CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 janvier 2020, n° 19-13762
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pallida (SARL)
Défendeur :
Designer Parfums Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
Avocat :
Me Percevaux
FAITS ET PROCÉDURE
La société Pallida a pour activité la création et le conseil en parfumerie. Elle est dirigée par Monsieur X lequel exerce la profession de nez pour les parfumeurs.
La société Designer Parfums Limited est une société de droit anglais opérant sur le marché de la parfumerie.
En 2011, la société Designer Parfums Limited a acquis la marque Y et a fait appel à Monsieur X en vue de confier à la société Pallida la production des parfums de la marque.
Les relations commerciales entre la société Designer Parfums Limited et la société Pallida ont ainsi débuté à compter du dernier trimestre 2011.
Par lettre du 26 juillet 2017, la société Designer Parfums Limited a informé la société Pallida de la rupture de leurs relations commerciales à effet au 31 août 2017.
Par courriel du 31 août 2017, la société Pallida a fait savoir à la société Designer Parfums Limited son désaccord concernant les conditions de rupture de leurs relations commerciales en lui reprochant l'insuffisance du préavis.
Par lettre du 27 septembre 2017, la société Pallida a mis en demeure la société Designer Parfums Limited de l'indemniser de son préjudice subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par acte de signification d'une assignation dans un autre Etat membre en date du 30 juillet 2018, la société Pallida a assigné en responsabilité la société Designer Parfums Limited devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que pour usage illicite du nom de Monsieur X.
Par jugement du 15 juillet 2019, le tribunal de commerce de Paris :
- s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes formées tant par M. X que par la SARL Pallida, à l'encontre de la société de droit anglais Designers Parfums, au profit des tribunaux anglais compétents,
- a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
- a dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,
- a dit qu'en application de l'article 84 du Code de procédure civile, la voie d'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification,
- a condamné la SARL Pallida et M. X aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 113,08 euros dont 18,63 euros de TVA.
Par déclaration du 26 juillet 2019, la société Pallida et Monsieur X ont interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 29 juillet 2019, ils ont été autorisés à assigner à jour fixe pour l'audience du 27 novembre 2019.
L'assignation a été délivrée par acte du 3 septembre 2019.
Vu les dernières conclusions de la société Pallida et Monsieur X, appelants, déposées et notifiées le 25 novembre 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,
Vu le Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit de " Bruxelles I bis ",
Vu le principe d'une bonne administration de la justice,
Vu le Contrat de Consultant en date du 21 octobre 2011,
Vu l'Accord de confidentialité en date du 2 septembre 2011,
Vu les articles 83 et suivants du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats,
- déclarer la société Pallida et Monsieur X recevables et bien fondés en leur appel ;
Sur la demande formulée par la société Pallida
- dire que la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 11.1 du Contrat de Consultant en date du 21 octobre 2011 n'est pas applicable à la demande formulée par la société Pallida à l'encontre de la société Designer Parfums aux fins d'obtenir réparation du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies entre elles ;
- dire qu'en application de l'article 7 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, applicable au présent litige, le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de cette demande ;
Sur la demande formulée par Monsieur X
- dire que la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 10 de l'Accord de confidentialité en date du 2 septembre 2011 n'est pas applicable à la demande formulée par Monsieur X à l'encontre de la société Designer Parfums aux fins d'obtenir réparation pour l'atteinte portée à son nom patronymique ;
- dire qu'en application de l'article 7 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, applicable au présent litige, le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de cette demande ;
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 15 juillet 2019 en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
- dire que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes formulées par la société Pallida et Monsieur X à l'encontre de la société Designer Parfums dans le cadre du présent litige ;
- condamner la société Designer Parfums à verser à la société Pallida la somme de 15 000 euros et à Monsieur X la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Designer Parfums à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions de la société Designer Parfums Limited, intimée, déposées et notifiées le 4 novembre 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu notamment l'article 25 du règlement Bruxelles I bis,
Vu notamment les articles 75 et 78 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées et notamment les articles 1.1, 1.3 et 11.1 du Contrat de Consultant et l'article 10 de l'Accord de Confidentialité,
À titre principal :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 15 juillet 2019 sous le numéro RG 018049212 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- débouter la société Pallida et Monsieur X de toutes leurs demandes, et prétentions ;
- renvoyer la société Pallida et Monsieur X à mieux se pourvoir devant la juridiction Anglaise compétente ;
À titre subsidiaire, si par impossible la cour d'appel de céans infirmait le Jugement du tribunal de commerce de Paris s'agissant des seules demandes formées par Monsieur X en considérant que ce dernier est compétent :
- confirmer le jugement à tout le moins en ce qu'il a jugé que le tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent pour connaître des demandes formées par la société Pallida à l'encontre de la société Designer Parfums ;
- renvoyer la société Pallida à mieux se pourvoir devant la juridiction anglaise compétente ;
En tout état de cause :
- condamner la société Pallida et Monsieur X in solidum à verser une somme de 30 000 euros à la société Designer Parfums au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Pallida et Monsieur X aux entiers dépens.
SUR CE LA COUR
Sur la clause attributive stipulée dans le contrat de consultant
La société Pallida et Monsieur X soutiennent que la clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat de consultant n'est pas applicable au présent litige, s'agissant d'une clause accessoire d'un contrat à durée déterminée venu à expiration qui n'a pas été prorogé, non reconduite faute d'accord exprès entre les parties et ce, quand bien même les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
Ils ajoutent que le contrat de consultant ne contenant pas de clause de tacite reconduction, les relations commerciales entre les sociétés Pallida et Designer Parfums Limited se sont, à l'expiration du contrat de consultant, inscrites dans un nouveau cadre, dont les conditions, et notamment la juridiction applicable en cas de litige, n'ont pas été précisées par écrit par les parties.
La société Designer Parfums Limited rétorque qu'aux termes de l'article 11.1 du Contrat de Consultant, la société Pallida et la société Parfums Limited ont choisi de soumettre l'intégralité de leur relation au droit anglais et tout litige en découlant à la compétence exclusive des juridictions anglaises. Elle dit que les parties ayant bien choisi de poursuivre leurs relations commerciales dans ce cadre et conformément aux termes de ce contrat de consultant, celui-ci, en tant que source de la relation commerciale, a été expressément reconduit, qu'en conséquence la clause attributive de compétence prévue par ledit contrat a été renouvelée au même titre que ses autres stipulations contractuelles. Subsidiairement, elle dit que le contrat a été reconduit tacitement, sans limitation de durée. La clause attributive de compétence, prévue par ledit contrat a par conséquent été renouvelée au même titre que ses autres stipulations contractuelles, de sorte que les juridictions anglaises sont compétentes pour connaître du litige.
Elle ajoute qu'en vertu du principe de l'autonomie de la volonté consacré par le Règlement Bruxelles I Bis, les parties ont la possibilité de convenir d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé et ce, au moyen d'une clause attributive de juridiction. Or, l'action principale intentée dans le cadre de ce litige concerne une prétendue rupture brutale des relations commerciales qui relève de la matière contractuelle en droit européen. Il convient donc de se reporter aux clauses attributives de juridiction que contiennent le contrat de consultant et l'accord de confidentialité.
La société Pallida et la société de droit anglais Designer Parfums Limited ont signé le 21 octobre 2011 un contrat de consultant.
Selon la traduction libre produite par les appelants et non contestée, ce contrat comporte un article 11 intitulé " Droit applicable et juridiction compétente " disposant :
" Le présent contrat et tout litige ou toute réclamation en résultant ou en relation avec celui-ci sont régis et interprétés conformément au droit anglais. Les tribunaux d'Angleterre et du pays de Galles sont seuls compétents pour régler tout litige ou toute réclamation découlant de cet accord".
L'article 1.1 de ce contrat mentionne, selon une traduction libre des appelants non contestée :
" Vous fournissez vos services à la société à compter du 1er octobre 2011 pour une période de six mois à compter de la date de commencement ".
Les articles 1.3 à 1.5 du contrat précisent selon une traduction libre des appelants non contestée :
1.3 " Après l'expiration d'un délai de cinq mois à compter de la date du commencement et avant l'expiration de la durée initiale, les parties conviennent ce qui suit :
(a) la nouvelle augmentation des frais à payer pour les Services (tels que définis à la clause 2.1) à la suite de l'expiration de la durée initiale, cette augmentation reflétant votre performance dans la fourniture des Services ;
(b) un nouveau terme contractuel "
1.4 " si les parties ne parviennent pas à un accord sur les points 1.3 (a) et (b) avant l'expiration de la durée initiale, le présent contrat prendra fin automatiquement à la fin de la durée initiale" ;
1.5 " Ce contrat ne peut être modifié que par un document signé par vous (la société Pallida) et par la société (Designer Parfums) "
Or, il n'est justifié d'aucun accord sur les deux points avant l'expiration de la durée initiale du contrat.
Dès lors, le contrat qui fait la loi des parties, a pris " automatiquement " fin le 1er avril 2012.
Certes, les relations commerciales entre les parties se sont néanmoins poursuivies et celles-ci ont convenu d'une augmentation de la rémunération de la société Pallida à compter du mois d'avril 2012 ainsi qu'il résulte des courriels de M. X des 17 avril et 7 mai 2012, mais aucun terme contractuel n'a été fixé, la proposition de celui-ci, le 7 mai 2012, de porter le terme du contrat au 31 décembre 2012 n'ayant pas fait l'objet d'un accord de la société anglaise.
La circonstance que M. X fasse référence dans son courriel du 31 juillet 2017 à son " contrat ", et que dans sa lettre de résiliation du 26 juillet 2017, Designer Parfums vise expressément et unilatéralement le contrat de consultant du 21 octobre 2011, ne peut permettre de dire que la volonté des parties a été la reconduction tacite du contrat y compris la clause attributive de juridiction, étant observé que les termes des articles 1.4 et 1.5 ne le permettent pas.
Faute d'établir que les parties ont expressément convenu d'en proroger les effets, la société Designer Parfums ne peut se prévaloir de la clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises figurant au contrat expiré au litige qui l'oppose à la société Pallida portant sur la rupture brutale des relations commerciales établies.
Sur la clause attributive stipulée dans l'accord de confidentialité
La société Pallida et Monsieur X exposent qu'une clause attributive de juridiction soumise à un tribunal français ne peut relever que de la loi française et ce, même si la clause désigne les tribunaux d'un Etat étranger et qu'une telle clause doit faire l'objet d'une interprétation stricte. Ainsi, ils soutiennent que la clause attributive de juridiction stipulée dans l'accord de confidentialité ne s'applique pas à l'action en responsabilité délictuelle engagée par Monsieur X à l'encontre de la société Designer Parfums en réparation de l'atteinte à son nom patronymique dans la mesure où le champ d'application de la clause attributive de juridiction en cause est expressément restreint aux litiges relatifs à l'Accord de confidentialité lui-même.
L'article 10 de l'accord de confidentialité signé le 2 septembre 2011 entre M. X et notamment la société Designer Parfums dispose que " le présent contrat est régi et interprété conformément au droit anglais et les parties soumises à la compétence exclusive des tribunaux anglais ". Cet accord prévoit (article 2) que M. X ne divulguera aucune information confidentielle à une personne autre que les employés ou consultants des sociétés et n'utilisera aucune des informations confidentielles à son profit ou au profit de tout tiers sans le consentement écrit préalable des sociétés.
Ainsi que l'a justement retenu le tribunal de commerce, la demande de M. X au titre d'une utilisation d'un nom patronymique sans autorisation n'est pas comprise dans l'objet de la clause attributive de compétence contenue dans l'Accord de confidentialité.
Sur le tribunal compétent
La société Pallida et M. X se prévalent de l'application des dispositions du règlement Bruxelles I Bis et disent que celles-ci désignent le tribunal de commerce de Paris comme étant la juridiction compétente pour connaître, la demande formulée par la société Pallida contre la société anglaise sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Ils soutiennent que ce même tribunal est compétent pour connaître de la demande formulée par Monsieur X comme lieu du préjudice subi par ce dernier à raison de l'atteinte à son nom patronymique sur Internet, puisqu'une action en responsabilité de droit commun en droit français relève nécessairement de la matière délictuelle au sens du Règlement Bruxelles I Bis, dès lors qu'elle ne trouve sa source dans aucune relation contractuelle ou a fortiori aucun contrat.
La société Designer Parfums Limited qui ne conteste pas l'applicabilité du Règlement Bruxelles I Bis qui prévoit que " Le présent règlement s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction " estime que la demande de Monsieur X au titre de l'usage illicite de son nom patronymique sur le site internet de la société Designer Parfums Limited a été formulée dans le seul but d'échapper artificiellement à la compétence juridictionnelle anglaise élue par les parties au visa du Contrat de Consultant et de l'Accord de Confidentialité ayant encadré leurs relations commerciales jusqu'en 2017. Elle affirme en ce sens que le maintien du nom de Monsieur F. n'est dû qu'à un simple oubli, et a été retiré dès après la prise de connaissance des termes de l'assignation par la société Designer Parfums Limited. Elle indique de surcroît que cette demande n'est apparue que huit mois après la première et n'était pas contenue dans la mise en demeure initiale, dont Monsieur X n'était d'ailleurs même pas signataire.
Par ailleurs, elle affirme que la demande liée à la prétendue utilisation fautive du nom patronymique de Monsieur F. est non seulement liée à la demande principale mais surtout et aussi est accessoire à la première. Par conséquent, elle estime que les deux demandes devront être jugées par les juridictions anglaises compétentes pour une bonne administration de la justice.
S'agissant de la demande formulée par la société Pallida fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, cet article ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens du Règlement Bruxelles I Bis dès lors qu'il existait entre les parties une relation contractuelle tacite ainsi qu'il a été dit.
Selon ce Règlement, une option de compétence est laissée au demandeur entre la juridiction du domicile du défendeur et en matière contractuelle, la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, soit pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis (article 7).
En l'espèce, les prestations de services rendues par la société Pallioda ont été fournies à Paris, dans les locaux et le laboratoire de la Maison Y.
Le tribunal de commerce de Paris est donc compétent pour connaître de la demande de la société Pallida fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce.
S'agissant de la demande formée par M. X à raison de l'atteinte à son nom patronymique sur internet, cette demande qui relève de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle, doit être portée en vertu de l'article 7 du Règlement, " devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ", et ainsi, au choix la juridiction du lieu où le dommage est survenu, ou celle du lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage.
Au regard du critère d'accessibilité au site internet, les faits litigieux ont été constatés par un huissier de justice suivant procès-verbal de constat établi à Paris le 29 mai 2018 et M. X a le centre de ses intérêts en France où il réside et travaille.
Dès lors le tribunal de commerce de Paris est de même compétent pour connaître de cette demande.
Il convient donc, infirmant le jugement entrepris, de déclarer le tribunal de commerce de Paris compétent.
Le sens de l'arrêt commande de débouter la société anglaise de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner cette dernière à verser la somme totale de 5 000 euros aux appelants sur ce fondement.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement ; Dit que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître des demandes formées par la société Pallida et Monsieur X à l'encontre de la société Designer Parfums Limited ; Déboute la société Designer Parfums Limited de ses demandes ; la Condamne aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à verser à la société Pallida et à Monsieur X la somme globale de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.