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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 3 février 2020, n° 16-19962

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Burgo France (SARL)

Défendeur :

Sim Paper (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseiller :

M. de Chergé

Avocats :

Mes Rayer, Grignon Dumoulin

T. com. Paris, du 7 sept. 2016

7 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Aux termes d'un contrat intitulé " contrat d'apporteur d'affaires " signé le 2 avril 2007, la société Burgo France a accordé à la société Sim Paper le mandat de négocier en son nom et pour son compte ses produits, visés en annexe 1 du contrat, auprès de sa cliente la société Ouest affiches. La société Burgo France a informé la société Sim Paper, par lettre recommandée avec avis de réception du 3 juin 2015, de sa décision de mettre fin à ce contrat à effet du 4 août 2015. A réception de cette lettre, la société Sim Paper a sollicité, par l'intermédiaire de son conseil, une indemnité au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce s'élevant à la somme de 70 242 euros payable le jour de la cessation du contrat, augmentée des intérêts légaux à partir de cette date. La société Burgo France n'ayant pas répondu à cette demande, la société Sim Paper l'a assignée en payement devant le tribunal de commerce de Paris.

Vu le jugement prononcé le 7 septembre 2016 par le tribunal de commerce de Paris qui, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- dit que le contrat signé par les parties le 2 avril 2007 était soumis aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce et se qualifiait de contrat d'agent commercial et que la société Sim Paper avait agi dans les conditions d'exercice d'un agent commercial,

- condamné la société Burgo France à payer à la société Sim Paper la somme de 2 926,75 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que celle de 70 242 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2015, date de la résiliation du contrat,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté la société Burgo France de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Sim Paper la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel de la société Burgo France du 6 octobre 2016,

Vu les dernières conclusions du 25 novembre 2016 de la société Burgo France,

Vu les dernières conclusions du 23 janvier 2017 de la société Sim Paper.

La société Burgo France demande à la cour, au visa des articles 1134, 1315 et 1341 du Code civil et L. 134-1 du Code de commerce, d'infirmer le jugement, de débouter la société Sim Paper de ses demandes et de la condamner à lui rembourser les sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire et celle de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

La société Sim Paper conclut, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, des articles 267 et 288 du Traité fondamental de l'Union européenne et de la directive européenne n° 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, à la confirmation de la décision déférée et demande à titre subsidiaire à la cour, si celle-ci devait considérer qu'elle ne négociait pas dans les faits au sens restrictif tel qu'il est interprété par la société Burgo France, de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

" L'article 1er, paragraphe 2 de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 doit-il être interprété en ce sens qu'un intermédiaire indépendant qui n'a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuelles de son commettant n'est pas chargé de négocier au sens de cet article ", et, en tout état de cause, de condamner l'appelante à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

SUR CE,

La société Burgo France critique le jugement en ce qu'il a retenu que la société Sim Paper avait exercé son activité de manière indépendante durant huit ans et que les commandes passées entre elle-même et la société Ouest affiches l'avaient été grâce aux interventions de la société Sim Paper en soutenant que celle-ci ne lui était pas liée par un contrat d'agent commercial en l'absence de négociation indépendante de sa part du contenu des contrats conclus avec la société Ouest affiches, étant toujours accompagnée de l'un de ses " commerciaux ", de prospection de clientèle puisque le contrat s'appliquait à la seule société Ouest affiches, et de territoire géographique précis, arguant en outre du manque de loyauté de sa mandataire.

La société Sim Paper réfute l'argumentation de l'appelante en faisant valoir que le terme " négocier " visé à l'article L. 134-1 du Code de commerce n'a pas le sens restrictif que cette dernière lui donne et qu'au demeurant elle rapporte la preuve qu'elle était chargée de négocier les prix auprès de la société Ouest affiches. Elle ajoute que le nombre d'années d'exercices et la fréquence des commandes excluent la qualification d'apporteur d'affaires.

Les parties sont ainsi en désaccord sur l'application du statut d'agent commercial à la société Sim Paper et partant, du droit de cette société au versement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la cessation du contrat. Dès lors que l'application de ce statut ne dépend pas de la qualification du contrat d'apporteur d'affaire ni de la volonté exprimée par les parties dans ce contrat mais des conditions dans lesquelles s'exerçait l'activité de la société Sim Paper, il convient de rechercher si l'activité déployée par celle-ci au bénéfice de la société Burgo France correspondait à la définition de l'agent commercial donnée par l'article L. 134-1 du Code de commerce qui dispose que " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de service, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. "

La société Burgo France prétend que l'intimée, qui n'était pas inscrite au registre des agents commerciaux, n'a jamais conclu en son nom et pour son compte de contrat avec la société Ouest affiches. Toutefois, l'absence d'immatriculation au registre spécial n'étant pas une condition d'application de l'article L. 134-1 du Code de commerce est donc sans incidence de même que l'absence de conclusion de contrats par la société Sim Paper dès lors que l'article précité ne vise que l'éventualité de la conclusion de contrats.

L'appelante soutient également que cette société n'a jamais négocié de manière indépendante le contenu des contrats qu'elle-même a conclus avec la société Ouest affiches, son gérant, M. X, étant toujours accompagné de l'un de ses propres " commerciaux ", et que les tarifs et les quantités livrées étaient directement négociées entre elle et la société Ouest affiches. Cependant, la négociation ne s'entend pas du seul pouvoir de fixer ou de modifier le prix des produits arrêté par le mandant sans l'accord préalable de ce dernier mais de l'ensemble des actions à mener pour l'obtention de commandes. Par ailleurs, le fait pour la société Burgo France d'avoir été présente aux côtés de M. X à quelques occasions, soit une fois en 2013 et à deux reprises en 2014 selon les documents qu'elle a communiqués, n'exclut pas le caractère indépendant de l'activité de la société Sim Paper. Cette société verse aux débats une attestation datée du 15 décembre 2016 émanant du représentant de la société Ouest affiches, M. Y, qui témoigne avoir été " en contact avec [M. X] une à deux fois par semaine ", que celui-ci lui " rendait visite tous les mois pour suivre [ses] besoins ainsi que les commandes, évolution des prix du marché, les qualités, le respect des volumes convenus, la conformité des livraisons, le service après-vente ", avoir traité avec lui " chaque année (...) des prévisions de l'année suivante concernant les conditions de vente, volumes, remises fin année. " ;

M. Y termine son attestation par ces mots : " je confirme que M. G. D. négociait les prix avec moi qui étaient dictés par le marché dans un secteur très concurrentiel avec des évolutions de prix volatiles sur les matières premières. "

Cette attestation, dont le contenu n'est pas contesté par la société appelante, démontre que l'activité exercée par la société Sim Paper répondait à la définition de l'agent commercial énoncée par l'article L. 134-1 du Code de commerce étant relevé qu'il importe peu que son activité se soit exercée auprès de la seule société Ouest affiches et qu'aucun territoire géographique n'ait été précisé au contrat, l'affectation à un territoire géographique n'étant pas une condition d'application du statut d'agent commercial. Enfin, la société Burgo France ne démontre pas que la société Sim Paper a failli à son obligation de loyauté envers elle. En effet, la lettre que lui a adressée cette dernière au mois de novembre 2014 en réponse à celle qu'elle lui avait envoyée le 16 novembre précédent pour l'informer de ce que sa commission ne serait plus de 2 % mais de 1 % traduit son mécontentement et son désaccord sur cette décision, M. X rappelant lui avoir " apporté sur un plateau Ouest affiches ", lui avoir permis de garder le volume chez cette cliente grâce à ses nombreuses interventions et avoir été approché de nombreuses fois par des fabricants concurrents pour commercialiser leurs produits mais avoir toujours refusé leurs propositions en restant ainsi fidèle au contrat et aux engagements pris ensemble.

Il suit de ces développements que la société Sim Paper peut se prévaloir du statut d'agent commercial et, en conséquence, des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce qui prévoient qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi; cette disposition étant d'ordre public le mandant ne peut en être exonéré que dans les trois cas limitativement énumérés par l'article L. 134-13 du Code de commerce. Or, la société Burgo France n'établit pas l'existence d'une faute grave de son agent et la cessation du contrat ne résulte pas de l'initiative de ce dernier qui n'a pas plus cédé à un tiers, avec l'accord de son mandant, les droits et obligations qu'il détenait en vertu du contrat d'agence de sorte que l'indemnité compensatrice est due. Cette indemnité doit réparer le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'activité de l'agent commercial pour le compte de son mandant. La durée des relations, soit huit ans, justifie que soit allouée à la société Sim Paper une indemnité représentant deux années de commissions, soit la somme de 70 242 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de cessation du contrat avec capitalisation des intérêts. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Sim Paper s'agissant tant de l'indemnité compensatrice que de la somme accordée au titre du préavis en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, étant observé que le montant des commissions que cette société déclare avoir perçues n'est pas critiqué par la société appelante.

Il n'y a pas lieu d'allouer à la société Sim Paper une indemnité supplémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la société Burgo France étant déboutée de sa demande formée du même chef et le jugement confirmé en ce qu'il a accordé à ce titre la somme de 3 000 euros à la société Sim Paper.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Déboute les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Burgo France aux dépens d'appel.