou non une telle pratique ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi il était nécessaire, pour les besoins du débat devant l'Autorité, qui dispose elle-même de la version confidentielle des informations communiquées par la société General Import, que d'autres parties à la procédure, dont la partie saisissante, puissent prendre connaissance de ces informations relevant du secret des affaires, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 31 janvier 2018, entre les parties, par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction du premier président, autrement composée.