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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 28 février 2020, n° 16-08205

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseiller :

M. Pothier

CA Rennes n° 16-08205

28 février 2020

EXPOSE DU LITIGE :

Le 23 juillet 2011, M. X a vendu à M. Y un bateau semi-rigide à moteur Yamaha ainsi qu'une remorque et ses différents équipements pour la somme de 17 000 euros. Peu de temps après la vente, M. Y a constaté des désordres sur les boudins semi-rigides du bateau. Le 18 août 2011, à sa demande, un huissier de justice a établi un constat aux termes duquel il a notamment indiqué que la partie supérieure des boudins était poisseuse et collante et que cet aspect collant subsistait sur les mains après passage sur les boudins.

M. Y après avoir tenté par l'intermédiaire de son conseil d'obtenir auprès du vendeur l'annulation de la vente et la restitution du prix a saisi le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire. Par ordonnance en date du 10 mai 2012, un expert a été désigné aux fins de procéder à l'examen du bateau. Cet expert a déposé son rapport le 17 septembre 2013. Il a conclu à la nécessité de remplacer les flotteurs et a chiffré les travaux de réparation à la somme totale de 9 139,32 euros.

Par acte d'huissier en date des 19 juin et 22 août 2014, M. Y a assigné M. X devant le tribunal de grande instance de Vannes en garantie des vices cachés.

Par jugement en date du 20 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Vannes a :

- dit que le navire était atteint d'un vice caché lors de son acquisition par M. Y,

- prononcé la résolution de la vente,

- condamné X à rembourser le prix à M. Y soit 17 000 euros et ordonné la restitution du navire et ses équipements à X,

- condamné X à payer à M. Y les sommes suivantes :

4 882,79 euros en réparation de son préjudice matériel,

1 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamné X à payer à M. Y la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné X aux dépens.

Par déclaration en date du 28 octobre 2016, M. X a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 16 août 2017, il demande à la cour de réformer le jugement rendu et de :

- in limine litis, dire et juger l'action de M. Y irrecevable,

- constater que son action est forclose,

A titre principal, sur le fond, dire et juger que le vice caché n'est nullement caractérisé,

En conséquence, débouter M. Y de toutes ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

- concernant le préjudice matériel, dire et juger qu'il convient de se rapporter aux postes tels que chiffrés par l'expert concernant les factures de location d'emplacement et la facture de nettoyage et traitement,

- débouter M. Y de ses autres demandes au titre du préjudice matériel, compte tenu de son défaut de qualité à agir,

- concernant le préjudice moral, débouter M. Y de sa demande au titre du préjudice moral,

- débouter M. Y de sa demande en remboursement des frais d'expertise,

- débouter M. Y de ses plus amples demandes, fins et prétentions,

- condamner M. Y au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des tracas et troubles subis,

- condamner M. Y à payer à M. X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 19 juin 2017, M. Y demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il dit et jugé que le navire était affecté au moment de la vente d'un vice caché, prononcé la résolution de la vente, et condamner M. X à restituer le prix et ordonné la restitution du bateau et des équipements à M. X. Formant un appel incident, il sollicite l'infirmation du jugement sur le montant des condamnations. Il demande la somme de 6 643,11 euros au titre de son préjudice matériel et la somme de 2 500 euros au titre de son préjudice moral. Il réclame la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de M. X aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise pour 4 650 euros et le coût du procès-verbal d'huissier pour 241,62 euros.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par celles-ci, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 14 novembre 2019.

EXPOSE DES MOTIFS :

Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés :

En appel, M. X soulève à nouveau, in limine litis, la prescription de l'action engagée par M. Y. Il fait valoir que l'intéressé a mentionné l'existence d'un vice caché dès le 2 novembre 2011 dans un courrier qu'il lui a adressé mais n'en a pas fait état dans son assignation en référé. Il considère que dans la mesure où la mission confiée à l'expert ne lui demande à aucun moment de se prononcer sur l'existence d'un vice caché, l'assignation en référé n'a pu interrompre le délai de prescription. Il fait valoir en outre, que même à supposer que cette assignation interrompe le délai, il résulte de la lecture combinée des articles 2239 et 2241 du Code civil, que les délais de forclusion sont interrompus par l'assignation en référé expertise et recommencent à courir au jour du prononcé de l'ordonnance désignant l'expert et non à compter du dépôt de son rapport. M. X en tire la conclusion que l'assignation délivrée le 22 août 2014 est au-delà du délai légal de deux ans, soulignant que l'assignation en date du 19 juin 2014 est nulle pour défaut de constitution d'avocat inscrit au barreau de Vannes. Il soutient donc que l'action est forclose.

M. Y soutient quant à lui, que la présomption de l'existence d'un vice caché a toujours été invoquée, dès l'assignation en référé, mais que le délai de prescription, suspendu par l'ordonnance de référé au bout de six mois, a recommencé à courir à compter du dépôt du rapport d'expertise le 17 septembre 2013 pour dix-huit mois, ce qui fait que l'assignation du 22 août 2014 a été délivrée dans le délai de prescription.

L'article 1648 du Code civil instaure pour l'action résultant des vices rédhibitoires un délai de prescription de deux ans qui court à compter de la découverte du vice. M. Y ne conteste pas avoir eu connaissance de l'existence du défaut affectant la structure du bateau dès le constat d'huissier effectué le 18 août 2011 ni l'avoir mentionné dans un courrier à M. X en date du 2 novembre 2011. Mais comme il le fait justement remarquer, l'assignation en référé délivrée en l'espèce le 3 avril 2012, a interrompu le délai de prescription comme le prévoit l'article 2241 du Code civil. Un nouveau délai de deux ans en application de l'article 2231 du même Code a recommencé à courir le 10 mai 2012, date de l'ordonnance désignant l'expert. Toutefois comme prévu par l'article 2239 du Code civil, cette mesure d'instruction a suspendu le délai de prescription jusqu'à la date du dépôt du rapport d'expertise, soit le 17 septembre 2013. Il s'ensuit que l'assignation au fond en date du 22 août 2014 a été délivrée dans le délai biennal de prescription. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré l'action de M. Y recevable.

Sur l'existence d'un vice caché et la résolution de la vente :

En application de l'article 1641 du Code civil, il appartient à M. Y d'établir que le bateau que lui a vendu M. X était atteint d'un défaut caché que le rendait impropre à l'usage auquel il était destiné ou qui en diminuait tellement cet usage qu'il ne l'aurait pas acquis ou à un moindre prix s'il en avait connu l'existence. Pour entraîner la résolution de la vente ou la réduction du prix, le vice doit être antérieur à la vente.

Pour rapporter la preuve de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente, M. Y s'appuie notamment sur l'expertise judiciaire. Il ressort du rapport de l'expert, M. Z, que les flotteurs du bateau présentent une dégénérescence des tissus PVC, communément appelée "cancer du PVC", connue sur les semi-rigides d'un certain âge, affectant particulièrement les surfaces exposées au soleil et aux intempéries. L'expert indique que la seule solution pour y remédier est le remplacement complet des flotteurs, permettant ainsi au navire de retrouver son état normal d'utilisation.

M. X ne conteste pas l'existence du défaut constaté par l'expert mais son antériorité. Il soutient n'avoir jamais rencontré le moindre problème avant la vente, lors de l'utilisation du bateau. Il produit une attestation du gérant technicien du service marine occasions, M. A, dont il a sollicité l'avis préalablement à la vente, le 8 juillet 2011, lequel déclare n'avoir constaté aucun problème sur le flotteur, à la suite de l'essai en mer qu'il a effectué aux fins d'en estimer le prix. L'appelant précise qu'il a pris attache avec des professionnels et des spécialistes pour avoir plus d'information sur la dégénérescence constatée des flotteurs. Tant le chantier naval de Flahault marine que le service Marine occasions lui ont indiqué que ce désordre, fréquent sur le matériau PVC lors de son vieillissement, pouvait surgir du jour au lendemain, en quelques heures. Il en conclut que ce problème a pu surgir après la vente. Il fait valoir que M. Y qui n'a pas effectué d'essai en mer avant l'achat du bateau, est un acheteur professionnel puisqu'il est président d'une société dont l'activité est la fabrication d'appât pour la pêche professionnelle. Il souligne que le bateau a été laissé, après la vente en extérieur, sans entretien comme l'expert le note. Il émet l'hypothèse que ce " cancer du PVC " a pu se développer, avant les opérations d'expertise dont la première réunion est intervenue onze mois après la vente.

Mais l'expert a indiqué que la dégénérescence du PVC ne pouvait pas survenir en quelques jours, tout en précisant que le propriétaire pouvait ne pas prendre conscience de la gravité du problème en début d'affection. Par ailleurs, M. Y produit aux débats l'attestation rédigée le 14 octobre 2011 par M. W, qui précise qu'à l'arrivée du bateau semi-rigide dans son parc, les flotteurs ont été gonflés à la demande de M. Y. Il a alors constaté le début de la maladie du PVC, les flotteurs étant " légèrement poisseux ". Il ajoute que trois semaines après l'entrée du bateau dans son parc, " les flotteurs sont devenus complètement poisseux et sales ". Le 18 août 2011, l'huissier de justice requis par M. Y constate que la partie supérieure des boudins est poisseuse et collante. Il résulte donc bien de l'ensemble de ces éléments que le défaut affectant les flotteurs existait au moment de la vente le 23 juillet 2011.

Enfin, contrairement à ce que soutient M. X, le vice affectant le navire ne permettait pas de naviguer à son bord dans des conditions normales d'utilisation puisque si l'expert n'a pas clairement indiqué que le désordre affectait la flottaison ou la navigabilité du bateau, il apparaît que la dégradation des flotteurs empêche le transport de personnes à son bord en raison de l'impossibilité de s'appuyer ou de poser la main sur les flotteurs poisseux et collants. L'expert a également souligné que le problème réapparaîtra quel que soit le traitement appliqué de sorte que seul le remplacement des flotteurs permettrait l'utilisation normale du bateau. Il convient de rappeler que le vice s'identifie à toute défectuosité qui empêche la chose de rendre, et de rendre pleinement, les services que l'on en attend. La dégénérescence affectant les flotteurs du bateau est irréversible. Elle rend impossible toute navigation à son bord dans des conditions normales de confort. Le bateau vendu par M. X est donc bien affecté d'un défaut rédhibitoire. C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu l'existence d'un vice caché affectant le bateau au moment de la vente et ordonné la résolution de la vente comme justement demandée par M. Y. Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a condamné M. X à lui restituer la somme de 17 000 euros correspondant au prix de vente.

Sur les dommages-intérêts :

Seul le vendeur de mauvaise foi est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur.

Pour établir la mauvaise foi de son vendeur, M. Y s'appuie sur l'attestation de M. W, qui mentionne que les flotteurs ont été soigneusement nettoyés pour camoufler intentionnellement le problème de dégradation. L'intimé rappelle également que M. X qui avait acheté le bateau quelques mois seulement avant de s'en défaire, n'a donné aucune explication à l'expert sur cette revente rapide. Il n'a pas davantage expliqué les raisons qui l'ont conduit à utiliser des pâtes à polir abrasives pour la partie rigide du bateau, alors que ceci est déconseillé.

Devant la cour, M. X, qui souligne que l'expert a précisé que le propriétaire pouvait ne pas avoir pris conscience de la gravité du problème en début d'affection, soutient qu'il avait l'habitude d'acheter des bateaux avant l'été pour les revendre après la saison de navigation. Toutefois, les exemples qu'il donne concernent des reventes plusieurs mois après la fin de l'été. Mais il explique la revente du bateau litigieux en plein été par un besoin urgent de trésorerie pour financer la société qu'il venait de créer au début de l'année 2012.

Enfin, il convient de noter que l'expert, lors de la première réunion, a procédé sur un flotteur, sur une surface d'environ trente centimètres sur trente, à un nettoyage au savon neutre et à l'eau qui a eu pour effet d'éliminer temporairement le phénomène poisseux et collant, à tout le moins jusqu'à la réunion d'expertise suivante. En conséquence, dans la mesure où la dégradation des flotteurs existait au moment de la vente, la facilité à faire disparaître temporairement le problème et la revente très rapide du bateau, outre les constatations de M. B. lors de l'arrivée du bateau dans son parc, établissent que M. X a vendu le bateau en connaissant le défaut dont il était affecté. C'est donc à bon droit que le tribunal l'a condamné à réparer le préjudice matériel et moral de M. Y. Il n'y a pas lieu de réformer le jugement sur les montants alloués comme sollicité par l'intimé dans le cadre de son appel incident, le tribunal ayant fait une juste appréciation des préjudices subis à la somme de 4 882,79 euros, selon le chiffrage de l'expert et les factures produites pour le préjudice matériel et à la somme de 1000 euros pour le préjudice moral.

Sur les autres demandes :

La décision du tribunal sera également confirmée sur la charge des dépens de première instance et l'indemnité alloué au titre des frais irrépétibles.

M. X qui succombe sur l'ensemble de ses demandes supportera la charge des dépens d'appel. L'équité commande d'allouer la somme de 1 500 euros à M. Y pour les frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposés à l'occasion de la procédure d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 septembre 2016 par le tribunal de grande instance de Vannes, Y ajoutant, Condamne M. X à payer à M. Y la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. X aux dépens d'appel.