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Décisions

CA Reims, 1re ch. civ. sect. 1, 11 février 2020, n° 18-02679

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Caves du Château (SAS)

Défendeur :

CH. & A. Prieur (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mmes Lefort, Mathieu

Avocats :

Mes Guillaume, Labrousse, Denis

T. com. Reims, du 20 nov. 2018

20 novembre 2018

EXPOSE DU LITIGE

La SAS CH. & A. Prieur exerce une activité de négoce en vins de champagne, qu'elle commercialise notamment sous la marque " Paul Goerg ".

Afin de développer son activité sur les marchés de l'Est, la SAS CH. & A., filiale de la coopérative vinicole La Goutte d'Or, est entrée en relation avec Madame X, agent commercial, qui avait noué des relations sur ces marchés.

Leurs relations professionnelles n'ont pas fait l'objet d'un contrat écrit.

Madame X, aux droits de laquelle vient désormais, la SAS Caves du Château, assistait notamment à des salons au cours desquels elle présentait divers vins et spiritueux et plusieurs maisons de champagne dont Paul Goerg.

En 2008, Madame X a mis la SAS CH. & A. Prieur en relation avec un importateur en Russie, la société Caudal (devenue Winedom), qui a importé les produits sur le marché russe pendant plusieurs années.

En contrepartie de la présentation de l'importateur et d'une mission d'assistance technique dans la mise en œuvre du contrat de distribution, Madame X percevait des commissions sur les ventes réalisées auprès de ce client.

La société Winedom a cessé brutalement ses importations de champagne Paul Goerg en novembre 2013.

Le 1er janvier 2015, Madame X a cédé son portefeuille d'agent commercial à la SAS Caves du Château, également inscrite en qualité d'agent commercial.

A la suite de la cessation des achats de la société Winedom en 2013, Madame X, puis la SAS Caves du Château, ont poursuivi leurs actions en Russie en vue de trouver, un autre importateur de la marque Paul Goerg, afin de maintenir le capital de notoriété de la marque.

La SAS CH. & A. Prieur, qui n'avait consenti aucune exclusivité à la société Winedom ni à la SAS Caves du Château sur le marché russe, a pris attache avec la société Bonnet & Associés, Wine Experts since 1981, qui leur a présenté un nouvel importateur en la personne de la société Aroma.

Par courrier du 4 avril 2017, la SAS Caves du Château, a revendiqué auprès de la SAS CH. & A. Prieur, la qualité d'agent commercial pour le marché russe, estimant que la conclusion en direct avec la société Aroma, constituait un manquement aux règles définissant les rapports entre un agent commercial et son mandant.

Par courrier en date du 12 juin 2017, la SAS CH. & A. Prieur a notifié à la SAS Caves du Château la résiliation de leur contrat d'apporteur d'affaires sur la Russie, en raison de l'absence de toute présentation d'importateurs depuis plus de trois années.

Par acte d'huissier en date du 10 juillet 2017, la SAS Caves du Château a fait assigner la SAS CH. & A. Prieur devant le tribunal de commerce de Châlons en Champagne, sur le fondement des articles L. 134-4 et suivants du Code de commerce, en responsabilité et rupture du contrat d'agent commercial, aux fins d'obtenir la condamnation de cette dernière, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer les sommes de :

- 21 063,44 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat,

- 2 632,93 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 10 531,72 euros correspondant à 8 % du chiffre d'affaires réalisé du 21 mars 2017 au 20 mars 2018,

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et abusive des relations contractuelles,

- 2 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 14 décembre 2017, le tribunal de commerce de Châlons en Champagne s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Reims.

Par jugement rendu le 20 novembre 2018, le tribunal de commerce de Reims a débouté la SAS CH. & A. Prieur [sic] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SAS CH. & A. Prieur la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par un acte en date du 20 décembre 2018, la SAS Caves du Château a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 22 novembre 2019, la SAS Caves du Château conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner la SAS CH. & A. Prieur à lui payer les sommes de :

- 29 333 euros pour perte de chance et subsidiairement une somme de 8 % du montant cumulé des ventes réalisées sur deux années à compter du 21 mars 2017 à la société Aroma,

- 29 333 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat,

- 3 977,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle expose que s'agissant des pièces rédigées en langue étrangère qu'elle produit aux débats, l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les actes de procédure et qu'il appartient au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis.

Elle soutient qu'elle était liée à la SAS CH. & A. Prieur par un contrat d'agent commercial et bénéficiait à ce titre d'une exclusivité sur le marché russe, dans la mesure où les rapports de X avec l'intimée s'inscrivaient tous dans le cadre d'une relation durable et permanente.

Elle indique que :

- le taux de commission de 8 % à 10 % sur les ventes consenti à Madame X excédait le taux habituellement consenti par la SAS CH. & A. Prieur à ses apporteurs d'affaires, qui n'excédait pas 2 à 3 %,

- le nom de X ou Caves du Château, identifiant l'agent commercial ayant conclu l'opération, figurait sur toutes les factures de vente de la SAS CH. & A. Prieur à la société russe Caudal, contrairement aux ventes réalisées grâce à l'intervention d'un apporteur d'affaires, dont l'identité n'est pas rappelée sur les factures.

Elle réfute la pertinence de la motivation retenue par le tribunal de commerce pour refuser la qualité d'agent commercial à Madame X, au motif que " le représentant ne peut se prévaloir d'un statut d'agent commercial dans la mesure où il est tenu d'appliquer les prix et conditions fixées dans le tarif officiel de son mandant et qu'il n'est pas autorisé à accorder des remises " et soutient qu'elle avait à titre permanent la faculté d'accorder des réductions de prix sur le tarif officiel.

Elle précise que toutes les négociations entre la société russe Caudal et la SAS CH. & A. Prieur ont été conduites par Madame X pour le compte et au nom de son mandant, la SAS CH. & A. Prieur.

Elle explique que la société Caudal a cessé ses achats de champagne Paul Goerg à la fin de l'année 2013 par la faute de la SAS CH. & A. Prieur, dans la mesure où le directeur de l'époque, qui a été limogé ensuite, voulant hausser son produit au niveau des grandes marques a augmenté les prix, ce qui a conduit la société Caudal à se diriger vers un autre champagne meilleur marché.

Elle précise que dans les années qui ont suivi, elle a continué à réaliser une intense et coûteuse activité promotionnelle pour le compte de la SAS CH. & A. Prieur, en se rendant à de nombreuses manifestations et en bénéficiant du soutien de cette dernière qui lui fournissait les échantillons nécessaires.

Elle soutient que la décision de la société Aroma d'importer le champagne Paul Goerg en Russie est la conséquence directe du travail promotionnel de présentation et de dégustation accompli par ses soins.

Elle estime que le comportement déloyal de la SAS CH. & A. Prieur a engagé la responsabilité de cette dernière sur le fondement contractuel pour perte de chance. Selon elle, elle a droit à réparation, soit par le paiement immédiat d'une somme forfaitaire équivalente à deux années de la moyenne annuelle des commissions à elle payées par la SAS CH. & A. Prieur de 2007 à 2013, soit subsidiairement à la condamnation de la SAS CH. & A. Prieur à lui payer à l'issue d'une période de deux années suivant la rupture du contrat, soit du 21 mars 2017 au 20 mars 2019 une somme égale à 8 % du chiffre d'affaires réalisé en Russie durant cette période sur la marque Paul Goerg.

Elle fait valoir que la SAS CH. & A. Prieur n'a pas respecté l'obligation du préavis de rupture de 3 mois qui est d'ordre public et qui aurait dû expirer le 30 juin 2017 et qu'une indemnité légale de rupture est également due.

Elle réfute toute faute grave qui lui serait imputable et explique l'absence de vente avec le client Winedom au cours des années 2014, 2015 et 2016, en raison de la nouvelle politique tarifaire de la SAS CH. & A. Prieur et le cortège de sanction qui a affecté le commerce en Russie après la crise de Crimée en mars 2014.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 25 novembre 2019, la SAS CH. & A. Prieur conclut à la confirmation du jugement déféré et réclame en outre le paiement de la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle réfute la qualité d'agent commercial à la SAS Caves du Château.

Elle explique que l'agent commercial est un mandataire qui de façon permanente traite avec la clientèle au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants et qui a notamment un pouvoir de négociation.

Elle indique que l'apporteur d'affaires est chargé de mettre en rapport deux personnes en vue de la conclusion d'un contrat, alors que l'agent commercial aura le mandat de négocier le contrat.

Elle soutient que la SAS Caves du Château ne démontre pas l'existence d'une relation durable et permanente et notamment ne prouve pas que les commandes sur lesquelles cette dernière fonde ses factures de commissions auraient transité par son intermédiaire et qu'elle serait donc intervenue dans leur négociation.

Elle affirme que la SAS Caves du Château avait une mission d'assistance technique.

Elle insiste sur le fait que la SAS Caves du Château ne prouve pas qu'elle aurait été amenée à négocier les ventes sans être tenue d'appliquer les tarifs de la SAS CH. & A. Prieur, et précise que seul le taux des commissions de la SAS Caves du Château était éventuellement discutée par cette dernière auprès d'elle, ce qui n'a rien à voir avec la négociation des prix accordés au client final.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 décembre 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nature de la relation contractuelle

La SAS Caves du Château est une société qui exerce dans le secteur des vins et des spiritueux cumulant les qualités d'agent commercial et de commerçante et ayant acquis, le 1er janvier 2015, le fonds de commerce et le portefeuille d'agent commercial de Madame X.

Il est constant qu'aucun contrat écrit ne lie les parties, de sorte qu'il incombe à la SAS Caves du Château de prouver l'existence du statut d'agent commercial qu'elle invoque dans la relation contractuelle ayant existé avec la SAS CH. & A. Prieur.

Aux termes de l'article L. 134-1 alinéa 1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Ainsi, l'agent commercial est un mandataire qui de façon permanente traite avec la clientèle au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants.

Il se différencie du commissionnaire qui agit en son nom propre et du courtier qui se contente de rapprocher les parties pour qu'elles concluent entre elles une opération en apportant leur consentement.

L'intermédiaire, dont l'activité consiste en la promotion des produits d'une société sans pouvoir les négocier avec la clientèle, ne peut bénéficier du statut d'agent commercial.

L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

A l'inverse de l'apporteur d'affaire, qui lui est chargé de mettre en rapport deux personnes en vue de la conclusion d'un contrat, l'agent commercial dispose du mandat pour négocier le contrat.

Contrairement à ce qu'affirme la SAS Caves du Château, elle ne justifie pas avoir reçu mandat de la SAS CH. & A. Prieur pour négocier de manière indépendante les contrats avec l'importateur russe. Elle ne démontre pas qu'elle disposait d'un véritable pouvoir de négociation et notamment qu'elle n'était pas tenue d'appliquer les conditions et notamment les prix de la SAS CH. & A. Prieur. Elle ne prouve pas une intervention directe de sa part auprès de l'importateur russe pour définir les termes des accords.

Les factures de commission qu'elle produit sur lesquelles apparaissent des commissions versées par la SAS CH. & A. Prieur allant jusqu'à 10 % entre les années 2007 et 2013 sont insuffisantes pour prouver que la SAS Caves du Château bénéficiait du pouvoir de négocier les contrats. La SAS Caves du Château échoue dans l'administration de la preuve dans la mesure où elle ne justifie pas que les commandes sur lesquelles elle fonde ses factures de commission auraient transité par son intermédiaire et qu'elle serait donc intervenue dans leur négociation.

De plus, il résulte des débats que durant les années 2014 à 2017, suite à la cessation des achats de la société russe Winedom en 2013, la SAS Caves du Château n'établit pas avoir réalisé une quelconque vente pour le compte de la SAS CH. & A. Prieur, ni de perception de commissions y afférentes. Elle ne démontre pas plus, avoir présenté d'autres importateurs russes à l'intimée après la cessation des relations commerciales avec la société Winedom.

Au cas présent, la cour relève qu'il résulte des échanges de mails entre les parties versés aux débats que c'est la SAS CH. & A. Prieur qui fait part à la SAS Caves du Château de ses conditions de règlement et qui envoie ses tarifs incluant un éventuel budget promotionnel, de sorte que la seule négociation qui est intervenue concerne le taux de commission perçu par la SAS Caves du Château.

Ainsi, il ressort des débats que la SAS Caves du Château avait pour mission de mettre en relation la SAS CH. & A. Prieur avec un importateur russe et a ensuite assuré à l'intimée une fonction technique d'assistance et de conseil.

A l'issue de la rupture des relations commerciales avec Winedom fin 2013, le fait que la SAS Caves du Château ait continué à être présente sur le marché russe, en participant à de nombreux salons et en présentant de nombreux produits autres que le champagne Paul Goerg, ne caractérise pas la condition de représentation permanente attachée également au statut d'agent commercial. A ce titre, les échantillons de bouteilles de Champagne transmis par la SAS CH. & A. Prieur à la SAS Caves du Château s'inscrivent dans la mission de présentateur d'affaires de la SAS Caves du Château et ne caractérisent absolument pas une mission d'agent commercial, laquelle nécessite des actions de prospection et de négociation de façon permanente.

Dans ces conditions, il convient de constater que la SAS Caves du Château échoue dans l'administration de la preuve s'agissant du mandat d'agent commercial qu'elle revendique dans sa relation avec la SAS CH. & A. Prieur.

En l'absence d'existence d'un contrat de mandat d'agent commercial entre la SAS CH. & A. Prieur et la SAS Caves du Château, cette dernière n'est pas fondée à solliciter les demandes indemnitaires découlant de ce statut en vertu des articles L. 134-4 et suivants du Code de commerce et sera déboutée de toutes ses demandes en paiement.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, la SAS Caves du Château succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SAS Caves du Château à payer à la SAS CH. & A. Prieur la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande sur ce même fondement.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, Confirme le jugement rendu le 20 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Reims, en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la SAS Caves du Chateau à payer à la SAS CH. & A. Prieur la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles. La Déboute de sa demande sur ce même fondement. Condamne la SAS CH. & A. Prieur aux dépens d'appel.