CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 février 2020, n° 19-08337
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Radio-taxi Antibes Juan les Pins (GIE)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maîtrepierre
Conseillers :
Mmes Brun-Lallemand, Tréard
Avocats :
Mes Mathieu, Gyucha
Vu la déclaration de recours à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-05 du 28 mars 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins, déposée au greffe de la cour par le GIE Radio taxi Antibes-Juan-les-Pins, le 7 mai 2019 ;
Vu le mémoire déposé au greffe de la cour le 20 mai 2019 par le GIE Radio taxi Antibes-Juan-les-Pins ;
Vu les observations déposées le 22 octobre 2019 par l'Autorité de la concurrence ;
Vu les observations déposées le 22 octobre 2019 par le ministre chargé de l'Economie ;
Vu l'avis du ministère public en date du 8 janvier 2020, communiqué le même jour au requérant, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 9 janvier 2020, en leurs observations orales le conseil du GIE Radio taxi Antibes-Juan-les-Pins, l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'Economie, le requérant ayant été mis en mesure de répliquer ;
FAITS ET PROCÉDURE
1. Une enquête a été réalisée par la brigade inter régionale d'enquête de concurrence de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon et Corse (ci-après la " DIRECCTE ") à la suite d'une plainte déposée par la Fédération des taxis indépendants, mettant en cause notamment le groupement d'intérêt économique Radio-taxi Antibes Juan-les-Pins (ci-après le " GIE "). Ce GIE, créé en 2008, a pour objet, aux termes de l'article 2 de son contrat constitutif, d'une part, de constituer et gérer un central radiotéléphonique de taxis avec numéro d'appel unique, accessible 24h/24 et, d'autre part, de promouvoir l'activité de ses membres auprès du grand public et des professionnels du tourisme d'Antibes Juan-Les-Pins.
La genèse du litige
2. Les pratiques reprochées au GIE dans cette plainte ont concerné les conditions d'admission et d'exclusion de ses membres. Il lui a été notamment reproché les conditions dans lesquelles un membre, M. A., par ailleurs adhérent de la Fédération des taxis indépendants, a été exclu du GIE.
3. M. X est artisan taxi depuis 1er juillet 1997, date à laquelle la mairie d'Antibes lui a délivré une autorisation de stationnement sur la commune (cote 65). A cette date, M. X était membre de l'association Allo Taxis Antibes, à laquelle le GIE a succédé.
4. M. X a en outre obtenu, le 8 avril 2009, l'autorisation préfectorale de transport à but touristique prévue par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs dite loi LOTI. C'est son épouse, en tant que salariée, qui a exercé cette activité annexe, chacun possédant son propre véhicule.
5. Par lettre du 12 mars 2011, le GIE a mis en demeure M. A. de cesser son activité de transport annexe à son activité de taxi, ainsi que la publicité s'y rapportant, sous peine d'exclusion.
6. Par lettre du 26 mars 2011, les membres du GIE ont été convoqués à une assemblée générale extraordinaire (cote 71) dont l'ordre du jour était le suivant :
" La décision à prendre au sujet de l'exclusion du taxi n° 4 [en l'espèce, M. X] pour non-respect de notre règlement et concurrence déloyale " (cotes 122 et 123).
7. Dans le même temps, le 5 avril 2011, M. X a obtenu une immatriculation pour une activité de voiture de tourisme avec chauffeur. Cette activité a été exercée par son épouse en lieu et place de l'activité exercée jusqu'alors dans le cadre de la loi LOTI.
8. A l'issue du vote de l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 28 avril 2011, trente-deux membres du GIE se sont exprimés en faveur de l'exclusion de M. X, deux membres s'y sont opposés tandis que le taxi n° 4 [M. X] n'a pas voté (cotes 122 et 123).
Le secteur d'activité dans lequel s'inscrit le litige
9. L'activité de transport de personnes par route peut être exercée :
Par des conducteurs de taxi ;
Par des conducteurs bénéficiant du statut prévu par la loi LOTI, dits " conducteurs LOTI " par référence à cette loi ;
Ou encore par des conducteurs de voiture de tourisme avec chauffeur, dits " conducteurs de VTC ".
10. Il importe de préciser qu'il est possible de cumuler l'activité de taxi et l'activité de conducteur LOTI sur le fondement de l'article 5 du décret n° 85-891 du 16 août 1985 relatif aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes. Cet article prévoit en effet un régime dérogatoire en faveur des entreprises de taxi qui souhaitent effectuer des services réguliers, ou à la demande, de transport public routier de personnes, au moyen d'un seul véhicule.
11. Le cumul d'une activité de conducteur de VTC et de taxi est également possible depuis l'adoption de la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes, dont l'article 9 a supprimé les dispositions de l'article L. 3121-10 du Code des transports issues de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, qui prévoyaient une incompatibilité entre ces activités.
12. Cette abrogation fait elle-même suite à la décision n° 2015-516 QPC du 15 janvier 2016 du Conseil constitutionnel censurant cette disposition, jugée contraire à la liberté d'entreprendre.
Concernant l'activité de taxi
13. L'activité de taxi est soumise à un encadrement réglementaire strict, fixant des conditions spécifiques liées au véhicule, à l'accès à la profession et à la délivrance des autorisations de stationnement en attente de clientèle, dénommées " ADS ", dont le nombre est fixé par arrêté municipal. Titulaires de cette autorisation, les taxis sont les seuls véhicules légalement autorisés à stationner sur la voie publique et à y prendre en charge des clients, sans réservation préalable, pour un transport particulier de personnes à titre onéreux.
14. Ces éléments sont précisément décrits aux paragraphes 7 à 13 de la décision attaquée auxquels la cour renvoie.
15. La date des faits dénoncés, l'offre de taxis dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins comptait 36 véhicules.
Concernant l'activité de conducteur LOTI
16. Le statut de conducteur LOTI bénéficie aux entreprises proposant des services de transport de personnes en véhicules légers, qui réalisent des services réguliers ou à la demande de transport public, sous couvert d'une convention avec une autorisation d'occupation temporaire, ou des services occasionnels, intégralement ouverts à l'initiative privée.
17. Dans le cadre des services réguliers ou à la demande de transport public, le conducteur LOTI n'est pas tenu de justifier d'une réservation préalable.
18. Les conditions d'accès au statut de conducteur LOTI sont rappelées aux paragraphes 20 à 22 de la décision attaquée auxquels la cour renvoie.
Concernant l'activité de conducteur de VTC
19. En application de l'article L. 231-3 du Code du tourisme, " les voitures de tourisme avec chauffeur ne peuvent ni stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable, ni être louées à la place ".
20. Les spécificités de ces services de transport, l'évolution du cadre législatif applicable et les conditions d'accès à la profession de conducteur de VTC sont indiquées aux paragraphes 23 à 27 de la décision attaquée auxquels la cour renvoie.
Le fonctionnement du GIE mis en cause
21. Le fonctionnement du GIE est essentiellement défini par le contrat constitutif du 23 janvier 2008 (cotes 79 à 104). Il n'est pas contesté que l'article 33 de ce contrat renvoie à un règlement intérieur qui n'a jamais été adopté (cote 141).
22. Ce groupement est doté d'un conseil d'administration composé de quatre à six membres (article 16 du contrat constitutif), qui élit un président. Ces deux entités sont " investi[es] des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom du groupement " (articles 18 et 19 du contrat constitutif).
23. Chacun de ses membres détient une part du capital, attribuée moyennant un apport de 250 euros, et verse mensuellement une contrepartie financière pour couvrir, d'une part, les frais de fonctionnement du central radiotéléphonique (225,76 euros en 2017), d'autre part, des frais ponctuels (opérations de publicité de 50 euros en 2017).
24. À l'époque de sa création, le GIE comptait 36 membres, soit la totalité des taxis de la commune d'Antibes Juan-les-Pins.
Concernant les conditions et modalités d'admission des membres du GIE
25. L'article 12 du contrat, dans sa rédaction du 23 janvier 2008, subordonnait l'admission de nouveaux membres à la réunion des conditions suivantes :
Exercer une activité de taxi ;
Être parrainé par au moins deux membres du groupement ;
Être admis à l'unanimité des membres du groupement lors de l'assemblée générale chargée de statuer, dans les deux mois, sur la demande d'admission ;
Outre, la faculté pour l'assemblée générale de subordonner l'admission au versement d'un droit d'entrée.
26. Il prévoyait également que " toute décision d'admission ou de rejet de candidature est notifiée au postulant par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle est souveraine, sans recours, et n'a pas besoin d'être motivée ".
27. A la suite de l'enquête menée et du rapport administratif déposé, la DIRRECCTE a informé le GIE, par lettre recommandée du 4 juillet 2014 (ci-après la " lettre du 4 juillet 2014 "), de ce qu'il était envisagé de clore la procédure en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-1 à R. 464-9-3 du Code de commerce sur la base d'une proposition de transaction comportant certaines injonctions.
28. Il a ainsi été enjoint au GIE de cesser de mettre en œuvre certaines dispositions jugées anticoncurrentielles et de procéder à la modification de plusieurs articles du contrat constitutif (articles 12, 15-1, 15-2 et 16 du contrat constitutif) dans un délai de deux mois à compter de la décision de transaction (pièce du GIE n° 6).
29. Si la proposition de transaction n'a pas été acceptée par le GIE, en revanche, celui-ci, lors de son assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342), a procédé à la modification des clauses du contrat relatives à l'admission de ses membres afin de répondre aux injonctions formulées dans la lettre du 4 juillet 2014.
30. Ainsi (cote 1080) :
La faculté de prévoir le versement d'un droit d'entrée a été supprimée ;
La décision d'admission ou de rejet de candidature notifiée au postulant doit désormais être motivée ;
La mention selon laquelle le candidat ne dispose d'aucun droit de recours contre cette décision a été supprimée.
Concernant les motifs et modalités d'exclusion des membres du GIE
31. L'article 15. 1 du contrat, dans sa rédaction initiale de 2008, énumérait un certain nombre de motifs d'exclusion, notamment :
" L'adhésion à un groupement ou à une société quelconque dont l'activité serait concurrente de celle du groupement ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens, le tout selon le jugement de l'assemblée " ;
Et " de façon générale, tout motif jugé grave par l'assemblée ".
32. Le 30 juin 2009, le GIE a décidé en assemblée générale extraordinaire d'ajouter aux motifs d'exclusion initialement prévus l'interdiction et l'obligation suivantes (cote 61) :
" Les membres du GIE ne pourront pas demander et exploiter un transport annexe TPRP [Transport Public Routier de Personnes], ainsi que LOTI (loi orientation des transports intérieurs) ; les membres du GIE doivent obligatoirement respecter une période d'inactivité quotidienne de leur autorisation de stationnement de sept heures, si celle-ci est exploitée avec des salariés ou un conjoint collaborateur ".
33. Tenant compte des injonctions mentionnées dans la lettre du 4 juillet 2014, le GIE, lors de son assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342), a procédé à la modification de certaines clauses du contrat concernant l'exclusion de ses membres.
34. Ainsi, le fait d'adhérer à un groupement ou à une société dont l'activité serait concurrente de celle du GIE, ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens, ne constitue plus un motif d'exclusion (article 15-1).
35. La formule selon laquelle " de façon générale, tout motif jugé grave par l'assemblée " peut constituer un motif d'exclusion a également été supprimée (article 15-1).
36. Il a également été décidé lors de cette assemblée " d'annuler les délibérations des précédentes Assemblées Générales relatives à l'interdiction d'exploiter une activité de transport LOTI ou un transport annexe TRPP ".
37. Les membres du GIE peuvent en conséquence exploiter un transport annexe de transporteur public routier de personnes dit " TPRP " ou un transport LOTI, et ne sont plus contraints de respecter une période d'inactivité quotidienne de leur autorisation de stationnement de sept heures.
38. L'article 15-2 du contrat constitutif, qui prévoyait les modalités d'exclusion d'un membre, mentionnait que la décision de l'assemblée relative à l'exclusion d'un membre n'était susceptible d'aucun recours.
39. Le GIE a, sur ce point également, modifié, lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342), la rédaction de son contrat conformément aux injonctions précitées.
40. Il a en conséquence été décidé que la décision de l'assemblée pouvait désormais faire l'objet d'un recours devant la juridiction compétente.
La procédure
41. C'est en cet état que le ministre chargé de l'Economie a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après l'" Autorité "), par lettre du 8 avril 2015, de pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins, sur le fondement de l'article L. 464-9 du Code de commerce.
42. Deux griefs ont été notifiés au GIE le 24 septembre 2018 :
Aux termes du grief n° 1, il lui a été reproché d'avoir inclus, entre 2008 et 2018, au sein de son cadre contractuel, des conditions d'accès au GIE non objectives, non transparentes et discriminatoires, cette pratique ayant eu pour objet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence sur le marché d'exploitation d'une activité de transport de particuliers dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs, et étant prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Aux termes du grief n° 2, il lui a été reproché d'avoir inclus, entre 2008 et 2018, au sein de son cadre contractuel, des motifs d'exclusion du GIE destinés à interdire à ses adhérents le développement d'une activité et d'une clientèle personnelle, et de les avoir mis en œuvre de façon effective en allant jusqu'à l'exclusion d'un de ses membres du GIE et de l'accès au central taxi, cette pratique ayant eu pour objet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence sur le marché d'exploitation d'une activité de transport de particuliers dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs, et étant prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
43. Par application des dispositions de l'article L. 464-5 du Code de commerce, cette affaire a donné lieu à une procédure simplifiée, sans établissement préalable d'un rapport.
44. Par décision n° 19-D-05 du 28 mars 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins (ci-après la " décision attaquée "), l'Autorité a :
Dit établi que le GIE a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (article 1) ;
Infligé au GIE une sanction pécuniaire de 75 000 euros (article 2) ;
Enjoint au GIE de procéder à la publication de la décision selon les prescriptions énoncées à l'article 3 de la décision ;
Enjoint au GIE de supprimer du contrat constitutif en vigueur les conditions d'accès au GIE non objectives, non transparentes et discriminatoires, ainsi que les stipulations limitant l'exercice d'une activité concurrentielle du GIE par ses membres, et assorti cette injonction de l'obligation d'adresser, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de la nouvelle version du contrat constitutif, au plus tard le 28 juin 2019 (article 4).
45. Par son recours, le GIE demande à la cour :
De réformer la décision attaquée ;
Statuant à nouveau, de fixer le quantum de la sanction pécuniaire dans la limite de 10 % du montant du chiffre d'affaires le plus important réalisé par le GIE depuis sa création, soit un montant maximum de 4 447,20 euros, et à titre subsidiaire, de fixer cette sanction à 15 000 euros.
46. L'Autorité, le ministre chargé de l'Economie et le ministère public invitent la cour à rejeter ce recours.
MOTIVATION
I. SUR LE GRIEF N° 1 RELATIF AUX CONDITIONS D'ACCÈS AU GIE
47. Au terme de l'analyse du contrat constitutif du GIE, l'Autorité, dans la décision attaquée, a retenu que l'adhésion au groupement était subordonnée, dès le 23 janvier 2008, date du contrat initial, d'une part, à un parrainage par au moins deux membres du GIE, d'autre part, à un vote à l'unanimité se prononçant en faveur de l'intégration du candidat dans le GIE. A cet égard, elle a estimé que la condition de parrainage par des concurrents directs sur le marché et la nécessité de recueillir un accord unanime de tous les membres du GIE comportaient un risque de discrimination arbitraire entre les candidats. Elle a également relevé qu'entre le 23 janvier 2008 et le 2 septembre 2014, date de modification du contrat constitutif à la suite de l'intervention de la DIRECCTE, l'admission au sein du GIE pouvait en outre être subordonnée au versement d'un droit d'entrée, décidé et fixé discrétionnairement par l'assemblée générale du GIE et qu'aucun recours n'était admis à l'encontre de la décision se prononçant sur une demande d'adhésion. A cet égard, elle a considéré que la possibilité d'appliquer un droit d'entrée, dont le mode de calcul n'était pas fixé dans le contrat constitutif selon des conditions objectives et était laissé à l'appréciation de l'assemblée générale, pouvait être utilisée de façon arbitraire pour faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant sur le marché des taxis dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins. Elle a déduit de l'ensemble de ces éléments que les conditions d'accès au GIE étaient non objectives, non transparentes et discriminatoires, et ce d'autant plus que la décision du GIE en la matière ne pouvait faire l'objet d'aucun recours. Eu égard à la position économique du GIE, qui constitue un intermédiaire essentiel pour accéder à la clientèle, elle a estimé que ces conditions étaient anticoncurrentielles par objet et prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce (décision attaquée, § 117 à 120).
48. Elle a également retenu que cette pratique avait duré du 23 janvier 2008 au 24 septembre 2018, soit 10 ans et 8 mois, nonobstant les modifications contractuelles intervenues le 2 septembre 2014, dans la mesure où ces dernières n'avaient pas permis de rendre les conditions d'accès au GIE totalement objectives, transparentes et non discriminatoires. Elle a relevé à cet égard que les conditions de parrainage et de vote à l'unanimité des membres restaient en cours au jour de la notification des griefs (décision attaquée, § 142 à 145).
49. Le GIE conteste cette analyse. Il fait valoir que toutes les clauses visées dans l'injonction qui lui a été adressée le 4 juillet 2014 ont été supprimées, le contrat constitutif ayant été modifié lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 et régularisé au registre du commerce et des sociétés. Il souligne que le nouveau grief notifié " mettant en cause le parrainage du candidat et le vote unanime requis pour son admission " n'aurait pas manqué d'être supprimé, comme l'ont été ceux visés dans la lettre du 4 juillet 2014, si celle-ci l'avait également mentionné dans ses injonctions. Il ajoute qu'il a néanmoins tenu compte de ce nouveau grief et procédé à la modification du contrat lors de son assemblée générale extraordinaire du 25 avril 2019. Il considère, par suite, que la durée des pratiques retenue est inexacte, dès lors que tous les griefs énoncés en 2014 ont aussitôt été rectifiés.
50. Il ajoute que l'admission d'un nouveau membre n'a jamais posé le moindre problème au sein du GIE, tous les titulaires d'une ADS sur la commune d'Antibes-Juan-les-Pins étant systématiquement devenus membres du GIE. Il en déduit que ces dispositions contractuelles n'ont jamais préjudicié à quiconque.
51. L'Autorité observe que le requérant ne fournit aucun élément permettant de justifier de la fin des pratiques en cause en 2014 et constate qu'il reconnaît au contraire que les clauses illicites étaient encore en vigueur au jour de la notification des griefs du 24 septembre 2018, puisqu'elles n'ont été supprimées que postérieurement par une assemblée du 25 avril 2019.
52. Elle ajoute que l'argument selon lequel la notification de griefs introduirait un nouveau grief n'est pas fondé, dans la mesure où les procédures menées par les services du ministère chargé de l'Economie et par l'Autorité sont distinctes et autonomes. Elle rappelle que si l'acceptation de la transaction proposée éteint toute action devant l'Autorité pour les mêmes faits, en revanche le refus de l'entreprise de transiger conduit le ministre chargé de l'Economie à saisir l'Autorité, laquelle examine alors si les pratiques litigieuses entrent dans le champ des articles L. 420-1 à L. 420-2-2 du Code de commerce en procédant à une nouvelle instruction du dossier. Elle relève que s'il lui est loisible de s'appuyer sur les éléments factuels recueillis par les services d'enquête de la DIRECCTE, elle n'est toutefois liée ni par leur analyse ni par leur qualification. Elle souligne que la saisine de l'Autorité ne porte en effet pas sur des pratiques qualifiées, mais sur les faits commis. Elle rappelle que les clauses relatives aux conditions d'accès étaient anticoncurrentielles par objet et que si certaines ont été modifiées le 2 septembre 2014, ces modifications n'ont néanmoins pas permis de rendre les conditions d'accès au GIE totalement objectives, transparentes et non discriminatoires, dès lors que le parrainage par au moins deux membres du GIE et l'obligation de se prononcer pour l'intégration d'un nouveau candidat à l'unanimité des membres restaient en cours au jour de la notification des griefs. Elle en déduit que la décision attaquée n'a commis aucune erreur en retenant la durée mentionnée dans le premier grief notifié.
53. Elle ajoute que l'éventuelle absence d'effet des pratiques ne leur retire pas leur caractère infractionnel dès lors qu'elles ont un objet anticoncurrentiel.
54. Le ministre chargé de l'Economie partage cette analyse et rappelle que la procédure de l'article L. 464-9 du Code de commerce est une procédure négociée alors que la procédure devant l'Autorité est une procédure contentieuse régie par les articles L. 463 2 et suivants du Code de commerce.
55. Le ministère public s'associe à ces différentes observations.
Sur ce, la cour
56. Saisie des faits portés à sa connaissance par le ministre chargé de l'Economie sur le fondement de l'article L. 464-9 du Code de commerce, à la suite d'un refus de transiger opposé par l'entreprise mise en cause, l'Autorité instruit l'objet de sa saisine en toute indépendance et n'est pas liée par les analyses ou qualifications envisagées au cours de la phase administrative d'enquête.
57. Il s'ensuit que le moyen tiré du fait que les stipulations contractuelles auxquelles renvoie la notification de griefs n° 1 n'avaient donné lieu à aucune injonction du ministre chargé de l'Economie est inopérant.
58. Le GIE indiquant par ailleurs dans ses écritures avoir procédé à la modification des clauses litigieuses lors de son assemblée générale extraordinaire du 25 avril 2019, afin de mettre son contrat en conformité avec les termes du premier grief notifié, il n'est pas davantage fondé à critiquer la décision en ce qu'elle a retenu que les pratiques litigieuses avaient perduré jusqu'au 24 septembre 2018, date de la notification des griefs. Ainsi que la cour l'examinera plus en détail aux paragraphes 119 et suivants du présent arrêt, la pratique n'a donc pas cessé à la suite des modifications apportées au contrat constitutif en 2014.
59. Enfin, l'objet anticoncurrentiel des clauses présentes dans le contrat n'étant pas discuté, le GIE invoque vainement leur absence d'effets.
60. Le moyen est rejeté.
II. SUR LE GRIEF N° 2 RELATIF AUX MOTIFS D'EXCLUSION DU GIE ET LEUR MISE EN œUVRE
61. Le GIE rappelle, préalablement, que le grief n° 2 notifié concerne la stipulation, dans son contrat constitutif, entre 2008 et 2018, de motifs d'exclusion destinés à interdire à ses adhérents le développement d'une activité et d'une clientèle personnelle et de les avoir mis en œuvre de façon effective en allant jusqu'à exclure l'un de ses membres du GIE et par voie de conséquence de l'accès au central taxi.
62. Il rappelle que les conditions et modalités d'exclusion du GIE, prévues aux articles 15 et 16 du contrat constitutif ont été modifiées par les assemblées générales extraordinaires des 30 juin et 2 septembre 2014 et expose, comme il l'a déjà fait concernant le grief n° 1, qu'il a ainsi satisfait aux injonctions formulées par la DIRECCTE le 4 juillet 2014 et que les délibérations des précédentes assemblées générales relatives à l'interdiction d'exploiter une activité de transport LOTI ou un transport annexe TPRP ont été annulées.
63. Il précise également que si l'exclusion de M. X a été votée en assemblée générale, cette décision ne lui a pas été notifiée dans la mesure où l'avocat consulté a dissuadé les dirigeants du GIE de le faire. Il expose que différents éléments confirment cette situation (tours de rôle, extrait Kbis et liasses fiscales du GIE visant M. A., convocation de ce dernier à l'assemblée générale du 2 septembre 2014, absence d'injonction portant sur la réintégration de M. X).
64. Il fait valoir, ensuite, que les droits de la défense et le principe du contradictoire n'ont pas été respectés, dans la mesure où les arguments en réplique à ses observations du 21 novembre 2018 présentés oralement en séance par le rapporteur général adjoint " concernant le fait que le rapporteur n'était pas tenu de viser dans la notification des griefs la lettre d'injonction du 4 juillet 2014 en raison de l'autonomie de la procédure d'injonction antérieure " comme l'analyse virulente à laquelle il a procédé concernant l'exclusion de M. A., n'ont pas été portés préalablement à sa connaissance. Il soutient en particulier que les textes et jurisprudences cités n'ont pas pu être vérifiés avant la séance et considère que les nouveaux arguments, hypothèses émises et accusations tenues à l'endroit des présidents du GIE concernant la véracité de leurs déclarations, ont manifestement eu une influence sur le quantum particulièrement sévère de la sanction prononcée.
65. L'Autorité rappelle que de jurisprudence constante, aucune disposition n'impose que le rapport oral du rapporteur ait préalablement revêtu la forme écrite et ait été communiqué aux parties (Com., 26 novembre 2003, pourvoi n° 00-22.605) et précise, qu'en l'espèce, à la suite de l'intervention du rapporteur et du rapporteur général adjoint, le requérant a été mis en mesure de présenter ses observations, un temps d'intervention de quinze minutes lui ayant été accordé. Elle ajoute que l'intervention des services d'instruction s'est bien limitée aux griefs notifiés sur lesquels les parties ont été mises en mesure de répondre.
66. Le ministre chargé de l'Economie rappelle que la loi n'exige aucune communication aux parties d'un document écrit consignant les observations présentées oralement en séance par les services de l'instruction. Il observe également que le GIE a été destinataire de la notification de griefs et que les services d'instruction se sont appuyés uniquement sur des pièces figurant au dossier et préalablement portées à la connaissance du GIE. Il relève que celui-ci a pu faire valoir oralement ses observations en séance après l'intervention des rapporteurs, comme le montre l'examen du procès-verbal de séance. Il en déduit que le moyen tiré d'une violation du principe du contradictoire ou d'une atteinte aux droits de la défense n'est pas fondé.
67. Il estime par ailleurs que les arguments du GIE sont inopérants et que la décision attaquée a caractérisé une pratique d'entente par objet visant à faire obstacle au libre jeu de la concurrence sur le marché d'exploitation d'une activité de transport de personnes dans la commune d'Antibes - Juan-les-Pins et ses environs.
68. Le ministère public approuve ces analyses.
Sur ce, la cour
69. En premier lieu, sur la procédure, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L. 463-7 du Code de commerce, qui décrit le déroulement des séances de l'Autorité, " le rapporteur général, ou le rapporteur général adjoint désigné par lui et le commissaire du Gouvernement peuvent présenter des observations ".
70. Ainsi que le retient la jurisprudence constante de la Cour de cassation (voir, notamment, Com. 19 janvier 2016, pourvois n° 14-21.670, 14-21.671), aucune disposition n'impose que le rapport oral du rapporteur et celui du rapporteur général aient, préalablement à la séance, revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux parties. Le moyen n'est donc pas fondé.
71. La cour ajoute qu'il n'est pas contesté que le conseil du GIE a disposé de quinze minutes pour répliquer aux observations orales du rapporteur général adjoint concernant l'absence de référence et d'annexion de la lettre du 4 juillet 2014 à la notification des griefs, ainsi que sur la situation d'exclusion de M. A., et il ne résulte ni des éléments de la procédure, ni des termes de la décision attaquée, que l'intervention du rapporteur général adjoint ne s'est pas limitée aux griefs notifiés et aux points en discussion au cours de l'instruction.
72. La cour constate d'ailleurs que le GIE ne fait valoir aucun élément précis sur lequel il n'aurait pas été en mesure de débattre en séance.
73. Aucune atteinte aux droits de la défense n'est ainsi, et en tout état de cause, caractérisée.
74. En second lieu, sur le fond, la cour constate que le GIE ne tire aucune conséquence juridique précise des constats qu'il opère concernant les modifications intervenues à l'issue de l'assemblée du 2 septembre 2014 ou l'absence de notification de la décision d'exclusion de M. X votée lors de l'assemblée générale du 28 avril 2011.
75. A titre surabondant, et dans l'hypothèse où le GIE aurait implicitement entendu contester la durée des pratiques qui sont mentionnées dans le second grief notifié, la cour renvoie aux paragraphes 119 et suivants du présent arrêt concernant la pertinence de la durée retenue.
76. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la demande de réformation de la décision concernant le grief n° 2 doit être rejetée.
III. SUR LA SANCTION
77. La décision attaquée a infligé une sanction de 75 000 euros au GIE pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
78. Après avoir relevé que le GIE ne disposait pas de chiffres d'affaires propre, ni de valeur de ventes, l'Autorité a décidé de ne pas faire application de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, pour y substituer un mode de fixation forfaitaire.
79. Le GIE demande la réformation de la sanction infligée. Il tempère, en premier lieu, la gravité des faits " telle que retenue sur la base des circonstances énoncées aux paragraphes 161 à 166 de la décision attaquée " rappelant, concernant la circonstance que les clauses litigieuses auraient empêché l'essor de nouveaux modes de transport, que depuis le 2 septembre 2014 " soit depuis l'assemblée générale extraordinaire ayant annulé les délibérations des précédentes assemblées générales relatives aux interdiction litigieuses " aucun taxi n'a opté pour une activité complémentaire de LOTI ou de VTC. Il rappelle également que le cumul d'une activité de VTC et de taxi est possible depuis décembre 2016, de sorte que la critique était sans objet entre 2009 et 2014 et qu'en tout état de cause un tel cumul ne présente aucun intérêt pour un exploitant taxi qui dispose déjà des prérogatives du VTC (la réciproque n'étant pas vraie). Il ajoute qu'en dehors de M. X aucun taxi de la commune d'Antibes- Juan-les-Pins n'a exprimé d'intérêt pour l'activité de transport LOTI et que depuis 2014 la question ne pose plus de difficulté.
80. Concernant la circonstance que des pratiques similaires avaient déjà été sanctionnées dans ce secteur par des décisions qui ont, pour certaines, été assorties d'une mesure de publication, il estime que les affaires citées au paragraphe 164 de la décision attaquée ne correspondent pas aux pratiques en cause ou sont bien antérieures à la constitution du GIE.
81. Concernant la durée des pratiques de 10 ans et 8 mois prise en compte, il estime cette appréciation comme manifestement inexacte compte tenu des "régularisations" intervenues à l'occasion de l'assemblée du 2 septembre 2014 précitée.
82. Le GIE conteste, en deuxième lieu, le dommage à l'économie. Il relève tout d'abord que l'Autorité a retenu qu'il disposait d'une organisation solidement implantée qui primait sur les activités individuelles de taxi lorsque, précisément les 36 taxis que compte la commune l'ont créé dans le but d'organiser le central téléphonique et que tous les taxis de la commune figurent dans le " tour de rôle " figurant à l'annexe 27 de la notification de griefs. Il constate ensuite que le dommage à l'économie a été justifié par le fait que l'exclusion de M. X se serait traduite par une diminution substantielle de son chiffre d'affaires alors que ses bilans n'ont jamais été communiqués. Il estime qu'à défaut d'éléments probants, il n'est pas possible de présumer ce dommage sur de simples allégations. Il ajoute que la décision d'interdire une exploitation de LOTI ou de TPRP a été annulée lors de l'assemblée générale de 2014 et qu'aucun taxi n'a manifesté le souhait de créer cette activité complémentaire depuis lors. Il estime enfin qu'il est inexact de soutenir que ce dommage serait d'autant plus important que les pratiques se sont poursuivies sur plus de 10 ans, alors que le seul dommage à l'économie qui est visé par l'Autorité porte sur l'exclusion de l'un des membres du GIE et que les éléments relatifs à ce grief demeurent très limités dans le temps.
83. Le GIE fait valoir, en dernier lieu, concernant sa situation personnelle, qu'il est une entreprise commerciale immatriculée au registre du commerce et des sociétés, disposant d'un chiffre d'affaires autonome, et en déduit qu'en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce le montant maximum de la sanction est de 10 % du montant du chiffre d'affaires H. T. des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre, soit un maximum de 4 447,20 euros. Il conteste le choix de l'Autorité de déterminer le montant de la sanction conformément à la pratique décisionnelle issue de sa décision n° 06-D-30, du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille, consistant à prendre en compte la situation de ses membres lorsque les intérêts objectifs de l'association d'entreprises ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent. Il estime que cette pratique décisionnelle n'est pas transposable dès lors que les griefs étaient dirigés à l'encontre de différents syndicats professionnels ou associations professionnelles et non pas à l'encontre d'une personne morale à vocation commerciale.
84. Subsidiairement, il fait valoir que la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie et la situation du GIE ne justifieraient pas une sanction supérieure à celle qui avait été proposée par la DIRRECTE PACA, à hauteur de 15 000 euros.
85. L'Autorité fait valoir, en premier lieu, le caractère inopérant de l'argumentation, dès lors que la décision attaquée a déjà pris en compte les modifications apportées par le GIE en septembre 2014 (décision attaquée, paragraphe 166) et s'est justement fondée sur les caractéristiques des faits retenus et la nature de l'infraction identifiée pour en apprécier la gravité.
86. Concernant le fait que des pratiques similaires ont déjà donné lieu à sanction, elle renvoie à la lecture des décisions citées dans la décision attaquée, et notamment au paragraphe 198 de la décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010, et fait valoir le caractère non fondé des critiques du GIE.
87. Concernant la durée des pratiques, elle renvoie à ses explications précédentes, estimant qu'aucune erreur dans le calcul de la durée des pratiques n'a été commise, celles-ci s'étant déroulées, pour les deux griefs, entre le 23 janvier 2008 et le 24 septembre 2018, soit 10 ans et 8 mois, et qu'il a été retenu comme facteur d'atténuation de la gravité le fait que le GIE a mis un terme à certaines pratiques à compter du 2 septembre 2014 (§ 166 la décision attaquée).
88. L'Autorité soutient, en deuxième lieu, concernant le dommage à l'économie, que la rationalisation de l'exercice d'une activité par la constitution d'un GIE ne peut justifier l'interdiction ou les contraintes exercées sur une activité complémentaire. Elle constate que le GIE a ici utilisé sa position essentielle de contact avec la clientèle des taxis d'Antibes et ses environs pour empêcher d'autres formes de concurrence de se développer. Elle en déduit que c'est à juste titre qu'il a été retenu au paragraphe 170 de la décision attaquée que la neutralisation de la concurrence a été d'autant plus dommageable que le GIE dispose d'une organisation solidement implantée qui prime sur les activités individuelles des taxis. Elle considère que le dommage causé par les pratiques du GIE à l'économie, qui a consisté en une neutralisation de la concurrence, sur une période longue (10 ans et 8 mois), dans un secteur déjà fortement contraint par la réglementation, et qui a été d'autant plus dommageable que l'adhésion au GIE est une condition essentielle d'accès à la clientèle, a été parfaitement apprécié. Elle ajoute, s'agissant du préjudice financier subi par M. X à la suite de son exclusion de fait du GIE, que ce dernier en a fait mention lors de son audition du 3 octobre 2012 (cote 66), que ses propos ont été confirmés par le président de la Fédération des taxis indépendants (décision attaquée § 171) et que ces déclarations n'ont pas été contestées devant l'Autorité par le GIE, qui n'apporte aucun élément nouveau. En tout état de cause, elle rappelle, comme l'a fait la décision attaquée, que le dommage causé à l'économie ne peut être assimilé au préjudice subi par une partie.
89. L'Autorité fait valoir, enfin, concernant le dernier élément d'individualisation tenant à la situation personnelle du GIE, que la critique manque en droit dès lors qu'il ressort d'une pratique décisionnelle constante que l'importance des sanctions pécuniaires prononcées doit s'apprécier au regard de la situation financière des membres des associations d'entreprises concernées, alors même que les ressources de ces organisations seraient d'un montant faible. Elle invoque sur ce point la décision de la Commission européenne 2003/600/CE du 2 avril 2003 " viande bovine " et considère que cette méthode de calcul de la sanction est transposable au cas présent. Elle estime que la situation financière des membres du GIE a ainsi été justement prise en compte pour déterminer le montant de la sanction infligée, rappelant qu'en tant que de besoin celui-ci peut faire face au paiement de la sanction en procédant à un appel de cotisation exceptionnelle auprès de ses membres, en fonction de leurs capacités financières, comme l'a déjà retenu la cour d'appel (CA de Paris, 29 janvier 2008, UFOP, n° 2007/04524, pages 7 et 8).
90. Concernant le plafond de la sanction encourue, elle rappelle que la différence de traitement entre les entreprises poursuivant un but lucratif et les organismes à but non lucratif a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2015-510 QPC du 7 janvier 2016, point 9) et que la Cour de cassation a également rappelé qu'en se référant à la notion d'entreprise à l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce, le législateur a entendu distinguer les personnes constituées selon l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et les autres contrevenants (Com., 8 février 2017, pourvoi n° 15-15. 005). Elle en déduit que la décision attaquée n'a commis aucune erreur en appliquant au GIE le régime applicable aux entités qui ne sont pas des entreprises, dès lors qu'il résulte de l'article L. 251-1 du Code de commerce qu'un GIE, tout comme une association, ne poursuit pas de but lucratif en lui-même, quand bien même il réalise un chiffre d'affaires.
91. Enfin elle rappelle que le montant de la transaction refusée ne la lie pas, compte tenu de l'indépendance des procédures déjà évoquée et que seul le plafond légal doit être pris en compte.
92. Le ministre chargé de l'Economie souscrit aux différents points de cette analyse, comme le ministère public, et précise, concernant l'appréciation de la gravité des pratiques, que l'association Allo Taxis Antibes, dont le GIE requérant constitue le prolongement, a fait 1'objet d'un avertissement réglementaire en 2006 de la part de la DGCCRF pour des pratiques très similaires à celles qui sont en cause dans la présente procédure, de sorte qu'au-delà même des décisions déjà rendues en la matière, le GIE était pleinement averti du caractère anticoncurrentiel des clauses de son contrat constitutif et a fortiori de leur mise en œuvre. Il précise que son président a d'ailleurs reconnu devant les services d'instruction que la moitié des membres actuels étaient déjà membres de l'association en 2006.
93. Il constate également, concernant le dommage à l'économie, que la décision ne fonde pas son appréciation sur les seules déclarations de M. X mais sur l'ensemble du dossier (décision attaquée § 169) en tenant compte du contexte local et de la longue durée des pratiques relevées sur ce marché.
94. Il ajoute que le fait que le GIE n'ait jamais refusé une adhésion est sans incidence sur l'appréciation de l'importance du dommage à l'économie et qu'il est au surplus inopérant de savoir si les restrictions à l'accès au GIE figurant dans son contrat constitutif ont produit ou non un effet anticoncurrentiel puisque, la décision a retenu, sans être contestée, des pratiques d'entente par objet.
95. Concernant la situation personnelle du GIE, le ministre rappelle que dans le cadre de la procédure négociée de l'article L. 464- 9 du Code de commerce, le montant de la transaction ne pouvait excéder 75 000 euros à l'époque des faits ou 5 % du chiffre d'affaires et que la DGCCRF avait proposé une transaction de 15 000 euros au GIE tenant compte des avantages présentés par un règlement rapide et amiable du dossier. Le ministre rappelle que le GIE a expressément refusé cette proposition et que la décision attaquée est intervenue dans le cadre d'une procédure contentieuse dans laquelle les sanctions encourues sont plus élevées, même si cette affaire a été examinée selon la procédure simplifiée.
96. Estimant que les exigences légales ont été respectées, il conclut au rejet de la demande de réformation.
Sur ce, la cour
97. Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'en application de l'article L. 464-2, I, du Code de commerce, l'Autorité est habilitée à infliger des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
98. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 " Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
99. Ainsi, si toute entité exerçant une activité économique, qui se livre à de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, peut, quelle que soit sa forme juridique, faire l'objet d'une sanction, l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce institue un plafond de sanctions différent selon que l'entité contrevenante est ou non une entreprise, au sens de ce second texte.
100. Dans sa décision n° 2015-510 QPC du 7 janvier 2016, relative à la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, alinéa 4, le Conseil constitutionnel a estimé que " le législateur a, en se référant à la notion d'entreprise, entendu distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives, et ainsi fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire, proportionné au montant du chiffre d'affaires pour celles qui sont constituées selon l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif ".
101. Il a ainsi indiqué que l'entreprise, au sens de l'article L. 464-2, alinéa 4, du Code de commerce, se définit par la poursuite d'un but lucratif.
102. Le sens et la portée de cette distinction ont été rappelés par la Cour de cassation (Com., 8 février 2017, pourvoi n° 15-15.005, Bull. n° 22) dans les termes suivants :
" L'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce institue un plafond de sanctions différent selon que l'entité contrevenante est ou non une entreprise, le législateur ayant ainsi fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire, proportionné au montant du chiffre d'affaires pour celles qui sont constituées selon l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et fixé une somme en valeur absolue pour les autres contrevenants ".
103. Concernant la détermination du montant de la sanction encourue par un GIE, il convient de suivre les enseignements qui précèdent, étant précisé que par l'arrêt du 8 février 2017 précité, la Cour de cassation a rappelé que la sanction applicable à une association, régie par la loi du 1er juillet 1901, était définie par référence au plafond encouru pour les contrevenants qui ne sont pas des entreprises, au sens du quatrième alinéa de ce texte, peu important que cette association réalise un chiffre d'affaires.
104. En l'espèce, aux termes de l'article L. 251-1 du Code de commerce, le but d'un groupement d'intérêt économique " est de faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même ". Ne poursuivant pas de but lucratif propre, le GIE n'est pas fondé à soutenir qu'il relève du régime des entreprises compte tenu de ce qu'il réalise un chiffre d'affaires, cet élément étant inopérant.
105. Il s'ensuit que le plafond de la sanction encourue par le GIE est celui applicable aux entités qui ne sont pas des entreprises au sens de l'article L. 464-2 précité.
106. Par ailleurs, en application de l'article L. 464-5 du Code de commerce " [l]'Autorité, lorsqu'elle statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ".
107. Cette limite est applicable en l'espèce.
108. Concernant la détermination du montant de la sanction infligée au titre des pratiques reprochées à un GIE, le troisième alinéa de l'article L. 464-2 I du Code de commerce prévoit que " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
109. En premier lieu, concernant la gravité des faits, c'est à juste titre que l'Autorité rappelle que cet élément s'apprécie en tenant compte des caractéristiques des faits retenus et de la nature de l'infraction identifiée, élément distinct de leurs effets, réels ou potentiels.
110. Il n'est pas contesté que le GIE est le seul groupement de taxis constitué sur la commune d'Antibes-Juan-les-Pins et qu'il constitue, ainsi, la seule offre de central radiotéléphonique de taxis. Les pratiques d'un GIE qui regroupe l'essentiel de la flotte de taxis en activité sur la commune, visant à gêner le développement d'activités susceptibles de concurrencer les membres du GIE, sont donc graves.
111. A cet égard, les considérations du GIE relatives à l'absence d'intérêt manifesté par les taxis pour le cumul d'activités précitées sont inopérantes. Elles ne peuvent en effet remettre en cause la gravité de pratiques qui intrinsèquement tendent à dissuader les membres du GIE d'exercer une activité concurrente (et plus précisément à se développer et se différencier en termes de variété ou qualité de services en dehors du groupement).
112. Cette gravité ressort, notamment, du libellé de l'article 15. 1 du contrat constitutif, lequel :
Dans sa version initiale du 23 janvier 2008, énumérait des motifs pouvant justifier une exclusion du GIE dont : " l'adhésion à un groupement ou à une société quelconque dont l'activité serait concurrente de celle du groupement ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens " ;
Dans sa version au 30 juin 2009, ajoutait des motifs supplémentaires d'exclusion : l'une visant à interdire expressément le recours à une autre possibilité de modes de transport pourtant autorisés par la loi, en stipulant que " les membres du GIE ne pourront pas demander et exploiter un transport annexe TPRP, ainsi que LOTI " ; la seconde visant à restreindre le recours à un salarié ou un conjoint collaborateur, en imposant que " les membres du GIE doivent obligatoirement respecter une période d'inactivité quotidienne avec des salariés ou un conjoint collaborateur ".
113. De telles clauses, qui ont pour objet de faire obstacle au jeu de la concurrence sont graves par nature, indépendamment de leurs effets réels.
114. La cour ajoute que ces dispositions ont été prévues au contrat constitutif, alors même qu'il était possible de cumuler l'activité de taxi et l'activité de transport public routier de personnes sur le fondement de l'article 5 du décret n° 85-891 du 16 août 1985 déjà cité.
115. Ces éléments rendent inopérants les autres arguments invoqués concernant les modifications législatives relatives au cumul des activités de VTC et de taxi, que la décision attaquée n'a pas ignoré et dont elle fait état au paragraphe 29.
116. L'Autorité était également fondée à relever que des pratiques similaires avaient déjà été sanctionnées dans le même secteur d'activité et avaient donné lieu, pour certaines, à une mesure de publication dans des quotidiens de la région PACA ou des journaux professionnels ainsi qu'il ressort notamment de :
La décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " groupement des Taxis amiénois et de la métropole ", décision qui n'était pas exclusivement relative à une entente horizontale sur les prix et qui a sanctionné les pratiques relatives au fonctionnement de ce GIE " lesquelles visaient à interdire ou à empêcher tout rapport direct et personnel avec une clientèle propre, par un moyen de communication personnel (§ 198 et 208 de cette décision) et ne mettaient pas en œuvre des critères objectifs pour l'admission des membres " le GIE adoptant par ailleurs des décisions de refus sans qu'elles ne soient motivées (§ 187) ;
La décision n° 97-D-54 du 9 juillet 1997 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de l'exploitation de taxis à Toulon, qui a également sanctionné les pratiques relatives au fonctionnement d'un GIE dont certains articles du règlement intérieur avaient notamment pour objet ou pouvaient avoir pour effet de limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par ses membres, notamment en les empêchant de développer une clientèle extérieure au GIE en cause ;
117. La décision n° 97-D-54 précitée a donné lieu à une mesure de publication dans l'édition du journal " Var matin " couvrant le département du Var ainsi que dans " L'artisan du Taxi ", journal national des adhérents de la Fédération nationale des artisans taxis. La décision n° 10-D-15 a également donné lieu à une mesure de publication dans une édition régionale ainsi que dans la même revue professionnelle " L'artisan du Taxi ". Il importe peu, dès lors, que certaines des décisions mentionnées dans la décision attaquée soient antérieures à la constitution du GIE en cause puisqu'elles sont connues des professionnels du secteur ou sont réputées l'être.
118. Il s'ensuit que les pratiques litigieuses n'ont aucun caractère inédit et qu'à la date des faits, la gravité de ce type de pratique résultait d'une jurisprudence ancienne et constante, de sorte que la décision attaquée était fondée à faire état de cette circonstance.
119. En deuxième lieu, concernant la durée des pratiques retenue, de 10 ans et 8 mois, il est constant que les deux griefs déclarés fondés reposent sur des clauses stipulées dans le contrat constitutif du GIE du 23 janvier 2008 et que, jusqu'au 24 septembre 2018, subsistaient :
- comme cela a été retenu au paragraphe 58 du présent arrêt, des clauses ne permettant pas l'accès au GIE dans des conditions totalement objectives, transparentes et non discriminatoires (tenant aux exigences de parrainage er d'unanimité déjà évoquées) (grief n° 1) ;
- et aucun élément n'établit que l'exclusion de fait de M. A., conséquence de la mise en œuvre des clauses litigieuses relatives aux motifs d'exclusion, a cessé à la suite des modifications du contrat constitutif intervenues lors de l'assemblée générale extraordinaire des 30 juin et 2 septembre 2014 (grief n° 2).
120. A cet égard, il est constant qu'une décision d'exclusion de M. A. a été prise lors de l'assemblée générale extraordinaire du 28 avril 2011 (cotes 122 et 123, pièce du GIE n° 4).
121. Bien que cette décision n'ait pas été notifiée à M. A. ni formalisée dans les différents actes juridiques et registres relatifs à la composition du GIE, les auditions des présidents successifs du GIE ont confirmé que depuis sa création, le GIE intégrait l'ensemble des taxis en fonction sur la commune, à l'exception de M. A. qui constituait selon eux le seul cas d'exclusion par application de la nouvelle clause d'exclusion introduite en 2009.
122. Les termes de l'audition du président du GIE en date du 16 octobre 2017 (cote 171) indiquent : " Notre GIE intègre, depuis sa création, l'ensemble des taxis en fonction sur la commune, compris les nouveaux entrants (c'est-à-dire les nouveaux possesseurs d'une ADS, à savoir une autorisation de stationnement, délivrée par la mairie). La seule exception est constituée, encore à l'heure actuelle, par M. [X] (taxi ADS n° 4)" (soulignement ajouté par la cour).
123. Ces propos s'interprètent comme la reconnaissance du caractère effectif de l'exclusion votée en 2011 sur le fondement du contrat constitutif modifié, lequel est corroboré par les autres éléments du dossier décrits dans les développements qui suivent.
124. Par suite, si M. X est resté membre du GIE sur le plan administratif, en l'absence d'accomplissement des formalités requises pour tirer les conséquences juridiques de la résolution adoptée en assemblée générale, continuant notamment de figurer sur les listes et extraits d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés du groupement, le comportement du GIE à son égard confirme qu'en tout état de cause il a bien été l'objet d'une exclusion de fait à l'issue de l'assemblée du 28 avril 2011.
125. Concernant la question du caractère toujours actuel de cette exclusion à la date de notification des griefs, la cour constate que, si par les deuxième et troisième résolutions adoptées en assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 les membres du GIE ont décidé de modifier les articles 12, 15 et 16 du contrat constitutif et " d'annuler les délibérations des précédentes Assemblées Générale relatives à l'interdiction d'exploiter une activité de transport LOTI ou un transport annexe
TRPP " (pièce du GIE n° 8), en revanche ils n'ont fourni aucune indication quant à la portée de cette résolution. Il n'est donc pas possible, à la lecture du procès-verbal des délibérations de cette assemblée, d'établir, comme l'allègue le GIE, que cette troisième résolution s'étend à la décision d'exclusion de M. X, adoptée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 28 avril 2011, qui a été prise " pour non-respect de notre règlement et concurrence déloyale " (pièce du GIE n° 4).
126. En tout état de cause, dans sa note en délibéré transmise à l'Autorité le 20 février 2019 (cote 1237 citée au §137 de la décision attaquée), le GIE a indiqué qu'il ne percevait plus de cotisations de la part de M. X depuis 2012, ce qui tend à démontrer que ce dernier n'a jamais fait l'objet d'une réintégration effective après l'exclusion de fait intervenue en 2011, et ainsi, que cette exclusion de fait du GIE et, par voie de conséquence, du central d'appel, n'avait pas pris fin à la date de notification des griefs.
127. Il est indifférent à cet égard que le GIE n'ait jamais formellement refusé de recevoir les cotisations de M. X dès lors que :
Convoqué à l'assemblée générale extraordinaire du 28 avril 2011 aux fins d'exclusion du GIE, et entendu à cette fin lors de cette assemblée, il était acquis pour M. A. qu'il en avait été exclu à l'issue de celle-ci puisqu'il ne figurait pas " sur la liste du nouveau prestataire pour le central radio " (audition de M. X du 3 octobre 2012, cote 66) et que ;
L'absence de perception de cotisations entre 2012 et 2019, incompatible avec les obligations imposées aux membres du GIE par les articles 11. 2 et 11. 3 du contrat constitutif, notamment celles d' " acquitter les cotisations ou commissions prévues " et " contribuer aux charges de fonctionnement " (pièce du GIE n° 2) ne peut s'expliquer autrement que par le fait que M. X n'a pas fait l'objet d'une réintégration effective.
128. Il résulte de ces éléments que la décision attaquée n'est affectée d'aucune erreur concernant la durée des pratiques retenue, identique pour les deux griefs.
129. L'adoption des clauses litigieuses et leur application par le GIE ont eu pour objet de restreindre l'exercice de la concurrence et ont opéré un verrouillage du marché qui était de nature à dissuader ses membres de chercher à développer la variété et la qualité de leurs services en dehors du groupement, pratiques graves au regard de la spécificité de ce secteur d'activité déjà soumis à des conditions d'accès importantes et au contexte local (le GIE regroupant l'ensemble des taxis et gérant l'unique central radiotéléphonique de la commune d'Antibes-Juan-les-Pins).
130. La décision attaquée ayant justement retenu, comme facteur d'atténuation de la gravité de ces pratiques, le fait que le GIE a mis un terme à certaines d'entre elles à compter du 2 septembre 2014 (§ 166 de la décision attaquée), aucune réformation de la décision n'est justifiée au titre de la gravité des pratiques retenue.
131. En troisième lieu, concernant le dommage causé à l'économie, il convient de rappeler que l'article L. 464-2 du Code de commerce exige, non pas un chiffrage précis de celui-ci, mais seulement une appréciation de son existence et de son importance reposant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier.
132. Il est tout aussi constant que l'appréciation du dommage à l'économie s'apprécie en fonction de l'ensemble des pratiques considérées.
133. Il ressort de la décision attaquée et des développements qui précèdent que la neutralisation de la concurrence exercée par le GIE sur toute la période au cours de laquelle les clauses litigieuses étaient en vigueur, est intervenue dans un secteur d'activité comportant déjà d'importantes barrières à l'entrée, d'ordre administratif et réglementaire, avec un nombre limité d'autorisation de stationnement délivrée par la commune d'Antibes-Juan-les-Pins. Rassemblant l'ensemble des taxis titulaires d'une autorisation de stationnement sur cette commune et disposant du seul central radiotéléphonique permettant de recevoir les réservations de la clientèle, le GIE constitue la seule offre de taxis disponible sur cette ville.
134. A cet égard, l'audition du président du GIE en date du 15 novembre 2012 est particulièrement révélatrice de cette situation de verrouillage : " Notre système est bien organisé. Ainsi pour les hôtels, nous nous sommes débrouillés pour qu'ils n'appellent que le central et pas un taxi en direct " (cotes 73 et 74, dont l'extrait est reproduit dans la notification des griefs § 161)
135. Il s'ensuit que les pratiques reprochées, relatives aux conditions d'accès et d'exclusion de ce GIE, en verrouillant la concurrence dont pouvaient bénéficier les consommateurs, ont été à l'origine d'un dommage à l'économie dont l'existence n'est pas contestable, ainsi que l'a justement retenu la décision attaquée.
136. Il n'est pas davantage contestable qu'en privant M. X de l'accès au central de radiotéléphonie, élément primordial à l'exercice de la profession de taxi sur la commune d'Antibes-Juan-les-Pins, la pratique retenue à l'encontre du GIE a nécessairement eu des conséquences économiques, sans qu'il soit nécessaire de les quantifier précisément.
137. A titre surabondant, sur le plan de l'effet de dissuasion que les pratiques ont eu sur les autres membres du GIE qui auraient souhaité développer leur clientèle personnelle, il y a lieu de constater, comme le fait l'Autorité, que les déclarations de M. X, selon lesquelles trois autres taxis du GIE avaient une autorisation pour une LOTI mais, par crainte, ne l'ont jamais exploitée, n'ont été contestées par le GIE ni dans le cadre du débat contradictoire qui a précédé la séance, ni au moment de la séance et que celui-ci n'apporte devant la cour aucun élément nouveau sur ce point. Or les propos rapportés corroborent également la situation de verrouillage de la concurrence précitée.
138. En quatrième lieu, concernant la prise en compte de la situation de l'entité au titre de l'individualisation de la sanction qui lui est infligée, il est vain de prétendre comme le fait le GIE que la pratique décisionnelle rappelée au paragraphe 179 de la décision attaquée concernerait une situation différente de la sienne. Il est en effet constant, au-delà de l'exemple cité, que lorsqu'il s'agit d'infliger une sanction à une association d'entreprises, dont le chiffre d'affaires propre n'est pas en rapport avec sa taille ou sa puissance sur le marché, il s'avère nécessaire de prendre en compte les chiffres d'affaires des entreprises membres de cette association afin de déterminer une sanction qui soit suffisamment dissuasive.
139. Ce principe, appliqué avec constance en droit interne (en ce sens, outre la décision n° 06-D-30 déjà évoquée, CA Paris 29 janvier 2008, RG n° 2007/04524 et décision n° 10-D-15 précitée), a également été énoncé et explicité par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 décembre 2008, C-101/07 et C-110/07, Coop de France bétail et viande / Commission) qui a précisé que lorsque, comme en l'espèce, les membres de l'entité ont participé activement à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, leurs chiffres d'affaires peuvent être pris en compte même si l'association d'entreprises ne dispose pas de la possibilité d'engager ses membres.
140. Par ailleurs, et ainsi que l'a justement relevé l'Autorité, si les moyens financiers des associations d'entreprises étaient le seul critère d'appréciation de la situation d'un GIE sans que les moyens financiers de leurs membres soient pris en compte, les entreprises envisageant des comportements anticoncurrentiels auraient toujours intérêt à constituer une association d'entreprises pour conclure des accords contraires au droit de la concurrence.
141. La préservation de l'effet utile des règles de concurrence commande en conséquence, lorsque, comme en l'espèce, le chiffre d'affaires propre de l'entité sanctionnée n'est pas en rapport avec sa taille ou sa puissance sur le marché, d'apprécier sa situation en tenant compte de la possibilité pour elle de répercuter le cas échéant le montant de la sanction sur ses adhérents par une cotisation exceptionnelle, dans le respect des capacités financières de ces derniers.
142. Il n'est pas contesté devant la cour que les produits d'exploitation du GIE pour 2017 s'établissaient à 21 341 euros (cet élément étant au demeurant confirmé par le compte de résultat simplifié, annexe 43, cote 410) et qu'en contrepartie du service de central téléphonique et autres services apportés, le GIE a perçu, pour la même année, environ 115 800 euros par an (calcul tiré des indications du président du GIE cote 171, citées au § 176 de la décision attaquée). Il est également constant que le GIE couvrait l'ensemble de l'offre de taxis dans la commune d'Antibes Juan-les-pins, soit 36 véhicules, à la date des pratiques litigieuses.
143. La prise en compte du seul chiffre d'affaires réalisé par le GIE aux fins d'individualisation de la sanction est ainsi manifestement inappropriée au regard des chiffres d'affaires générés par l'activité de l'ensemble de ses membres.
144. Si la cour ne dispose pas des états comptables de l'ensemble des taxis membres du GIE, lui permettant de définir précisément le montant de leurs recettes, un ordre de grandeur se déduit néanmoins des éléments non utilement contestés du dossier, permettant de retenir qu'elles sont nécessairement en rapport avec la valeur assez élevée du prix de cession de la licence et sont, a minima, égales aux recettes générées par le service du central téléphonique (étant observé que ces recettes peuvent être complétées par les courses ne transitant pas par le central).
145. La licence de taxi, sur la commune d'Antibes Juan-les-pins, était cédée moyennant une somme de l'ordre de 200 000 euros (sur la base des déclarations du GIE mentionnées au § 11 de la décision attaquée) et la perte d'accès au service du central téléphonique, pour M. X, a été évaluée, a minima, à une somme d'environ 150 euros par jour sur 5 jours ouvrables par semaine, soit une recette d'environ 3000 euros par mois (audition de la Fédération des taxis indépendants du 14 septembre 2012, cote 40, et notification de griefs page 18). Concernant cette dernière évaluation, la cour relève que ces chiffres - figurant tant dans le rapport administratif de la DIRRECTE joint à la lettre du 4 juillet 2014 que dans la notification des griefs - n'ont pas été contestés par le GIE dans les observations qu'il a transmis en réponse à ces deux documents, et qu'il ne fournit aujourd'hui aucun élément venant contredire leur pertinence.
146. Par suite, le GIE dispose, le cas échéant, de la possibilité de répercuter sur ses adhérents la charge induite par cette sanction au moyen d'une cotisation exceptionnelle n'excédant pas les capacités économiques de ses membres.
147. La cour ajoute également, comme l'a justement fait observer la décision attaquée, qu'aux termes de l'article L. 251-6 du Code de commerce, " [l]es membres du groupement sont tenus des dettes de celui-ci sur leur patrimoine propre ".
148. Par conséquent, la sanction de 75 000 euros infligée au GIE au titre des deux pratiques litigieuses, est proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'entité sanctionnée, sans excéder ce qui s'avère nécessaire pour préserver l'effet utile du droit de la concurrence.
149. Il s'ensuit que les moyens du GIE doivent être rejetés.
150. Le GIE succombant en son recours, il y a lieu de le condamner aux entiers dépens
Par ces motifs Rejette le recours du GIE Radio-taxi Antibes-Juan-les-Pins contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-05 du 28 mars 2019 ; Condamne le GIE Radio-taxi Antibes-Juan-les-Pins aux dépens.