CA Douai, 1re ch. sect. 1, 6 février 2020, n° 18-03802
DOUAI
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
ARGE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Avocats :
Mes Lecat, Anne, Karila
Le 9 mai 2014, M. A Y a acquis auprès de M. D un véhicule automobile d'occasion de marque Peugeot modèle 5008 mis en circulation en février 2013 et présentant 13 900 kilomètres, au prix de 17 900 euros.
Le 27 mai 2015, M. Y et sa compagne Mme B ont cédé à la société ARGE ledit véhicule qui présentait alors un kilométrage de 30 954 unités, au prix de 17 500 euros.
Affirmant avoir été informée postérieurement à la vente et à l'occasion d'une panne survenue en 2016 par le concessionnaire Peugeot (la Société Commerciale Automobile) que le véhicule avait été déclaré en état d'épave en Belgique, la société ARGE a, par acte d'huissier de justice délivré le 27 juin 2016, assigné M. Y et Mme B devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir prononcer la résolution de la vente sur le fondement de la délivrance non conforme.
M. Y et Mme B ont assigné en intervention forcée la Société Commerciale Automobile.
Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de grande instance de Lille a débouté la société ARGE de l'ensemble de ses demandes, dit sans objet les demandes reconventionnelles, débouté la société PSA Rétail France, venant aux droits de la Société Commerciale Automobile, de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamné la société ARGE aux entiers dépens ainsi qu'à payer à Mme B et M. Y la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société ARGE a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de M. Y et Mme C
Par dernières conclusions notifiées le 20 février 2019 elle demande à la cour, au visa des articles 1184 et 1604 du Code civil, d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :
- Prononcer la résolution de la vente du véhicule de marque Peugeot modèle 5008 immatriculé DE-858-ZJ conclue le 12 mai 2005 entre elle et M. Y et Mme B,
- Ordonner que le prix de 17 500 euros soit restitué à l'acquéreur, et en tant que de besoin, condamner M. Y et Mme B à lui payer cette somme,
- Les condamner en outre au paiement de la somme de 3 814,16 euros au titre de l'indemnisation des dépenses consacrées à la conservation du véhicule,
- Les débouter de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- Les condamner à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et leur laisser la charge des dépens qui seront recouvrés par Me Lecat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle soutient qu'un véhicule d'occasion susceptible d'être vendu entre particuliers n'est pas un véhicule en état d'épave réparé, cette circonstance caractérisant une non-conformité ; qu'en conséquence de la résolution de la vente les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la vente, de sorte que les acquéreurs sont mal fondés à se prévaloir d'une créance de dépréciation du prix du véhicule ; qu'en application de l'article 1381 du Code civil, la réparation qu'elle a exécutée pour un montant de 3 814,16 euros s'analyse en une dépense nécessaire et utile qui doit lui être remboursée à titre de dommages et intérêts.
Par dernières conclusions notifiées le 22 décembre 2018, Mme B et M. Y demandent à la cour :
A titre principal,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société ARGE et l'a condamnée à leur payer 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens de première instance,
- de juger que la société ARGE ne rapporte pas la preuve, dont elle a la charge, de la non-conformité du véhicule aux spécifications convenues par les parties,
- de rejeter les entières demandes de la société ARGE présentées devant la cour,
- de la condamner à la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral et à 3 000 euros au titre au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux aux entiers dépens de l'instance ;
A titre subsidiaire, si la résolution de la vente était prononcée :
- d'ordonner à la société ARGE de leur restituer le véhicule,
- de juger que cette restitution devra intervenir le même jour que le paiement par eux du prix de vente, et cela sous astreinte de 30 euros par jour de retard,
- de condamner la société ARGE à leur payer la somme de 6 125 euros correspondant à la dépréciation subie par le véhicule,
- de dire que chaque partie gardera à sa charge ses dépens d'instance.
Ils font essentiellement valoir que le fait que le véhicule d'occasion vendu ait été déclaré en "perte économique totale ", préalablement au 12 mai 2014, n'empêche en rien une réparation dudit véhicule dans les règles de l'art par un professionnel et une exactitude du kilométrage indiqué lors de la vente ; que seule une expertise concluant que le véhicule accidenté était techniquement non réparable, que la société ARGE n'a pas jugé utile de demander, aurait permis de conclure avec certitude au défaut de conformité du véhicule aux spécifications convenues entre les parties ; qu'en cas de résolution de la vente, la créance de restitution en valeur du bien est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective au jour de la vente, de la chose remise ; que l'effet rétroactif de la résolution de la vente permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité équivalente à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE MOTIFS
Sur l'action en résolution de la vente :
Il est constant qu'à l'occasion d'une réparation effectuée par la société ARGE sur le véhicule objet de la vente en février 2016 (remplacement de l'embrayage et du volant moteur), celle-ci a appris que ledit véhicule avait été endommagé dans un accident en Belgique le 20 juin 2013 et déclaré à l'état d'épave ou de " perte économique " au vu du coût des réparations nécessaires (14 724,83 euros) par rapport à sa valeur (17 272,73 euros).
Si le tribunal a exactement considéré que le véhicule vendu par M. Y et Mme B à la société ARGE était conforme aux stipulations contractuelles, il convient de rappeler qu'en vertu des dispositions de l'article 1604 du Code civil, sur lesquelles l'action en résolution de la vente est fondée en l'espèce, la chose délivrée doit non seulement être conforme au contrat mais aussi aux normes législatives et réglementaires en vigueur en rapport avec la nature du bien et les circonstances de la vente, ainsi qu'aux attentes légitimes de l'acheteur.
Or en l'espèce, en faisant l'acquisition d'un véhicule d'occasion pour un prix de 17 500 euros, l'acquéreur ne s'est certainement pas attendu à acheter un véhicule ayant été gravement accidenté deux années auparavant. Un tel antécédent était de nature à modifier les conditions de son consentement à la vente en termes de prix et de garantie de la qualité des réparations effectuées.
C'est donc à bon droit que la société ARGE sollicite la résolution de la vente pour manquement des vendeurs à leur obligation de délivrance conforme, étant précisé que ce manquement est caractérisé quand bien même les vendeurs auraient ignoré le défaut de conformité du véhicule.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences de la résolution
L'acquéreur devra restituer le véhicule et les vendeurs devront simultanément rembourser le prix de vente, soit la somme de 17 500 euros ; le prononcé d'une astreinte n'est pas nécessaire.
En raison de l'effet rétroactif de la résolution de la vente, les vendeurs ne sont pas fondés à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation ; M. Y et Mme B seront déboutés de leur demande en paiement d'une indemnité de 6 125 euros au titre de la dépréciation du bien à raison de l'utilisation qui en a été faite par l'acquéreur.
Se fondant sur les dispositions de l'article 1381 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige, la société ARGE sollicite le paiement d'une indemnité de 3 814,16 euros correspondant au montant des réparations qu'elle a dû faire réaliser sur le véhicule.
Ces dispositions légales, aux termes desquelles " celui auquel la chose est restituée doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose ", n'ont toutefois pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce, étant applicables aux quasi contrats et non en matière contractuelle.
Si l'acquéreur est en droit de solliciter la réparation d'un préjudice qui résulterait du défaut de conformité et de la résolution de la vente pour ce motif, la société ARGE ne soutient pas et n'établit par aucun élément le lien de causalité qui existerait en l'espèce entre les réparations qu'elle a dû effectuer sur le véhicule litigieux et le défaut de conformité qui atteignait celui-ci ; elle sera donc déboutée de sa demande indemnitaire.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Partie perdante, M. Y et Mme B seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel et condamnés à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 3 000 euros à la société ARGE au titre de ses frais irrépétibles de première intance et d'appel, le jugement entrepris étant infirmé de ces chefs.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société PSA Rétail France venant aux droits de la Société Commerciale Automobiles de sa demande au titre des frais irrépétibles, Statuant à nouveau, Prononce pour défaut de conformité la résolution de la vente du véhicule automobile d'occasion de marque Peugeot - modèle 5008 - immatriculé DE-858- ZJ, conclue le 9 mai 2014 entre A Y et E B et la société ARGE ; Dit que la société ARGE devra restituer ledit véhicule à A Y et E B ; Dit que simultanément, A Y et E B devront rembourser à la société ARGE le prix de vente de 17 500 euros, Les condamne en tant que de besoin au paiement de cette somme ; Dit n'y avoir lieu de prononcer une astreinte ; Déboute A Y et E B de leur demande d'indemnité au titre de la dépréciation du véhicule, Déboute la société ARGE de sa demande d'indemnité au titre des réparations effectuées, Condamne A Y et E B aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Les condamne à payer à la société ARGE la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.