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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 3 mars 2020, n° 18-09051

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aquarelle (SA), Aquarelle.com (SA)

Défendeur :

Société Commerciale et Touristique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Peyron

Conseillers :

Mme Douillet, M. Thomas

Avocats :

Mes Lehman, Autier, Rhilane

TGI Paris, du 12 oct. 2017

12 octobre 2017

EXPOSÉ DES FAITS

La société Aquarelle, créée en 1987, indique avoir pour activité la vente de fleurs, plantes et décoration florale.

Elle est notamment titulaire d'une marque verbale communautaire Aquarelle déposée le 23 octobre 1997 sous le numéro n° 661330 pour les produits et services des classes 31, 35, 41 et 42 d'une marque verbale française Aquarelle enregistrée le 21 février 2002 sous le n° 3149429 pour les classes 35, 38 et 42.

Elle expose avoir ouvert depuis 1997 le site Aquarelle.com afin de vendre des fleurs sur internet.

Par contrat du 1er juillet 2004, elle a consenti à la société Aquarelle.com une licence non exclusive portant sur ces marques pour une exploitation de son site internet destiné à la vente de fleurs et de produits de décoration florale.

La société Commerciale et Touristique (ci-après SCT) indique avoir été créée en 1986, exercer dans le même domaine d'activité de vente de fleurs, et être titulaire du nom de domaine " lebouquetdefleurs.com " depuis 2009 sur lequel elle propose aux consommateurs des bouquets de fleurs à petit prix.

Les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com (ci-après les sociétés Aquarelle) reprochent à la société SCT d'avoir réservé le mot clé " Aquarelle " sur la plateforme GoogleAdwords, afin de créer un risque de confusion entre les sociétés aux yeux des internautes.

Par courrier des 17 décembre 2015 et 7 janvier 2016, le conseil des sociétés Aquarelle a mis en demeure la société SCT de cesser ses agissements, ce que la société SCT a refusé de faire, par courrier du 13 décembre 2016.

Les sociétés Aquarelle déclarent avoir ensuite découvert, le 28 janvier 2016, que la société SCT avait ajouté à l'annonce de son site internet la mention " Site Officiel ", ainsi qu'une rubrique 'Y A X' présentant des bouquets avec du matériel de peinture afin d'améliorer son référencement naturel.

Par acte du 11 mars 2016, elles ont fait assigner la société SCT en contrefaçon, concurrence déloyale et atteinte à la renommée.

Par jugement du 12 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

Débouté la société Aquarelle de sa demande au titre de la contrefaçon de marque condamné la société SCT à payer aux sociétés Aquarelle et Aquarelle.com la somme globale de 10 000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire

Débouté la société SCT de sa demande en procédure abusive condamné la société SCT à payer aux sociétés Aquarelle et Aquarelle.com la somme globale de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamné la société SCT aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Lehman & Associés, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile

Ordonné l'exécution provisoire.

Les sociétés Aquarelle ont fait appel du jugement, par déclaration du 4 mai 2018.

Par conclusions du 4 octobre 2019, les sociétés Aquarelle demandent à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Aquarelle de sa demande au titre de la contrefaçon de marque ;

Confirmer pour le surplus.

En conséquence,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société SCT ; JUGER que la société SCT a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Aquarelle ;

Juger que la société SCT a porté atteinte à la marque de renommée Aquarelle sans " juste motif " ;

Juger que la société SCT a commis d'autres actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés Aquarelle et Aquarelle.com ;

Faire Défense à la société SCT de réserver le mot clé " Aquarelle " dans ses campagnes publicitaires, sous astreinte de 500 € par infraction constatée dans les 5 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Condamner la société SCT à payer à la société Aquarelle une somme de 373 410 € à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon, sauf à parfaire ;

Condamner la société SCT au paiement d'une somme de 10 000 € à la société Aquarelle pour atteinte à sa marque de renommée ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société SCT au paiement d'une somme de 10 000 € à la société Aquarelle.com à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, sauf à parfaire ;

Condamner la société SCT à la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant trente jours consécutifs à compter d'un mois de sa signification, en partie supérieure de la page d'accueil du site http://www. lebouquetdefleurs.com, dans un format correspondant à 1/4 de page, en caractères gras se détachant du fond de la page et d'une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface réservée à cet effet ;

Condamner la société SCT à la publication du dispositif de la décision à intervenir dans cinq journaux, revues ou magazines français, belges ou étrangers au choix des appelantes, et aux frais exclusifs de la société SCT, sans que chaque publication ne puisse excéder une somme de 7 500 € HT ;

Juger que le remboursement de ces frais de publication devra être effectué auprès de la société Aquarelle.com dans un délai de 3 semaines à compter de la réception de la facture par l'intimée, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard et par facture.

Condamner la société SCT à payer aux sociétés Aquarelle et Aquarelle.com la somme de 10 000 Euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais de constats d'huissier, dont distraction au profit de la SCP Lehman & Associés, avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 25 octobre 2019, la société SCT demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com au titre de leurs demandes en contrefaçon de marque et d'atteinte à la marque de renommée ;

L'infirmer pour le surplus.

En Conséquence :

A titre principal :

Juger que les actes relevés au titre de la concurrence déloyale ne sont pas distincts de ceux évoqués au titre de la contrefaçon de marque,

En conséquence,

Débouter les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale comme mal fondées ;

A titre subsidiaire :

Juger que la société SCT n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ;

En conséquence,

Débouter les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com de leurs demandes à ce titre ;

A titre infiniment subsidiaire :

Débouter les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com de leurs demandes indemnitaires pour absence de préjudice et de lien de causalité ;

- Le cas échéant, B le préjudice au titre de la concurrence déloyale à la somme maximale de 5 000 € ;

A titre reconventionnel :

Condamner solidairement les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com au paiement de la somme de 5 000 € pour procédure abusive ;

En tout état de cause :

Condamner solidairement les sociétés Aquarelle et Aquarelle.com au paiement de la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Les Condamner aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 octobre 2019.

MOTIVATION

Sur la contrefaçon par mot clé

Les sociétés Aquarelle soutiennent que l'achat par l'intimée de la marque " Aquarelle " comme mot clé sur la plateforme Google Adwords, pour vendre des produits identiques, constitue une atteinte à la marque. Selon elles, l'annonce commerciale de l'intimée est si neutre et générique que le consommateur d'attention moyenne ne peut savoir si les produits visés par l'annonce proviennent d'une autre entreprise que celle liée à la marque Aquarelle, ce qui est destiné à entretenir la confusion et à faire croire à l'existence d'un lien économique avec la société Aquarelle. Elles avancent que le jugement est contraire à la jurisprudence de la CJUE, l'internaute entrant Aquarelle dans le moteur de recherche déclenchant l'apparition d'une publicité descriptive et générique ne lui permettant pas de savoir si les services proposés correspondent à la société Aquarelle. Elles dénoncent l'utilisation du bandeau " site officiel ", accentuant la confusion des internautes, et font état de clients ayant passé commande sur le site de la société concurrente sans s'apercevoir de leur erreur.

La société SCT déclare n'avoir commis aucun acte illicite en achetant le mot clé Aquarelle pour proposer aux consommateurs une alternative pour la livraison de fleurs sur son site internet sans qu'il y ait aucun risque de confusion au moment de l'affichage avec le titulaire de la marque Aquarelle, l'internaute distinguant bien les deux sites qui n'ont pas de signe distinctif commun. Elle souligne que son annonce n'utilise ni dans son texte ni dans son adresse URL, le terme Aquarelle, et que son site exclut tout risque de confusion avec le site Aquarelle.com. Elle souligne que son nom de domaine lebouquetdefleurs.com existe depuis 2009, fat état des grandes différences entre les sites en cause, conteste avoir " surinvesti " le mot clé Aquarelle, et déclare que la mention 'site officiel' sous l'adresse de son site 'lebouquetdefleurs.com' ne peut modifier la compréhension de l'internaute.

Sur ce

Selon l'article L. 713-2 a) du Code de la propriété intellectuelle, " sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ".

Le droit du titulaire d'une marque enregistrée d'interdire à tout tiers de faire usage, en l'absence de son consentement, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour les produits ou services identiques à ceux pour lesquelles celle-ci est enregistrée " a été octroyé afin de permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de la marque, c'est-à-dire d'assurer que la marque puisse remplir ses fonctions propres. L'exercice de ce droit doit dès lors être réservé aux cas dans lesquels l'usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit. [...] Le titulaire ne pourrait pas interdire l'usage d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée si cet usage ne peut porter préjudice à ses intérêts propres en tant que titulaire de la marque eu égard aux fonctions de celle-ci ". (Arrêt CJUE du 12 novembre 2002, ARSENAL FOOTBALL CLUB, C-206/01).

Dans son arrêt du 23 mars 2010, GOOGLE C/ C J D G, la CJUE a précisé (Affaires C-236/08 à C-238/08) que " le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d'un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers. "

L'atteinte à la fonction d'origine de la marque dépend de la façon dont l'annonce est présentée; elle est caractérisée si l'annonce suggère l'existence d'un lien économique entre le tiers et le titulaire de la marque ou si elle reste à tel point vague sur l'origine des produits ou services en cause, qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial joint, si l'annonceur est un tiers ou s'il est économiquement lié au titulaire de la marque.

En l'espèce, les sociétés Aquarelle reprochent à la société SCT l'utilisation de la marque Aquarelle en mot clé Adwords afin de déclencher l'affichage d'une annonce générique et imprécise pour que les consommateurs ne puissent la distinguer d'une annonce Aquarelle.

Le procès-verbal du 17 décembre 2015, dressé à la demande des sociétés Aquarelle, établit que lorsqu'a été lancée une recherche sur le moteur de recherche Google avec le mot " Aquarelle ", le résultat figurant en première position est un lien intitulé " Z H E lebouquetdefleurs.com " avec l'adresse URL " www. lebouquetdefleurs.com/ ", soit l'adresse du site internet de la société SCT.

Le tribunal a justement observé que si la société SCT a réservé le mot clé Aquarelle pour référencer le site internet qu'elle édite, il est présenté à l'internaute une annonce pour le site " lebouquetdefleurs.com " ne faisant aucun usage du signe " aquerelle ", ni dans l'annonce elle-même, ni dans le lien, ni dans l'adresse URL.

L'annonce en cause utilise des termes courants pour décrire l'activité de livraison de fleurs commandées en ligne, soit " livraison, bouquet, fleurs, fraîches, France... ". Elle affiche expressément le nom du site internet " lebouquetdefleurs.com ", ce qui est de nature à permettre à l'internaute moyen d'être éclairé sur l'identité de ce site.

Si les sociétés Aquarelle soutiennent que le nom de domaine de l'intimée présente un caractère générique de nature à faciliter la confusion, celui-ci a été enregistré en février 2009 par la société SCT, qui indique sans être contredite par les appelantes n'avoir enchéri sur le mot clé " Aquarelle " par le système Adwords qu'en 2015, de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir choisi un nom de domaine volontairement imprécis afin de favoriser cette confusion.

Les captures d'écran effectuées sur ce site internet établissent qu'y figure, en haut de page, en lettres vertes, le logo " lebouquetdefleurs.com ", de nature à le distinguer du site de vente des sociétés Aquarelle.

Elles montrent aussi que l'annonce du site Aquarelle.com figure en 2e position sous l'annonce querellée, ce qui permet encore à l'internaute moyen, qui chercherait à aller sur le site internet Aquarelle.com, de réaliser que le 1er site lebouquetdefleurs.com n'est pas celui qu'il recherche.

L'apparition, dans le titre de l'annonce pour le site de l'intimée, de la mention " site officiel " relevé par le constat d'huissier du 10 février 2016, suit immédiatement le signe " Le Bouquet de Fleurs.com " et précède " Fleur et Chocolat " ; sous cette mention figure encore l'adresse www. lebouquetdefleurs.com, de sorte que l'internaute moyen est ainsi informé sur la provenance du produit, et saura que cette annonce correspond au site 'lebouquetdefleurs.com' et non au site " Aquarelle ".

L'usage de la mention " site officiel ", nullement encadrée, par la société SCT ne peut dès lors tromper l'internaute, ce d'autant qu'il s'agit d'un usage répandu et que le texte même de l'annonce n'est pas de nature à laisser penser qu'il s'agit du site officiel d'Aquarelle, mais l'amènera à penser que lui est présenté le site officiel " lebouquetdefleurs.com ".

Il s'en suit que l'usage par la société SCT du signe Aquarelle comme mot clé dans le système de référencement Adwords, pour faire de la publicité pour des produits et services identiques à ceux pour lesquels la marque Aquarelle est enregistrée, permet à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent de la société Aquarelle, titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à elle ou, au contraire, d'un tiers.

La circonstance que ledit usage conduise certains consommateurs à se détourner des produits ou des services revêtus de ladite marque ne saurait être utilement invoquée par les sociétés Aquarelle, et les quelques courriels provenant de clients indiquant qu'ils se seraient trompés de site sont insuffisants à démontrer que l'usage du terme Aquarelle comme mot clé par la société SCT est de nature à porte atteinte à la fonction d'origine de la marque.

En conséquence, l'usage par la société SCT du mot clé Aquarelle ne porte pas préjudice aux intérêts propres de la société Aquarelle, en tant que titulaire de la marque Aquarelle, eu égard aux fonctions de celle-ci. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la contrefaçon par l'association de la marque Aquarelle aux bouquets de fleurs vendus

Les sociétés Aquarelle reprochent à la société SCT la création sur son site d'une rubrique " Y A X " proposant la vente de bouquets de fleurs avec du matériel de peinture, et d'associer ainsi la marque Aquarelle aux fleurs, soit les produits qu'elle protège. Elles ajoutent que la vente de ce matériel est un prétexte pour contrefaire la marque, ce d'autant que la distribution de produits de peinture n'entre pas dans l'objet social de la société SCT, et que sur le signe Aquarelle est toujours utilisé avec une majuscule sur le site, ce qui révèle un usage de la marque et constitue une contrefaçon.

La société SCT expose avoir associé la vente de peintures et de bouquets sur son site internet sans faire usage du terme Aquarelle à titre de marque, car ce qui est alors associé aux bouquets est le terme générique non protégé désignant les peintures. Elle ajoute que la majuscule A au début du signe est un effet de style de son site, et qu'elle a toujours associé la peinture à la vente de fleurs.

Sur ce

Le procès-verbal du 29 janvier 2016 dressé à la demande de la société Aquarelle, établit que le site répondant à l'adresse URL " www. lebouquetdefleurs.com/ ", soit celui de la société SCT, présentait une rubrique " pack ", et qu'un clic permettait l'apparition de différents onglets " BOUQUET ET CHOCOLAT ", " Y A I ", " Y A F ", " Y A X "; un clic sur ce dernier onglet faisait apparaître du matériel de peinture, des bouquets de fleurs, ou un bouquet de fleurs associé à du matériel de peinture, qui étaient proposés à la vente. Les dénominations de ces packs et articles contenaient, dans leur grande majorité, le terme Aquarelle, avec la lettre A en majuscule.

Si l'intimée relève que la plupart des autres noms communs constituant les dénominations de ces packs sont représentés avec leur première lettre en majuscule, l'utilisation du terme " Aquarelle " avec sa première lettre en majuscule sur le site " lebouquetdefleurs.com " - dont l'objet est la vente de fleurs pour désigner des packs qui contiennent la plupart du temps un bouquet de fleurs, est de nature à créer chez l'internaute une association entre ces packs et la marque Aquarelle déposée notamment pour les produits horticoles, plantes et fleurs naturelles. La vente de matériel de peinture, étrangère à l'activité déclarée de la société SCT, est utilisée pour faire usage du terme Aquarelle dans la commercialisation de fleurs.

Une telle utilisation du terme Aquarelle dans ces conditions constitue un usage de la marque Aquarelle de nature à créer un risque de confusion, dès lors que le terme Aquarelle est alors reproduit pour commercialiser des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement de la marque, et que l'internaute moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, est susceptible de penser que les produits et services ainsi proposés proviennent du titulaire de la marque Aquarelle ou d'une entreprise économiquement liée à celle-ci.

En conséquence, la contrefaçon sera retenue, et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la contrefaçon de la marque Aquarelle par usage dans le Code source du site

Les sociétés Aquarelle reprochent à la société SCT d'avoir reproduit la marque dans le Code source du site lebouquetdefleurs.com, ce qui constitue une contrefaçon au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle.

La société SCT conteste toute contrefaçon dans le Code source du site " lebouquetdefleurs.com " puisque le signe demeure invisible dans le Code source et qu'il n'est pas alors utilisé à titre de marque.

Sur ce

L'utilisation du signe " Aquarelle " correspondant à la marque dans le Code source du site www. lebouquetdefleurs.com n'est pas accessible à l'internaute qui a consulté le moteur de recherche en saisissant la marque ; n'étant pas visible du public, le signe n'est pas utilisé dans le Code source pour désigner des produits et services.

Par conséquent, l'utilisation de la marque Aquarelle reproduite dans le Code source du site ne peut être considérée comme un usage contrefaisant de la marque.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'atteinte portée à la marque de renommée

Les sociétés Aquarelle avancent que la marque Aquarelle est une marque renommée car ancienne, pionnière sur internet, connue sur tout le territoire de la France métropolitaine et remportant un succès commercial, étant la 2e enseigne de vente en ligne de fleurs connue des français. Elles font état d'un sondage attestant de leur notoriété et soutiennent avoir réalisé des investissements publicitaires et promotionnels très importants. Elles soutiennent que le terme " Aquarelle " a bien été utilisé par la société SCT à titre de marque, en vue de bénéficier de la renommée de la marque Aquarelle, ce qui explique que l'intimée l'ait réservé en mot clé et l'ait reproduit dans son annonce et sur son site internet. Elles affirment que l'intention de la société SCT était ainsi de détourner les internautes en utilisant une annonce volontairement générique, afin de tromper leur vigilance.

La société SCT soutient ne pas utiliser le terme " Aquarelle " à titre de marque, de sorte qu'il ne peut y avoir atteinte à la marque renommée " Aquarelle ". Elle ajoute que les sociétés Aquarelle ne démontrent pas la renommée de cette marque, les éléments produits relatifs à la publicité étant insuffisants à eux seuls à satisfaire la condition de renommée auprès d'une partie significative du grand public, et critique la crédibilité du sondage versé par les appelantes.

Elle souligne qu'en outre, à supposer l'usage et la renommée de la marque " Aquarelle " reconnus, les appelantes ne démontrent pas l'atteinte alléguée.

Sur ce

Le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne indique que " le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : [...]

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice ".

Dans son arrêt du 14 septembre 1999 (C-375/97), la CJCE a notamment précisé que

" Le public parmi lequel la marque antérieure doit avoir acquis une renommée est celui concerné par cette marque, c'est-à- dire, en fonction du produit ou du service commercialisé, soit le grand public, soit un public plus spécialisé, par exemple un milieu professionnel donné. ...

Le degré de connaissance requis doit être considéré comme atteint lorsque la marque antérieure est connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. [...]

Dans l'examen de cette condition, le juge national doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir ".

L'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle alors applicable prévoit notamment que

" La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ".

Pour justifier de la notoriété de la marque Aquarelle, les appelantes font état de son ancienneté, du fait qu'elle est connue sur toute la France, et de son succès commercial, produisant pour en justifier une attestation de son expert-comptable relevant un chiffre d'affaires de plus de 24 millions en 2016 et 2017.

Comme le nombre de connexions sur le site internet Aquarelle.com, l'importance des investissements publicitaires des appelantes réalisés sur une chaîne de télévision ne permet pas en soi de démontrer que la marque Aquarelle est connue d'une partie significative du public, et le montant des sommes dépensées à ce titre au cours des années 2010 à 2017 (plus de 21 millions d'euros selon l'expert-comptable) ne peut suffire à établir la notoriété de la marque. La même analyse peut être faire pour les sommes engagées au titre du sponsoring de courses nautiques, qui concerne un public plus étroit que celui visé par l'arrêt précité de la CJUE.

Par ailleurs, si les sociétés appelantes font état d'un nombre important de publicités sous forme d'échanges marchandises et d'un fort volume de publicité sur internet, elles ne fournissent pas de moyen permettant de vérifier l'exactitude de ces données. En outre, les publications dans des revues spécialisées ou de décoration ne peuvent répondre à la notoriété auprès du public précédemment défini.

Les sociétés Aquarelle produisent un sondage (leur pièce 48) réalisé au moment des faits attestant selon elles de la notoriété de la marque Aquarelle, mais la cour observe que ce sondage a pour objectif de suivre l'évolution de la notoriété du site internet Aquarelle.com, ce qui est un objectif différent de la mesure de la notoriété de la marque Aquarelle.

Surtout, il en ressort que la notoriété spontanée du site internet Aquarelle.com (c'est à dire sans que ne soit proposée aux sondés une liste de réponses) est de l'ordre de 5 à 7 %, ce qui ne peut établir la notoriété de la marque éponyme.

Il en est de même de l'étude réalisée en 2018 par l'institut IFOP qui tend aussi à mesurer la notoriété de Aquarelle.com auprès des acheteurs de fleurs sur Internet, le fait que 41 % des personnes qui réalisent des achats sur internet répondent positivement à la question " connaissez-vous le site de vente de fleurs sur internet Aquarelle.com " ne peut suffire à établir la notoriété des marques Aquarelle.

Au vu de ce qui précède, les éléments produits ne permettent pas de retenir que la démonstration de la renommée de la marque Aquarelle, et sa connaissance par une large partie du public concerné, sont établies.

Les sociétés Aquarelle seront donc déboutées de leur demande au titre de l'atteinte à la marque de renommée.

Sur la concurrence déloyale

Les sociétés Aquarelle soutiennent que la vente d'articles de peinture avec des bouquets de fleurs est un prétexte retenu pour utiliser le terme Aquarelle, ainsi que l'a retenu le jugement. Elles ajoutent que la société SCT pratique également une concurrence déloyale lorsqu'elle utilise le terme Aquarelle associé à un bouquet de bonbons, ce qui est un des produits phares du site Aquarelle.com, générant ainsi un risque de confusion.

La société SCT argue que les faits invoqués par les sociétés Aquarelle au titre de la concurrence déloyale sont les mêmes que ceux qu'elles lui reprochent au titre de la contrefaçon, soit la vente d'un bouquet de bonbons et d'articles de peinture. Elle ajoute qu'il ne peut y avoir cumul de demande en contrefaçon et concurrence déloyale que si les faits sont distincts. Elle conteste qu'il puisse y avoir imitation de marque ou de produits dans la mise en vente d'un bouquet de bonbons, faute d'originalité de ce produit. Enfin, elle fait état de la diversité des produits qu'elle propose.

Sur ce

La contrefaçon de marques ayant été retenue pour l'association du terme Aquarelle à des bouquets associant fleurs et matériels de peinture sur le site lebouquetdefleusrs.com, le même fait constitue un acte de la concurrence déloyale à l'égard de la société Aquarelle.com, exploitante du site éponyme.

Par ailleurs, c'est justement que le tribunal a considéré que les faits qui n'ont pas été jugés contrefaisants de la marque pouvaient servir de base à une demande sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, si ces faits sont fautifs et génèrent un préjudice.

En l'espèce, il ressort du procès-verbal du 29 janvier 2016 qu'en effectuant une recherche sur le moteur de recherche Google avec le terme " Aquarelle ", il est proposé un lien avec l'adresse URL www. lebouquetdefleurs.com en premier référencement, et qu'un clic sur l'onglet " pack " permet l'apparition de différents onglets dont " Y A X "; un clic sur un lien intitulé " Duo Sucré Aquarelle " fait apparaître un bouquet composé de feuillage et d'un assortiment de bonbons disposés comme des fleurs, avec des tubes de peinture.

Cela étant, la cour relève que les procès-verbaux produits par les appelantes ne démontrent pas qu'elles proposent à la vente, sur le site Aquarelle.com, des bouquets de bonbons, ce qui ne ressort que de la capture d'écran figurant en page 19 de ses conclusions, sans que les conditions de stabilité de cette image ne puissent être vérifiées.

Par conséquent, ces seules conclusions ne peuvent établir qu'étaient proposés sur le site Aquarelle.com des bouquets de bonbons, soit des produits aussi proposés par le site lebouquetdefleurs.com, ce qui pourrait ainsi générer un risque de confusion.

Il sera au surplus relevé que le jugement avait justement retenu que le bouquet 'bonbon' était largement exploité et ne pouvait être protégé, pour exclure la demande de réparation présentée à ce titre.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la concurrence déloyale, au seul préjudice de la société Aquarelle.com et pour les seuls faits d'utilisation sur le site lebouquetdefleurs.com du terme Aquarelle.

Les autres griefs avancés par les sociétés Aquarelle au titre de la concurrence déloyale ne seront pas retenus.

Sur la réparation du préjudice

Il ressort de ce qui précède que la responsabilité de la société SCT est engagée au titre de la contrefaçon du fait de l'utilisation du terme Aquarelle pour désigner des compositions florales offertes à la vente sur le site " lebouquetdefleurs.com ".

Il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi causé en condamnant la société SCT au versement de la somme de 20 000 euros à ce titre à la société Aquarelle, titulaire des marques.

Ces faits révélant un comportement constitutif de concurrence déloyale au préjudice la société Aquarelle.com, exploitante du site, son préjudice sera réparé par la condamnation de la société

SCT à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il ne sera pas fait droit à la demande de publication présentée par les sociétés Aquarelle.

Sur les autres demandes

La décision de 1re instance, qui a débouté la société SCT de sa demande au titre de la procédure abusive, sera confirmée. Il en sera de même des condamnations au paiement des dépens et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, prononcées en 1re instance.

La société SCT succombant partiellement devant la cour, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, ainsi qu'au versement d'une nouvelle somme de 6 000 euros aux sociétés Aquarelle sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Aquarelle de l'ensemble de leurs demandes au titre de la contrefaçon, et retenu le grief de concurrence déloyale et parasitaire au profit de la société Aquarelle, L'infirme partiellement sur la contrefaçon et la concurrence déloyale et parasitaire, Dit qu'en utilisant le signe Aquarelle sur son site internet en l'associant aux bouquets de fleurs vendus, la société SCT a commis un acte de contrefaçon au préjudice de la société Aquarelle, titulaire des marques, Dit que cette utilisation du signe Aquarelle constitue un acte de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la société Aquarelle.com, exploitante du site internet Aquarelle, Condamne la société SCT à verser la somme de 20.000 euros à la société Aquarelle, en réparation du préjudice lié à l'atteinte à ses marques, Condamne la société SCT à verser la somme de 5 000 euros à la société Aquarelle.com, en réparation de son préjudice, Rejette toute autre demande, Ajoutant, Condamne la société SCT à payer aux sociétés Aquarelle et Aquarelle.com la somme globale de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société SCT aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Lehman & Associés, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.