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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 février 2020, n° 17-12775

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vinadeis Japan (SA)

Défendeur :

Organisation Intra-Groupe des Achats (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Ponelle, Bouzidi-Fabre

T. com. Lille Métropole, du 16 mai 2017

16 mai 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Plaisir Sélection, société de droit allemand, est spécialisée dans la commercialisation et l'exportation de vins, spiritueux et produits alimentaires.

Le 23 juin 2005, elle a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale de la société Auchan Hyper. La dénomination de la société Auchan Japan est alors devenue Plaisir Sélection Japan.

La société Organisation Intra-groupe des achats (ci-après société OIA) est une filiale du groupe Auchan spécialisée dans la négociation, l'import et l'export.

Le 1er juillet 2005, la société Plaisir Sélection Japan a conclu avec la société OIA (département Auchan Export) un accord commercial d'une durée de trois ans pour l'achat de produits alimentaires européens en vue de leur revente au Japon.

Le 1er août 2008, un nouvel accord commercial a été conclu entre la société OIA et la société mère de la société Plaisir Sélection Japan, la société Plaisir Sélection, pour une durée de deux ans expirant le 31 juillet 2010. L'article 5.1 du contrat posait le principe d'un renouvellement du contrat par un accord écrit entre les parties lesquelles devaient se rencontrer au moins six mois avant la fin du contrat pour négocier les conditions de renouvellement.

Par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA, à l'approche du terme de l'accord commercial le 31 juillet 2010, a fait part à la société Plaisir Sélection de son souhait de revoir les conditions commerciales applicables avant son renouvellement.

Les parties se sont réunies à cet effet les 19 février 2010, 27 mai 2010 et 7 juillet 2010.

Faute de trouver un accord sur les conditions de renouvellement du contrat, les parties ont signé le 19 juillet 2010 un avenant prévoyant la prolongation de l'accord commercial jusqu'au 31 août 2010.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 25 août 2010, la société OIA a mis en demeure la société Plaisir Sélection de lui régler une somme de 1 883 632,11 euros au titre de factures échues impayées.

Malgré une dernière réunion du 31 août 2010, aucun accord n'a pu être trouvé sur les conditions de renouvellement du contrat.

La société OIA a cessé toute livraison à la société Plaisir Sélection à compter du 31 août 2010.

PROCÉDURES :

Procédure arbitrale de la société OIA à l'encontre de la société Plaisir Sélection

Le 12 novembre 2010, la société OIA a demandé la constitution d'un tribunal arbitral en application d'une clause compromissoire aux fins d'obtenir paiement de factures impayées par la société Plaisir Sélection. La société Plaisir Sélection Japan est intervenue à cette procédure pour obtenir réparation au titre d'une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. La société Plaisir Sélection a également formulé des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts sur le même fondement.

Le 21 février 2012, le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes reconventionnelles des sociétés Plaisir Sélection et Plaisir Sélection Japan.

Le recours en annulation formé à l'encontre de cette sentence a été rejeté par arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 octobre 2013.

Le 25 juin 2012, le tribunal arbitral a rendu une sentence finale condamnant la société Plaisir Sélection à payer à la société OIA la somme de 2 861 412,15 euros au titre de 216 factures impayées.

Procédure judiciaire de la société Plaisir Sélection à l'encontre de la société OIA

Par exploit d'huissier du 20 septembre 2010, la société Plaisir Sélection a assigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing afin de réclamer l'indemnisation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, invoquant en outre divers manquements contractuels.

Par jugement du 16 février 2012, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé la radiation de l'affaire opposant Plaisir Sélection et la société OIA.

Par jugement du 10 juin 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a constaté la péremption de l'instance.

Par exploit d'huissier du 3 juillet 2014, la société Plaisir Sélection a réassigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Lille Métropole sur les mêmes fondements que ceux initialement invoqués.

Par jugement du 9 juin 2015, le tribunal de commerce de Lille Métropole a déclaré prescrites les demandes de la société Plaisir Sélection au titre des non-conformités, a constaté l'existence d'une relation commerciale établie mais a dit qu'il n'y avait pas eu de rupture brutale et a débouté la société Plaisir Sélection de ses demandes à ce titre.

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 janvier 2019.

La société Plaisir Sélection a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt qui est actuellement pendant devant la Cour de cassation.

Procédure judiciaire de la société Plaisir Sélection Japan à l'encontre de la société OIA

Par exploit d'huissier du 9 mai 2011, la société Plaisir Sélection Japan a assigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing aux fins d'obtenir réparation de son préjudice personnel résultant notamment de la rupture des relations avec la société Plaisir Sélection.

Par jugement en date du 27 septembre 2012, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé la radiation de l'affaire opposant la société Plaisir Sélection Japan à la société OIA.

Par conclusions du 22 octobre 2013, la société Plaisir Sélection Japan a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.

Par jugement du 18 décembre 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a constaté la péremption de l'instance.

Par exploit d'huissier du 4 février 2015, la société Plaisir Sélection Japan a réassigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin de réclamer l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 16 mai 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- constaté l'absence d'autorité de la chose jugée du jugement du (9) juin 2015 du tribunal de commerce de Lille Métropole et dit recevable l'action de la société Plaisir Sélection Japan ;

- débouté la société Plaisir Sélection Japan de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Plaisir Sélection Japan à payer à la société OIA la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Plaisir Sélection Japan aux dépens.

Par déclaration du 26 juin 2017, la société Vinadeis Japan (anciennement dénommée Plaisir Sélection Japan) a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 septembre 2019, la société Vinadeis Japan demande à la cour de :

Vu les articles 1382 ancien du Code civil (1240 du Code civil), L. 420-2 et L. 442-6 anciens du Code de commerce,

- la recevoir en son appel formé à l'encontre du jugement rendu le 16 mai 2017 par le tribunal de commerce de Lille Métropole,

En conséquence,

- réformer le jugement rendu le 16 mai 2017 par le tribunal de commerce de Lille Métropole sauf en ce qu'il l'a déclarée recevable,

- débouter la société OIA de ses demandes, fins et conclusions,

- constater que la société OIA a :

1°) Gravement atteint l'image de sa marque à l'égard de ses clients asiatiques et occasionné des préjudices financiers subséquents en livrant de multiples produits défectueux, non conformes ou impropres à la consommation et en la dénigrant à l'égard de ses partenaires commerciaux et clients,

2°) abusé du lien de dépendance économique existant et commis des manœuvres déloyales et illégales lors du renouvellement des conditions financières contenues dans le contrat commercial conclu le 1er août 2008 avec la société Plaisir Sélection,

3°) rompu brutalement, abusivement et sans préavis les relations commerciales établies avec la société Plaisir Sélection et elle-même,

- constater que de tels manquements ont engagé la responsabilité délictuelle de la société OIA à son égard et lui ont causé un important préjudice qu'il convient de réparer,

En conséquence,

- condamner la société OIA à lui payer la somme totale de 2 737 723,74 euros à titre de dommages et intérêts répartis de la manière suivante :

3 851, 45 euros correspondant à la perte de marge brute sur les commandes passées avant le 1er septembre 2010 mais non livrées à titre de dommages-intérêts pour gains manqués,

61 330,62 euros au titre de la marge brute pendant la durée de préavis raisonnable de deux ans dont elle a été privée et de la perte de chance de trouver un contrat commercial équivalent à celui de 2008,

123 750,00 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance de poursuivre ses relations d'affaires avec le client Yamaya,

175 885,67 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance de poursuivre ses relations d'affaires avec le client Aeon,

2 208 116,00 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l'atteinte à son image et de la perte de clientèle,

164 790,00 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice économique lié à l'utilisation des fonds de retraite de ses salariés,

- condamner la société OIA à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société OIA aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la société Plaisir Sélection Japan invoque un préjudice par ricochet subi du fait des agissements fautifs de la société OIA à l'égard de la société Plaisir Sélection. Elle explique que si le contrat du 1er août 2008 liait sa société mère et la société OIA, elle bénéficiait toutefois de ce contrat puisque la société Plaisir Sélection lui versait une rémunération et notamment une commission de 5 % du montant qu'elle facturait aux clients japonais pour les produits achetés auprès de la société OIA.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 11 septembre 2019, la société OIA demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 17 mai 2017 en ce qu'il a débouté purement et simplement la société Plaisir Sélection Japan de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Plaisir Sélection Japan au paiement de la somme de 20 000 euros supplémentaire en application de l'article 700 du Code de procédure civile avec distraction au profit de Me D. en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 septembre 2019.

MOTIFS

Sur les manœuvres illégales et déloyales de la société OIA commises à l'occasion du renouvellement du contrat commercial du 1er août 2008

A titre liminaire, il sera rappelé qu'un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

A l'appui de sa demande en responsabilité délictuelle à l'encontre de la société OIA, la société Vinadéis se prévaut tout d'abord d'une violation des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Selon cet article, dans sa rédaction applicable au litige, est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Toutefois, à défaut de caractériser l'existence d'une position dominante de la société OIA sur le marché intérieur, la demande d'indemnisation de la société Vinadeis ne peut prospérer sur ce fondement. A cet égard, la société Vinadeis ne peut se contenter d'arguer que " le groupe Auchan est l'une des six enseignes de la grande distribution dans le secteur alimentaire les plus puissantes en France, représentant un chiffre d'affaires hors taxes consolidé - au moment des faits de l'espèce - de 39,7 milliards d'euros en 2009 ".

Ensuite la société Vinadéis invoque les dispositions de l'article L. 442-6 2° et 4° du Code de commerce.

En vertu de ces dispositions dans leur rédaction applicable au litige, " 1°) Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ;

2°) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

(...)

4°) D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ; ".

En premier lieu, il convient de rappeler que l'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective.

L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle.

Il appartient à la société qui se prétend victime d'apporter la preuve du déséquilibre qu'elle subit.

En second lieu, la mise en œuvre du 4°) de l'article susvisé suppose que soient prouvées par la société qui s'en prévaut l'existence de conditions manifestement abusives que le partenaire commercial a obtenues ou tenté d'obtenir.

En l'espèce, la société Vinadéis soutient que la société OIA a essayé d'imposer à sa société mère, la société Plaisir Sélection, de nouvelles conditions commerciales et notamment une augmentation disproportionnée de ses commissions de vente afin d'obtenir soit des conditions abusives, soit un refus de poursuivre le contrat commercial venant en renouvellement le 31 août 2010.

Il ressort des débats et des pièces produites par les parties que :

- le contrat du 1er août 2008, conclu pour une durée déterminée de deux ans, venait à échéance le 31 juillet 2010 ; qu'il avait été stipulé à l'article 5.1 du contrat, qui fait la loi des parties, que son renouvellement nécessiterait un accord exprès écrit des parties, lesquelles devaient, six mois avant son échéance, négocier les conditions de son renouvellement ;

- que par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA a rappelé à la société Plaisir que le contrat arrivait à expiration le 31 juillet 2010 et l'a informée qu'elle entendait en revoir les conditions commerciales ;

- que les parties ont participé à des réunions de négociation qui se sont tenues les 19 février, 27 mai, et 7 juillet 2010 ; que l'encours de la société Plaisir au 7 juillet 2010 s'élevait à 2 215 000 euros dont 1 523 000 euros à plus de 90 jours, étant précisé que le délai de paiement prévu au contrat était fixé à 90 jours ;

- qu'à la suite de la réunion du 7 juillet 2010, la société OIA en a, par courriel, adressé un compte-rendu à la société Plaisir duquel il ressort notamment que les parties s'accordaient sur la nécessité de trouver un accord, le fonctionnement actuel n'étant plus acceptable pour les deux, que la société OIA estimait certaines conditions incontournables au renouvellement du contrat, à savoir principalement la mise en place d'un contrôle qualité au départ des produits, des garanties de paiement et la régularisation de l'encours au 31 août 2010 qui ne devait pas dépasser les 90 jours contractuels, qu'une nouvelle réunion était planifiée au 31 août 2010, la société Plaisir devant alors avoir transmis ses décisions sur le scénario qu'elle préférait retenir et certains éléments concernant notamment les commandes et le sourcing, qu'à cette date, les parties devraient avoir décidé quel scénario serait retenu sans exclure le fait qu'elles pourraient acter l'arrêt pur et simple des relations commerciales, que si un accord sur les points listés était trouvé, la société OIA précisait qu'un nouvel avenant prolongeant le contrat actuel jusqu'au 30 septembre serait signé de façon à travailler sur la version finale du nouveau contrat, que dans le cas contraire, elle indiquait que les relations prendraient fin et qu'aucune nouvelle commande ne serait prise à partir du 1er septembre 2010, qu'un avenant a été conclu le 19 juillet 2010 prolongeant le contrat jusqu'au 31 août 2010,

Que lors de la réunion du 31 août 2010, aucun accord n'a pu être trouvé et que par courriel du même jour intitulé " compte-rendu de la réunion du 31 août 2010 ", la société OIA a écrit : " (la société Plaisir Sélection) a indiqué en début de réunion ne pas avoir finalement de proposition à faire pour servir de base à un nouvel accord. Les deux parties ont donc convenu, conformément au contrat, à l'avenant et aux précédentes réunions, que le contrat et donc les relations commerciales qui en découlent, prenaient fin au 31 août 2010. Elles ont convenu également que les deux points principaux à traiter étaient le paiement de l'encours de Plaisir Sélection auprès de la SNC OIA et le traitement des commandes en cours. SNC OIA a rappelé qu'en cas de non-obtention d'un paiement partiel et de garanties suffisantes (...) et que eu égard aux non-paiements constatés, les effets du principe de l'exception d'inexécution lui permettaient de ne plus livrer à partir du 31 août les commandes passées mais non livrées à cette date. ",

Les relations commerciales ont cessé le 31 août 2010.

Ces éléments manifestent que tant le grief de soumission ou de tentative de soumission au visa de l'article L.442-6, I, 2° que celui d'obtention ou de tentative d'obtention sous la menace visée à l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ne sont pas établis.

En effet, tout d'abord, il ne peut être reproché à la société OIA d'avoir posé comme conditions au renouvellement du contrat la fourniture d'une garantie bancaire et une diminution des encours, lesquels s'élevaient au 7 juillet 2010 à la somme conséquente de 2 215 000 euros dont 1 523 000 euros à plus des 90 jours contractuellement prévus, ainsi que la mise en place d'un contrôle qualité destiné à améliorer la qualité de services chez les clients japonais et à supprimer les non-conformités ; ces conditions ne présentant aucun caractère manifestement abusif.

Ensuite, il est établi que les nouvelles conditions tarifaires demandées par la société OIA, fournisseur de la société Plaisir, correspondaient à un alignement du taux de service ainsi que des conditions de paiement sur ceux de ses autres fournisseurs et qu'elles résultaient d'un défaut de rentabilité de l'activité d'exportation au Japon. Bien que la société Vinadéis conteste cette situation dans ses conclusions, il sera relevé que cet état de fait n'a jamais été démenti par la société Plaisir Sélection au cours des négociations qui ont eu lieu en vue du renouvellement du contrat. Il est en outre démontré que ces négociations sur les conditions du renouvellement du contrat ont été loyales et ont permis à chacune des parties de soutenir son point de vue afin de parvenir à un accord étant observé que la société OIA a accepté de proroger le contrat, venu à expiration le 31 juillet 2010, au 31 août 2010 par avenant du 19 juillet 2010 et envisagé de le proroger de nouveau, à cette date, au 30 septembre 2010, afin de mettre au point la version finale du nouveau contrat, et ce, alors même que la société Plaisir Sélection était débitrice à son égard d'une somme importante. Par ailleurs, la société Vinadéis ne caractérise aucune menace de la part de la société OIA ; le seul fait de rappeler qu'à défaut d'accord, le contrat ne serait pas renouvelé, constituant le simple rappel du terme du contrat et des conditions de son renouvellement.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 2° et 4° du Code de commerce.

Sur la rupture des relations commerciales établies

En application des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce dans leur rédaction applicable au litige, " 1°) Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ".

Par ailleurs, un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice.

En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale entre la société OIA et la société Plaisir Sélection n'est pas discuté.

En revanche, est débattue la brutalité de la rupture étant précisé qu'une telle brutalité se caractérise par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les parties sont tout d'abord en désaccord sur l'ancienneté de la relation ; la société Vinadéis soutenant que les relations ont débuté en 1989, lorsque la société OIA était le fournisseur exclusif de la société Auchan Japan, tandis que la société OIA prétend que les relations ont commencé le 1er août 2008 et, au plus tôt, avec le contrat conclu le 1er juillet 2005.

S'il est constant que la société Plaisir Sélection a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, il a été précisé à l'article 6.6 du contrat de cession du 23 juin 2005 que la réalisation de la cession était conditionnée à la résiliation " du contrat de représentation signé entre la société Auchan Japan et la SNC OIA, et de tout contrat signé avec toute filiale du groupe Auchan. "

Ainsi les parties ont entendu exclure toute continuation des relations antérieures à 2005.

En revanche, les pièces versées aux débats et notamment les documents échangés lors des négociations pour le renouvellement du contrat font remonter les relations commerciales à l'année 2005, ce qui correspond à la conclusion du contrat avec la société Plaisir Sélection Japan le 1er juillet 2005. Les relations commerciales ont donc perduré près de cinq ans.

Ensuite les parties s'opposent sur le point de départ du préavis ; la société Vinadéis prétendant que la date du 31 août 2010 doit être retenue tandis que la société OIA affirme que la lettre du 25 janvier 2010 doit être prise en compte.

Par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA a fait part de sa volonté de voir réexaminer le contrat du 1er août 2008 conformément à l'article 5.1 du contrat. Il sera en effet rappelé que les parties ont fait le choix d'inscrire leur relation commerciale dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de deux ans, venant à expiration le 1er août 2008, et ont subordonné le renouvellement du contrat à un nouvel accord écrit. Il y a lieu de relever sur ce point une modification substantielle par rapport au contrat précédent, qui était renouvelable par tacite reconduction pour une durée de trois ans, dont la société Plaisir Sélection avait nécessairement conscience.

Par sa lettre du 25 janvier 2010, la société OIA a entendu manifester sans équivoque sa décision de ne pas poursuivre les relations dans les conditions antérieures et de négocier de nouvelles conditions commerciales. Cette lettre doit donc être retenue comme point de départ du délai de préavis.

Il sera encore observé que les relations se sont en réalité poursuivies jusqu'au 31 août 2010, après la conclusion d'un avenant le 19 juillet 2010, date à laquelle les parties ont constaté l'impossibilité de parvenir à un nouvel accord commercial. Ainsi le préavis effectivement observé par la société OIA a été de sept mois.

Contrairement à ce que soutient la société Vinadéis, aucune dépendance économique de la société Plaisir Sélection à l'égard de la société OIA n'est caractérisée dès lors qu'il n'existait aucune clause d'exclusivité et que la société Plaisir Sélection pouvait importer d'autres produits.

Or eu égard à l'ancienneté des relations (cinq ans), à la nature de l'activité, au volume d'affaires entre les partenaires (moyenne de 5,6 millions entre 2007 et 2009), à la part de la société OIA dans le chiffre d'affaires de la société Plaisir Sélection (près de 90 % du chiffre d'affaires entre 2007 et 2009) mais à l'absence d'exclusivité et de distribution de produits sous marque distributeur (étant relevé que la société OIA est le fournisseur de la société Plaisir Sélection), le préavis observé permettait à la société Plaisir Sélection de se réorganiser et la société Vinadéis ne peut donc se prévaloir d'aucun fait générateur de responsabilité à son égard.

Au surplus, il convient de souligner qu'à la date de la cessation des relations le 31 août 2010, la société Plaisir Sélection était débitrice d'une somme de 1 883 632,11 euros au titre de factures échues impayées. Contrairement à ce que soutient la société Vinadeis, ce montant considérable d'impayés ne pouvait résulter de la mise en œuvre par la société Plaisir Sélection d'une exception d'inexécution en raison de non-conformités de marchandises alors qu'elle ne démontre pas que les conditions de mise en œuvre d'une telle exception, qui supposait une interdépendance des obligations litigieuses et une proportionnalité de la riposte, étaient réunies. Dès lors, ces manquements contractuels graves de la part de la société Plaisir Sélection permettaient à la société OIA de rompre les relations entretenues sans observer le moindre préavis étant précisé que par une sentence du 25 juin 2012 devenue définitive, le tribunal arbitral a condamné la société Plaisir Sélection à payer à la société OIA la somme de 2 861 412,15 euros au titre de 216 factures impayées.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Vinadéis (anciennement Plaisir Sélection Japan) sur le fondement de l'article L. 442-5° du Code de commerce.

Sur les autres fautes de la société OIA

Sur la livraison de produits non-conformes et défectueux

Selon l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, la société Vinadeis invoque un défaut de conformité ou une défectuosité des marchandises livrées par la société OIA à la société Plaisir Sélection ; ces défauts étant apparents à la livraison, et soutient avoir subi des préjudices du fait de ces inexécutions contractuelles.

Il est constant que la société Vinadéis n'a engagé son action en responsabilité délictuelle à l'encontre de la société OIA au titre de la livraison de produits non-conformes et défectueux que le 4 février 2015.

La société Vinadéis reconnaît dans ses conclusions la prescription à son égard de l'action en responsabilité pour des non-conformités et défectuosités de produits alléguées antérieures au 4 février 2010 mais prétend toutefois pouvoir demander réparation des dommages, résultant de ces non-conformités, dès lors qu'ils ont été subis postérieurement au 4 février 2010.

S'il est exact que la prescription ne peut commencer à courir avant que soient réunies les trois conditions de mise en œuvre de la responsabilité, il n'en demeure pas moins que la société Vinadéis était en mesure de connaître les faits lui permettant d'exercer son action en responsabilité à l'encontre de la société OAI dès le 31 décembre 2009 puisqu'elle reconnaît elle-même dans ses conclusions avoir vu baisser, pour la première fois en 2009, ses ventes de plus de 1,5 millions d'euros, en raison de " l'explosion du nombre de produits défectueux et/ou non conformes livrés par la société OIA ". Cette date doit ainsi être retenue comme point de départ de la prescription à son égard, quand bien même la société Vinadeis prétendrait avoir ignoré ces faits ou ne pas disposer encore de tous les éléments lui permettant d'apprécier son dommage.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a constaté la prescription des demandes de dommages et intérêts de la société Vinadéis résultant de la livraison de produits non-conformes et défectueux de la société OIA à la société Plaisir Sélection.

Sur l'arrêt des livraisons pour les commandes passées avant le 31 août 2010

La société Vinadéis soutient que la société OIA aurait manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de la société Plaisir Sélection en refusant de lui livrer des commandes passées avant le 31 août 2010. Mais la société OIA fait valoir, à juste titre, que compte tenu du montant de l'encours à cette époque, soit 1,8 million d'euros, et l'absence de propositions de sa cocontractante pour offrir des garanties de paiement, elle était fondée à opposer l'exception d'inexécution et à suspendre les livraisons. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la dette considérable de la société Plaisir Sélection ne pouvait se justifier par la mise en œuvre d'une exception d'inexécution.

En conséquence, la société Vinadéis sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée à ce titre.

Sur le dénigrement

La société Vinadéis reproche à la société OIA des faits de dénigrement.

A l'appui de ses dires, elle se prévaut tout d'abord d'une lettre de démission de son directeur commercial, M. Y, en date du 14 octobre 2010, indiquant que : " Par l'intermédiaire de Z, Auchan a engagé un processus de dénigrement auprès de nos principaux clients (notamment Yamaya, mais également Nichimoto), en appelant directement les principaux acheteurs pour leur demander de stopper toute collaboration. Auchan applique également ce procédé auprès de nos principaux partenaires producteurs (Sorevi, Rodet, etc.). Cette situation a bien évidemment de graves conséquences pour le maintien des relations avec nos clients, y compris pour les gammes de produits hors marques Auchan. ".

Toutefois cette lettre n'est corroborée par aucun autre élément de preuve et ne peut donc suffire à établir les faits de dénigrement allégués.

Par ailleurs, la société Vinadeis fait grief à la société OIA d'avoir engagé une procédure pénale à son encontre ayant donné lieu à un non-lieu puis d'avoir introduit une nouvelle plainte pour les mêmes motifs devant le doyen des juges d'instruction.

Toutefois le fait de déposer une plainte pénale ne saurait être constitutif d'un dénigrement dès lors qu'il n'est nullement allégué que la société OIA aurait rendu publiques ces plaintes.

En conséquence, la société Vinadéis sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre des faits de dénigrement.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société Vinadéis (anciennement Plaisir Sélection Japan) aux dépens et à verser à la société OIA la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Vinadéis Japan, qui succombe également en appel, en supportera les dépens, qui pourront être recouvrés par Me D. selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile, et devra verser à la société OIA la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande formée à ce titre étant rejetée.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Déboute la société Vinadéis Japan de sa demande d'indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; Déboute la société Vinadéis Japan de sa demande d'indemnisation au titre d'un arrêt brutal des livraisons au 31 août 2010 ; Déboute la société Vinadéis Japan de sa demande d'indemnisation au titre de faits de dénigrement ; Condamne la société Vinadéis Japan à verser à la société OIA la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Vinadéis Japan de sa demande au titre des frais irrépétibles ; Condamne la société Vinadéis Japan aux dépens de l'instance d'appel qui pourront être recouvrés par Me W selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.