CA Rennes, 3e ch. com., 25 février 2020, n° 17-03287
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chanel (SAS)
Défendeur :
Ouest-SCS (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Sévère, Bensoussan, Briand
Entre 2008 et 2011, Mme X a acheté de nombreux produits cosmétiques de marque Chanel auprès d'une parfumerie de la Roche-sur-Yon, revendeur agréé par le réseau de distribution Chanel.
En 2011, elle a revendu certains de ses produits à la société Ouest-SCS, qui exerce une activité de vente de tous objets d'occasion ou neufs, sous l'enseigne Easy Cash.
Le 30 novembre 2011, la société Chanel a mandaté un huissier pour se rendre au magasin Easy Cash de la Roche-sur-Yon. Cet huissier y a acheté deux produits de maquillage (un rouge à lèvre et une ombre à paupière décellophanés) et un parfum (encore sous cellophane) de la marque Chanel. Les trois produits vendus portaient la mention suivante " Ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel ".
Le 23 décembre 2011, un nouveau procès-verbal de constat a été dressé par un huissier de justice à la demande de la société Chanel. Il a notamment été constaté qu'une dizaine de produits de maquillage et de soins de la marque Chanel étaient exposés à la vente dans le magasin Easy Cash de la Roche-sur-Yon. Soixante-treize produits de marque Chanel ont été placés sous séquestre par l'huissier de justice, qui a acheté deux produits Chanel : un seul était encore sous cellophane. Les deux produits achetés comportaient la même mention " Ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel ".
La société Easy Cash a pu justifier que la majorité des produits avait été acquise auprès de Mme X.
Le 22 février 2012, un huissier de justice mandaté par la société Chanel s'est rendu au domicile de Mme X et a constaté la présence de onze produits Chanel dans la salle de bains, destinés manifestement à son usage personnel. Mme X a remis à l'huissier un listing de ses achats à la parfumerie Douglas de la Roche-sur-Yon, et indiqué les circonstances dans lesquelles elle avait vendu certains d'entre eux à la société Ouest-SCS ;
Par acte du 26 décembre 2012, la société Chanel a assigné Mme X et la société Ouest-SCS aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour Mme X et sur celui de l'usage illicite de marque et parasitisme contre la société Ouest-SCS ;
En raison de la procédure de sauvegarde ouverte au bénéfice de cette dernière, Me Y, en sa qualité de mandataire judiciaire à ladite sauvegarde, a été appelé en intervention forcée.
Par jugement du 9 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Rennes a :
- débouté la société Chanel de toutes ses demandes contre Mme X,
- dit que la société Ouest-SCS a engagé sa responsabilité délictuelle en revendant dans des conditions parasitaires les produits de marque Chanel,
- dit que la société Ouest-SCS a fait un usage illicite des marques dont la société Chanel est titulaire, en proposant à la vente quatre échantillons qui n'avaient pas été placés dans le commerce par la société Chanel,
- fixé au passif de la société Ouest-SCS la créance de la société Chanel à la somme de 500 euros,
- ordonné la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise de la totalité des produits à la société Ouest-SCS,
- débouté la société Chanel de sa demande d'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 6° du Code de commerce,
- débouté la société Chanel de sa demande de publication de la présente décision,
- débouté la société Chanel de sa demande tendant à ce qu'il soit interdit à la société Ouest-SCS de détenir, acheter et vendre des produits de marque Chanel,
- débouté la société Ouest-SCS de ses demandes de dommages et intérêts,
- débouté les sociétés Ouest-SCS et Chanel de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Chanel à verser à Me Z la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991,
- accordé à Me Z le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- condamné la société Ouest-SCS et Me Y ès qualités de mandataire judiciaire, aux dépens.
Appelante de ce jugement, la société Chanel, par conclusions du 26 décembre 2019, a demandé que la cour :
- déboute les parties intimées de leurs prétentions,
- s'agissant des échantillons-produits de démonstration :
- confirme le jugement en ce qu'il a imputé à la société Ouest-SCS un usage illicite la marque et l'infirme sur le préjudice,
- fixe ce préjudice à la somme de 3 000 euros au passif de la société Ouest-SCS,
- infirme le jugement en ce qu'il a mis Mme X hors de cause et la condamne au paiement de la somme de 4,10 euros de dommages et intérêts,
- s'agissant des produits usagés et/ou déconditionnés :
- dise que Mme X et la société Ouest-SCS ont commis un usage illicite de la marque,
- fixe à 35 000 euros au passif de la société Ouest-SCS le préjudice en étant résulté,
- condamne Mme X au paiement d'un euro,
- s'agissant des produits vendus à l'état neuf :
- dise que Mme X a commis une faute en revendant des produits à la société Ouest-SCS pour les voir revendre dans un entrepôt dans des conditions dévalorisantes,
- la condamne en conséquence au paiement de la somme de 1 euro de dommages et intérêts,
- dise que la société Ouest-SCS a commis une faute en revendant ces produits dans un environnement dépréciatif et au mépris de la mention relative au privilège des dépositaires agréés Chanel,
- subsidiairement dise qu'elle a commis un usage illicite de marque,
- fixe au passif de la société Ouest-SCS la somme de 6 000 euros au titre du préjudice en étant résulté,
- s'agissant de tous les produits, confirme le jugement et dise que la société Ouest-SCS a commis des actes de parasitisme, et fixe à 6 000 euros au passif de la société Ouest-SCS le préjudice en étant résulté,
- en conséquence, fixe les sommes suivantes au passif de la société Ouest-SCS :
- 50 000 euros (somme des préjudices cités plus haut),
- 10 000 euros TVA en sus au titre de la publication du jugement à intervenir dans trois journaux au choix de la société Chanel et à ses frais avancés,
- 515,77 euros TTC et 1 058,97 euros TTC correspondant au coût des procès-verbaux de constat établis par la SCP Pignon-Selosse-Etienne les 30 novembre et 23 décembre 2011, soit 1 574,74 euros,
- 15 000 euros HT sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonne la mainlevée du séquestre du 23 décembre 2011 et la remise à la société Chanel de la totalité des produits pour destruction,
- interdise à la société Ouest-SCS de détenir, acheter, vendre des produits de marque Chanel sous astreinte définitive de 300 euros par produit infractionnel à compter de la signification du jugement à intervenir,
- condamne la société Ouest-SCS et Me Y ès qualités aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance,
- interdise à Mme X, sous astreinte définitive de 100 euros par produit infractionnel, de vendre des produits Chanel,
- enjoigne à Mme X de limiter ses achats à une quantité compatible à ses besoins personnels,
- condamne Mme X au paiement de la somme de 450 euros TTC représentant le coût du procès-verbal de constat du 22 février 2012,
- la condamne à payer à la société Chanel la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance,
- réduise à un euro sa demande de frais irrépétibles ou celle de son avocat.
Par conclusions du 31 décembre 2019, la société Ouest-RCS ainsi que la Selarl Pelletier et Associés Mandataires Judiciaires prise en la personne de Me Y, ont demandé que la cour :
- confirme le jugement en ce qu'il a ordonné la mainlevée du séquestre et la remise à la concluante des produits, débouté la société Chanel de sa demande de publication, d'interdiction de toute détention, achat et vente de produits Chanel par la concluante et de sa demande de frais irrépétibles,
- l'infirme en ce qu'il a conclu à l'engagement de sa responsabilité délictuelle pour parasitisme et usage illicite de marque et a fixé à son passif la somme de 500 euros,
- déboute la société Chanel de ses demandes,
- la condamne à leur payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant de la saisie,
- la condamne au paiement de la somme de 30 000 euros à la société Ouest-SCS sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamne au paiement de la somme de 5 000 euros à Me Y ès qualités sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Par conclusions du 9 décembre 2019, Mme X a demandé que la cour :
- lui donne acte de ce qu'elle accepte le désistement d'appel de la société Chanel à son encontre,
- constate en conséquence le désistement d'instance de la société Chanel à l'encontre de Mme X,
- subsidiairement la déboute de toutes ses demandes,
- en toute hypothèse, condamne la société Chanel à payer à Me Z la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991,
- la condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la procédure :
Dans ses conclusions du 18 octobre 2018, la société Chanel a indiqué renoncer à ses prétentions contre Mme X sous la réserve que dans le dispositif de l'arrêt à intervenir il soit donné à acte à Mme X de ce qu'elle a su " tirer les conséquences de cette affaire " et à la condition " que Mme X accepte son désistement sans condition notamment sans condition de paiement quelconque, d'un article 700 du Code de procédure civile, de dépens etc ",
Par conclusions du 9 décembre 2019, Mme X a demandé que la cour :
Lui décerne acte de ce qu'elle accepte le désistement de la société Chanel à son encontre et constate le désistement d'instance de la société Chanel,
Subsidiairement, la déboute de toutes ses demandes contre elle,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Condamne la société Chanel à verser à Me Z la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 et 75 de loi du 10 juillet 1991,
La condamne aux dépens avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance au bénéfice de Me Z.
Dans ses conclusions postérieures, la société Chanel a conclu que Mme X ayant refusé son offre, elle maintenait ses demandes, ce que conteste Mme X, puisqu'elle-même ne bénéficiera pas de la condamnation demandée par son avocat sur le fondement des articles 37 et 75 de l'aide juridictionnelle. Mme X considère donc que le désistement de la société Chanel à son égard est parfait.
La société Chanel ne s'est pas désistée de ses demandes mais a formulé une demande de transaction, soumettant une éventuelle " renonciation " à ses prétentions au maintien dans le dispositif d'une disposition relative à Mme X " de lui donner acte de ce qu'elle a su tirer les conséquences de cette affaire " et à l'absence de toute condamnation formée contre elle au titre des dépens et frais irrépétibles.
Mme X est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.
Son conseil ne peut demander à la société Chanel une quelconque somme sur le fondement des dispositions de l'article 37 de loi du 10 juillet 2011 que pour autant que la société Chanel perde son procès ou soit condamnée aux dépens, et en cas de transaction conclue sous son égide, ne peut réclamer que la rémunération de l'article 39 de loi.
Les termes mêmes des conclusions de la société Chanel témoignent qu'elle ne proposait certainement pas de perdre son procès et refusait d'être condamnée aux dépens.
En d'autres termes, si Mme X, en contrepartie de la proposition faite par la société Chanel, avait accepté de garder à sa charge les dépens de la procédure la concernant et accepté la mention d'une phrase la concernant dans le dispositif, il aurait pu être constaté un accord des volontés pour transiger.
En l'absence de cette acceptation, l'accord n'est pas intervenu, la cour ne peut que constater le maintien des prétentions de la société Chanel à l'égard de Mme X.
Sur les prétentions de la société Chanel :
A titre liminaire, il sera indiqué que ni Mme X ni la société Ouest-SCS ne contestent l'existence et la licéité du réseau sélectif de distribution des produits de la marque Chanel non plus que la titularité de la marque sur les produits ayant fait l'objet des constatations des procès-verbaux des 30 novembre et 23 décembre 2011 et 22 février 2012.
De la même façon, il n'est pas contesté que Mme X ait elle-même acheté les produits Chanel qu'elle a ensuite revendus à la société Ouest-SCS auprès d'un revendeur faisant partie du réseau de distribution sélectif Chanel, ou, s'agissant des échantillons, se les soit fait donner par ce distributeur.
Enfin, la disposition du jugement ayant débouté la société Chanel de ses prétentions sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 6° du Code de commerce ne fait l'objet d'aucune critique et est par conséquent confirmée.
Sur les prétentions relatives aux échantillons de produits :
En vertu des dispositions de l'article L. 713-4 ancien alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son autorisation.
Les constats du 23 décembre 2011 et du 22 février 2012 ont permis d'établir que Mme X avait vendu à la société Ouest-SCS quatre échantillons de produits Chanel ; trois d'entre eux ont été photographiés par l'huissier de justice et portaient la mention " Echantillon gratuit - ne peut être vendu ".
La société Chanel considère que Mme X a commis un usage illicite de la marque au sens des dispositions de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle en revendant des échantillons portant une telle mention, ainsi que la société Ouest-SCS en les mettant en vente. Elle rappelle les dispositions de l'article L. 713-2 du même Code, selon lequel l'usage d'une marque authentique est interdit sans autorisation de son propriétaire.
Les dispositions actuelles des articles L. 173-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle précisent que les droits conférés au titulaire d'une marque sont applicables à sa protection pour un " usage dans la vie des affaires ", ce qui n'est bien évidemment pas le cas d'un consommateur détenant licitement des produits et les revendant d'occasion.
Cette restriction des droits conférés au titulaire d'une marque n'existait pas dans les dispositions des articles L. 173-1 et suivants dans leur version applicable au mois de décembre 2011 mais il s'agit d'une modification à droit constant, la cour de justice de l'Union européenne ayant dit (arrêts du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C-245/02, Rec. p. I-10989, point 62, ainsi que du 18 juin 2009, L'Oréal e.a., C-487/07, Rec. p. I-5185, point 57), que le titulaire de la marque ne peut évoquer son droit exclusif que dans le contexte d'une activité commerciale.
La vente réalisée par Mme X ne s'inscrivant pas dans le contexte d'une activité commerciale de l'intéressée, la société Chanel doit être déboutée de ses prétentions contre elle.
En revanche, s'agissant de la société Ouest-SCS, l'achat et la revente des échantillons s'inscrivaient dans le contexte d'une activité commerciale d'achat et de revente de biens d'occasion.
La société Ouest-SCS considère toutefois que le fait pour un revendeur agréé d'avoir remis des échantillons à Mme X constitue une mise dans le commerce au sens des dispositions précitées et qu'ainsi Mme X puis elle-même étaient libres de les revendre. Elle oppose aussi que Mme X était devenue propriétaire des échantillons et à ce titre libre de les utiliser comme elle l'entendait, aucune clause d'inaliénabilité ne pouvant être opposée aux propriétaires successifs des échantillons.
Cette thèse ne peut être retenue dans la mesure où la mention figurant sur les échantillons " échantillon gratuit-ne peut être vendu " est exclusive d'une mise dans le commerce au sens des dispositions précitées (arrêt CJUE C-324/09 L'Oréal).
Ainsi, le titulaire de la marque, malgré la remise de l'échantillon au consommateur, a conservé les droits qui lui étaient conférés par cette titularité.
Il n'y a ainsi pas eu de transfert de propriété et le titulaire de la marque, qui avait fabriqué et distribué ces échantillons était fondé à les remettre ou les faire remettre à de potentiels clients pour un usage restreint excluant leur revente.
Il s'ensuit que la société Chanel est fondée à imputer à la société Ouest-SCS un usage illicite de sa marque.
Compte tenu du caractère très limité du nombre d'échantillons (4) proposés à la vente par la société Ouest-SCS, la demande d'indemnisation de la société Chanel formée contre la société Ouest-SCS est limitée à 200 euros, et la créance de l'appelante est inscrite à son passif pour ce montant.
Les produits usagés ou dont l'emballage a été ôté :
L'huissier de justice a constaté que la société Ouest-SCS proposait à la vente des produits cosmétiques Chanel dépourvus de leur emballage de cellophane.
Cette constatation pouvait en soi être insuffisante à démontrer que les produits avaient déjà été utilisés puisque la plupart des cosmétiques sont au surplus protégés par un opercule et que le constat n'évoque pas cette question. Toutefois, la société Ouest-SCS ne conteste pas qu'ils aient pu être utilisés pour partie et revendique au contraire le droit, dans le cadre du marché de l'occasion, de vendre des produits cosmétique ou de parfumerie qui auraient déjà pour partie été utilisés.
La société Chanel fonde ses demandes sur les dispositions de l'article L. 713-4 second alinéa du Code de la propriété intellectuelle et subsidiairement, à l'égard de la société Ouest-SCS, sur le discrédit jeté sur ses produits, sur le parasitisme et sur la violation par la société Ouest-SCS d'une obligation générale de prudence, d'information et de mise en garde.
Pour les mêmes motifs que précédemment, la société Chanel doit être déboutée de ses demandes contre Mme X, qui n'a pas revendu les produits litigieux dans le cadre d'une activité économique et à l'égard de laquelle les dispositions de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle sont sans effet.
S'agissant de la société Ouest-SCS, il est constant qu'elle a acquis les produits d'un particulier qui les avait lui-même acquis d'un revendeur agréé, et qu'ainsi ces produits avaient été mis dans le commerce avec l'autorisation du titulaire de la marque.
Il est aussi acquis que les protections conférées par le droit des marques ne doivent pas conduire à interdire le marché légitime des biens d'occasion et que le titulaire de la marque doit pouvoir justifier d'un motif légitime de s'opposer à l'opération économique litigieuse.
A cet égard, les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 713-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoient que malgré une mise dans le commerce licite, faculté reste ouverte au titulaire de la marque de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.
La société Chanel fait valoir que les produits cosmétiques font l'objet d'une double péremption : une péremption objective, dont le point de départ est la date de fabrication, et une péremption qui pourrait être qualifiée de subjective, dont le point de départ est la date d'ouverture du produit, celui-ci s'altérant par contact avec l'air. Elle fait ainsi valoir que les acquéreurs de produits déjà utilisés n'ont aucun moyen de connaître cette dernière date de péremption.
Elle fait ensuite valoir que les cosmétiques sont soumis à des prescriptions sanitaires particulières qui ne permettent pas leur remise dans le commerce une fois qu'ils ont commencé à être utilisés.
S'agissant de parfums et de produits cosmétiques, la cour ne peut effectivement que constater que toute utilisation partielle d'un produit conduit à son altération, laquelle est gravement préjudiciable à l'image de la société Chanel et à l'univers de luxe et de pureté qu'elle véhicule.
Ainsi, la société Chanel, titulaire de la marque, est fondée à s'opposer, sur le fondement des dispositions légales précitées, à tout acte de commercialisation d'un produit cosmétique et de parfumerie dont il ne peut être établi qu'il n'a jamais été utilisé au préalable.
Son action pour usage illicite de marque contre la société Ouest-SCS est ainsi fondée. Le nombre de produits dont la présence a été constatée sans emballage n'a pas été précisé par l'huissier qui a simplement fait le compte de tous les produits de marque Chanel (73). Cette observation conduit à limiter la demande indemnitaire de la société Chanel à la somme de 15 000 euros, qui est donc inscrite au passif de la société Ouest-SCS.
Sur les produits revendus à l'état neuf :
Le constat du 23 décembre 2011 indique que certains produits sont dans leur emballage d'origine mais n'en donne qu'un seul exemple précis : une crème de jour Ultra Correction Lift.
La société Chanel, au visa des dispositions de l'article 1382 du Code civil, considère que leur commercialisation par Mme X et par la société Easy Cash est fautive dans la mesure où il est expressément indiqué sur les emballages que les produits ne peuvent être vendus que par un revendeur agréé Chanel et que la société Ouest-SCS les revend dans des conditions dévalorisantes.
S'agissant de Mme X, une telle analyse ne peut être retenue : les dispositions du droit de la propriété intellectuelle déjà citées lui permettaient de revendre un produit qu'elle avait licitement acquis auprès d'un membre du réseau de distribution sélectif Chanel. La vente n'intervenant pas dans le cadre d'une activité économique, les restrictions et contraintes du réseau ne lui étaient pas opposables.
S'agissant de la société Ouest-SCS, qui a licitement acquis le produit auprès de Mme X, ni les droits conférés au titulaire de la marque ni l'existence d'un réseau de distribution spécifique ne peuvent avoir pour effet de lui interdire de revendre ce produit d'occasion, le marché de l'occasion étant un marché licite et légitime qui ne doit pas être interdit au consommateur.
D'autre part, il ne peut être soutenu que les conditions de vente en aient été dévalorisantes : la société Ouest-SCS est située dans une zone commerciale au sein de laquelle est exploitée une parfumerie Douglas, membre du réseau agréé Chanel, ce qui démontre que l'emplacement n'est pas en soi dévalorisant ; d'autre part, les produits cosmétiques sont présentés sur les étagères d'une armoire vitrée et éclairée, ce qui, s'agissant de produits d'occasion, est un mode de présentation adéquat, y compris pour des cosmétiques de luxe. A cet égard, aucune photo des constats ne vient démontrer que le magasin de la société Ouest-SCS serait rempli de produits mélangés, en vrac, posés par terre etc ; sur ce dernier point, les produits cosmétiques dont l'huissier a constaté qu'ils se trouvaient dans des caisses en plastiques n'étaient pas proposés à la vente mais étaient stockés hors de la vue des clients dans le bureau du dirigeant de la société, qui faisait ainsi office d'entrepôt.
En revanche, pour pouvoir bénéficier de la protection apportée à la revente des produits d'occasion, la société Ouest-SCS se devait de ne pas concurrencer la vente de produits neufs, dont le réseau de distribution sélective a l'exclusivité. Or, tel n'est pas le cas, dans la mesure où l'huissier a constaté le 23 décembre 2011 que la société Ouest-SCS mentionnait sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit à l'état neuf, en faisant explicitement la comparaison entre les deux. La société Ouest-SCS cherchait dès lors à s'approprier non la clientèle spécifique des produits d'occasion mais la clientèle de produits neufs recherchant " la bonne affaire ". Son dirigeant a en outre indiqué renvoyer les clients potentiels à tester les produits chez le revendeur agréé situé dans la même galerie.
Un tel comportement est à l'évidence fautif comme constitutif de parasitisme et d'une atteinte au réseau sélectif de vente, la société Ouest-SCS s'appuyant sur le travail fourni par un membre de ce réseau et donc par la société Chanel pour favoriser ses propres ventes.
Enfin, la société Chanel reproche à la société Ouest-SCS de ne pas justifier de sa source d'approvisionnement sur une vingtaine de produits, le constat portant sur 73 produits et Mme X ayant produit un listing aux termes duquel elle aurait vendu 54 produits Chanel. Toutefois, le faible nombre de produits en cause, dont le constat ne précise pas s'il s'agit de produits usagés ou à l'état neuf, ne permet pas de tirer de conséquences utiles de ces constatations.
Consécutivement, seront retenus des faits de parasitisme et de concurrence déloyale justifiant l'allocation à la société Chanel d'une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts, cette somme étant fixée au passif de la société Ouest-SCS.
Sur le solde des demandes de la société Chanel :
La société Chanel sollicite l'autorisation de faire publier l'arrêt à intervenir dans trois journaux de son choix pour un montant maximal de 10 000 euros hors taxe.
La société Ouest-SCS étant un franchisé exerçant sous l'enseigne Easy Cash dans une petite ville et non le franchiseur lui-même, les publications sont autorisées dans la limite de 6 000 euros TTC.
Ensuite, les motifs qui précèdent justifient que le stock de produit Chanel séquestré lors des constats réalisés en 2011 soit remis à la société Chanel.
Cette dernière est en revanche dépourvue de motif légitime de voir interdire à la société Ouest-SCS de détenir, acheter et vendre des produits d'occasion Chanel, le marché de l'occasion ne pouvant être interdit par le titulaire d'une marque lorsque les produits ont été mis dans le commerce avec son consentement.
S'agissant spécifiquement de la société Ouest-SCS, les dispositions du présent arrêt sont suffisamment claires sur les modalités dans lesquelles éventuellement une telle vente pourrait survenir pour que de nouveaux errements ne soient pas à craindre et la cour n'a pas constaté que l'emplacement et les modalités d'organisation du magasin de la société Easy Cash étaient ipso facto dévalorisants pour l'image de la marque Chanel.
La demande est donc rejetée.
Sur la demande reconventionnelle de la société Ouest-SCS :
Les motifs qui précèdent excluent qu'il puisse être fait droit à sa demande visant à être indemnisée des conséquences de la saisie des produits Chanel effectuée dans son établissement.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société Ouest-SCS, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à la société Chanel la somme de 10 000 euros TTC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, cette somme incluant le coût des constats réalisés par l'appelante.
Pour sa part, la société Chanel, qui perd son procès contre Mme X, paiera à Me Z sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi sur l'aide juridictionnelle la somme de 2 000 euros pour ses émoluments d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, Constate que la société Chanel ne s'est pas désistée de ses demandes contre Mme X. Infirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme de 500 euros la créance de la société Chanel au passif de la société Ouest-SCS, ordonné la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise de la totalité des produits à la société Ouest-SCS, débouté la société Chanel de sa demande de publication. Statuant à nouveau : Fixe la créance de la société Chanel au passif de la société Ouest-SCS à la somme de 20 200 euros. Autorise la publication de l'arrêt dans trois journaux au choix de la société Chanel aux frais de la société Ouest-SCS pour un montant maximal de 6 000 euros TTC, et fixe à hauteur de cette somme la créance de la société Chanel au passif de la débitrice. Ordonne la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise des produits à la société Chanel. Confirme pour le solde le jugement déféré. Rejette le surplus des demandes. Condamne la société Ouest-SCS et Me Y en sa qualité de mandataire judiciaire au paiement des dépens d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance. Condamne la société Ouest-SCS et Me Y ès qualités à payer à la société Chanel la somme de 10 000 euros TTC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette le surplus de la demande. Condamne la société Chanel à payer à Me Z sur le fondement des dispositions des articles 37 et 75 de loi sur l'aide juridictionnelle la somme de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel.