CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 31 janvier 2020, n° 18-01091
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Prodimarques (Association)
Défendeur :
Lidl (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bel
Conseillers :
Mmes Cochet-Marcade, Moreau
Faits - procédure - prétentions et moyens des parties :
L'association Prodimarques a pour activité la défense des marques de fabricants de produits de grande consommation.
La société Lidl a pour activité la grande distribution de produits de consommation par une chaîne de supermarchés.
L'association Prodimarques reprochant à la société Lidl d'avoir engagé une campagne contenant des publicités comparatives qu'elle estime illicites entre ses produits et ceux des fabricants qu'elle représente, a fait délivrer assignation à la société Lidl devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 14 juin 2016, aux fins de voir condamner la société Lidl à lui payer la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts, ordonner à cette société de cesser toutes diffusions des films et messages radio issus des spots litigieux, et/ou développer tout nouveau film ou message radio sous astreinte, voir ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir, la société Lidl s'y opposant en soutenant le caractère licite de la comparaison portant sur les prix de produits interchangeables répondant aux mêmes besoins et ayant les mêmes objectifs, excluant tout acte de dénigrement et de parasitisme.
Par jugement en date du 20 novembre 2017, le tribunal de commerce a débouté l'association Prodimarques de l'ensemble de ses demandes, le tribunal rejetant le moyen d'une campagne publicitaire contrevenant aux dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation tenant à l'absence de caractère objectif de la comparaison reposant sur la seule appréciation globale des acteurs (" j'aime "), et de l'article L. 122-2 du Code de la consommation faisant grief de tirer profit de la notoriété de produits et marques connues, pour que le consommateur en déduise que le produit présenté par la société Lidl a une qualité équivalente pour un prix inférieur.
Le tribunal a jugé que les produits présentés étaient des produits interchangeables qui répondaient aux mêmes objectifs et besoins, que les informations quant aux produits avaient été mises à la disposition du consommateur afin d'assurer toute objectivité, que le message publicitaire avait fait l'objet d'un avis positif de l'ARPP (Autorité de régulation professionnelle de publicité), que les termes de la comparaison portant exclusivement sur le prix, élément essentiel pertinent et vérifiable, étaient matériellement exacts et vérifiables, que la comparaison du prix des produits avait été effectuée par un organisme indépendant, que dans ces conditions la comparaison n'était pas trompeuse au sens de l'alinéa 1 de l'article L. 122-1 du Code de la consommation.
Le tribunal a ensuite relevé l'absence de démonstration d'une faute à l'encontre de la société Lidl sur le fondement de l'article L. 122-1, la société Lidl étant devenue le première annonceur français en 2015, et sur le fondement de l'article L. 122-2 du Code de la consommation.
Par déclaration au greffe en date du 3 janvier 2018, l'association Prodimarques a relevé appel du jugement.
Vu les conclusions notifiées et déposées le 23 octobre 2019 par l'association Prodimarques aux fins de voir la cour :
Vu les articles L. 122-1 et L. 122-2 du Code de la consommation,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 novembre 2017 dans l'ensemble de ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Dire et juger que les Spots litigieux de la société Lidl constituent des publicités comparatives qui ne respectent pas les conditions posées par la loi et qui sont dès lors illicites,
Condamner la société Lidl à payer, la somme d'un (1) euro symbolique de dommages et intérêts à l'association Prodimarques en réparation du préjudice subi.
Ordonner à la société Lidl de cesser toute diffusion des films et message radio issus des Spots litigieux et/ou de développer tout nouveau film ou message radio ou support de publicité similaire reprenant le concept des Spots litigieux, sous astreinte de quinze mille (15 000) euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
Se réserver la liquidation de l'astreinte,
Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir d'une part dans trois journaux de la presse professionnelle ou généraliste au choix de l'association Prodimarques, en limitant le coût de chaque insertion à la somme de (10 000) euros HT et, d'autre part, sur la page d'accueil du site internet de la société Lidl en partie supérieure accessible à l'adresse www.lidl.fr, pendant une durée de un mois, afin que cette publication soit immédiatement perçue par chaque internaute, qu'elle soit lisible aisément et qu'elle reste affichée jusqu'à ce que celui-ci effectue un clic sur un autre espace de la page,
Débouter la société Lidl de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de l'association Prodimarques;
Condamner la société Lidl à payer à l'association Prodimarques, la somme de trente mille (30 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître X en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'appelante soutient en substance que les Spots Litigieux ne respectant pas les règles relatives à la publicité comparative sont illicites au sens de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, que l'interchangeabilité des produits n'est pas démontrée; que la comparaison des deux produits n'est pas objective dans la mesure où elle est fondée sur le goût personnel des individus ce qui est une appréciation subjective et qu'elle établit une hiérarchisation entre les produits ; que les spots litigieux induisent en erreur le consommateur.
Elle ajoute sur le fondement de l'article L. 122-2 du Code de la consommation que la société intimée a commis des faits de dénigrement et de parasitisme en laissant entendre que les produits commercialisés sous ces marques sont identiques à ceux commercialisés par la société Lidl auxquels ils sont comparés, que leur prix serait injustifié, en les comparant à des produits dont aucun diagnostic qualité vérifiable et objectif n'a été dressé, ce qui engage sa responsabilité civile. Elle sollicite en conséquence diverses mesures en réparation de son préjudice.
Vu les conclusions notifiées et déposées le 29 juin 2018 par la société Lidl tendant à voir la cour :
Vu les articles 56, 648 et 112 à 114 du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 121-8 et suivants (L. 122-1 nouveau et suivants) du Code de la consommation,
Recevoir la SNC Lidl en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la campagne de publicité comparative diffusée par la SNC Lidl était licite ;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'association Prodimarques de ses demandes ;
En conséquence,
Débouter l'association Prodimarques de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner l'association Prodimarques à payer à la SNC Lidl la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles.
L'intimée soutient le caractère interchangeable des produits répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et le caractère objectif de la comparaison qu'elle indique ne porter que sur le prix et non le goût. Elle précise avoir porté à la connaissance du consommateur l'ensemble des différences objectives entre les produits objets de la comparaison c'est-à-dire la marque du produit, la composition du produit et le conditionnement du produit, et allègue que les relevés de prix sont également objectifs. En conséquence elle soutient qu'elle n'a pas trompé le consommateur sur le sérieux et la qualité des tests réalisés, sur la qualité et sur l'identification de ses produits.
L'intimée conteste tout acte de dénigrement et de parasitisme dans la mesure où la publicité réalisée est licite et que le tribunal n'a pas retenu un profit indû tiré des investissements d'un autre acteur économique, sans bourse déliée. Elle s'oppose aux demandes d'interdiction de diffusion et de publication formulées par la société Prodimarques, qu'elle estime totalement disproportionnées.
Motifs
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées
1. Sur la licéité des spots litigieux au regard de l'article L. 122-1 du Code de la consommation :
Aux termes de l'article L. 122-1 du Code susdit :
" Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1°) Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2°) Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3°) Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. "
La méthodologie retenue par la société ADN Marketing, qui a réalisé les tests n'est pas valablement critiquée par l'appelante, celle-ci n'établissant pas contrairement à ce qu'elle soutient que la norme AFNOR X 50-005 pour partie employée est bien moins contraignante que la norme V 09-500 de 2012 que l'organisme précité a également appliqué, et qu'elle est privée de tout caractère pertinent.
La méthodologie des tests est décrite dans chacune des études réalisées sur 20 études comparatives et l'étude réalisée permet une critique utile par l'appelante.
- Sur la substituabilité des produits :
Il résulte des échantillons comparés dans les études réalisées tels les céréales au chocolat, le sirop de grenadine, le thon au naturel, les crêpes fourrées, le café moulu, la confiture de fraise, les biscuits " palmiers "... que les produits testés de nature alimentaire, même s'ils diffèrent quant à leur comestibilité, leurs conditions de fabrication, leur composition et la fiche nutritionnelle, ces éléments étant affichés sur le site internet Lidl auquel renvoyaient les publicités, et l'identité de leur fabricant, répondent aux mêmes besoins ou ont le même objectif de s'alimenter et, dans ces conditions, présentent un caractère d'interchangeabilité, de substituabilité du point de vue des consommateurs au sens de l'article L. 122-1 2° du Code susdit.
- Sur le caractère objectif de la comparaison :
Une publicité comparative, pour être licite, doit comparer " objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services ".
Il est établi que les éléments des produits objets de la comparaison tels la composition des produits, l'identité du fournisseur, les prix relevés, le conditionnement identifiant clairement le prix du produit, à savoir le prix du produit proposé et le prix au kilogramme ou au litre, représentent des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens, et caractérisent une comparaison objective.
L'appelante critique le jugement entrepris en ce qu'il considère que le fait de porter une appréciation identique entre les produits montrés par l'emploi de l'expression " J'aime " n'établit pas de hiérarchie entre ces produits, donc de comparaison, alors que selon elle, le fait de comparer deux produits comme identiques n'en demeure pas moins une comparaison, et que le Spot litigieux concluant par " Deux j'aime mais pas au même prix ", établit une hiérarchisation entre deux produits considérés comme semblables. Elle ajoute que dès lors que deux éléments sont comparés, le goût personnel d'un consommateur et le prix, la comparaison sur les prix n'a de sens et de valeur qu'en ce qu'une comparaison sur le goût a été réalisée, le critère de comparaison étant constitué par une appréciation éminemment subjective, qu'un acteur professionnel exprime par un " J'aime ! ".
L'intimée soutient en revanche que seul le prix fait l'objet de la comparaison, et non pas le goût des produits, les deux " j'aime " utilisés par les Spots litigieux étant de simples constats.
Il est constant que la publicité comparative est autorisée dans le cadre du respect des dispositions précitées.
En utilisant l'interjection " J'aime ! " après dégustation de chacun des produits en comparaison, qui ne constitue pas un simple constat mais une appréciation du plaisir culinaire que procure la dégustation de ces produits à l'acteur figurant dans le spot publicitaire, lequel se termine par l'avis suivant après dégustation de chacun des produits (en comparaison) présenté : " Deux j'aime mais pas au même prix ", la société Lidl introduit comme critère de comparaison des produits non seulement le prix mais également le goût, lequel est par nature personnel et variable selon les habitudes alimentaires et la sensibilité de chacun.
La société intimée a utilisé un élément subjectif invérifiable par le consommateur, qui exclut toute comparaison objective au sens de l'article L. 122-1 3° du Code de la consommation, en sorte que la publicité comparative objet des spots litigieux est illicite.
L'examen d'autres moyens est sans objet.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
2. Sur le discrédit et le dénigrement des marques de fabricants par le fait des spots litigieux :
Aux termes de l'article L. 122-2 du Code de la consommation :
" La publicité comparative ne peut :
1° Tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, de commerce ou de service, à un nom commercial, à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou à l'appellation d'origine ainsi qu'à l'indication géographique protégée d'un produit concurrent ;
2° Entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ;
3° Engendrer de confusion entre l'annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l'annonceur et ceux d'un concurrent ;
4° Présenter des biens ou des services comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service bénéficiant d'une marque ou d'un nom commercial protégé. "
L'appelante soutient que les spots litigieux dénigrent les marques de fabricants en laissant entendre que les produits commercialisés sous ces marques sont identiques à ceux commercialisés par Lidl auxquels ils sont comparés, que leur prix serait injustifié, et en les comparant à des produits dont aucun diagnostic qualité vérifiable et objectif n'a été dressé.
Cependant les moyens soutenus ne démontrent pas un comportement fautif de la société Lidl dans l'utilisation des spots litigieux constitutif d'un discrédit jeté sur la marque objet de la comparaison, le jeu de comédie de l'annonce, le traitement humoristique de la comparaison ne contrevenant pas, eu égard aux éléments de comparaison précités, au principe de pratiques commerciales loyales.
L'appelante excipe également de fait de parasitisme.
Les investissements faits par la société Lidl pour la campagne en cause ne sont pas contestés, l'appelante reconnaissant dans les pièces qu'elle même produit le montant élevé des investissements que la société intimée a exposés pour changer de positionnement et augmenter ses parts de marché, le tribunal relevant à ce titre que la société intimée est devenue le premier annonceur français en 2015 année de diffusion des spots en cause.
Toutefois pour justifier le caractère fondé de ses demandes, l'appelante doit faire la preuve de la notoriété des marques en cause dans les spots litigieux et des investissements réalisés par les titulaires de ces marques.
Or en l'espèce aucun élément produit aux débats ne démontre de façon objective tant la notoriété des marques dont les produits sont l'objet d'une comparaison avec un produit de la société Lidl que les investissements de leurs titulaires, la seule affirmation d'une notoriété n'étant pas suffisante pour caractériser un acte de parasitisme, d'une part, et l'absence de preuve d'investissements faits par les marques en cause excluant d'établir que la société Lidl a tiré indûment profit de la notoriété des marques concernées ou s'est délibérément immiscée dans le sillage de ces marques afin de tirer profit, sans bourse déliée, de leurs efforts et de leur savoir-faire, d'autre part.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté l'appelante des demandes formées au titre du dénigrement et du parasitisme.
3. Sur les mesures de réparation sollicitées :
Il est alloué à l'association Prodimarques conformément à sa demande la somme de " un euro " symbolique à titre de dommages et intérêts, en indemnisation du préjudice subi.
L'appelante sollicite également la condamnation de la société Lidl à cesser toute diffusion des films et message radio issus des spots litigieux et/ou de développer tout nouveau film ou message radio ou support de publicité similaire reprenant le concept des spots litigieux assortie d'une astreinte.
La demande n'étant pas détaillée en son dispositif en ce que les spots litigieux ne sont pas énumérés, et la demande étant imprécise et trop large dans sa formulation, ce qui porte une atteinte disproportionnée aux droits de la société intimée, cette demande est rejetée.
La publication du dispositif du présent arrêt apparaissant excessive pour sanctionner la seule illicéité des spots litigieux diffusés en 2015, cette demande est rejetée.
Le jugement est confirmé du chef du débouté de ces demandes.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement dont appel en ce qu'il a débouté l'association Prodimarques de ses demandes en dommages et intérêts ; Statuant à nouveau du chef infirmé, Juge que les spots litigieux de la société Lidl constituent des publicités comparatives qui ne respectent pas les conditions posées par la loi et qui sont dès lors illicites ; Condamne la SNC Lidl à payer à l'association Prodimarques la somme de " un euro " en réparation du préjudice subi ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SNC Lidl à payer à l'association Prodimarques la somme de 15 000 euros ; Rejette toute demande autre ou plus ample ; Condamne la SNC Lidl aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.