CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 12 février 2020, n° 19/14608
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cooperl Arc Atlantique (Sté), Broceliande ALH (Sté)
Défendeur :
Mix Buffet (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Dias Da Silva, Chegaray
La société Cooperl Arc Atlantique, spécialisée dans l'achat, l'abattage et la découpe de porcs, et sa filiale la société Broceliande ALH sont entrées en relation d'affaires en 2011 avec la société Mix Buffet, ayant pour objet la fabrication et la vente de produits alimentaires.
Une nouvelle grille tarifaire ayant été adoptée par ces sociétés au 1er juin 2019, la société Cooperl s'est rapprochée de la société Mix Buffet aux fins de lui proposer une hausse du prix de ses produits, invoquant les cours très élevés du porc.
Le 28 juin 2019, la société Mix Buffet a indiqué à la société Cooperl ne pouvoir accepter la hausse de prix réclamée qui atteignait 20 % par rapport aux prix pratiqués par la société Cooperl depuis le 1er avril 2019.
Mix Buffet ayant proposé une hausse des prix de 8 %, la société Cooperl a, par courriel du 2 juillet 2019, refusé cette proposition et lui a notifié la fin de ses relations commerciales sur deux produits (jambon supérieur DD et jambon supérieur DD fumé).
Le 4 juillet 2019, la société Cooperl a informé la société Mix Buffet qu'elle refusait toute négociation et l'a informée qu'elle cesserait les livraisons des deux produits concernés à compter du 3 juillet 2019.
Par acte du 8 juillet 2019, la société Mix Buffet a fait assigner les sociétés Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH devant le juge des référés du tribunal de commerce Rennes aux fins de constater que les société Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH avaient rompu brutalement la relation commerciale qu'elles entretenaient avec elle, qu'il existait donc un dommage imminent, et voir ordonner la poursuite des relations commerciales pour une durée de 12 mois avec obligation de renégocier de bonne foi les prix.
Les défenderesses ont opposé, in limine litis, l'incompétence matérielle du tribunal de commerce et l'irrecevabilité des demandes en l'absence de mise en œuvre d'une médiation préalable.
Par ordonnance en date du 11 juillet 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes a :
- rejeté les deux prétentions soulevées in limine litis par les défenderesses et s'est déclaré compétent ;
- donné acte à la société Mix Buffet de son désistement d'instance à l'encontre de la société Cooperl Arc Atlantique ;
- dit que le comportement de la société Broceliande ALH en matière de cessation de son contrat de fourniture créé à la société Mix Buffet un danger imminent relevant de 873 du Code de procédure civile ;
- ordonné à la société Broceliande ALH, conformément à l'article 873 du Code de procédure civile, de continuer à livrer à la société Mix Buffet l'ensemble des produits actuellement commercialisés entre elles et notamment les produits jambon supérieur DD diam 120 au prix de 3,40 euros le kilo, et jambon supérieur fumé DD diam 120 au prix de 3,71 euros le kilo et ce dans des volumes conformes au niveau de commande des mêmes mois de l'année précédente ;
- dit que cette obligation durera les entiers mois de juillet, août, septembre, octobre 2019 soit quatre mois ;
- dit qu'en cas de manquement à ces livraisons, une astreinte de 5 000 euros par jour de retard sera mise à la charge de la société Broceliande ALH compter de la signification de l'ordonnance ;
- dit qu'en cas de nécessité la société Mix buffet reviendra devant le juge des référés pour liquider l'astreinte et éventuellement en fixer une nouvelle ;
- condamné la société Broceliande ALH à payer à la société Mix Buffet la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Broceliande ALH aux entiers dépens ;
- dit que la société Mix Buffet sera déboutée du surplus de ses demandes, fins et conclusions.
Par déclaration en date du 16 juillet 2019, la société Cooperl Arc Atlantique et la société Broceliande ALH ont relevé appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises le 4 décembre 2019, elles demandent à la cour, au visa des articles 4, 5 et 395 du Code de procédure civile, de :
- annuler l'ordonnance entreprise pour avoir statué ultra ou extra petita en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
- annuler l'ordonnance pour avoir donné acte du désistement de la société Mix Buffet à l'encontre de Cooperl Arc Atlantique malgré le refus de cette dernière et de la société Broceliande ALH en violation des dispositions de l'article 395 du Code de procédure civile ;
Après évocation,
- dire la société Mix Buffet irrecevable en ses demandes à défaut d'avoir respecté le préalable obligatoire de médiation ;
- dire que le juge du tribunal de commerce de Rennes était incompétent pour connaître et renvoyer la société Mix Buffet à se pourvoir si elle l'estime utile devant le tribunal de grande instance ;
Sur le fond,
- infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de Rennes le 11 juillet 2019 en toutes ses dispositions ;
- dire les demandes présentées par la société Mix Buffet infondées et génératrices d'un trouble manifestement illicite à leur détriment et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- débouter la société Mix Buffet de sa demande d'irrecevabilité des demandes de provision par la société Broceliande et Mix Buffet et les dire recevables et bien fondées ;
- condamner la société Mix Buffet à leur payer la somme de 98 728,65 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice corrélatif à l'obligation de livraison au prix fixé dans l'ordonnance dont appel, composé de la perte et du gain manqué ou, à titre infiniment subsidiaire et a minima d'ores et déjà à hauteur de la perte d'un montant de 24 151,41 euros ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Mix Buffet au paiement des sommes de 15 000 euros pour procédure abusive ;
- condamner la société Mix Buffet à leur payer une somme de 12 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elles invoquent la nullité de l'ordonnance entreprise en ce qu'en ordonnant à la société Broceliande ALH de continuer de livrer à la société Mix Buffet l'ensemble des produits actuellement commercialisés entre elles, alors que la discussion portait seulement sur deux produits, le juge des référés a statué ultra petita.
Elles soulignent, par ailleurs, que :
- les demandes sont irrecevables en application de l'article L. 631-28 du Code rural qui instaure un mécanisme légal spécifique en matière de règlement des litiges portant sur la vente des produits agricoles ou alimentaires avec l'instauration d'un préalable de médiation devant le médiateur des relations commerciales agricoles et en cas d'échec la saisine du tribunal compétent saisi " en la forme des référés " ;
- l'article 631-28 du Code rural ne limite pas son application au contrats écrits contrairement aux allégations adverses aussi cette obligation légale de médiation préalable à laquelle il n'est pas prévu de dérogation comme une demande en référé.
Elles indiquent que :
- le juge des référés du tribunal de commerce de Paris est incompétent à raison de l'application de l'article 395 du Code de procédure civile qui prévoit que le tribunal compétent doit être saisi " en la forme des référés ", or la société Mix Buffet sait que la société Cooperl Arc Atlantique est une société coopérative agricole et que conformément à l'article L. 521-1 du Code rural, seul le tribunal de grande instance est compétent ;
- conformément à l'article D. 442-4 du Code de commerce pour application du III de l'article L. 442-4 du même Code, c'est le tribunal de grande instance de Rennes qui est compétent est non le tribunal de commerce de Rennes.
Subsidiairement, elles soutiennent que le premier juge ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, fixer lui-même le prix des deux références pendant quatre mois, alors que le marché évolue tous les jours et qu'en l'espèce, aucun contrat ne fixe le prix entre les parties puisque le cours de référence fait l'objet d'une nouvelle cotation à Rungis chaque semaine ; elles estiment que la décision déférée ne peut être qu'annulée car elle a pour effet de soumettre Broceliande à un prix abusivement bas ; or, le juge ne peut se faire l'instrument d'une atteinte ou pratique restrictive de concurrence ; l'obligation d'avoir à revendre avec une marge commerciale négative constitue un trouble illicite et forcer son cocontractant à vendre à perte constitue une violation des dispositions de l'article L. 442-7 du Code de commerce ; elles soulignent que les prix pour les deux produits litigieux ont été acceptés par d'autres clients et que c'est donc l'entêtement abusif et fautif de la société Mix Buffet qui est la cause même de la cessation des relations commerciales. Elles en infèrent que c'est le refus de négociation de Mix Buffet qui les a contraintes à cesser de fournir Mix Buffet, ce qui est communément admis par la jurisprudence qu'aucun préavis n'ait à être respecté quand la cessation des relations a pour cause la faute de celui qui s'en prévaut pour les poursuivre.
Elles ajoutent que Mix Buffet ne démontre pas l'existence d'un dommage imminent au sens de l'article 873 du Code de procédure civile car elle continue de se fournir en jambon et autres produits en ayant accepté les hausses de prix nécessaires, et qu'elle peut se fournir auprès d'autres acteurs du marché.
Reconventionnellement, elles sollicitent une provision à valoir sur le préjudice corrélatif à l'obligation de livraison au prix fixé dans l'ordonnance dont appel, soit 98 728,65 euros ;
La société Mix Buffet, par conclusions remises le 5 décembre 2019, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 11 juillet 2019 ;
- dire irrecevables la société Broceliande ALH en ses demandes reconventionnelles et l'en débouter ;
- condamner la société Broceliande ALH aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 7 000 euros à la société Mix buffet sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- l'article 631-28 du Code rural n'est pas applicable car il n'existe pas de contrat écrit entre les parties tel que l'exige l'article 631-24 du Code rural pour que ses dispositions soient applicables, dès lors, aucun préalable de conciliation ne trouve à s'appliquer ;
- la jurisprudence précise que la compétence du tribunal de commerce à l'égard d'une société civile coopérative est admise notamment lorsque celle-ci est en relation d'affaires, par l'accomplissement d'actes de commerce, avec un tiers non coopérateur (Cass. 1re civ., 18 nov. 1986), en l'espèce, la société Mix Buffet, qui n'a pas la qualité de coopérateur, était donc en relation d'affaires avec la société Cooperl Arc Atlantique, laquelle lui vendait de la viande de porc ;
- la société Cooperl a décidé unilatéralement de stopper ses livraisons de jambon auprès de la société Mix Buffet en exposant qu'elle vendait ses produits en marge négative, ce qui ne peut être justifié au regard de l'évolution des cotations, elle s'est donc rendue coupable d'une rupture des relations commerciales établies ;
- la société Mix Buffet ne veut pas " forcer " le contrat mais veut obtenir l'exécution d'un préavis qui lui est du compte tenu de fait que l'augmentation du prix doit s'analyser comme une rupture brutale des relations ;
- les prix ne sont pas en renégociation perpétuelle, mais sont fixé pour toute une année, la révision automatique des prix préconisée par le médiateur des relations commerciales ne relève pas de la négociation ;
- en acceptant de négocier, Mix Buffet illustre sa bonne volonté, mais elle sollicitait du groupe Cooperl de lui communiquer tout élément comptable justifiant sa position, ce qui n'a pas été le cas et ce qui a entraîné un arrêt brutal des relations sans préavis ;
- la société Cooperl soutient que les prix des produits, tels que fixé par l'ordonnance, auraient pour effet de créer un déséquilibre significatif dans la mesure où il en résulterait une marge commerciale négative alors que toute demande de la société Cooperl n'a que pour seul objectif d'augmenter le niveau de marge ;
- l'arrêt de la cour d'appel de Caen en date du 6 mars 2008 ne s'applique pas au cas d'espèce car la hausse voulue par les intimées ne comprenait pas seulement celle de la matière mais également une augmentation de la marge ;
- la société Mix Buffet a toujours indiqué à la société Broceliande ALH qu'elle refusait des hausses de prix qui n'étaient pas justifiées par des hausses de prix des matières et ce afin de maintenir l'équilibre de la relation commerciale entre les parties ;
- la société Mix Buffet a eu des difficultés à trouver un autre fournisseur il était donc impératif que les relations d'affaires soient maintenues sur la durée d'un préavis de 4 mois ;
- l'urgence réside au sens de l'article 873 du Code de procédure civile dans l'impérieuse nécessité de prévenir le dommage imminent que pourrait subir la société Mix Buffet du fait de la rupture brutale, à l'initiative de la société Cooperl, de la relation commerciale établie que ces sociétés entretenaient ;
- la demande de paiement à titre provisionnel d'une somme de 98 728,65 euros, fondée sur le préjudice subi par la vente des produits en cause aux prix fixés par le juge des référés est irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile, son objet étant absolument différent de ce qui a été demandé en première instance.
MOTIFS
Sur la nullité de l'ordonnance
Les appelantes invoquent la nullité de l'ordonnance entreprise en ce que :
- d'une part, cette décision a statué ultra petita en statuant sur l'ensemble des produits commercialisés, alors que la discussion ne portait que sur deux références de produit ;
- d'autre part, elle a constaté, en violation des dispositions de l'article 395 du Code de procédure civile, le désistement de la société Mix Buffet en ses demandes dirigées à l'encontre de la société Cooperl malgré le refus de cette dernière et de la société Broceliande ALH.
Sur le premier point, la société Mix Buffet a, aux termes de l'assignation qu'elle a fait délivrer par acte du 8 juillet 2019, demandé au juge des référés de :
- " ordonner la poursuite des relations commerciales entre les sociétés Mix Buffet et Broceliande ALH et Cooperl Arc Atlantique pour une durée de douze mois avec obligation pour les parties de renégocier de bonne foi les prix conformément à l'article L. 441-8 du Code de commerce, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- condamner la société Broceliande ALH à la livrer des produits types : jambon sup DD diam 120 au prix de 3,40 euros le kg et jambon sup fumé au prix de 3,71 euros le kg, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance. "
En ordonnant " à la société Broceliande ALH, conformément à l' article 873 du Code de procédure civile, de continuer à livrer à la société Mix Buffet l'ensemble des produits actuellement commercialisés entre elles et notamment les produits - jambon supérieur DD diam 120 au prix de 3,40 euros le kilo et - jambon supérieur fumé DD diarn 120 au prix de 3,71 euros le kilo et ce dans des volumes conformes au niveau de commande des mêmes mois de l'année précédente ", le premier juge s'est borné à répondre aux deux chefs de demandes de la société Mix Buffet et n'a en aucune façon statué ultra petita.
Sur le second point, le premier juge a constaté le désistement de la société Mix Buffet de ses demandes de la société Mix Buffet dirigées à l'encontre de la société Cooperl.
L'article 395 du Code de procédure civile dispose que le désistement n'est parfait que par l'acceptation du défendeur.
Il résulte de l'ordonnance entreprise qu'à l'audience du 10 juillet 2019, la société Mix Buffet s'est désistée de ses demandes de la société Mix Buffet dirigées à l'encontre de la société Cooperl et que ce désistement a été refusé par la société Cooperl.
La décision déférée s'est bornée à donner acte à la société Mix Buffet de son désistement d'instance à l'encontre de la société Cooperl Arc Atlantique, sans déclarer, pour autant, le désistement parfait. Il ne résulte pas de ces éléments que le premier juge ait méconnu les dispositions de l'article 395 du Code de procédure civile, de sorte qu'aucune nullité de la décision n'est encourue. Les appelantes seront, en conséquence, déboutées de leur demande de nullité de ce chef de la décision déférée.
Sur la compétence du tribunal de commerce
Les appelantes font grief à l'ordonnance entreprise d'avoir écarté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique, alors que les sociétés coopératives agricoles relèvent exclusivement des juridictions civiles et que le tribunal de grande instance de Rennes qui devait être considéré comme compétent pour la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique.
Toutefois, si l'article L. 521-5 du Code rural énonce que les sociétés coopératives et leurs unions relèvent de la compétence des juridictions civiles, il n'a pas pour effet de soustraire à la compétence des tribunaux de commerce les contestations relatives aux actes de commerce, tels que définis à l'article 632 du Code de commerce, que les sociétés coopératives ou leurs unions peuvent accomplir avec des tiers. C'est, en conséquence, à raison que le juge des référés du tribunal de commerce s'est déclaré compétent.
Sur la recevabilité des demandes de la société Mix Buffet
Les appelantes soulèvent l'irrecevabilité des demandes de la société Mix Buffet en l'absence de recours à la procédure de médiation préalable à la saisine du juge telle que prescrite par le Code rural et de la pêche maritime.
L'article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime dispose, dans sa rédaction applicable à la cause :
" Tout litige entre professionnels relatif à l'exécution d'un contrat ou d'un accord-cadre mentionné à l'article L. 631-24 ayant pour objet la vente de produits agricoles ou alimentaires doit, préalablement à toute saisine du juge, faire l'objet d'une procédure de médiation par le médiateur des relations commerciales agricoles sauf si le contrat prévoit un autre dispositif de médiation ou en cas de recours à l'arbitrage. (...) En cas d'échec de la médiation menée par le médiateur des relations commerciales en application du premier alinéa du présent article, toute partie au litige peut saisir le président du tribunal compétent pour qu'il statue sur le litige en la forme des référés sur la base des recommandations du médiateur des relations commerciales agricoles. "
L'article L. 631-24 du même Code prévoit, en son alinéa 1er :
" Tout contrat de vente de produits agricoles livrés sur le territoire français est régi, lorsqu'il est conclu sous forme écrite, dans le respect des articles 1365 et 1366 du Code civil, par les dispositions du présent article. Toutefois, le présent article et les articles L. 631-24-1, L. 631-24-2 et L. 631-24-3 du présent Code ne s'appliquent pas aux ventes directes au consommateur, aux cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées, aux cessions à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs situés au sein des marchés d'intérêt national définis à l'article L. 761-1 du Code de commerce ou sur d'autres marchés physiques de gros de produits agricoles. "
Le seul renvoi de l'article L. 631-28 à l'article L. 631-24 est insuffisant à établir que le recours obligatoire à une médiation préalable avant toute saisine d'un juge serait limité aux contrats écrits, l'article L. 631-24 se bornant à préciser la notion de contrat agricole, et l'article L. 631-28 se référant à tout litige entre professionnels relatif à l'exécution d'un contrat ou d'un accord-cadre.
La disposition instituant une procédure de médiation préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si une partie l'invoque.
Toutefois, la disposition prescrivant le recours à une médiation préalable ne prive pas le juge des référés du pouvoir de prendre, dans les conditions de l'article 873 du Code de procédure civile, toute mesure propre à faire cesser un trouble manifestement illicite si l'urgence justifie de passer outre le processus de règlement amiable du conflit, ce qui est le cas en l'espèce le cas. L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a dit recevable l'action de la société Mix Buffet.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
L'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit :
" I - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)
5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;
(...)
IV. - Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. "
Il est établi que, le 4 juillet 2019, la société Cooperl a informé la société Mix Buffet qu'elle refusait toute négociation quant à la hausse du prix et cessait, à compter du 3 juillet 2019, les livraisons de deux produits (jambon supérieur DD et jambon supérieur DD fumé).
L'existence d'une relation commerciale établie entre les parties n'est pas contestée.
Il est constant qu'aucun préavis de rupture n'a été notifié à la société Mix Buffet.
Les appelantes ne sauraient invoquer, pour justifier l'absence de préavis, le comportement fautif de la société Mix Buffet tenant à son refus de renégocier les prix à un niveau suffisant, alors qu'il n'est pas discuté que Mix Buffet a accepté en premier lieu, que les prix augmentent de 8 %, en second lieu, que la part des matières premières dans le coût de production de la société Cooperl soit portée, comme le réclamait cette dernière, à 85 % (pièce Mix Buffet n° 17).
En l'absence d'un quelconque préavis de rupture, et alors même que les relations commerciales existaient entre les parties depuis 2011 et que la grille tarifaire adoptée par les parties avait été très récemment actualisée le 9 mai 2019 avec effet au 1er juin 2019, la rupture partielle brutale de la relation commerciale établie se trouve caractérisée.
Dès lors qu'il n'est pas discuté que la société Cooperl était le fournisseur exclusif de Mix Buffet en jambon, les conditions de la rupture ont été constitutives d'un trouble manifestement illicite et ont été de nature à causer à la société Mix Buffet un dommage imminent.
Le juge des référés ne fait qu'user du pouvoir que lui confère l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, lorsqu'il adopte, comme mesure conservatoire, la poursuite des effets du contrat aux conditions acceptées par la victime de la rupture brutale. Tel est le cas en l'espèce, dès lors que :
- la poursuite du contrat est ordonnée pour une durée tenant compte de celle de la relation commerciale et compatible avec la nature de l'activité et des produits concernés.
- la société Mix Buffet ayant accepté les prix de 3,40 euros le kilo pour le jambon supérieur DD diam 120 et de 3,71 euros le kilo pour le jambon supérieur fumé DD diam 120, prix dont la preuve n'est rapportée, avec l'évidence requise en référé, ni qu'ils étaient manifestement hors de proportion avec l'évolution du cours du porc, aucun élément n'étant opposé à l'affirmation de Mix Buffet selon laquelle la hausse consentie de 8 % prenait déjà en compte la hausse des cours, ni, dès lors, qu'ils auraient pour effet d'imposer au fournisseur une marge commerciale négative, comme le soutiennent les appelantes qui se bornent à produire des documents internes (pièce appelantes n° 24).
L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée sur les condamnations prononcées.
Sur la demande reconventionnelle des sociétés Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH
Les appelantes sollicitent la condamnation de la société Mix Buffet au paiement provisionnel de dommages et intérêts au titre du préjudice correspondant à l'obligation de livraison au prix fixé dans l'ordonnance dont appel.
La société Mix Buffet conclut à l'irrecevabilité de cette demande comme nouvelle en cause d'appel en application de l'article 564 du Code de procédure civile qui dispose qu'" à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ".
Les appelantes ne sauraient se prévaloir :
- ni de la survenance d'un fait nouveau révélé postérieurement à l'ordonnance entreprise, la décision de première instance ne pouvant caractériser la notion de fait révélé ou survenu au sens des dispositions de l'article 564 précité ;
- ni de l'existence d'un lien suffisant, au sens de l'article 70 du Code de procédure civile, de la demande reconventionnelle avec la prétention de Mix Buffet, laquelle ne tendait qu'à l'obtention d'un préavis de rupture ;
- ni du caractère de complément nécessaire à la défense opposée à la demande principale, devant le premier juge, par les sociétés Cooperl et Broceliande ALH, ces dernières n'ayant, à aucun moment, en première instance, invoqué un quelconque préjudice.
La demande reconventionnelle indemnitaire des sociétés Cooperl et Broceliande ALH sera, en conséquence, déclarée irrecevable.
L'équité commande de condamner in solidum les sociétés Cooperl et Broceliande ALH à payer à la société Mix Buffet la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Par ces motifs : Déboute les sociétés Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH de leur demande de nullité de l'ordonnance entreprise ; Déclare irrecevable la demande reconventionnelle indemnitaire des sociétés Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH ; Confirme l'ordonnance entreprise ; Condamne in solidum les sociétés Cooperl Arc Atlantique et Broceliande ALH aux dépens d'appel et à payer à la société Mix Buffet la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.