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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 février 2020, n° 18-24178

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ADLP Holding (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maïtrepierre

Conseillers :

M. Mollard, Mme Schmidt

Avocats :

Mes Baechlin, Wilhelm

CA Paris n° 18-24178

20 février 2020

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna ;

Vu la déclaration de recours déposée au greffe de la cour le 16 novembre 2018 par les sociétés General Import et ADLP Holding en application de l'article L. 464-8 du Code de commerce ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la cour le 21 décembre 2018 par les sociétés General Import et ADLP Holding ;

Vu l'arrêt de la cour rendu le 16 mai 2019 ayant déclaré caduc le recours formé par la société General Import, dit que celui formé par la société ADLP Holding n'était pas caduc et réouvert les débats ;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence et celles du ministre chargé de l'Economie déposées toutes les deux au greffe de la cour le 17 septembre 2019 ;

Vu les dernières conclusions de la société ADLP Holding déposées au greffe de la cour le 28 octobre 2019 ;

Vu l'avis du ministère public du 10 décembre 2019, communiqué le même jour à la société ADLP Holding, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 12 décembre 2019 le conseil de la société ADLP Holding, qui a été mis en mesure de répliquer et a eu la parole en dernier, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'Economie ainsi que le ministère public ;

FAITS ET PROCÉDURE

1. La cour est saisie d'un recours introduit par la société ADLP Holding à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna (ci-après la " décision attaquée ").

La réglementation applicable

2. L'article L. 420-2-1 du Code de commerce, instauré par l'article 5 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite " loi Lurel ", prohibe, notamment dans la collectivité d'outre-mer de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises.

3. Il résulte de l'article 5, II, de la loi précitée que la prohibition qu'elle édicte est applicable aux pratiques en cours et que les parties à ces accords ou pratiques disposent d'un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la loi pour se mettre en conformité.

4. La loi ayant été publiée au Journal officiel le 21 novembre 2012, le délai prévu à l'article 5 précité expirait donc le 22 mars 2013.

Le secteur concerné et les parties en cause

5. Le secteur concerné est celui de la distribution de produits de grande consommation sur le territoire de Wallis-et-Futuna. Cette collectivité est caractérisée par des importations de produits venant principalement d'Australie, de la Nouvelle-Zélande ou des îles Fidji.

6. Dans son avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, l'Autorité a distingué trois circuits d'approvisionnement des territoires ultramarins : le circuit intégré, le circuit court et le circuit long.

7. Le circuit intégré est celui par lequel l'industriel implante une structure logistique propre sur le territoire concerné. Le circuit court (ou " circuit désintermédié ") est celui par lequel le distributeur est directement livré sur ses propres plateformes de stockage. Enfin, le circuit long (ou " circuit intermédié ") consiste à recourir à un intermédiaire, généralement appelé " importateur-grossiste ", qui assure certaines opérations logistiques (stockage, livraison, etc.) puis revend aux distributeurs les produits achetés auprès des industriels.

8. À Wallis-et-Futuna, le circuit long est utilisé pour la majeure partie des produits et comprend fréquemment un échelon supplémentaire. Un très grand nombre de produits de consommation courante sont, en effet, vendus par l'intermédiaire de bureaux d'achat, depuis l'Australie et la Nouvelle-Zélande, à des importateurs-grossistes situés à Wallis-et-Futuna, avant d'être commercialisés auprès du consommateur final par les établissements de commerce de détail. Les marchandises passent donc par deux intermédiaires avant d'accéder à l'échelon de la vente au détail.

9. Les bureaux d'achat exportateurs de produits de grande consommation vers Wallis-et-Futuna sont Geoffrey Hughes PTY Ltd, Bertrand Export CO. PTY LTD et Demexport, bureaux principalement situés en Australie, la société Rabot, implantée en Nouvelle-Calédonie, et la société Fresha Export LTD, établie en Nouvelle-Zélande.

10. La société General Import exerce une activité d'importateur-grossiste à Wallis-et-Futuna. Implantée sur le territoire depuis 1992, elle est détenue à 100 % par la société ADLP Holding, laquelle détient également 100 % du capital des société SEM et SERF, qui exploitent des magasins de vente au détail à Wallis-et-Futuna.

11. La société Sodiwal et la société Batirama, qui appartiennent au même groupe, exercent une activité de vente au détail. La société Sodiwal, créée le 6 septembre 2012, exploite une grande surface à Wallis-et-Futuna sous l'enseigne Citydia, devenue Super U depuis le mois d'avril 2014.

La procédure devant l'Autorité et la décision attaquée

12. Par une lettre du 4 juillet 2014, la société Sodiwal a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après l'" Autorité ") de pratiques mises en œuvre par la société General Import dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation à Wallis-et-Futuna.

13. Aux termes de cette lettre, la société Sodiwal a reproché à la société General Import d'avoir conclu avec divers fournisseurs des contrats exclusifs d'importation en violation de la prohibition édictée à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

14. À la date de réception de la saisine de la société Sodiwal, le 10 juillet 2014, enregistrée sous le numéro 15/0032F, l'Autorité poursuivait, sur saisine d'office, l'instruction des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer, sous les numéros 10/0005F et 14/0078F.

15. Le 31 mars 2015, a été disjointe de ces saisines d'office l'instruction des pratiques autres que celles mises en œuvre par les sociétés Bolton Solitaire, Danone, Johnson & Johnson Santé et Beauté France ainsi que Pernod-Ricard, instruction pour laquelle un nouveau dossier a été ouvert sous le n° 15/0029F. Par décision n° 15-D-14 sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Bolton Solitaire SAS, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France SAS et Pernod-Ricard SA dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer, l'Autorité a accepté et rendu obligatoires les engagements pris par ces sociétés et clos les saisines n° 10/0005F et 14/0078F.

16. Les saisines n° 15/0029F et n° 15/032F ont été jointes par l'Autorité le 25 août 2015, puis disjointes le 20 novembre 2015.

17. Le 23 novembre 2015, a été disjointe du dossier n° 15/0029F l'instruction des pratiques concernant la distribution des produits de la société Henkel France dans les collectivités d'outre-mer, qui, s'agissant plus précisément de la distribution de ces produits sur le territoire de Wallis-et-Futuna, mettait en cause les sociétés General Import et ADLP Holding pour avoir bénéficié de droits exclusifs d'importation. Ce nouveau dossier, enregistré sous le numéro 15/0107F, ayant donné lieu à une transaction signée avec l'ensemble des sociétés mises en cause, l'Autorité a, par décision n° 16-D-15 du 6 juillet 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer, notamment infligé une sanction de 15 000 euros à la société General Import, en tant qu'auteur, solidairement avec la société ADLP Holding, en sa qualité de société mère.

18. Postérieurement à cette décision, l'Autorité a instruit les faits dénoncés par la société Sodiwal dans la saisine du 4 juillet 2014. Le 5 février 2018, le rapporteur général a décidé de faire application des dispositions de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui permettent à l'Autorité d'examiner une affaire sans établissement préalable d'un rapport. Le 7 février 2018, il a adressé aux sociétés General Import et ADLP Holding une notification des griefs, leur reprochant d'avoir bénéficié, entre le 6 août 2013 et 11 juillet 2015, en violation de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, des droits exclusifs d'importation sur le territoire de Wallis-et-Futuna pour l'importation des produits suivants :

SunRice (riz) du 6 août 2013 au 16 avril 2015 ;

Heinz [conserves Pacific Corned Beef ; produits Golden Circle (boissons, sodas, jus de fruits et conserves de fruits)] du 2 mai 2014 au 16 avril 2015 ;

Campbell Arnott's (biscuits) du 2 mai 2014 au 16 avril 2015 ;

Chelsea (sucre) du 12 septembre 2013 au 11 juillet 2015 ;

Anchor (lait en poudre) du 12 juin 2015 au 11 juillet 2015.

19. Par décision n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna, l'Autorité a retenu que le grief était établi et a sanctionné les sociétés General Import et ADLP Holding en leur infligeant solidairement une sanction de 250 000 euros et en leur enjoignant d'informer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision, par un courrier dont le modèle en français et en anglais figure en annexe, chacun des fournisseurs concernés par les exclusivités prohibées, soit SunRice, Heinz, Campbell Arnott's, Chelsea et Anchor, ainsi que les bureaux d'achats Demexport, Geoffrey Hughes Export & Fresha Export et le centre de distribution en gros Rabot, qu'elles ont fait l'objet d'une condamnation de la part de l'Autorité en raison de l'exclusivité de distribution, contraire aux règles de concurrence, dont General Import a bénéficié, et qu'aucun refus de fourniture de ces produits ne peut être opposé sur le fondement de l'existence d'une telle exclusivité.

Le recours

20. Les sociétés General Import et ADLP Holding ont formé un recours en réformation contre cette décision.

21. Par un arrêt du 16 mai 2019, la cour a déclaré caduc le recours en ce qu'il a été formé par la société General Import, au motif que celle-ci n'avait pas adressé l'exposé de ses moyens à l'Autorité et au ministre chargé de l'Economie dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision attaquée prévu à l'article R. 464-15, alinéa 3, du Code de commerce.

22. Par ce même arrêt, la cour a jugé que le recours, en ce qu'il était formé par la société ADLP Holding, n'était pas caduc, au motif que la décision attaquée ne lui avait pas été régulièrement notifiée pour avoir été adressée à un cabinet d'avocat où cette dernière n'avait pas élu domicile, de sorte que le délai prévu à l'article R. 464-15, alinéa 3, du Code de commerce, n'avait pas pu courir.

23. L'instance s'est poursuivie à l'égard de la société ADLP Holding.

24. Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions, cette dernière demande à la cour :

A titre principal, de juger qu'elle a été victime d'une violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la " CSDH ") dans la conduite de la procédure à son égard et d'annuler, en conséquence, la décision attaquée ;

A tout le moins, de juger qu'elle n'a pas commis de pratiques contraires à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce et de réformer en toutes ses dispositions la décision attaquée ;

A titre très subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 250 000 euros, en réduisant sensiblement son montant, et de " renvoyer l'affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne pour interprétation des articles 41 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur le respect des exigences découlant du procès équitable ".

25. L'Autorité demande à la cour, à titre principal, de déclarer irrecevable le recours formé par la société ADLP Holding et, à titre subsidiaire, de le rejeter.

26. Le ministre chargé de l'Economie estime que le recours doit être rejeté.

27. Le ministère public considère que les moyens d'annulation sont irrecevables, et, au fond, que le recours doit être rejeté.

MOTIVATION

I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS

28. L'Autorité soutient que le recours de la société ADLP Holding est irrecevable, faute pour cette dernière d'avoir un intérêt à agir. Elle fait valoir qu'il résulte de l'article L. 464-8 du Code de commerce qu'une décision de l'Autorité ne peut être attaquée par la voie d'un recours en annulation ou en réformation que par les personnes à qui la décision a été notifiée, ainsi que l'a jugé la cour dans un arrêt du 21 décembre 2017 (n° RG 2015/17638). Elle souligne qu'en l'espèce, dans son arrêt du 16 mai 2019, la cour d'appel a retenu que la décision attaquée n'avait pas été notifiée à la société ADLP Holding, de sorte que cette décision ne lui est pas opposable et qu'elle est donc sans intérêt à agir.

29. La société ADLP Holding répond que la notification d'une décision n'est pas une condition de l'intérêt à agir, mais une simple formalité ayant pour effet de faire courir le délai de recours, sans aucune influence sur l'intérêt à agir. Elle souligne que la solution dégagée par l'arrêt du 21 décembre 2017 invoqué par l'Autorité, où il était uniquement question de l'intérêt à agir d'un tiers qui n'était pas partie à la procédure devant l'Autorité, n'est pas transposable en l'espèce.

Sur ce, la cour :

30. Selon l'article L. 464-8 du Code de commerce, les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées à l'article L. 464-2 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.

31. Il résulte des termes de ce texte que la notification qu'il prévoit est une formalité destinée à faire courir le délai d'un mois qu'il ouvre aux parties en cause pour exercer leur droit de recours, et non une condition de l'intérêt de la partie en cause à exercer ce recours.

32. La décision attaquée ayant retenu la responsabilité de la société ADLP Holding dans la commission de pratiques prohibées et lui ayant infligé une sanction pécuniaire, cette dernière, qui est une partie en cause au sens de l'article précité, a un intérêt à contester cette décision, qui lui fait grief, en formant le recours prévu à cet article, bien que celle-ci ne lui ait pas été régulièrement notifiée.

33. La fin de non-recevoir, prise du défaut d'intérêt à agir de la société ADLP Holding, est donc rejetée.

II. SUR LA PROCÉDURE

34. La société ADLP Holding soutient que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la CSDH et par les articles 41 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après la " Charte "), implique le droit à ne pas s'auto-incriminer, de sorte que l'Autorité ne peut pas, d'une part, obliger l'entreprise dans le cadre d'une procédure de transaction à fournir des preuves et des éléments l'incriminant et, d'autre part, retenir ces éléments pour poursuivre cette même entreprise dans une autre procédure.

35. Elle soutient encore que les exigences attachées aux droits de la défense impliquent également une obligation de loyauté de la part de l'autorité poursuivante, qui lui impose d'indiquer à une entreprise, lors d'une procédure négociée de transaction, que les éléments fournis par cette dernière seront utilisés pour les besoins d'une autre procédure portant sur des faits similaires et qui lui interdit d'accepter de transiger avec cette entreprise sans lui révéler que la transaction ne met pas fin à l'ensemble des poursuites la concernant, alors que ladite entreprise, par l'effet de la transaction, est dans la croyance légitime que son engagement met fin aux poursuites engagées contre elle, ce pourquoi elle a renoncé à se défendre.

36. Elle fait valoir qu'elle était dans la " croyance légitime " que l'accord transactionnel intervenu dans le dossier n° 15/0107F et constaté dans la décision n° 16-D-15, englobait toutes les procédures en cours la concernant, cette décision ne faisant pas mention des jonctions puis disjonction des affaires n° 15/0032F et 15/0029F, alors que le principe de loyauté imposait à l'Autorité de l'informer de l'existence d'autres procédures engagées contre elle pour des pratiques similaires.

37. Elle en déduit que la désignation du rapporteur dans le cadre de la procédure 15/0032F et l'instruction qui a suivi ont violé les principes fondamentaux d'équité du procès énoncés notamment à l'article 6 de la CEDH et apparaissent, de ce fait, manifestement irrégulières et entachées de nullité.

38. Elle demande à la cour de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 48 et 41 de la Charte en ce sens que le principe des droits de la défense énoncé à l'article 48 et le droit à une bonne administration de la justice énoncé à l'article 41 " s'opposent à ce qu'une autorité nationale de concurrence poursuive une entreprise concernant des faits instruits dans le cadre d'une procédure, laquelle a fait l'objet d'une procédure négociée de transaction, sans l'informer que les éléments fournis pourraient être utilisés contre elle dans une nouvelle procédure ".

39. L'Autorité conclut au rejet de ce moyen. Elle fait valoir que la société requérante ne pouvait pas légitimement croire que les pratiques visées par la présente procédure n° 15/0032F étaient couvertes par la transaction signée dans l'affaire n° 15/0107F et constatée dans la décision n° 16-D-15 et que, dès lors, ses droits de la défense n'ont pas été violés.

40. Elle souligne, en premier lieu, qu'aux termes de la décision n° 16-D-15, la sanction infligée aux sociétés General Import et ADLP Holding concernait uniquement les droits exclusifs d'importation sur le territoire de Wallis-et-Futuna des produits Henkel, qui seuls étaient en cause, et non les droits exclusifs d'importation des produits SunRice, Heinz, Campbell Arnott's, Chelsea et Anchor, visés par la présente procédure, de sorte qu'en s'engageant dans une procédure de transaction, les sociétés General Import et ADLP Holding n'ont renoncé à contester que le seul grief d'avoir bénéficié de droits exclusifs d'importation pour la distribution des produits Henkel.

41. Elle indique, en deuxième lieu, que la notification des griefs adressée le 12 février 2016 à la société General Import et à sa société mère, ADLP Holding, ayant donné lieu à la décision n° 16-D-15 précitée, rappelait clairement la décision du 23 novembre 2015 disjoignant de la saisine n° 15/0029F la partie relative aux pratiques concernant les produits Henkel et que l'instruction distincte de ces pratiques avait été poursuivie sous le n° 15/0107F. Elle soutient que la circonstance que les saisines n° 15/0029F et 15/0032F ont été jointes le 25 août 2015 n'entache en rien la régularité de la disjonction de ces deux affaires décidées ultérieurement, le 20 novembre 2015, et rappelle que le rapporteur n'est pas tenu de notifier immédiatement aux entreprises éventuellement concernées ses décisions de jonction ou de disjonction prises en cours d'instruction.

42. Elle fait valoir, en dernier lieu, que toutes les questions et demandes de pièces adressées à la société General Import dans le cadre de la présente procédure indiquaient clairement qu'elles s'inscrivaient dans le cadre de l'instruction de la saisine déposée par la société Sodiwal devant l'Autorité, enregistrée sous le numéro 15/0032F. Elle souligne que le questionnaire adressé le 15 mai 2017 précisait, en outre, qu'il ne portait ni sur les faits, objet de la saisine 15/0107F, ayant donné lieu à la transaction, ni sur ceux, objet des saisines n° 10/0005F et 14/0078F, ayant donné lieu à une procédure d'engagement.

43. Le ministre chargé de l'Economie considère que le moyen n'est pas fondé. Il précise que la procédure devant l'Autorité n'est contradictoire qu'à compter de la notification des griefs, par laquelle les services de l'instruction transmettent aux parties concernées les éléments venant à l'appui des griefs notifiés. Il souligne qu'en l'espèce, la décision attaquée reprend, pour chacun des questionnaires envoyés, l'indication de l'instruction visée ainsi que les dates des jonctions et disjonctions dont la chronologie a, en outre, été communiquée par les services de l'instruction, de sorte qu'il ne peut être soutenu par la requérante une absence de transparence et de loyauté dans le déroulement de la procédure. Il ajoute que les instructions menées sur les dossiers qui ont donné lieu, respectivement à la décision n° 16-D-15 et à la décision attaquée précisaient leur champ d'investigation, avec, d'un côté, les produits Henkel, et, de l'autre, les autres produits de consommation courante, de sorte que la sanction infligée aux sociétés General Import et ADLP Holding pour avoir bénéficié de droits exclusifs d'importation pour la distribution des produits Henkel ne pouvait faire naître la confiance légitime de la requérante sur la clôture des procédures des autres procédures pendantes.

Sur ce, la cour :

44. Il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle en interprétation des articles 41 et 48 de la Charte, dans la mesure où celle-ci n'a pas vocation à s'appliquer en dehors de la mise en œuvre du droit de l'Union, ce qui est le cas en l'espèce, l'entreprise en cause ayant été poursuivie et sa responsabilité retenue uniquement sur le fondement de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

45. S'agissant, en premier lieu, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il résulte des motifs de la décision attaquée que, pour caractériser les pratiques reprochées et prononcer la sanction, l'Autorité s'est fondée exclusivement sur, d'une part, des pièces produites spontanément par la société Sodiwal au soutien de sa saisine enregistrée sous le n° 15/0032F et, d'autre part, sur les éléments fournis par la société General Import en réponse aux demandes de renseignements qui lui ont été adressées par la rapporteure désignée pour instruire cette saisine les 16 mai 2017 et 13 juin 2017, soit postérieurement à la décision n° 16-D-15, en date du 6 juillet 2016, qui a clos l'affaire n° 15/0107F ayant donné lieu à la transaction.

46. Ainsi, c'est en vain que la société ADLP Holding soutient que les affaires n° 15/0107F et 15/0032F ont fait l'objet d'une instruction commune et que des pièces issues de la procédure n° 15/0107F ont été utilisées par l'Autorité contre elle et la société General Import dans la procédure n° 15/0032F ayant donné lieu à la décision attaquée.

47. Il en résulte que le moyen pris d'une méconnaissance du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination n'est pas fondé et doit être rejeté.

48. S'agissant, en second lieu, de la portée de la transaction signée dans le cadre de la procédure n° 15/0107F, il a déjà été relevé que cette procédure portait sur des pratiques relatives à la seule distribution des produits de la société Henkel France dans les collectivités d'outre-mer et mettant en cause, s'agissant plus précisément de la distribution de ces produits sur le territoire de Wallis-et-Futuna, les sociétés General Import et ADLP Holding.

49. Les seules pièces issues de la procédure ayant abouti à la décision n° 16-D-15, qui constate cette transaction, versées aux débats par la société ADLP Holding, sont un procès-verbal de déclaration et de recueil de copie de documents auprès d'une entreprise qui a été sanctionnée par cette décision n° 16-D-15, ainsi que des échanges de lettres et courriels entre la rapporteure et d'autres entreprises sanctionnées qui portent soit sur une demande de protection du secret des affaires, soit sur des relances de demandes de renseignements, soit sur des demandes de précisions sur des renseignements déjà fournis. Ces pièces ne contiennent aucun élément de nature à établir que la transaction avait un champ plus large que les produits Henkel et, qu'à la date de sa signature, elle pouvait fonder l'espérance légitime de la société ADLP Holding qu'aucune autre procédure ne serait poursuivie.

50. Au surplus, il ressort du rappel de la procédure exposé dans la décision n° 16-D-15, qui mentionne les décisions de disjonction qui ont été prises, que le champ de la transaction était circonscrit aux produits Henkel, tandis que l'Autorité poursuivait l'instruction des procédures enregistrées sous les n° 10/0005F et 14/0078F, relatives à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer.

51. Le moyen, mal fondé, est donc rejeté.

52. S'agissant, en dernier lieu, de l'obligation de loyauté, il convient de rappeler que, si son principe, qui préside à la recherche des preuves dans le déroulement de l'enquête, impose aux services de l'Autorité d'informer une personne entendue, ou à qui est adressée une demande de renseignements et de transmission de pièces, de l'objet de l'enquête dans le cadre de laquelle ces actes ont lieu, il ne fait pas obligation à l'Autorité d'informer cette personne, une fois les griefs notifiés, de l'existence de toutes les enquêtes en cours portant sur d'autres faits, fussent-ils de même nature que ceux objet de la notification des griefs.

53. Il en résulte que l'Autorité n'avait pas l'obligation d'informer la société ADLP Holding, au cours des négociations de la transaction intervenue dans l'affaire n° 15/0107F, de ce qu'une enquête la mettant en cause pouvait être ouverte pour des faits de même nature.

54. À titre surabondant, la cour souligne que la saisine de la société Sodiwal, reçue par les services de l'Autorité, le 10 juillet 2014, n'a été enregistrée que le 15 avril 2015, comme le précisent la décision du 15 juin 2015 portant désignation du rapporteur et celle du 17 février 2017 portant désignation d'un rapporteur en remplacement du premier (cotes 104 et 238), et que la première demande de renseignements a été adressée par ce second rapporteur à la société General Import par une lettre du 16 mars 2017 (cote n° 240).

55. Il en résulte, qu'au 15 avril 2016, date de la signature du procès-verbal de transaction dans l'affaire n° 15/0107F, l'Autorité n'avait pas commencé à instruire les faits dénoncés par la société Sodiwal et n'était donc, en tout état de cause, pas en mesure d'informer, à supposer qu'elle en ait eu l'obligation, la société ADLP Holding que d'autres poursuites allaient être engagées ou seraient susceptibles d'être engagées contre elle pour des faits similaires.

56. Le moyen, mal fondé, est donc rejeté.

III. SUR LE FOND

57. La société ADLP Holding conclut à la réformation totale de la décision attaquée en ce qu'elle a retenu l'existence d'accords exclusifs d'importation et, à titre subsidiaire, à sa réformation quant au montant de la sanction.

1. Sur l'existence d'accords exclusifs d'importation

58. La société ADLP Holding fait valoir, en premier lieu, que l'Autorité échoue à apporter la preuve de l'existence de pratiques prohibées par l'article L. 420-2-1 du Code de commerce. Elle souligne que le dispositif mis en place par cet article n'a pas pour objet d'interdire les situations dans lesquelles un opérateur serait, de fait, le seul à distribuer certains produits sur les marchés ultra-marins, mais sanctionne la mise en place délibérée d'exclusivités par deux ou plusieurs entreprises, résultant d'un concours de volontés qu'il appartient à l'Autorité d'établir. Elle expose qu'en matière d'entente verticale, lorsque l'accord n'a pas été formalisé par écrit, la simple connaissance d'une pratique, même suivie d'un comportement d'alignement, ne suffit pas à établir la preuve d'un concours de volontés, lequel implique, d'une part, que le fournisseur exprime sa demande clairement, pour permettre aux distributeurs d'adhérer en connaissance de cause au comportement anticoncurrentiel et, d'autre part, que l'adhésion des distributeurs se manifeste de manière explicite, laquelle ne peut résulter, s'agissant de droits exclusifs d'importation au profit d'un importateur-grossiste, que d'une attitude positive de ce dernier, témoignant de sa volonté de bénéficier de tels droits.

59. Elle soutient que, si la preuve de cet accord de volontés peut être apportée par tous moyens et peut, notamment, résulter d'un faisceau d'indices grave et concordants, en l'espèce, les pièces retenues par l'Autorité sont soit, trop générales, comme la déclaration de la société General Import du 2 mai 2014, qui ne fait que renvoyer à des exclusivités qui lui ont été confiées par des fournisseurs, sans mentionner de produits en particuliers ni révéler une attitude positive de cette dernière, soit renvoient à des propos tenus par des producteurs-fournisseurs faisant état d'accords d'exclusivité conclus avec des bureaux d'achat exportateurs, comme les bureaux d'achat Bertrand Export et Fresha Export, et non avec la société General Import, laquelle se fournit auprès de ces bureaux d'achat, mais n'a aucun contact direct avec les producteurs-fournisseurs. Elle fait valoir que ces pièces ne peuvent constituer des indices graves et concordants, mais tendent en réalité à démontrer que les exclusivités qui ont empêché l'approvisionnement de la société Sodiwal ou qui expliquent les refus de vente au bureau d'achat Demexport proviennent, non pas de la société General Import, mais des relations directes entretenues entre les producteurs et les bureaux d'achat. Elle ajoute que certains produits visés par la décision attaquée, comme les produits Campbell Arnott's et Anchor, sont également distribués dans le magasin Citydia, comme l'établissent les tickets de caisse qu'elle verse aux débats. Elle souligne que ce distributeur ne s'approvisionnant pas auprès de la société General Import, l'importation de ces produits ne pouvait donc pas faire l'objet de droits exclusifs au bénéfice de la société General Import. Elle en déduit l'existence d'un circuit parallèle d'approvisionnement des produits visés dans la saisine, au profit, notamment, des groupes Super U et Interwallis, qui n'ont jamais fait appel à la société Général Import pour la distribution de leurs produits et ont pu bénéficier d'un approvisionnement direct pour certains d'entre eux.

60. La société ADLP Holding fait valoir, en second lieu, que la décision attaquée révèle une absence de prise en compte par l'Autorité des spécificités de la distribution des produits de grande consommation sur le territoire de Wallis-et-Futuna. Elle expose que le rôle central joué par la société General Import dans cette distribution résulte des obligations que lui impose l'État, lequel exige qu'elle réserve une part importante de ses capacités de stockage à des vivres pour faire face à une éventuelle catastrophe naturelle. Elle souligne que cette participation à une mission de service public, qui exclut qu'on puisse lui reprocher des pratiques anticoncurrentielles, explique qu'elle soit dans l'obligation d'entretenir des relations suffisamment étroites avec ses fournisseurs, sans pour autant que ces relations soient constitutives de telles pratiques, et l'a conduite à développer, au moyen d'investissements importants destinés notamment à augmenter ses capacités de stockage, et en dépit des difficultés résultant du droit coutumier local qu'elle a pu surmonter, un réseau de distribution très efficace qui répond aux attentes des fournisseurs et de leurs bureaux d'achat et qui bénéficie au consommateur final, au regard des nombreux points de vente qu'elle a pu ouvrir et des économies d'échelle réalisées grâce au volume de ses achats. Elle indique participer, depuis 2012, à la conclusion d'accords préfectoraux de modération des prix désignés sous l'appellation " bouclier-qualité-prix ", qui ont pour effet d'instaurer des prix maximums de revente des produits les plus consommés, dont les produits SunRice, Chelsea et Anchor visés par la présente procédure. Elle souligne qu'il serait paradoxal de participer à ces accords et de se voir reprocher des pratiques anticoncurrentielles ayant pour effet de majorer les prix au détail.

61. L'Autorité répond qu'à la différence des infractions prévues aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, les infractions aux dispositions de la loi Lurel sont constituées indépendamment de leurs effets, réels ou potentiels, sur le jeu de la concurrence sur un marché donné. Les infractions peuvent être constituées " per se ", par le simple constat de l'existence de pratiques concertées ou d'un accord instaurant une exclusivité au bénéfice d'une des parties à l'entente.

62. Elle ajoute, s'agissant du standard de preuve des pratiques litigieuses, que, lorsque l'établissement des pratiques repose sur un faisceau d'indices, la preuve de l'accord de volontés est suffisamment établie par les indices considérés ensemble et que c'est moins la valeur intrinsèque de chaque indice pris isolément qui est déterminante que la force de conviction que fait naître, à l'issue du débat contradictoire, la réunion de tous les indices.

63. Elle soutient, qu'en l'espèce, le recoupement des échanges de courriels recueillis au cours de l'instruction, émanant de fournisseurs, de bureaux d'achats et de la société General Import, atteste de trois faits incontestables : premièrement, la société General Import a reconnu avoir bénéficié d'exclusivités d'importation avec plusieurs fournisseurs pendant des durées très longues, deuxièmement, un certain nombre de ces fournisseurs ont été identifiés parce qu'ils ont opposé des refus de vente à des opérateurs concurrents en se fondant sur les relations établies de longue date avec cette société et, troisièmement, le caractère exclusif de ces relations était bien compris des différentes parties à l'accord, nonobstant le fait que le mot " exclusivité " ne figurait pas toujours dans des documents contractuels. Elle ajoute que les fournisseurs se réfèrent, dans leurs courriels, au fait que leurs accords avec la société General Import sont incompatibles avec l'approvisionnement d'un autre importateur à Wallis-et-Futuna, ce qui démontre le caractère exclusif de cette relation, quand bien même le terme " exclusif " n'est pas toujours utilisé, et que ces exclusivités sont d'autant mieux établies que les exportateurs proposent systématiquement aux commerçants de Wallis-et-Futuna, pour pallier le refus de vente qu'ils leur opposent, de se fournir auprès de la société General Import.

64. Elle précise que l'argumentation de la requérante selon laquelle les bureaux d'achat seraient les véritables titulaires d'exclusivités octroyées par les fournisseurs n'est pas opérante dès lors que, le bénéfice même des exclusivités d'importation revient à la société General Import, seul importateur-grossiste à Wallis-et-Futuna.

65. Elle fait valoir, enfin, que le moyen de la requérante selon lequel il existe des alternatives possibles d'approvisionnement à Wallis-et-Futuna, comme en témoignerait l'activité des groupes Super U et Interwallis parvenant à s'approvisionner au travers d'autres circuits d'approvisionnement, est inopérant dès lors que l'existence d'une exclusivité, même prohibée " per se ", ne peut, nécessairement, être établie que sur un marché donné. Elle souligne qu'en l'espèce, les exclusivités d'importation en cause bénéficient à un importateur-grossiste de Wallis-et-Futuna qui opère sur le marché intermédiaire présent dans le circuit long (ou " intermédié ") utilisé pour la majeure partie des produits commercialisés sur ce territoire, et que l'existence d'approvisionnements directs, par le circuit court, de certains distributeurs sur ledit territoire, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence même de l'exclusivité dont bénéficie la société General Import sur le marché de gros. Elle ajoute, qu'à supposer même que les groupes Super U et Interwallis aient pu bénéficier d'un approvisionnement direct de certains produits visés par la saisine grâce à leur réseau, cela ne signifie pas pour autant que les produits concernés par les pratiques étaient disponibles pour les autres détaillants de Wallis-et-Futuna autrement que par l'intermédiaire de la société General Import. Elle souligne, qu'au demeurant, la preuve de l'existence d'un approvisionnement en circuit court, n'est pas rapportée, les tickets de caisse versés aux débats étant dénués de toute valeur probante faute d'indication sur le contexte de ces achats.

66. Le ministre chargé de l'Economie considère que la preuve des accords d'exclusivité est suffisamment rapportée par les éléments retenus par l'Autorité dans la décision attaquée et que le moyen doit être en conséquence rejeté.

Sur ce, la cour :

67. L'article L. 420-2-1 du Code de commerce dispose : " Sont prohibés, dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises. "

68. Comme précisé plus avant, la prohibition ainsi édictée est applicable aux pratiques en cours à compter du 22 mars 2013, ainsi que, a fortiori, à celles ayant débuté après cette date.

69. Le texte vise un accord ou une pratique concertée, de sorte qu'échappe à la prohibition une simple exclusivité de fait pour l'obtention de laquelle son bénéficiaire n'a réalisé aucun acte positif.

70. La démonstration de l'accord de volontés, nécessaire à la qualification d'accord ou de pratiques concertées, peut résulter de preuves documentaires directes, ou, à défaut, de preuves comportementales indirectes. Dans cette dernière hypothèse, la démonstration du concours de volonté repose sur un faisceau d'indices graves, précis et concordants, généralement constitué par l'évocation par des exportateurs ou par l'importateur en cause de droits exclusifs d'importation concédés par les premiers au second, ainsi que par des refus de vente opposés par ces exportateurs aux autres importateurs.

71. Il importe d'apprécier globalement la caractère probant du faisceau d'indices, chacun de ses éléments n'ayant pas à répondre au critère de preuve précise, grave et concordante de l'accord d'exclusivité, dès lors que le faisceau répond à cette exigence.

72. En l'espèce, pour retenir des pratiques concertées tendant à octroyer des droits exclusifs d'importation au profit de la société General Import, l'Autorité s'est fondée, en premier lieu, sur un courriel du 16 mai 2014 par lequel, répondant à la société Sodiwal qu'elle ne peut satisfaire sa commande de produits qu'à hauteur de 50 %, la société General Import lui explique son mode de fonctionnement avec ses clients distributeurs " affiliés " sur le territoire de Wallis-et-Futuna, en lui précisant que ces derniers ne s'approvisionnent qu'auprès d'elle, et son activité de grossiste, en lui indiquant notamment que " compte tenu du nombre de clients affiliés et de la couverture assurée sur les deux îles, un certain nombre de fournisseurs, après quelques visites sur notre territoire, nous ont confié l'exclusivité de la distribution de leur gamme et certains depuis plus de dix ans. Pour celles-ci, nous fournissons tous les clients du territoire qui le souhaitent selon notre barème de remise. Nous avons communiqué à nos fournisseurs concernés nos structures de prix. Nous avons demandé à ces fournisseurs de ne pas communiquer nos barèmes de gros (confidentiels). ".

73. Ainsi, dans ce courriel, postérieur de plus d'un an à l'entrée en vigueur de la prohibition instaurée par l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, la société General Import admet bénéficier de droits exclusifs d'importation en contrepartie desquels elle accepte de fournir tous les clients qui le souhaitent, et pas seulement ses clients affiliés, les fournisseurs concernés s'engageant à ne pas communiquer ses barèmes de gros. Si ce courriel, en raison de ses termes généraux, est insuffisant à lui seul à caractériser les pratiques prohibées pour chacun des cinq produits visés dans la décision attaquée, il révèle néanmoins la mise en œuvre de droits exclusifs d'importation au profit de la société General Import.

74. L'Autorité s'est fondée, en second lieu, sur des échanges de courriels émanant de bureaux d'achats ou de fournisseurs qui ont opposé des refus de vente, soit directement à la société Sodiwal, soit au bureau d'achat Demexport, en invoquant les accords ou les relations établies avec la société General Import pour la distribution de leur produit à Wallis-et-Futuna, tout en invitant leur interlocuteur à prendre attache avec la société General Import.

75. S'agissant des produits SunRice, figure, parmi les échanges retenus par la décision attaquée, un courriel du 6 août 2013 (cotes 202 à 206) du producteur australien SunRice qui, répondant à une demande d'achat du bureau d'achat Demexport, lui indique ainsi qu' " [a]ctuellement, SunRice, a un contrat de distribution exclusif et traite via un représentant australien pour nos marques à Wallis, Bertrand Export, qui expédie à General Import à Wallis " et l'invite à prendre attache directement avec la société General Import ou avec le bureau d'achat Bertrand Export, dont il précise les coordonnées.

76. Le caractère contraignant, pour le producteur SunRice, de l'exclusivité d'importation dont bénéficie de la société General Import pour ses produits est confirmé par un courriel émanant du bureau d'achat Bertrand Export du 31 juillet 2015 (cotes 226 et 228), qui oppose un refus de vente à Super U (ex-Citydia) en invoquant la relation établie avec la société General Import ainsi que l'excellent travail de distribution réalisé par cette dernière et en expliquant qu'il ne souhaitait pas changer ses pratiques, tout en invitant son interlocuteur à prendre attache avec la société General Import pour les produits SunRice, Pacific Corned Beef et Golden Circle.

77. S'agissant du produit Golden Circle, l'exclusivité juridiquement contraignante pour le fournisseur de ces produits au profit de la société General Import est également confirmée par un courriel du 6 août 2013 (cote 212) émanant de ce fournisseur, celui-ci refusant de vendre ce produit à la société Demexport en invoquant des accords de distribution existant sur Wallis et précisant que ses produits sont disponibles sur cette île via la société General Import.

78. S'agissant du sucre de marque Chelsea, l'Autorité s'est fondée sur un courriel du 12 septembre 2013 (cotes 206 à 208) par lequel le bureau d'achat Rabot exprime son refus de vendre ce produit au bureau d'achat Demexport en indiquant " avoir déjà un agent qui représente la marque en exclusivité sur Wallis-et-Futuna, la compagnie General Import " et invite son interlocuteur à prendre attache avec cette dernière.

79. De la même manière, le producteur Campbell Arnott's refuse, par un courriel du 8 octobre 2013 (cote 27), de vendre ses produits au bureau d'achat Demexport en invoquant un accord avec la société General Import, tout en précisant que, selon cette dernière, la législation nationale n'interdit pas les exclusivités. La date de ce courriel, adressé plus de huit mois après l'entrée en vigueur de la loi Lurel, tend, contrairement à ce que soutient la société ADLP Holding, à établir que les propos qui y sont rapportés ont été tenus alors que la prohibition des droits exclusifs d'importation était déjà en vigueur.

80. Dans un courriel du 13 juin 2014 (cote 25), le bureau d'achat Geoffrey Hughes Export explique qu'il ne peut pas livrer au détaillant Batirama Wallis les produits SunRice, Heinz et Campbell Arnott's, qu'il représente, en invoquant l'existence de restrictions à Wallis liées à des accords d'approvisionnement conclus avec la société General Import.

81. S'agissant des produits Anchor, un refus de vente est opposé par le bureau d'achat Rabot, qui, par un courriel du 12 juin 2015 (cote n° 210), invoque un accord de distribution entre ce producteur et General Import.

82. L'ensemble de ces courriels attestent bien de l'existence de droits exclusifs d'importation accordés à la société General Import, soit par des bureaux d'achat, soit directement par un producteur, et non d'exclusivités qui auraient été convenues uniquement entre des producteurs et des bureaux d'achat, comme le soutient à tort la société ADLP Holding. Ils attestent également, en raison des refus de vente qu'ils opposent, de la mise en œuvre effective de cette exclusivité par ces opérateurs pour chacun des produits visés dans la décision attaquée. En outre, le recoupement de ces courriels avec celui émanant de la société General Import du 16 mai 2014 atteste également de ce que les exclusivités ne lui ont pas été consenties de manière unilatérale par des bureaux d'achat et qu'elles ne sont pas, comme le soutient en vain la société ADLP Holding, le résultat d'une situation de fait imposée par les spécificités du marché, mais, au contraire, d'accords que les bureaux d'achats se considéraient juridiquement tenus de respecter, ainsi que d'une attitude positive de la société General Import, qui a laissé entendre à au moins l'un de ses partenaires la légalité de ces accords d'exclusivité.

83. Les deux tickets de caisse des 22 et 23 avril 2014 du magasin Citydia, qui, certes, attestent de l'achat, dans le magasin de détail exploité par la société Sodiwal, de biscuits Campbell Arnott's, de lait en poudre Anchor et de conserves Pacific Corned Beef, ne suffisent cependant pas, à eux seuls, à apporter la preuve contraire, mais témoignent de l'existence possible d'un circuit parallèle d'approvisionnement. À cet égard, l'Autorité souligne, à juste titre, que la circonstance que des détaillants appartenant au réseau Super U, comme la société Sodiwal, ou à celui d'Interwallis aient pu bénéficier d'un approvisionnement direct de certains produits visés par la saisine, grâce à leur appartenance à l'un de ces réseaux, ne signifie pas pour autant que les produits concernés par les pratiques étaient disponibles pour les autres détaillants de Wallis-et-Futuna autrement que par l'intermédiaire de la société General Import.

84. Ainsi que l'a justement retenu l'Autorité dans la décision attaquée, les éléments précités, pris dans leur ensemble, établissent l'existence des pratiques concertées en violation de la prohibition édictée à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, pour l'importation des produits SunRice (riz), Heinz (conserves Pacific Corned Beef), Golden Circle (boissons, sodas, jus de fruits et conserves de fruits), Campbell Arnott's (biscuits), Chelsea (sucre), Anchor (lait en poudre).

85. L'infraction étant constituée par le seul constat de l'existence de pratiques concertées instaurant des droits exclusifs d'importation, le moyen fondé sur une méconnaissance par l'Autorité des spécificités de la distribution des produits de grande consommation à Wallis-et-Futuna est dès lors inopérant.

86. Enfin, à supposer que les pièces versées aux débats par la requérante, qui évoquent toutes des faits postérieurs aux pratiques reprochées, suffisent à établir la participation de la société General Import, sa filiale, à une mission de service public consistant à assurer la continuité de l'approvisionnement du territoire en produits de première nécessité, une telle participation ne saurait la faire échapper à la prohibition de droits exclusifs d'importation telle qu'édictée à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, étant précisé que la société ADLP Holding indique expressément, au paragraphe 114 de ses écritures, que ce moyen ne vise pas à obtenir le bénéfice de l'exemption prévue à l'article L. 420-4 du Code de commerce.

87. Les moyens, pris de l'absence de violation de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, sont donc rejetés.

2. Sur la sanction

88. La société ADLP Holding conclut subsidiairement à la réformation de la décision attaquée, en tant que celle-ci a fixé une sanction pécuniaire d'un montant de 250 000 euros, et demande à la cour de réduire ce montant d'un tiers.

a. Sur la prise en compte de la durée globale des pratiques

89. La société ADLP Holding reproche à l'Autorité de s'être écartée de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de la détermination des sanctions pécuniaires de l'Autorité (ci-après le " communiqué sanctions ") sans en indiquer les raisons, ni préciser la méthodologie et le raisonnement qu'elle a décidé de retenir, éléments pourtant essentiels au respect du droit de la défense. Elle soutient, en particulier, que les motifs de la décision attaquée ne permettent pas de comprendre en quoi il est plus adapté de retenir une durée des pratiques d'une année et huit mois, tous produits confondus, et non la durée des pratiques pour chacun des produits, et ce d'autant que, pour trois d'entre eux, la durée de la pratique était inférieure à un an, voire à un mois. Elle demande à la cour de tenir compte, pour la détermination de la gravité de la sanction, de la durée de chacune des pratiques.

90. L'Autorité répond que la méthode issue du communiqué sanctions n'était pas adaptée en l'espèce, compte tenu à la fois des caractéristiques des principales pratiques reprochées à la société mise en cause, à savoir des exclusivités d'importation, et des circonstances factuelles de l'espèce, comme elle l'a précisé dans la décision attaquée, et que, par conséquent, c'est à juste titre qu'elle a prononcé une sanction d'un montant forfaitaire de 250 000 euros en prenant en compte la gravité des faits, l'importance du dommage à l'économie et la situation de l'entreprise, critères prévus à l'article L. 464-2 du Code de commerce. Elle souligne que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'Autorité n'a pas retenu, pour déterminer le montant de la sanction, une durée globale des pratiques comprise entre le 6 août 2013 et le 11 juillet 2015.

91. Le ministre chargé de l'Economie considère que le bénéfice d'une exclusivité accordée à la société General Import, a débuté, à tout le moins, le 6 août 2013 et a perduré au moins jusqu'au 11 juillet 2015.

Sur ce, la cour :

92. Dans la décision attaquée, après avoir considéré que les modalités de détermination de la sanction décrites dans le communiqué sanctions n'étaient pas adaptées à l'espèce aux motifs que le grief notifié concerne un type d'infraction applicable uniquement aux collectivités d'outre-mer, sans équivalent sur le territoire métropolitain, et, en l'espèce, commise à Wallis-et-Futuna, territoire isolé et de très petite taille, l'Autorité a retenu qu'il y avait lieu de prononcer une sanction d'un montant forfaitaire, tout en soulignant qu'une telle fixation ne présentait pas d'inconvénient sur le plan de la dissuasion, compte tenu de l'effet correctif important qu'aurait sur le marché l'injonction qu'elle envisageait de prendre. Elle s'est ensuite déterminée, pour fixer le montant de la sanction, au regard de la gravité des pratiques et de l'importance du dommage à l'économie, critères parfaitement prévisibles pour être ceux prévus par l'article L. 646-2 [sic] du Code de commerce. Il s'ensuit que le grief pris de l'absence de motivation n'est pas fondé.

93. Pour apprécier la gravité de l'infraction, elle a pris en considération la durée de chacune des pratiques et relevé, au paragraphe 82 de la décision attaquée, que celles-ci avaient duré " jusqu'à avril ou juillet 2016 ", soit plus de trois ans après l'expiration du délai de mise en conformité.

94. En dépit de l'erreur manifeste commise sur l'année retenue, 2016 au lieu de 2015, laquelle sera appréciée lors de l'examen du second moyen de réformation, il résulte néanmoins de ces motifs que l'Autorité, qui a retenu deux dates distinctes de fin des pratiques, n'a pas pris en compte la durée globale des pratiques, mais bien la durée de chacune d'entre elles, qu'elle avait précisé pour chacun des cinq produits concernés au paragraphe 64 de la décision attaquée, y indiquant notamment que ces pratiques avaient duré, pour trois d'entre elles, jusqu'au 16 avril 2015 et, pour les deux autres, jusqu'au 11 juillet 2015.

95. Le moyen, qui manque en fait, est donc rejeté.

b. Sur la gravité des pratiques

96. La société ADLP Holding soutient, en premier lieu, que l'Autorité s'est fondée sur la qualité de signataire d'accords de modération des prix pour les années 2014 et 2015 de la société General Import, alors qu'en l'absence de démonstration de la violation de ces accords dans la décision attaquée, l'Autorité ne pouvait pas retenir que les pratiques reprochées étaient d'une particulière gravité, les consommateurs ayant été protégés de tout effet inflationniste des prix en raison, précisément, du respect de ces accords signés par la société General Import.

97. Elle soutient, en deuxième lieu, que l'Autorité a retenu que les pratiques avaient duré d'avril à juillet 2016, soit plus de trois ans après l'expiration du délai légal de mise en conformité, alors que la notification des griefs portait sur des pratiques mises en œuvre entre le 6 août 2013 et le 11 juillet 2015, soit pendant moins de deux ans, de sorte que la sanction prononcée ne l'a pas été au regard de la durée réelle des pratiques.

98. Elle soutient, en troisième lieu, que l'Autorité aurait dû prendre en considération, pour apprécier la gravité des pratiques, la concurrence intra-marques résultant, selon la requérante, de l'existence, en parallèle du circuit long où la société General Import exerce son activité, d'un circuit court d'approvisionnement qui constituait une alternative crédible, notamment pour son principal concurrent, le groupe Super U, qui l'utilisait pour son approvisionnement en produits identiques à ceux distribués par la société General Import. Elle ajoute que la gravité des pratiques doit également être atténuée en l'absence de tout caractère secret et de mécanisme de coercition ou de représailles.

99. L'Autorité répond que, si une erreur matérielle a bien été commise quant à l'année retenue pour la fin des pratiques, cette erreur ne saurait entraîner une modification de l'analyse de la gravité des pratiques, dans la mesure où, dans la décision attaquée, il a été retenu que la gravité des pratiques était certes établie, mais restait limitée.

100. Elle ajoute que l'existence d'un circuit court d'approvisionnement au profit du groupe Super U, à supposer qu'il soit établi, est sans incidence sur l'analyse de la gravité des pratiques, dans la mesure où celles-ci concernent uniquement le circuit long, lequel reste utilisé pour la majeure partie des produits commercialisés à Wallis-et-Futuna, et où les détaillants qui n'appartiennent pas au réseau Super U sont contraints de s'approvisionner auprès de la société General Import.

101. Le ministre chargé de l'Economie considère que les pratiques revêtent une certaine gravité, au regard du contexte local et de l'importance de l'importateur-grossiste en cause.

Sur ce, la cour :

102. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité prononce des sanctions pécuniaires qui doivent être proportionnées à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient, ainsi qu'à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre.

103. La gravité des pratiques s'apprécie au regard, notamment, de la nature des faits retenus pour les caractériser, de la nature des activités ou secteur concernés et de la nature des personnes susceptibles d'être affectées. Dès lors, les moyens fondés sur la prise en compte d'un circuit court d'approvisionnement et sur le respect des accords de modération de prix, qui renvoient davantage aux effets des pratiques prohibées qu'à leur gravité, seront appréciés lors de l'examen de l'importance du dommage causé à l'économie.

104. Pour apprécier la gravité des pratiques, l'Autorité a, au paragraphe 79 de la décision attaquée, retenu à juste titre que le bénéfice d'u droit exclusif d'importation en revêtait pas le même caractère de gravité que les infractions au droit commun de la concurrence que sont les ententes et les abus de position dominante.

105. Elle a tout aussi justement retenu, aux paragraphes 80, 81 et 82 de la décision attaquée, que la gravité des pratiques, bien que limitée, n'en était pas moins établie au regard, de la nature des produits concernés, s'agissant de produits de consommation courante, du rôle revendiqué par la société General Import sur le territoire de Wallis-et-Futuna à l'égard d'une population au pouvoir d'achat limité, de sa qualité de signataire d'accords de modération de prix, et du fait que la société General Import avait laissé entendre à ses interlocuteurs que les pratiques étaient conformes à la législation applicable

106. En revanche, elle a également relevé que cette société avait " bénéficié des exclusivités postérieurement à l'entrée en vigueur de l'interdiction prévue à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce et après l'expiration du délai de mise en conformité des contrats existants qui courait jusqu'à mars 2013 : les pratiques ont ainsi duré jusqu'à avril ou juillet 2016, soit plus de trois ans après l'expiration de ce dernier délai ". Il en résulte que l'Autorité a mentionné à tort, comme date de la cessation des pratiques, l'année 2016, au lieu de 2015, ce qui l'a conduite à majorer d'un an tant la durée des pratiques, par rapport à celle qu'elle avait retenue dans la notification des griefs, que leur prolongation au-delà de l'expiration du délai de mise en conformité.

107. L'erreur ainsi commise, si elle ne remet pas en cause le constat général d'une gravité établie, quoique limitée, a néanmoins porté sur un élément retenu comme un facteur de gravité. Elle est donc, contrairement à ce que soutient l'Autorité dans ses observations, de nature à modifier l'appréciation de cette gravité, et doit conduire la cour à réduire le montant de la sanction, dès lors que celle-ci a été déterminée de manière forfaitaire.

c. Sur l'importance du dommage à l'économie

108. Aux paragraphes 83 et 84 de la décision attaquée, l'Autorité a considéré que le dommage à l'économie était significatif aux motifs, d'une part, que les pratiques ont conduit à " entraver le développement d'importateurs-grossistes concurrents et à limiter la concurrence des grossistes par les détaillants pour leur approvisionnement en produits SunRice (Riz), Heinz (conserves Pacific Corned Beef ; produits Golden Circle (boissons, sodas, jus de fruits et conserves de fruits), Campbell Arnott's (biscuits), Chelsea et Anchor (lait en poudre) " et, d'autre part, qu'elles ont eu pour effet " d'augmenter les coûts pour les distributeurs et, par voie de conséquence, les prix supportés par les consommateurs de Wallis-et-Futuna, dont le pouvoir d'achat est beaucoup plus faible qu'en métropole. Elles ont concerné la distribution de produits alimentaires de base nécessaire aux consommateurs de Wallis-et-Futuna. ".

109. La société ADLP Holding fait valoir que l'Autorité s'est contentée d'affirmer que les pratiques poursuivies avaient pour effet d'augmenter les coûts pour les distributeurs et, par voie de conséquence, les prix supportés par les consommateurs, sans aucune analyse du marché pour déterminer si les prix avaient effectivement augmenté, et sans tenir compte des accords de modération de prix portant sur les produits concernés, ni de la sensibilité de la demande par rapport aux prix, s'agissant de produits de grande consommation pour lesquels les consommateurs sont nécessairement sensibles aux prix pratiqués. Elle ajoute que l'analyse faite par l'Autorité, fondée sur celle effectuée par l'Observatoire des prix, des marges et des revenus de Wallis-et-Futuna, selon laquelle l'effort sur les marges pour maintenir les prix à un niveau conforme aux accords de modération auraient été essentiellement supportés par les distributeurs, ne tient pas compte des services commerciaux assurés par les importateurs-grossistes auprès des distributeurs et rémunérés par les marges des grossistes, alors que l'Autorité elle-même, dans son avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en outre-mer, a constaté que cette modalité de rémunération des services assurés par les importateurs-grossistes permettrait aux distributeurs de faire des économies de main d'œuvre.

110. Elle fait également valoir que les pratiques sanctionnées portent sur un nombre limité de produits et ne concernent que le territoire de Wallis-et-Futuna, où le développement d'importateurs-grossistes est entravé, essentiellement, par l'étroitesse du marché et les spécificités locales géographiques et économiques. Elle ajoute que les pratiques n'ont pas affecté l'ensemble des distributeurs présents sur le territoire, puisque certains d'entre eux, comme le groupe Super U, avaient la possibilité de s'approvisionner sans passer par la société General Import.

111. L'Autorité répond, en premier lieu, que l'argument selon lequel les accords de modération de prix auraient un effet anti-inflationniste n'est pas pertinent, car, ainsi que l'a relevé l'Observatoire des prix, des marges et des revenus de Wallis-et-Futuna dans son rapport annuel de 2013, les pratiques en cause ont artificiellement renforcé le pouvoir de négociation de la société General Import face aux détaillants, conduisant ces derniers à supporter une part importante des efforts tarifaires nécessaires au respect les prix plafonds définis par le bouclier-qualité-prix.

112. Elle soutient, en deuxième lieu, que l'argument tenant à l'existence d'un circuit court est inopérant pour les mêmes motifs que ceux exposés pour l'appréciation de la gravité des pratiques.

113. Elle expose, en troisième lieu, que l'argument pris de la sensibilité de la demande au regard des prix pratiqués n'est pas opérant dès lors que, précisément, les produits concernés sont des produits de première nécessité, rendant peu probable l'hypothèse d'une baisse de la demande en raison des prix élevés.

114. Elle fait valoir, en dernier lieu, que le nombre limité des produits concernés par les pratiques est sans incidence, dès lors que les produits commercialisés par les détaillants appartiennent à des catégories de produits trop différentes pour être substituables les uns aux autres et que le fait qu'un détaillant commercialise de nombreuses autres références que celles visées par les pratiques est sans effet pour apprécier le surprix potentiellement infligé aux détaillants et aux consommateurs. Elle ajoute que les ventes des produits couverts par les exclusivités sanctionnées ont représenté 10 à 12 % du chiffre d'affaires de la société General Import (cotes 566 et 605), tandis que la sanction ne représente que 1 % de ce même chiffre d'affaires, de sorte qu'il a bien été tenu compte du fait que tous les produits commercialisés par la société General Import n'étaient pas concernés par les pratiques.

115. Le ministre chargé de l'Economie considère que l'Autorité était fondée à identifier un dommage significatif à l'économie.

Sur ce, la cour :

116. La pratique d'octroi de droits exclusifs d'importation au profit d'un importateur-grossiste est objectivement de nature à entraver l'implantation ou le développement d'autres importateurs-grossistes. Relevée sur l'ensemble du territoire des îles de Wallis-et-Futuna, dans le cadre d'un marché étroit, comportant des barrières à l'entrée tenant au caractère très isolé des lieux, cette situation est préjudiciable à l'égard de consommateurs captifs, dont le pouvoir d'achat est beaucoup plus faible qu'en métropole.

117. S'agissant spécifiquement du motif pris de la hausse des prix de gros, et partant, des prix au détail, si l'Autorité n'a procédé à aucune évaluation précise des hausses des prix de gros, et partant, des prix au détail, au moyen d'analyse ou de relevé de prix, il s'infère néanmoins de l'infraction sanctionnée, relative à l'existence de pratiques instaurant des droits exclusifs d'importation, comme des éléments déjà évoqués, tel le courriel du 16 mai 2014 par lequel la société General Import mentionne les barèmes de gros qu'elle transmet à chacun de ses fournisseurs en leur demandant de ne pas les communiquer pour préserver leur confidentialité, que les exclusivités d'importation dont cette société a bénéficié, qui lui ont conféré une position de quasi-monopole, ont nécessairement entravé toute baisse du prix des produits concernés.

118. Est dès lors inopérant le moyen tenant à l'exécution des accords de modération des prix ayant, selon la société ADLP Holding, empêché tout effet inflationniste des pratiques sanctionnées.

119. S'agissant de l'existence d'un circuit court d'approvisionnement, les deux seuls tickets d'achat produits ne peuvent suffire à démontrer l'existence d'un tel circuit ayant permis aux détaillants de s'approvisionner directement auprès de fournisseurs, pendant les périodes où les pratiques ont été retenues.

120. Doit être écarté l'argument tenant au nombre limité de produits concernés par les pratiques prohibées, dès lors qu'aucun des termes de la décision attaquée n'est de nature à laisser penser que l'Autorité a pris en compte des produits autres que ceux visés dans la notification des griefs.

121. S'agissant de l'argument pris de la sensibilité de la demande au regard des prix pratiqués, il n'est pas opérant dès lors que, précisément, les produits concernés sont des produits de première nécessité, rendant peu probable l'hypothèse d'une baisse de la demande en raison des prix élevés.

122. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, tenant à l'entrave au développement d'importateur-grossistes et à tout baisse des prix, que c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que le dommage à l'économie était significatif.

d. Sur le montant de la sanction

123. Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de réformer l'article 2 de la décision attaquée et de réduire le montant de la sanction pécuniaire à la somme de 200 000 euros.

124. La sanction ayant été infligée à la société ADLP Holding en sa qualité de société mère de la société General Import, auteur des pratiques prohibées, sans qu'il lui soit reproché des faits distincts de ceux reprochés à sa fille, la réformation de la sanction prononcée à l'égard de l'une emporte nécessairement et de plein droit, réformation de la sanction prononcée à l'égard de l'autre, en raison de l'indivisibilité du litige.

125. Il y a lieu de rappeler que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en surplus au titre de l'exécution provisoire de la décision attaquée, qui est réformée, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de cet arrêt, avec s'il y a lieu, capitalisation dans les termes de l'article 1154 du Code civil.

IV. SUR LES DÉPENS ET LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES

126. L'équité commande que la société ADLP Holding conserve la charge de ses frais irrépétibles et que chaque partie conserve la charge de ses dépens.

Par ces motifs Déclare recevable le recours formé par la société ADLP Holding ; Rejette le moyen pris de la violation du droit de la société ADLP Holding à un procès équitable ; Rejette les moyens de réformation de l'article 1er de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna de cette décision ; Réforme l'article 2 de cette décision ; Statuant à nouveau : Inflige à la société ADLP Holding, au titre de l'infraction visée à l'article 1er de cette décision, une sanction pécuniaire de 200 000 euros ; Dit qu'en raison de l'indivisibilité du litige, cette réformation profite à la société General Import ; Rappelle que les sommes payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.