CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 février 2020, n° 17-14071
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Centragroup-Fareva (Sasu)
Défendeur :
Label G2 (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Yozgat, Galland, Guinet-Frappaz
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Centragroup-Fareva est une filiale du groupe Fareva spécialisée dans le conditionnement de produits d'entretien ménager, de cosmétique et de pharmacie.
Elle est chargée de centraliser pour l'ensemble des filiales du groupe, la sélection, le référencement des fournisseurs et les négociations des prix avec eux.
La société Label G2 est une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'étiquettes adhésives en bobine.
Les sociétés Centragroup-Fareva et Label G2 ont signé le 17 février 2005 une convention de courtage prévoyant la facturation de prestations.
Les deux sociétés ont ensuite régularisé un acte sous seing privé dénommé " Conditions Générales d'Achat ", prenant effet à compter du 1er février 2014, qui stipule que les prestations de Centragroup-Fareva donnent lieu à une facturation directe de ces coûts au fournisseur selon un calcul prédéterminé.
Par courriel du 12 juin 2015, la société Label G2 a fait part de la fin de sa collaboration avec le groupe Fareva à compter du 30 septembre 2015.
Le 23 septembre 2015, la société Centragroup-Fareva a mis en demeure la société Label G2 de régler la somme de 32 600,88 euros.
Le 2 novembre 2015, la société Centragroup-Fareva a obtenu du président du tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône de pratiquer une saisie conservatoire à l'encontre de la société Label G2, entre les mains de la société Excelvision, elle-même débitrice de Label G2, pour garantir sa créance.
Par un jugement du 25 octobre 2016, le juge de l'exécution de Villefranche-sur-Sâone a rejeté la demande de mainlevée de la saisie conservatoire introduite par la société Label G2.
Par acte d'huissier de justice du 29 janvier 2016, la société Centragroup-Fareva a assigné la société Label G2 devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 39 714,84 euros TTC en exécution du contrat. La société Label G2 lui a opposé le paiement de commissions sans contrepartie et sollicité le paiement de la somme de 238 448,48 euros en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6 1° du Code de commerce.
Par jugement du 31 mai 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que SAS Centragroup-Fareva a commis une faute au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce en facturant à SAS Label G2 des commissions sans contrepartie réelle, qu'il s'agisse du contrat " Convention de courtage " ou du contrat " conditions particulières d'achat ",
- condamné SAS Centragroup-Fareva à payer à SAS Label G2 la somme de 238 448,46 euros au titre du préjudice subi,
- débouté SAS Centragroup-Fareva de sa demande de condamner SAS Label G2 à lui payer la somme de 39 714,84 euros au titre de ses deux factures impayées,
- débouté SAS Label G2 de ses demandes autres, plus amples ou contraires,
- débouté SAS Centragroup-Fareva de ses demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné SAS Centragroup-Fareva à payer à SAS Label G2 la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir à charge pour Label de fournir une caution bancaire couvrant, en cas d'exigibilité de leur remboursement et jusqu'à leur remboursement effectif, la somme de 238 448,46 euros versée en exécution du présent jugement, outre les intérêts éventuellement courus sur cette somme,
- condamné SAS Centragroup-Fareva aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Par déclaration du 12 juillet 2017, la société Centragroup-Fareva a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 2 octobre 2019, la société Centragroup-Fareva demande à la cour de :
Vu l'article 1134 du Code civil,
Vu l'article 442-6 du Code de commerce,
Vu les articles 1131 et 1134 du Code civil,
Vu les conditions générales et particulières d'achat signées par Label G2 et Centragroup-Fareva,
Vu les pièces versées aux débats,
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 31 mai 2017,
En conséquence,
- condamner la société Label G2 à verser à la Société Centragroup-Fareva une somme de 39 714,84 euros TTC outre intérêts de droit à compter de l'assignation,
- débouter la société Label G2 de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner à lui verser une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 7 octobre 2019, la société Label G2 demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 I du Code de commerce,
Vu l'article 1131 du Code civil dans sa version applicable au présent litige,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
- débouter la société Centragroup-Fareva en son appel ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- dire que la société Centragroup-Fareva a commis une faute à l'égard de la société Label G2 en lui imposant le paiement de commissions sans contrepartie réelle qu'il s'agisse du contrat " convention de courtage " ou du contrat " conditions particulières d'achat ",
En conséquence,
- confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions,
Subsidiairement, pour le cas où la cour de céans ne confirmerait pas le jugement dont appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- dire nulle et de nul effet la convention du 1er février 2014,
- dire nuls et de nul effet les contrats renouvelés sur la base de la convention initiale, dans la limite de la prescription quinquénale, le dernier daté du 17 février 2011,
- débouter la société Centragroup-Fareva de sa demande en paiement,
- condamner la société Centragroup-Fareva à payer à la société Label G2 la somme de 238 448,46 euros en restitution des sommes indûment perçues,
Y ajoutant,
- condamner la société Centragroup-Fareva au paiement d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Centragroup-Fareva aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2019.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les pratiques commerciales abusives de la société Centragroup Fareva alléguées par la société Label G2
La société Centragroup-Fareva fait valoir que :
- les conditions particulières d'achat (CPA) applicables à partir de 2014 liant les deux parties correspondent à une prestation de gestion des opérations d'achat ;
- la mission de Centragroup-Fareva est longuement détaillée dans les conditions particulières d'achat du 1er février 2014 ;
- les factures dont il est réclamé paiement, établies en 2015, portent sur des prestations postérieures à la mise en place des CPA qui ne constituent pas une convention de courtage ;
- sa prestation est rémunérée par sa filiale Excelvision et non par Label G2 puisque cette dernière applique à Excelvision, après détermination de son prix net de vente, un prix brut intégrant le coût des prestations de Centragroup-Fareva ;
- Centragroup-Fareva a le rôle d'une centrale d'achat ;
- la société Label G2 ne démontre pas l'existence d'un préjudice.
La société Label G2 réplique que :
- Postérieurement au rachat d'Excelvision par la société Centragroup-Fareva, celle-ci a soumis le référencement de la société Label G2 auprès de la société Excelvision à la signature le 17 février 2005 d'une convention de courtage prévoyant la facturation de commissions correspondant à la différence entre les prix bruts et les prix négociés ;
- Sous peine de perdre le volume de chiffre d'affaires généré par la société Excelvision, la société Label G2 a accepté de signer ladite convention, après avoir reçu l'assurance d'une augmentation significative des volumes, sans aucun service commercial effectivement rendu, justifiant l'avantage consenti ;
L'article 442-6 I du Code de commerce énonce que : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1°) d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu... "
Une convention de courtage a été signée entre la société Centragroup-Fareva et la société Label G2 le 17 février 2005 prévoyant que la société Centragroup-Fareva qui se présente comme négociant avec les fournisseurs les conditions d'achat de certains produits pour les sociétés du groupe permettait à la société Label G2 de réaliser la vente de ses produits aux sociétés du groupe. En contrepartie, il était prévu que la société Label G2 verse à son cocontractant une commission représentant la différence entre les prix d'achat des filiales (prix bruts) et les prix nets sur les sommes encaissées par le fournisseur.
Après le rachat de la société Excelvision par la société Centragroup-Fareva, celle-ci et la société Label G2 ont signé la convention suivante avec prise d'effet au 1er février 2014 intitulée " conditions particulières d'achat " :
" La société Centragroup-Fareva, dans le cadre de son rôle de service négocie notamment avec les fournisseurs les conditions d'achat de certains produits pour toutes les sociétés du Groupe. Centragroup-Fareva permet ainsi au fournisseur de réaliser la vente de ses produits aux sociétés du Groupe. La gestion des opérations d'achat auprès des fournisseurs par les sociétés du Groupe Fareva qui est assurée par la société Centragroup-Fareva (centrale d'achat) est génératrice de coûts de fonctionnement.
Les prestations de Centragroup-Fareva donneront lieu, en conséquence, à une facturation directe de ces coûts au fournisseur par Centragroup-Fareva, dont le montant sera calculé comme suit : Ecart entre le prix brut et le prix net précisé dans le tableau en annexe, et ce sur les sommes effectivement facturées aux sociétés du Groupe par le Fournisseur.
Le fournisseur et les sociétés filiales du Groupe Fareva prennent acte que les prix des fournitures négociés entre eux prennent en compte les facturations par Centragroup-Fareva au fournisseur. "
La société Centragroup-Fareva expose apporter les avantages et services suivants à la société Label G2 :
- Création d'une liste de fournisseurs préférentiels par catégorie d'achats (ex : Etiquettes, cartons, Ethanol, Silicones) permettant au fournisseur de se positionner ;
- En fonction des besoins du développement, gestion de cette liste de fournisseurs préférentiels avec service R&D. Interface unique et communication plus rapide ;
- Sourcing fournisseur local et international pour les filiales ;
- Sourcing de matières 1res, articles d'emballage et de prestations de services ;
- Responsable pour les Appels d'offres permettant la sélection des fournisseurs ;
- Veille règlementaire conjointement avec le service R&D et les fournisseurs ;
- Négociation de l'offre en accord avec notre cahier des charges et mise en place du contrat de référencement avec le fournisseur ;
- Création des fournisseurs dans notre système d'informations et gestion de ces données ;
- Evaluation des fournisseurs et suivi des Audits.
Cependant, il n'est justifié d'aucune relation entre les cocontractants ni d'aucun des services qu'elle revendique apporter.
Conformément au contrat, elle facture à la société Label G2 des commissions intitulées " conditions particulières d'achat sur les ventes aux sociétés du groupe Fareva pour le... trimestre .... ", sans aucune autre mention.
Il est versé un seul courriel échangé entre la société Centragroup-Fareva et la société Excelvision en date du 22 octobre 2014 relatif à un rouleau d'étiquettes non conformes concernant les relations entre la société Label G2 et la société Excelvision ; cet unique courriel ne peut caractériser des non-conformités réitérées de la société Label G2 et une intervention régulière de la société Centragroup-Fareva en faveur de la société Label G2 qui aurait pu conserver le client Excelvision grâce à la société Centragroup-Fareva.
Par courriel du 12 juin 2015, la société Label G2 a mis fin à ses prestations envers la société Excelvision en dénonçant ses pratiques commerciales et le montant totalement démesuré de la rétro-commission Fareva.
Par courrier du 11 septembre 2015, la société Label G2 indiquait à la société Centragroup-Fareva qu'elle était dans l'impossibilité de régler les deux dernières factures, rappelait qu'en février 2014, elle lui avait imposé des taux de commissions de courtages intenables associés dans le même temps à une impossibilité de produire rentablement. Elle faisait également part que la société Excelvision refusait d'honorer les règlements à échéance au 31 août 2015.
Il résulte des pièces versées aux débats que la société Centragroup-Fareva impose à la société Label G2 de lui verser des commissions sur le chiffre d'affaires réalisé auprès d'elle par sa filiale Excelvision sans que puisse être identifiée la réalité de prestations en contrepartie que ce soit au titre du premier ou du second contrat. Le tribunal de commerce a démontré l'absence de contrepartie à la commission versée.
En agissant ainsi, la société Centragroup-Fareva a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 442-6 I du Code de commerce.
Il en résulte pour la société Label G2 un préjudice puisque son chiffre d'affaires est diminué d'autant et elle a été amenée à rompre les relations commerciales avec la société Excelvision aux motifs qu'elle rencontrait des difficultés financières accentuées par le versement des commissions versées sans contrepartie.
Il résulte d'une attestation du commissaire aux comptes de la société Label G2 corroborée par des extraits du grand livre comptable que du 30 avril 2011 au 30 avril 2015, cette dernière a versé à la société Centragroup-Fareva la somme de 263 762,30 euros de commissions sans contrepartie.
Une facture n'ayant pas été réglée, le montant versé s'élève à la somme de 238 448,46 euros.
En conséquence, il y a lieu de fixer le préjudice subi par la société Label G2 à cette somme.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Centragroup-Fareva à verser cette somme à la société Label G2 à titre de dommages-intérêts.
Sur la demande reconventionnelle de la société Centragroup-Fareva en paiement des factures
La société Centragroup-Fareva sollicite la somme de 39 714,84 euros TTC au titre des factures demeurées impayées. Dès lors qu'il a été retenu que la société Centragroup-Fareva avait engagé sa responsabilité en facturant des commissions ne correspondant à aucune prestation, elle sera déboutée de sa demande en paiement de ce chef, la somme réclamée correspondant au préjudice subi par la société Label G2 résultant de l'exécution d'un contrat ne comportant pour elle aucune contrepartie.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de condamner la société Centragroup-Fareva à verser à la société Label G2 la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; l'appelante sera déboutée de sa demande de ce chef ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Centragroup-Fareva à verser à la société Label G2 la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Centragroup-Fareva aux dépens d'appel.