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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 février 2020, n° 17-19879

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Française de Déménagement International (SAS), Le Mans Déménagements (SARL)

Défendeur :

Interlines (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Coll, Roux

T. com. Paris, du 9 oct. 2017

9 octobre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Française de Déménagement International (SOFDI) est spécialisée dans les services de déménagements.

La société Le Mans Déménagements est une société spécialisée dans les activités de transport de marchandises de manutention, de déménagements et d'entreposage de marchandises.

La société Interlines exerce principalement l'activité de commissionnaire de transport, et de transport public multimodal de marchandises, d'affrètement et de conseil en logistique.

A partir du 15 mai 2011, les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements ont confié à la société Interlines de nombreuses opérations de transports de colis, que la société Interlines a organisées et réalisées en sa qualité de commissionnaire de transport.

Courant 2015, les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements ont cessé de commander des prestations à la société Interlines sans le moindre courrier annonciateur.

Par courrier recommandé de son Président du 10 décembre 2015, la société Interlines a dénoncé l'absence de tout préavis et d'information préalable et a sollicité des sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements une indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales.

Par courrier du 30 décembre 2015, les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements ont refusé de donner suite à la demande d'indemnisation en soulevant l'inexistence d'une relation commerciale ayant un avenir certain.

Par actes en date des 8 et 11 avril 2016 signifié à personnes habilitées, la société SAS Interlines a assigné les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 9 octobre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné SAS Française de Déménagement International (SOFDI) à payer à la SAS Interlines la somme de 14 388 euros HT,

- condamné la SARL Le Mans Déménagements à payer à la SAS Interlines la somme de 1 530 euros HT,

- débouté la SAS Interlines de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une résistance abusive,

- condamné solidairement SAS Française de Déménagement International (SOFDI) et la SARL Le Mans Déménagements à payer à la SAS Interlines la somme de 7 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées en leurs moyens et demandes contraires aux termes du présent jugement, les en a déboutées respectivement,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie,

- condamné solidairement la SAS Française de Déménagement International (SOFDI) et la SARL Le Mans Déménagements aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 177,36 dont 29,12 de TVA.

Par déclaration du 27 octobre 2017, les sociétés SAS Française de Déménagement International et SARL Le Mans Déménagements ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par le RPVA le 17 octobre 2019, les sociétés SAS

Française de Déménagement International et SARL Le Mans Déménagements demandent à la cour de :

Vu l'article 1102 du Code civil ;

Vu l'article 1240 et suivant du Code civil ;

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile.

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société SOFDI à payer 14 388 à la société Interlines ;

- condamné la société Le Mans Déménagements à verser 1 530 à la société Interlines ;

- condamné la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements à verser 7 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné les défendeurs aux dépens ;

- débouté la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements de leurs demandes ;

Et statuant à nouveau :

- débouter la société Interlines de l'ensemble de ses fins demandes et prétentions ;

- dire et juger qu'il n'existe pas de relation commerciale établie entre la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements d'une part et, la société Interlines d'autre part tel qu'entendu par l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

- dire et juger que la rupture n'a pas de caractère abusif ;

- dire et juger que, en tout état de cause, le préjudice allégué par la société Interlines n'est pas réparable en l'absence de toute faute commise par la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements, en l'absence de tout lien de causalité entre le prétendu préjudice subi et la rupture et, en l'absence de toute justification bien fondée de son préjudice par la société Interlines et, à titre subsidiaire, dire et juger que le quantum de la marge brute retenu est erroné et modérer en conséquence à la baisse tant ce quantum que le montant des indemnités ;

- débouter la société Interlines de sa demande tendant à voir condamner la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements à lui payer une indemnité pour rupture abusive de relation commerciale ;

- condamner la société Interlines à payer à la société Société Française de Déménagement International et à la société Le Mans Déménagements la somme de 20 000 euros à chacune d'entre elles en indemnisation de leur préjudice moral ;

- condamner la société Interlines à payer à la société Société Française de Déménagement International et à la société Le Mans Déménagements la somme de 2 000 à chacune d'entre elles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

- condamner la société Interlines aux entiers dépens de première instance ;

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Interlines de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamner la société Interlines à payer à la société Société Française de Déménagement International et à la société Le Mans Déménagement la somme de 2 000 euros à chacune d'entre elles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Interlines aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites en ce compris les éventuels frais d'exécution.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 7 octobre 2019, la société Interlines demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1147 et 1152 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce,

Vu les articles 699, 700 et 906 du Code de procédure civile,

Vu le contrat type approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, applicable en matière de sous-traitance de transport,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées au débat,

A titre principal,

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Intelrines

- de sa demande de condamnation solidaire de la société SOFDI et de la société Le Mans Déménagements à payer à la société Interlines la somme de 20 000 euros au titre de leur résistance abusive,

- de sa demande de condamnation solidaire de la société SOFDI et de la société Le Mans Déménagements à payer à la société Interlines la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

En conséquence,

- recevoir la société Interlines en son appel incident et y faire droit,

Subsidiairement, si la cour devait considérer que le contrat type n'était pas applicable au profit des dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce :

- condamner la société SOFDI à payer à la société Interlines la somme de 28 776 euros HT en indemnisation de la rupture brutale de relation commerciale établie,

- condamner la société Le Mans Déménagements à payer à la société Interlines la somme de 3 060 euros HT en indemnisation de la rupture brutale de relation commerciale établie,

En tout état de cause,

- juger irrecevables les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements à contester le quantum des dommages et intérêts alloués par les premiers juges à la société Interlines,

- débouter les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements à payer à la société Interlines, en cause d'appel, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement la société SOFDI et la société Le Mans Déménagements aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation établie

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Sur la relation commerciale établie :

Les sociétés appelantes reprochent aux juges de première instance d'avoir retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties de mai 2011 à octobre 2015 alors qu'aucun contrat-cadre n'a été signé entre les parties, et que les relations relevaient de contrats ponctuels après mise en concurrence. Elles ajoutent que ces flux ne représentaient que 5,9 % du chiffre d'affaires global de la société Interlines.

Cependant, les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements admettent que leur relation d'affaires avec la société Interlines a engendré pour cette dernière un chiffre d'affaires de 152 726 euros pour l'année 2011, 195 664,42 euros pour l'année 2012, 236 980,83 euros pour l'année 2013, 296 096,41 euros pour l'année 2014 et 240 919,53 pour l'année 2015.

Il en résulte l'existence d'une relation suivie, stable et habituelle sur 4 années. Peu importe qu'aucun contrat-cadre n'ait été signé ou que la société Interlines n'était pas en dépendance économique à l'égard des sociétés appelantes.

Sur la brutalité de la rupture

Selon les sociétés appelantes, la rupture n'était nullement imprévisible, soudaine et violente, les relations commerciales entre elles s'étant étiolées, en raison du manque de réactivité et de compétitivité de la société Interlines.

Ce qui est démenti par cette dernière.

Sur ce ;

Le chiffre d'affaires annuel tiré de sa relation avec les sociétés appelantes sur les trois dernières années précédant la rupture n'était pas en deçà de 236 000 euros. Or, la société Interlines n'a plus reçu aucune commande de la part des sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements après mi-septembre 2015, alors que les sociétés appelantes ne justifient nullement avoir, avant cette rupture, reproché à la société Interlines son manque de réactivité et de compétitivité tel qu'invoqué dans le cadre de ce litige.

Par conséquent, en rompant sans motif légitime une relation commerciale établie depuis 4 années et sans aucun préavis, les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements sont à l'origine d'une rupture brutale des relations commerciales.

Le jugement de 1re instance sera confirmé sur l'existence d'une rupture brutale imputable aux sociétés appelantes.

Sur le délai du préavis :

Les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements soutiennent qu'au regard de la durée et de l'intensité des relations commerciales limitée à 4 ans, le préavis accordé par les 1ers juges est disproportionné.

La société Interlines demande la confirmation du jugement qui a retenu un délai de préavis de 3 mois en appliquant les dispositions du contrat-type de transport routier de la loi LOTI.

Sur ce ;

Une relation commerciale stable a duré entre les parties 4 années.

Il est admis par les sociétés appelantes et confirmé par les extraits du Grand Livre client 2011 à 2015 produit par la société Interlines que les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements ne représentaient pas plus de 6 % de son chiffre d'affaires global sur cette période.

Contrairement à ce qu'ont affirmé les juges de 1re instance, les dispositions de l'article 12-2 du contrat-type de transport routier ne s'appliquant qu'aux contrats de durée indéterminée pour les sous-traitants ne s'imposaient pas en l'espèce aux sociétés appelantes.

Cependant, au vu du marché des transports routiers qui permet une diversification facile et rapide de la clientèle, de l'absence de dépendance économique, de l'ancienneté et de l'intensité de la relation commerciale ayant existé entre les parties au moment de la rupture, un préavis de 3 mois était nécessaire et suffisant pour permettre à la société Interlines de réorganiser son activité.

Le jugement de 1re instance sera confirmé en ce qu'il a dit que le délai de préavis devait être fixé à 3 mois.

Cependant, il convient de préciser que ce délai de 3 mois ne s'implique pas du contrat-type de transport public routier exécuté par des sous-traitants, mais des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui sanctionne le défaut de respect d'une durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce.

Sur la réparation du préjudice :

Il convient de rappeler que l'on ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même.

- le calcul du gain manqué du fait de l'arrêt brutal des relations

La société Interlines aurait dû bénéficier de 3 mois de préavis après la rupture totale de la relation commerciale établie avec les appelantes. Concernant la marge brute retenue par les 1ers juges, elle ressort des tableaux " Statistique de marge client détaillée " produits par la société Interlines et dont les chiffres ne sont pas contestés. Le préjudice dû au gain manqué sera fixé comme suit :

- concernant la société SOFDI : 14 388 euros pour 3 mois,

- concernant la société Le Mans Déménagements : 1 533 euros pour 3 mois.

- le préjudice moral

La société Interlines prétend que la perte des sociétés SOFDI et la société Le Mans Déménagements comme clients importants constitue un préjudice particulier, en ce que cela a écorné son image et entrainé le départ de deux de ses salariés vers la concurrence.

Cependant, elle ne démontre nullement que le départ de deux de ses salariés soit une conséquence directe de la perte de ses clients SOFDI et Le Mans Déménagements et que cela aurait entrainé une perte de sa crédibilité commerciale.

La demande de ce chef sera rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé quant au quantum retenu pour l'indemnisation de la rupture brutale.

Sur la résistance abusive des sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements

La société Interlines soutient que les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements ont fait preuve d'une résistance abusive en s'opposant à ses demandes légitimes, et notamment en refusant d'appliquer le contrat-type qui les liait.

Il a cependant été décidé par la cour que ce contrat-type ne s'imposait pas en l'espèce et il n'est pas démontré de résistance malicieuse de la part des appelantes.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés SOFDI et Le Mans Déménagements aux dépens et aux frais irrépétibles.

En cause d'appel, les sociétés appelantes succombant, supporteront les entiers dépens.

Les appelantes participeront en outre à hauteur de 3 000 euros aux frais irrépétibles complémentaires que la société Interlines a dû engager en appel pour se défendre.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Y ajoutant ; Condamne in solidum les sociétés SAS Française de Déménagement International et Le Mans Déménagements à payer à la société Interlines la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais complémentaires en appel ; Condamne in solidum les sociétés SAS Française de Déménagement International et Le Mans Déménagements aux entiers dépens de l'appel.