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Décisions

ADLC, 9 avril 2020, n° 20-MC-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a. et l'Agence France-Presse

ADLC n° 20-MC-01

9 avril 2020

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu les lettres, enregistrées le 15 novembre 2019 sous les numéros 19/0074F et 19/0075M, par lesquelles le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine a saisi l'Autorité de la concurrence à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu les lettres, enregistrées le 19 novembre 2019 sous les numéros 19/0078F et 19/0079M, par lesquelles l'Alliance de la Presse d'Information Générale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Départementale et le Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale ont saisi l'Autorité de la concurrence à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne, et ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu les lettres, enregistrées le 19 novembre 2019 sous les numéros 19/0080F et 19/0081M, par lesquelles l'Agence France-Presse a saisi l'Autorité de la concurrence à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd, Google France dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu la décision du 26 novembre 2019 prise en application de l'article R. 463-3 du code de commerce, et procédant à la jonction de l'instruction des affaires 19/0074F-19/0075M, 19/0078F-19/0079M et 19/0080F-19/0081M ;

Vu l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (" TFUE ") ;

Vu le livre IV du code de commerce et notamment son article L. 420-2 ;

Vu les décisions de secret d'affaires n° 19-DSA-709 du 10 décembre 2019 , n° 19-DSA-710 du 11 décembre 2019, n° 20-DSA-068 du 03 février 2020, n° 20-DSA-069 du 03 février 2020, n° 20-DSA-070 du 03 février 2020, n° 20-DSA-082 du 11 février 2020, n° 20-DSA-086 du 11 février 2020, n° 19-DSA-730 du 27 décembre 2019, n° 19-DSA-731 du 27 décembre 2019, n° 20-DSA-116 du 17 février 2020, n° 19-DSA-732 du 30 décembre 2019, n° 19-DSA-733 du 30 décembre 2019, n° 19-DSA-735 du 30 décembre 2019, n° 20-DSA-121 du 18 février 2020, n° 20-DECR-129 du 18 février 2020, n° 20-DECR-131 du 19 février 2020, n° 20-DEC-139 du 19 février 2020, n° 20-DEC-142 du 20 février 2020, n° 20-DSA-147 du 25 février 2020, n° 19-DSA-706 du 09 décembre 2019, n° 20-DSA-013 du 09 janvier 2020, n° 20-DSA-025 du 16 janvier 2020, n° 20-DSA-031 du 17 janvier 2020, n° 20-DSA-033 du 20 janvier 2020, n° 20-DSA-034 du 20 janvier 2020, n° 20-DSA-049 du 28 janvier 2020, n° 20-DSA-051 du 28 janvier 2020, n° 20-DSA-052 du 28 janvier 2020, n° 20-DSA-057 du 29 janvier 2020, n° 20-DSA-060 du 31 janvier 2020, n° 20-DSA-061 du 31 janvier 2020, n° 20-DSA-062 du 31 janvier 2020, n° 20-DSA-067 du 31 janvier 2020, n° 20-DSA-158 du 02 mars 2020, n° 20-DSA-160 du 03 mars 2020 ;

Vu la décision du 24 février 2020 par laquelle la présidente de l'Autorité de la concurrence a désigné Mme Valérie Bros, membre, pour compléter le quorum et examiner l'affaire enregistrée sous les numéros 19/0074F et 19/0075M, 19/0078F et 19/0079M, 19/0080F et 19/0081M, lors de la commission permanente du 5 mars 2020 ;

Vu les observations présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a., l'Agence France-Presse et les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd, Google France ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Syndicat des éditeurs de la presse magazine, de l'Alliance de la presse d'information générale e.a., de l'Agence France-Presse et des sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd, Google France, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 5 mars 2020 ;

Adopte la décision suivante :

Résumé(1)

Aux termes de la présente décision, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") prononce des mesures conservatoires à l'encontre des sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France (ci-après " Google ").

Les 15 et 19 novembre 2019, le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine (ci-après " le SEPM "), l'Alliance de la Presse d'Information Générale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale, le Syndicat de la Presse Quotidienne Départementale et le Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (ci-après, conjointement, " l'APIG "), lesquels représentent les intérêts d'un très grand nombre d'éditeurs de presse publiant des titres de journaux et de magazines en France, et l'Agence France-Presse (ci-après " l'AFP ") ont respectivement saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par Google dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne.

Selon les saisissants, les modalités de mise en œuvre par Google de la Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse (ci-après, la " Loi ") constitueraient un abus de position dominante, contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, ainsi qu'un abus de dépendance économique.

La Loi du 24 juillet 2019, qui transpose en droit français l'article 15 de la directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, a en effet pour objectif de mettre en place les conditions d'une négociation équilibrée entre éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne, afin de redéfinir le partage de la valeur entre ces acteurs et en faveur des éditeurs et agences de presse. Or, au motif de se conformer à la Loi, Google a décidé unilatéralement qu'elle n'afficherait plus les extraits d'articles, les photographies et les vidéos au sein de ses différents services, sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l'autorisation à titre gratuit. En pratique, la très grande majorité des éditeurs de presse ont consenti à Google des licences gratuites pour l'utilisation et l'affichage de leurs contenus protégés, et ce sans négociation possible et sans percevoir aucune rémunération de la part de Google. Au surplus, dans le cadre de la nouvelle politique d'affichage de Google, les licences qui ont été accordées à celle-ci par les éditeurs et agences de presse lui offrent la possibilité et de reprendre davantage de contenus qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins.

Dans ces conditions, parallèlement à leurs saisines au fond, les saisissants ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires visant à enjoindre Google d'entrer de bonne foi dans une négociation avec eux.

En l'état de l'instruction, l'Autorité a considéré que Google est susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. En effet, sa part de marché en nombre mensuel de requêtes est de l'ordre de 90 % à la fin de l'année 2019. Il existe, par ailleurs, de fortes barrières à l'entrée et à l'expansion sur ce marché, liées aux investissements significatifs nécessaires pour développer une technologie de moteur de recherche, et à des effets de réseaux et d'expérience de nature à rendre la position de Google difficilement contestable.

Par ailleurs, en l'état de l'instruction, l'Autorité a considéré que les pratiques dénoncées par les saisissants sont susceptibles d'être qualifiées d'anticoncurrentielles.

D'une part, en ce que Google pourrait avoir imposé aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction inéquitables au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 a) du TFUE, en évitant toute forme de négociation et de rémunération pour la reprise et l'affichage des contenus protégés au titre des droits voisins. D'autre part, Google est susceptible d'avoir traité de façon identique des acteurs économiques placés dans des situations différentes en-dehors de toute justification objective, et, partant, d'avoir mis en œuvre une pratique discriminatoire au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 c) du TFUE.

Enfin, en ce que Google pourrait avoir abusé de sa position dominante pour contourner la Loi sur les droits voisins, notamment (i) en utilisant la possibilité laissée aux éditeurs et agences de presse de consentir des licences gratuites pour imposer systématiquement un principe de non-rémunération pour l'affichage des contenus protégés sur ses services, sans aucune possibilité de négociation ; (ii) en refusant de communiquer les informations nécessaires à la détermination de la rémunération ; et (iii) en reprenant des titres d'articles dans leur intégralité en considérant qu'ils échappaient par principe à la Loi sur les droits voisins.

Dans son appréciation, l'Autorité a également tenu compte du fait que la nouvelle politique d'affichage de Google a imposé aux acteurs du secteur des conditions de transaction plus défavorables que celles qui préexistaient à l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins, et que celles qui auraient dû résulter d'une négociation de bonne foi.

Ces pratiques sont rendues possibles par la position dominante que Google est susceptible de détenir sur le marché des services de recherche généraliste. Cette position conduit Google à apporter un trafic significatif aux sites des éditeurs et agences de presse. Ce trafic s'avère aussi non remplaçable et critique pour des éditeurs et agences de presse, qui ne peuvent se permettre de perdre une quelconque part de leur lectorat numérique du fait des difficultés économiques constatées par le législateur, et qui ont justifié l'adoption en urgence de la Loi sur les droits voisins. Dans ces conditions, les éditeurs et agences de presse sont placés dans une situation où ils n'ont d'autre choix que de se conformer à la politique d'affichage de Google, sans contrepartie financière. En effet, la menace de dégradation de l'affichage est synonyme pour chaque éditeur de presse de pertes de trafic et donc de revenus, aussi bien s'il est seul concerné par cette dégradation que si cette dégradation vise l'ensemble des éditeurs. C'est également la raison pour laquelle ces éditeurs sont conduits à accepter des conditions qui leur sont encore plus défavorables après l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins que celles qui lui préexistaient.

L'Autorité a constaté l'existence d'une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse, résultant du comportement de Google, qui, dans un contexte de crise majeure de ce secteur, prive les éditeurs et agences de presse d'une ressource vitale pour assurer la pérennité de leurs activités, et ce au moment crucial de l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins. Elle a prononcé des mesures conservatoires permettant aux éditeurs et agences de presse, s'ils le désirent, d'entrer en négociation de bonne foi avec Google, en vue de discuter tant des modalités d'une reprise et d'un affichage de leurs contenus protégés que de la rémunération pouvant y être associée. Ces négociations devront s'inscrire dans une période limitée à trois mois à compter de la demande de l'éditeur ou de l'agence de presse et intégrer au titre de la rémunération la période courant depuis le 24 octobre 2019. Pendant la période de négociation, Google devra maintenir l'affichage des extraits de texte, des photographies et des vidéos selon les modalités choisies par l'éditeur ou l'agence de presse concernés. Par ailleurs, afin de garantir une négociation équilibrée, les mesures conservatoires prévoient un principe de neutralité des négociations sur la façon dont sont indexés, classés et plus généralement présentés les contenus protégés des éditeurs et agences concernés sur les services de Google, ainsi qu'un principe de neutralité de ces négociations sur les autres relations commerciales que Google entretient avec les éditeurs et agences de presse. Enfin, ces mesures conservatoires resteront en vigueur jusqu'à la publication par l'Autorité de la décision au fond. Pendant cette période, et afin de s'assurer de l'effectivité de ces mesures conservatoires, Google devra adresser à l'Autorité des rapports réguliers sur les modalités de mise en œuvre de la présente décision.

I. CONSTATATIONS

A. LES SAISINES

1. LA SAISINE DU SYNDICAT DES ÉDITEURS DE LA PRESSE MAGAZINE

1. Par lettre enregistrée le 15 novembre 2019 sous le numéro 19/0074F, le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine (ci-après " le SEPM ") a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France (ci-après " Google ").

2. Selon le saisissant, Google, en position dominante sur le marché des moteurs de recherche, a mis en œuvre des pratiques abusives prenant la forme d'une modification brutale et unilatérale de sa politique d'affichage des contenus d'actualité, à l'occasion de l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (ci-après, la " Loi n° 2019-775 " ou la " Loi sur les droits voisins "), transposant en droit français les dispositions concernées de la directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (ci-après, la " Directive " ou la " Directive n° 2019/790). L'objectif de Google consisterait à contraindre les éditeurs de presse à accepter la reprise de leurs contenus éditoriaux sans rémunération. Un tel comportement constituerait un détournement de l'objet de la Loi sur les droits voisins, dans le but d'imposer des conditions de transaction inéquitables aux éditeurs, et ce, sous la menace d'un quasi-déréférencement des services de Google. Ce faisant, Google aurait également abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouveraient les éditeurs de presse magazine vis-à-vis d'elle.

3. Accessoirement à sa saisine au fond, le SEPM a sollicité, par lettre enregistrée le 15 novembre 2019, sous le numéro 19/0075M, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce.

2. LA SAISINE DE L'ALLIANCE DE LA PRESSE D'INFORMATION GENERALE ET AUTRES.

4. Par lettre enregistrée le 19 novembre 2019 sous le numéro 19/0078F, l'Alliance de la Presse d'Information Générale, le Syndicat de la presse quotidienne nationale, le Syndicat de la presse quotidienne régionale, le Syndicat de la presse quotidienne départementale et le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (ci-après, conjointement, " l'APIG ") ont saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par Google.

5. Selon les saisissants, Google, en position dominante sur les marchés de la recherche générale en ligne et sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, a mis en œuvre des pratiques abusives prenant la forme d'une série de changements, décidés unilatéralement, relatifs au traitement des résultats d'actualité dans son moteur de recherche et ses autres services à la suite de l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins. Google aurait ainsi contraint les éditeurs de presse à consentir une mise à disposition gratuite de leurs contenus éditoriaux, sous la menace d'une dégradation de l'affichage de leurs contenus dans ses services. Ce faisant, Google aurait imposé aux éditeurs de presse des conditions d'achat non-équitables de leurs contenus et aurait procédé à un contournement abusif de la Loi sur les droits voisins. Enfin, Google aurait également abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouveraient les éditeurs vis-à-vis d'elle.

6. Accessoirement à sa saisine au fond, l'APIG a sollicité, par lettre enregistrée le 19 novembre 2019 sous le numéro 19/0079M, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce.

3. LA SAISINE DE L'AGENCE FRANCE-PRESSE

7. Par lettre enregistrée le 19 novembre 2019 sous le numéro 19/0080F, l'Agence France-Presse (ci-après " l'AFP ") a saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par Google.

8. Selon l'AFP, Google, en position dominante sur le marché de la recherche en ligne et sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, a abusé de cette position à travers les changements apportés à sa politique d'affichage des contenus d'actualité qui viseraient, selon la saisissante, à contourner abusivement l'esprit de la Directive n° 2019/790 et de la Loi n° 2019-775 et à imposer des conditions de transaction non équitables aux éditeurs de presse et aux agences de presse pour la reprise de leurs contenus. Ces pratiques constitueraient également un abus de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouveraient les éditeurs vis-à-vis d'elle.

9. Accessoirement à sa saisine au fond, l'AFP a sollicité, par lettre enregistrée le 19 novembre 2019 sous le numéro 19/0081M, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce.

4. LA JONCTION DES TROIS SAISINES

10. Par décision du 26 novembre 2019, la rapporteure générale adjointe de l'Autorité a procédé à la jonction de l'instruction des affaires 19/0074F-19/0075M, 19/0078F-19/0079M et 19/0080F-19/0081M. Le numéro de référence pour le traitement de ces affaires à la suite de cette décision de jonction est le 19/0074F-19/0075M.

B. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. LE SECTEUR DE LA PRESSE

11. Le secteur de la presse fait intervenir traditionnellement plusieurs catégories d'acteurs, dont les éditeurs et agences de presse, les imprimeurs et les distributeurs (messageries, dépositaires et diffuseurs). À ces acteurs, directement impliqués dans la production des publications, s'ajoutent ceux qui interviennent dans le cadre de l'activité publicitaire des éditeurs de presse (annonceurs, régies). La dématérialisation des usages a conduit au développement de nouveaux intermédiaires, actifs tant en lien avec la publication elle-même et ses modes de diffusion auprès du public (agrégateurs de contenus, kiosques numériques) que sur la publicité en ligne (intermédiation technique, exploitation de données).

12. Les éditeurs de presse sont eux-mêmes composés d'une mosaïque d'acteurs se différenciant par l'objet de leur publication (presse d'information générale et politique, journaux gratuits d'information, presse spécialisée grand public, presse spécialisée technique et professionnelle, journaux gratuits d'annonces, etc.), leur périodicité (quotidiens, hebdomadaires, mensuels, trimestriels, etc.), leur format (magazines, autres), leur modèle économique (ventes au numéro et/ou à l'abonnement, publicité commerciale et/ou petites annonces), ou encore leurs modes de diffusion (mode de diffusion uniquement papier ou en ligne, mixte).

13. La particularité du secteur de la presse est que les activités économiques qu'il représente participent également du fonctionnement démocratique. Ce secteur fait ainsi l'objet en France d'un corpus dédié de textes, visant à préserver la liberté et le pluralisme de la presse, et comportant notamment des règles spécifiques applicables aux entreprises, modèles économiques, modèles de distribution ou encore aux aides dont bénéficie le secteur. Dans cette perspective, lors de l'examen en commission du projet de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, le 16 janvier 2019, le sénateur David Assouline a ainsi souligné le " caractère essentiel pour la vitalité et la qualité du débat démocratique d'une information libre indépendante, pluraliste et produite de manière professionnelle " (cote 6 833).

14. Le modèle économique de la presse repose traditionnellement sur deux sources de revenus : la vente de contenus, quel que soit le canal ou le modèle (ventes au numéro, abonnements, etc.) et la publicité. En 2017, le chiffre d'affaires réalisé par les éditeurs de presse en France s'élevait à environ 6,8 milliards d'euros, dont 4,8 milliards (soit 69 %) provenant des ventes et 2,1 milliards (soit 31 %) provenant de la publicité.

15. Ce modèle a toutefois connu de profonds bouleversements au cours de la dernière décennie. Ainsi, entre 2007 et 2017, le secteur a perdu plus d'un tiers de son chiffre d'affaires, alors que la diffusion annuelle totale s'effondrait de 55 % (soit -7,8 % par an).

16. Cette baisse du chiffre d'affaires provient principalement des revenus issus de la publicité (- 2,7 milliards d'euros, soit plus des deux tiers de la baisse totale de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires). Ces derniers représentent ainsi 31 % du chiffre d'affaires total des éditeurs de presse en 2017 contre 44 % en 2007.

Figure 1 : Évolution des revenus de la presse entre 2000 et 2017

Source : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Presse/Chiffres-Statistiques

17. La baisse constante des revenus publicitaires de la presse s'explique notamment par l'évolution des usages dans le secteur des médias, liée à l'émergence et au développement des offres numériques. Ainsi, la baisse de l'utilisation de la presse écrite induit celle des revenus publicitaires.

Figure 2 : Évolution des usages dans le secteur des médias en France entre 2013 et 2018

Source : Reuters Digital News Report de 2019 (cote 8060)

18. Dans son avis n° 19-A-04 du 21 février 2019 consacré au secteur de l'audiovisuel, l'Autorité a ainsi constaté la forte baisse des recettes publicitaires de la presse entre 2007 et 2017. En parallèle, elle a constaté l'augmentation importante des revenus publicitaires des acteurs numériques et a indiqué : " La majorité des revenus de la publicité en ligne est captée par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, au premier rang desquels Google et Facebook, alors que les acteurs audiovisuels historiques occupent une place très faible sur ce marché (environ 9 % en 2017), et bénéficient de perspectives de croissance plus limitées " (§153).

Figure 3 : Comparaison de la répartition des recettes publicitaires pluri médias entre 2007 et 2017(2)

Source : avis de l'Autorité de la concurrence n° 19-A-04, page 42.

19. Ce constat rejoint également ceux d'une étude du cabinet Bearing Point, réalisée conjointement avec le ministère de la culture et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui relève que ces évolutions de recettes publicitaires interviennent alors que l'audience numérique des éditeurs de presse et les dépenses de communication des annonceurs sur internet sont en augmentation, passant de 1 % en 2012 à près de 9 % en 2017 (cotes 2 161 et 2 210).

20. À cet égard, le rapport n° 243 du 16 janvier 2019 établi par le sénateur David Assouline (ci-après le " Rapport n° 243 "), dans le cadre de la préparation de la Loi sur les droits voisins, souligne les difficultés structurelles du secteur de la presse, qui se caractérisent par une contraction de ses deux sources principales de revenus (publicité et ventes d'exemplaires papiers), celles-ci n'étant compensées ni par la croissance de la publicité en ligne, qui bénéficie essentiellement aux acteurs numériques, ni par les ventes numériques.

21. Le rapport n° 1912 du 30 avril 2019 du député Patrick Mignola consacré à la création d'un droit voisin (ci-après le " Rapport n° 1912 ") alerte également sur le phénomène de captation de valeur par les acteurs numériques observable dans le secteur de la presse : " On sait en effet qu'aujourd'hui, les infomédiaires profitent de la valeur créée par la diffusion de contenus qu'ils ne produisent pas et dont ils ne supportent pas les charges, au point de capter plus de 90 % de la croissance du marché publicitaire en ligne, dont plus des deux tiers pour les seuls Google et Facebook [...]. C'est à tel point qu'au Portugal, l'existence même des médias nationaux est menacée à horizon d'une dizaine d'années, compte tenu de la vitesse d'absorption de leur marché publicitaire par des GAFAM qui, à l'instar des réseaux sociaux Facebook et Twitter, prétendent devenir les premiers médias mondiaux, sans pour autant employer aucun journaliste " (cote 6674).

22. Enfin, le Rapport n° 243 qualifie la situation de la presse écrite " d'alarmante ". En effet, si les acteurs subissent d'ores et déjà les conséquences de cette baisse des deux sources de revenus, il existe également des risques sociétaux liés à la nécessité de débats fondés sur des informations vérifiées. Il indique sur ce point que : " jamais peut-être le besoin d'une information traitée de manière professionnelle ne s'est faite à ce point sentir. [...] " (page 11)

2. LES ENTREPRISES CONCERNEES

a) Le SEPM

23. Le SEPM est un syndicat professionnel créé en décembre 2012, formé du Syndicat de la Presse Magazine (SPM) et du Syndicat Professionnel de la Presse Magazine et d'Opinion (SPPMO), et dont le siège est à Paris. Il regroupe 80 éditeurs de presse, qui publient plus de 480 titres de magazines en France, regroupant tant le titre en version papier que ses déclinaisons numériques sur internet le cas échéant.

24. Parmi les membres du SEPM figurent les principaux éditeurs de presse magazine actifs en France, notamment les groupes Bayard Presse (qui édite notamment les titres Okapi, J'aime lire, Phosphore, Notre Temps, etc.), CMI Media (Elle, Ici Paris, Télé 7 jours, etc.), Prisma Media (Télé Loisirs, Femme Actuelle, Voici, Geo, Capital, Gala, etc.), Groupe Sebdo-Le Point (Le Point), Le Nouvel Observateur (L'Obs), Groupe L'Express (L'Express) ou encore Groupe Marie-Claire (Marie Claire, Cosmo, etc.) (cotes 65 à 75).

25. Aux termes de ses statuts, le SEPM a notamment pour objet de (i) défendre les intérêts professionnels collectifs, matériels et moraux, des éditeurs de titres de presse magazine, pour leurs activités papier et numérique, (ii) assurer une mission de conseil et d'assistance à ses membres dans les domaines techniques, commerciaux et juridiques, afin d'aider au développement de la presse magazine en France et (iii) représenter en justice les intérêts collectifs de la profession et de ses membres (cote 78).

b) L'APIG et les syndicats la constituant

26. L'Alliance de la Presse d'Information Générale est une union de syndicats créée en septembre 2018 par les quatre syndicats professionnels de la Presse Quotidienne Nationale (" SPQN "), Régionale (" SPQR ") et Départementale (" SPQD ") et le Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (" SPHR "). Son siège social est situé à Paris. Au 15 novembre 2019, l'APIG représentait 298 journaux membres (cote 110, 19/0079M).

27. L'Alliance de la Presse d'Information Générale a pour mission de se constituer interlocuteur principal des pouvoirs publics, partenaires publics et privés, représentant l'intérêt collectif du secteur de la presse quotidienne et assimilée française (cote 12, 19/0079M). Elle est présidée par M. Jean-Michel Baylet, qui est par ailleurs président du SPQR (cotes 63 et 75, 19/0079M).

28. Le SPQN est une organisation syndicale représentative de la presse quotidienne nationale française. Au 15 novembre 2019, il représentait 8 groupes de presse et 12 titres de journaux actifs au niveau national (cote 117, 19/0079M)(3). Aux termes de ses statuts, le SPQN a notamment pour objet (i) l'étude et la défense des intérêts professionnels collectifs, matériels et moraux, des éditeurs de la presse quotidienne nationale, (ii) la représentation en justice des intérêts collectifs de la profession et (iii) le conseil et l'assistance à ses membres dans les domaines commerciaux et juridiques (cote 77, 19/0079M).

29. Le SPQR est une organisation syndicale représentative de la presse quotidienne régionale française. Au 15 novembre 2019, il représentait 14 groupes de presse et 36 quotidiens de dimension régionale actifs sur l'ensemble du territoire métropolitain (cote 117, 19/0079M)(4). Aux termes de ses statuts, le SPQR a pour objet la défense des intérêts professionnels et moraux des entreprises de presse adhérentes (cote 85, 19/0079M).

30. Le SPQD est une organisation syndicale représentative de la presse quotidienne départementale française. Au 15 novembre 2019, il représentait 8 groupes de presse et 25 quotidiens de dimension locale actifs sur l'ensemble du territoire métropolitain et en Outre-Mer (cotes 116 et 117, 19/0079M). Aux termes de ses statuts, le SPQD a notamment pour objet la défense des intérêts moraux, sociaux, professionnels, économiques, industriels et commerciaux de la presse départementale et représente valablement l'ensemble de la presse départementale auprès des autorités administratives (cote 97, 19/0079M).

31. Le SPHR est une organisation syndicale représentative de la presse hebdomadaire régionale française. Au 15 novembre 2019, il représentait 225 hebdomadaires de dimension régionale, actifs sur l'ensemble du territoire métropolitain et en Outre-Mer (cotes 110, 19/0079M)(5). Aux termes de ses statuts, le SPHR a pour objet la défense des intérêts moraux et matériels de ses adhérents et représente valablement l'ensemble de ses adhérents auprès de toutes organisations publiques ou privées (cote 104, 19/0079M).

c) L'AFP

32. L'AFP est une agence de presse mondiale et généraliste d'origine française, chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser, tant en France qu'à l'étranger, des informations sous une forme neutre, fiable et utilisable directement par tous types de médias (radios, télévision, presse écrite, sites internet), mais aussi par des grandes entreprises et administrations. Il s'agit d'un organisme sui generis dont le statut et les missions résultent de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant création de l'Agence France-Presse(6). Elle est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris (cote 5, 19/0080F).

33. L'AFP est implantée dans 151 pays à travers 201 bureaux. Elle assure une couverture complète de l'actualité mondiale, dans tous les domaines et sous toutes les formes : photographie, infographie, vidéo et texte. Elle produit chaque jour plus de 5 000 dépêches, 3 000 photographies et 300 vidéos. En 2018, l'AFP a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 300 millions d'euros (cote 5, 19/0080F).

L'Humanité ; Groupe Lagardère (Le Journal du Dimanche) ; Libération ; Groupe Le Monde (Le Monde) ; The New-York Times France ; L'Opinion ; Groupe Turf Editions (Paris-Turf).

d) Google

L'entreprise

34. Google est une entreprise créée en 1998, dont les fondateurs ont inventé le moteur de recherche éponyme, qui est le plus utilisé dans le monde et en France. Les activités de Google sont aujourd'hui concentrées sur quatre domaines principaux : la fourniture de services de recherche en ligne, l'offre de plateformes et de systèmes d'exploitation, la publicité en ligne et le matériel informatique.

35. À compter d'une réorganisation interne, achevée le 2 octobre 2015, la société Alphabet Inc. est venue remplacer Google LLC (anciennement Google Inc) en tant que société mère du groupe Google, et Google LLC est devenue une filiale exclusive d'Alphabet Inc(7).

36. En France, Google LLC fournit des services de publicité à des développeurs de sites internet et d'applications mobiles principalement via la société Google Ireland Ltd, dont la société mère ultime est la société Alphabet Inc (cote 4 993).

37. La société Google France est une société à responsabilité limitée spécialisée dans les activités de régie publicitaire de médias, filiale de Google LLC, et dont le siège social se situe à Paris.

38. En 2019, le chiffre d'affaires mondial consolidé de la société Alphabet Inc., entité faîtière du groupe Google, s'est élevé à 144,58 milliards d'euros(8).

39. Les sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France seront désignées, ensemble ou séparément, dans la suite de la décision par l'emploi du terme " Google ".

Présentation générale des services de Google

40. Le modèle économique de Google repose principalement sur l'interaction entre des services fournis aux utilisateurs sans contrepartie financière, mais qui lui permettent d'accéder aux données personnelles des utilisateurs, et les services de publicité en ligne, dont elle tire l'essentiel de ses revenus(9).

41. Dans le but de maximiser leur attention, Google propose ainsi une large gamme de services aux utilisateurs et affiche des contenus en lien avec l'actualité, notamment sur son service de recherche généraliste " Google Search " (ou " Search "), sur son service dédié à l'actualité " Google Actualités ", ainsi que sur son service " Google Discover " (ou " Discover "). Ces différents services sont présentés ci-après.

Les contenus d'actualité affichés dans le cadre du service de recherche en ligne généraliste " Google Search "

42. Le service de moteur de recherche en ligne Google Search est le service phare de Google, accessible via le site www.google.com ou ses déclinaisons locales (en France : www.google.fr). Il permet aux utilisateurs de rechercher une information sur internet en entrant un mot clé ou une série de mots clés (qui, ensemble, constituent une " requête "), à la suite de quoi Google Search propose et affiche les résultats correspondants(10).

43. Au sein de Google Search, Google peut être amenée à afficher des résultats en lien avec l'actualité sous la forme de résultats " standards " faisant apparaître un titre, le nom du site web source et un extrait de texte. Ces résultats peuvent être enrichis en intégrant notamment une image miniature. Ces modalités d'affichage s'appliquent quel que soit le support utilisé (ordinateur, téléphone mobile, tablette).

44. Google utilise le terme anglais de " snippet ", (en français, extrait) pour désigner l'extrait de texte affiché dans les résultats de recherche. Le terme " snippet ", selon Google, ne recouvre ni le titre, ni l'éventuelle image miniature apparaissant dans les résultats de recherche. Cela apparaît dans les illustrations suivantes communiquées par Google, et dans lesquelles ce qui constitue un " snippet " selon Google correspond seulement aux extraits de texte figurant dans les encadrés bleus.

Source : réponse de Google au questionnaire des services d'instruction, cote 4954

45. Par ailleurs, il existe au sein de Google Search des fonctionnalités permettant de répondre spécifiquement aux recherches portant sur l'actualité et en particulier :

- " A la Une " prend la forme d'un carrousel de résultats en lien avec l'actualité, pouvant être balayés de manière horizontale et apparaissant au-dessus des résultats issus du référencement naturel. Google indique que " le carrousel " " A la une " affiche généralement le titre de l'article et le nom de l'éditeur, souvent accompagnés d'une image miniature et d'une indication relative au temps écoulé depuis la publication de l'article. Selon Google, " A la une " ne comprend généralement pas d'extrait de l'article.(11) (cote 5 339)

[CAPTURE D'ECRAN - GOOGLE SEARCH - TOP STORIES]

- L'Onglet Actualités est un onglet de recherche sur lequel les utilisateurs peuvent cliquer à partir de la page de résultats (" News " dans l'illustration ci-dessous) et qui filtre les résultats pour ne retenir que les seuls articles d'actualité. L'Onglet Actualité affiche généralement le titre de l'article et le nom de l'éditeur accompagnés d'une image miniature et un extrait de l'article, ainsi que le montre l'illustration ci-dessous, versée au dossier.

[CAPTURE D'ECRAN - GOOGLE SEARCH - ONGLET NEWS]

46. S'agissant des revenus directs générés par ces services, ceux-ci proviennent essentiellement des activités publicitaires, qui consistent notamment en la vente d'espaces auprès des annonceurs (voir sur ce point les paragraphes 18 et suivants de la décision n° 19-D-26 de l'Autorité) facilitée par la collecte des données des utilisateurs réalisée par Google sur ses services : " L'activité de Google consiste à créer des produits et des services pour les utilisateurs et à offrir aux annonceurs des opportunités publicitaires de qualité. Google ne vend pas les données des utilisateurs en elles-mêmes. Les données couvrent, par exemple, un élément du processus de génération d'annonces publicitaires qui contribuent à identifier les annonces susceptibles d'être pertinentes pour un utilisateur. Toutefois, les principaux éléments permettant d'assurer la qualité et de la pertinence des annonces diffusées par Google sont les technologies continuellement développées par Google. La diffusion d'annonces pertinentes renforce leur utilité pour les utilisateurs et améliore leur efficacité pour les annonceurs, car cela augmente la probabilité que les clics proviennent d'utilisateurs véritablement intéressés par l'offre proposée. " (cote 4 943, soulignement ajouté).

47. Google tire également des revenus indirects des différents services d'intermédiation publicitaire(12) qu'elle propose aux éditeurs de presse et qui reposent en partie sur l'utilisation de données d'utilisateurs (cote 4 944). Plus généralement, la collecte de données d'utilisateurs contribue à améliorer les services de Google et à les rendre plus attractifs pour les utilisateurs (cote 2 398). Or, cette collecte de données est susceptible d'augmenter, puisque le nombre de Français utilisant internet pour suivre l'actualité ne cesse de croître. Le Baromètre du numérique 2019 de l'ARCEP(13) relève à ce sujet que " En 2019, une majorité de Français, soit 63 % de la population totale et 72 % de la population internaute, ont utilisé internet pour suivre l'actualité au cours des douze derniers mois. Ces chiffres sont en augmentation depuis 2016, +4 points pour les deux populations. " (cote 5 654)

Les contenus d'actualité affichés dans le cadre du service spécialisé " Google Actualités "

48. Google Actualités (accessible via le site www.news.google.com, ainsi qu'à travers des applications mobiles disponibles sur iOS et Android) est un service de Google distinct de Google Search, et dédié intégralement à l'actualité.

49. Google Actualités présente sur sa page d'accueil des contenus d'actualité sélectionnés en fonction de la langue et de la région de l'utilisateur, sans que celui-ci ait à effectuer une requête préalable. L'utilisateur peut également accéder à différentes catégories - intitulées " À la Une ", " Pour vous ", " International ", " Vos actualités locales ", " Économie ", etc. -, au sein desquelles les contenus sont regroupés par thématique. Enfin, ce service offre également la faculté à l'utilisateur d'effectuer des recherches d'actualité (cote 4 938).

50. Les contenus présentés dans Google Actualités constituent un sous-ensemble de l'index de Google Search et apparaissent selon des règles de classement particulières (cotes 4 936 et 5 330). Au cours de son audition, Google a expliqué que la manière dont les éditeurs pouvaient choisir d'apparaître ou non dans ce service a évolué fin 2019 (cote 4 423) : " Jusqu'à la fin de l'année dernière (2019), les éditeurs devaient remplir un formulaire pour être affichés dans Google News. Désormais, les éditeurs peuvent opter pour ne plus être sur Google News en donnant une instruction aux robots ".(14)

51. Selon les éléments fournis par Google, l'affichage des contenus dans Google Actualités diffère de celui dans Google Search. Les liens vers les articles et contenus d'actualité sont présentés sous la forme d'un titre, accompagné du nom de l'éditeur, d'une indication concernant le caractère récent ou non du contenu en question et parfois d'une image miniature, généralement sans extraits textuels ou " snippet " (cotes 5 340 - 5 341), ainsi que le montre l'illustration ci-dessous.

[CAPTURE D'ECRAN DE GOOGLE ACTUALITES (news.google.fr) - Section " A la une "]

52. Enfin les résultats apparaissant dans Google Actualités s'appuient également, s'agissant des applications mobiles, sur des contenus hébergés pour lesquels Google a acquis les droits d'utilisation auprès d'éditeurs de presse. A cet égard, Google explique dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction du 13 janvier 2020 que " Google Actualités (news.google.com et les applications d'actualités Android et iOS) s'appuie également sur l'index de recherche général de Google, mais les applications contiennent également du contenu supplémentaire : les éditeurs de presse qui ont des accords avec Google peuvent directement fournir des flux RSS(15) de leur contenu à Google Actualités. " (cote 5 330).

Les contenus d'actualité affichés dans le cadre du service " Google Discover "

53. Google Discover est un service lié à Google Search, accessible sur téléphone mobile ou tablette, qui présente aux utilisateurs, sans qu'ils aient à effectuer une requête spécifique, des contenus sélectionnés en fonction de leurs interactions passées avec les produits Google, ou encore en fonction de thèmes qu'ils ont l'habitude de suivre. Les contenus affichés dans le cadre du service Discover peuvent porter notamment sur l'actualité (cote 4 938).

54. Ainsi que l'a expliqué Google au cours de l'instruction, il existe des liens étroits entre Google Search et Discover, lequel constitue " une extension de Search " (cote 4 423). Dans ses observations du 1er janvier 2020, Google a également indiqué que " Discover n'est pas un service d'actualités spécialisé : il s'agit essentiellement du moteur de recherche général fonctionnant sans requête spécifique, utilisant plutôt les intérêts connus de l'utilisateur pour fournir un flux de résultats personnalisés qui pourraient intéresser l'utilisateur. Les utilisateurs peuvent accéder à Google Discover via l'application Google ou via leur navigateur Web sur un téléphone ou une tablette. " (cote 3 673)

55. Les résultats affichés par Discover, le cas échéant en lien avec l'actualité, le sont principalement " sous la forme d'images-vignettes, de titres de page, de noms d'éditeur ou de domaine, et éventuellement de snippets ou de prévisualisations vidéos animées " (cote 3 678), ainsi que le montre l'illustration ci-dessous.

[CAPTURE D'ECRAN - GOOGLE DISCOVERY]

e) Les liens entre Google et le secteur de la presse

56. Google et le secteur de la presse ont noué de multiples liens au cours des dernières années. Les développements ci-dessous fournissent une description de ces liens qui revêtent dans la présente affaire une particulière importance.

57. S'agissant de l'indexation et de l'affichage des contenus des éditeurs de presse dans les services de Google, ceux-ci s'effectuent notamment via des robots mis en place par Google auxquels les éditeurs peuvent donner des instructions. Il s'agit tout d'abord du protocole d'exclusion des robots (" REP " pour " Robot Exclusion Protocol ") qui permet aux éditeurs d'accorder ou de refuser des parties de leurs sites aux robots d'exploration automatisés. Il s'agit, ensuite, des balises Meta qui fournissent, comme les REP, des instructions aux robots. Avec ces balises, les éditeurs peuvent, entre autres, demander aux robots d'indexer ou non des pages web. Les éditeurs peuvent également donner leur consentement à l'indexation et l'affichage de leurs contenus, via l'utilisation d'outils spécifiques de Google qui permettent de personnaliser la présentation de leurs contenus dans Google Search et Google Actualités. Enfin, grâce au " Publisher Center ", les éditeurs peuvent gérer la présentation de leurs contenus dans Google Actualités. (cotes 5009 à 5011)

58. S'agissant des activités publicitaires, les éditeurs et agences de presse peuvent intervenir en tant que vendeurs d'espaces publicitaires ou en tant qu'annonceurs.

59. Lorsqu'ils agissent en tant que vendeurs d'espaces publicitaires, Google peut être en relation avec eux en tant qu'intermédiaire dans l'écosystème publicitaire (cotes 5007 et 5008). Dans ce cadre, certains éditeurs peuvent choisir de conclure un contrat de sous-régie publicitaire avec Google Ad Exchange. En vertu de ce contrat, Google commercialise certains espaces publicitaires des éditeurs de presse auprès des annonceurs, soit par un mécanisme d'enchères en temps réel (real time bidding), soit de gré à gré. En contrepartie de ce service, Google perçoit une commission sur les ventes d'espaces réalisées pour le compte de l'éditeur concerné (cote 518).

60. Lorsqu'ils interviennent en tant qu'annonceurs publicitaires, les éditeurs peuvent notamment conclure des contrats avec Google Ads (anciennement Ad Words) aux termes desquels ils achètent des mots-clés pour assurer la promotion de leurs sites internet sur le moteur de recherche de Google, via des liens sponsorisés (cote 517). Google propose en outre un ensemble de services de gestion des annonces regroupés au sein de la Google Marketing Plateform. Parmi ces services, les éditeurs de presse peuvent conclure un contrat Google Analytics ou Google Analytics 360, dans le cadre desquels Google propose des analyses d'audience et de trafic de leurs sites. Les éditeurs de presse rémunèrent Google pour ces services (cotes 517 et 5 008).

61. Enfin, Google a développé des initiatives spécifiques au secteur de la presse, telles que la " Google News Initiative ", qui vise à financer et soutenir les organismes de presse ayant développé des initiatives pour réaliser des projets de qualité et " Subscribe with Google ", qui permet aux utilisateurs d'acheter un abonnement aux éditeurs participants, en utilisant leur compte Google (cotes 5 005 et 5 006).

C. LES PRATIQUES DENONCEES

62. Les saisissants dénoncent la modification de la politique d'affichage des contenus d'actualité au sein des différents services de Google, et notamment Google Search, Google Actualités et Discover concomitamment à l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins.

63. Il convient donc de présenter tout d'abord le cadre juridique applicable (1) et les modalités d'application par Google de la Loi sur les droits voisins, ainsi que le positionnement des éditeurs de presse face à ces nouvelles modalités d'affichage (2).

1. LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE

a) La Directive (UE) n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

64. Par la Directive n° 2019/790, le législateur européen a notamment poursuivi l'objectif de mettre en place un régime de protection juridique des éditeurs et des agences de presse, compte tenu des spécificités du secteur de la presse, et du rôle qu'il tient dans le cadre d'une société démocratique. Les considérants de la Directive précisent ainsi :

- " Une presse libre et pluraliste est indispensable pour garantir un journalisme de qualité et l'accès des citoyens à l'information. Elle apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique " (considérant 54) ;

- " La contribution organisationnelle et financière des éditeurs dans la production de publications de presse doit être reconnue et davantage encouragée pour assurer la pérennité du secteur de l'édition et, partant, promouvoir la disponibilité d'informations fiables " (considérant 55).

65. Afin d'atteindre cet objectif, l'article 15 de la Directive prévoit la création d'un droit voisin au bénéfice des éditeurs de publications de presse, leur conférant le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de leurs publications par les plateformes, agrégateurs et moteurs de recherche :

" Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse établis dans un État membre les droits prévus à l'article 2 et à l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE pour l'utilisation en ligne de leurs publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l'information.

Les droits prévus au premier alinéa ne s'appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels.

La protection accordée en vertu du premier alinéa ne s'applique pas aux actes d'hyperliens.

Les droits prévus au premier alinéa ne s'appliquent pas en ce qui concerne l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse. "

66. Le droit de reproduction auquel renvoie l'article 15 précité de la Directive " droit voisin " de 2019 a été défini par l'article 2 de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, intitulé " Droit de reproduction ". Aux termes de ces dispositions : " le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie : a) pour les auteurs, de leurs œuvres ; b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ; c) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ; d) pour les producteurs des premières fixations de films, de l'original et de copies de leurs films ; d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu'elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite " et l'article 3, paragraphe 2 de la directive 2001/29/CE prévoit pour sa part : " le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement : a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions : a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ; b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ; c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l'original et de copies de leurs films ; d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu'elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite ".

67. Afin d'apprécier la portée de l'article 15 de la Directive, il apparaît utile d'apporter certaines précisions qui résultent tant du champ d'application de la directive - à la lumière notamment des définitions prévues par son article 2 - que de ses considérants.

68. Tout d'abord, la Directive couvre aussi bien les éditeurs que les agences de presse. À cet égard, la Directive précise qu'il convient d'entendre par " éditeur de publications de presse " " les prestataires de services, tels que les éditeurs de presse ou les agences de presse, lorsqu'ils publient des publications de presse " (considérant 55).

69. Ensuite, la Directive ne limite pas le champ de la protection des droits voisins aux seuls contenus textuels mais peut s'étendre à d'autres œuvres ou objets protégés (comme des photographies ou des vidéos). Ainsi, la notion de " publication de presse " est définie comme " une collection composée principalement d'œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d'autres œuvres ou objets protégés, et qui [...] constitue une unité au sein d'une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique, telle qu'un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé ; [...] a pour but de fournir au public en général des informations liées à l'actualité ou d'autres sujets ; [...] est publiée sur tout support à l'initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d'un fournisseur de service " (article 2, soulignement ajouté).

70. Par ailleurs, le considérant 57 prévoit que " les droits octroyés aux éditeurs de publications de presse en vertu de la présente directive devraient avoir la même portée que les droits de reproduction et de mise à disposition du public prévus dans la directive 2001/29/CE ". À cet égard, la directive n° 2001/29/CE précise que " les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent pouvoir obtenir une rémunération appropriée pour l'utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail " (considérant 10, soulignement ajouté).

71. En outre, le considérant 58 précise le champ d'application de ce droit voisin défini par la Directive : " Les utilisations de publications de presse par des prestataires de services de la société de l'information peuvent consister en l'utilisation de publications ou d'articles intégraux, mais aussi en l'utilisation de parties de publications de presse. Ces utilisations de parties de publications ont également gagné en importance économique. Dans le même temps, il se peut que l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse par des prestataires de services de la société de l'information ne fragilise pas les investissements effectués par les éditeurs de publications de presse dans la production de contenus. Il est dès lors approprié de prévoir que l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse ne devrait pas entrer dans le champ des droits prévus dans la présente directive. Compte tenu de l'agrégation et de l'utilisation massives de publications de presse par les prestataires de services de la société de l'information, il importe que l'exclusion des très courts extraits soit interprétée de manière à ne pas affecter l'efficacité des droits prévus dans la présente directive ".

72. Enfin, le paragraphe 4 de l'article 15 fixe la durée de la protection accordée aux éditeurs et agences de presse en prévoyant que ces droits voisins " expirent deux ans après que la publication de presse a été publiée. Cette durée est calculée à partir du 1er janvier de l'année suivant la date à laquelle la publication de presse a été publiée ".

b) La Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse

Les objectifs poursuivis par le législateur national

73. La Loi n° 2019-775, adoptée le 24 juillet 2019, a pour objet la création d'un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse. Elle transpose en droit interne l'article 15 de la Directive n° 2019/790 précitée.

74. La France n'a pas attendu le délai du 7 juin 2021 laissé aux États membres pour transposer l'article 15. En effet, la Loi sur les droits voisins résulte d'une proposition de loi déposée dès le 5 septembre 2018 - soit dès avant l'adoption de la Directive - par les sénateurs MM. David Assouline, Patrick Kanner, Marc Daunis et les membres du groupe socialiste et républicain.

75. L'exposé des motifs de cette proposition de loi justifie en ces termes la nécessité de légiférer : " Les moteurs de recherche reproduisent et diffusent ainsi, comme libres de droits, sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies sans licence, ce qui cause, de fait, un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs. Ces moteurs de recherche sont devenus de véritables banques d'information et de données, en exploitant un contenu qu'ils n'ont ni créé, ni financé et pour lequel ils ne versent aucune rémunération "(16). À cet égard, les travaux parlementaires avaient émis des interrogations relatives aux " techniques plus récentes (" snippets ") " qui doublent l'hyperlien(17) pointant vers un article de presse " d'une reprise, d'un extrait, ou de tout autre élément de nature à expliciter le contenu du lien " et pour lesquels il apparaîtrait " qu'une bonne partie des internautes se contente de cette information sans éprouver le besoin d'aller cliquer sur le lien, et donc de visiter le site, qui par la suite ne peut monétiser ses contenus, sous forme d'abonnement ou de publicité ". (page 18)

76. Le choix d'une transposition aussi rapide - trois mois à peine après l'adoption de la Directive - s'explique par la volonté des parlementaires de répondre à ce qu'ils considéraient comme une situation d'urgence, soulignée durant tout le temps des débats parlementaires, notamment par le Rapport n° 243 établi par le sénateur M. David Assouline précité, qui déclare : " Il y a une urgence très réelle à agir sur le sujet : les éditeurs et les agences de presse perdent chaque jour des moyens et, chaque jour, les grandes plateformes engrangent des bénéfices colossaux en utilisant les articles écrits par des journalistes et les photos produites par les agences. " (page 26)

77. À l'instar de ce qui existe déjà pour d'autres acteurs des industries culturelles (éditeurs de phonogrammes et de vidéogrammes, entreprises de communication audiovisuelle), l'instauration d'un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse devait, selon la volonté du législateur, leur permettre d'assurer une meilleure protection de leurs contenus et le développement de leurs structures et de leurs produits, en protégeant leurs investissements tant humains, que financiers. Ainsi, l'objectif de ce nouveau droit voisin est de rééquilibrer le rapport de force existant entre acteurs numériques et opérateurs de presse par une redéfinition du partage de la valeur en faveur de ces derniers.

78. Le rapport précité consacre également des développements spécifiques relatifs aux agences de presse, qui sont les principaux pourvoyeurs en termes d'images et de vidéos des éditeurs de presse, en soulignant que " Les contenus produits par les agences et cédés sous licence aux éditeurs peuvent se retrouver en ligne sans aucune autorisation, dans le cadre d'une utilisation non prévue et donc non rémunérée. Cela est particulièrement vrai pour les images, qui peuvent être stockées à l'infini dans des " banques d'images ". L'objectif poursuivi par la Loi concerne donc aussi bien la protection des contenus produits par les éditeurs de presse que ceux des agences de presse (extraits d'articles, photos, vidéos et infographie).

79. Ainsi le nouveau dispositif a notamment vocation à alléger la charge de la preuve des éditeurs et agences de presse pour prouver la reproduction et agir contre la reproduction de masse de leurs publications en ligne. En effet, dans son Rapport n° 1912, le député M. Patrick Mignola relève que " Face à la captation de leurs revenus par les " infomédiaires ", les éditeurs et les agences de presse sont aujourd'hui démunis " dans la mesure où " les instruments juridiques de protection dont disposent les éditeurs de presse sur le terrain du droit des marques et de la responsabilité civile dans le domaine physique sont inefficients dans le domaine numérique. " (pages 22-23). Il ajoute à ce titre que : " Si les éditeurs ont un droit sur l'œuvre collective que constitue le titre de presse dans son ensemble, ils n'en ont pas sur l'utilisation de chaque article ou partie d'article considéré(e) isolément, alors qu'aujourd'hui la concurrence se joue davantage entre articles qu'entre titres de presse". Dans ces conditions, il considère que " L'octroi de droits voisins aux éditeurs et agences de presse allègera la charge de la preuve qu'un infomédiaire a reproduit tout ou partie de leurs contenus sans autorisation " (cotes 6690 et 6691).

80. Par ailleurs, le législateur a envisagé la négociation comme le moyen adéquat pour rendre possible une rémunération des éditeurs et des agences au titre de leurs droits voisins. L'objectif poursuivi par la Loi est ainsi d'instaurer un cadre de négociation équilibrée " afin de garantir aux éditeurs et agences de presse une transparence optimale quant aux paramètres utilisés par les services de communication au public en ligne pour déterminer le montant de ces recettes "(18) et donc l'assiette de la rémunération du droit voisin telle qu'envisagée à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle (ci-après " CPI "). Dans cette perspective, le législateur a souligné à propos de cette obligation de transparence mise à la charge des plateformes, qu'" il est fondamental d'assurer une transmission en transparence des données permettant d'évaluer le plus objectivement possible l'assiette et le montant de la rémunération, sachant que cette coopération pourrait s'épanouir, au-delà de la simple rémunération pour l'utilisation des contenus, grâce à la conclusion de partenariats, notamment sur l'échange des données dans une relation " gagnant-gagnant ".

81. S'agissant enfin des négociations relatives à la rémunération du droit voisin, le Rapport n° 1912 précité a souligné l'importance de prendre en compte " les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, ainsi que la notion de contribution au débat public et au fonctionnement de la démocratie ".

82. Cette recherche de rééquilibrage du rapport de force entre éditeurs de presse et agences de presse d'une part, et plateformes en ligne d'autre part, est ainsi au cœur des objectifs de la Loi, qui vise à donner aux éditeurs les moyens d'une coopération assainie avec les acteurs numériques. Le Rapport n° 1912 indique sur ce point : " Les éditeurs et agences de presse, grâce à l'équilibre que permet la protection de leurs droits patrimoniaux, seront en capacité d'entamer une coopération sur des bases saines avec les plateformes en ligne utilisant leur contenu ". (pages 60 et 61).

Le contenu de la Loi n° 2019-775

83. Conformément à l'article 15 de la Directive, l'article 4 de la Loi n° 2019-775 crée un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse, par des dispositions insérées dans un nouveau chapitre VIII, intitulé " Droits des éditeurs de presse et des agences de presse ", ajouté au titre unique du livre II de la première partie du CPI. Ce nouveau chapitre comprend les articles L. 218-1 et suivants du CPI, créés par la Loi sur les droits voisins.

84. L'article L. 218-1 définit tout d'abord la notion de publication de presse, ainsi que le périmètre des contenus protégés par les droits voisins :

" I. - On entend par publication de presse au sens du présent chapitre une collection composée principalement d'œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d'autres œuvres ou objets protégés, notamment des photographies ou des vidéogrammes, et qui constitue une unité au sein d'une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, dans le but de fournir au public des informations sur l'actualité ou d'autres sujets publiées, sur tout support, à l'initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle des éditeurs de presse ou d'une agence de presse.

Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, ne sont pas couverts par la présente définition.

II. - On entend par agence de presse au sens du présent chapitre toute entreprise mentionnée à l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 portant réglementation des agences de presse ayant pour activité principale la collecte, le traitement et la mise en forme, sous sa propre responsabilité, de contenus journalistiques.

III. - On entend par éditeur de presse au sens du présent chapitre la personne physique ou morale qui édite une publication de presse ou un service de presse en ligne au sens de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. "

IV. - Le présent chapitre s'applique aux éditeurs de presse et agences de presse établis sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne. "

85. L'article L. 218-2 prévoit l'autorisation préalable de l'éditeur ou de l'agence de presse pour la reprise de leur contenu par un service de communication au public en ligne :

" Art. L. 218-2 - L'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. "

86. L'article L. 218-3 précise que ces droits voisins " peuvent être cédés ou faire l'objet d'une licence ".

87. Par ailleurs, l'article L. 218-4 prévoit les modalités de rémunération de l'éditeur de presse :

" Art. L. 218-4 - La rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l'exploitation de tout nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l'article L. 131-4. La fixation du montant de cette rémunération prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l'information politique et générale et l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne. "

88. S'agissant des exceptions, celles-ci sont précisées par l'article L. 211-3-1 ainsi rédigé :

" Les bénéficiaires des droits ouverts à l'article L. 218-2 ne peuvent interdire :

1° Les actes d'hyperlien ;

2° L'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse. Cette exception ne peut affecter l'efficacité des droits ouverts au même article L. 218-2. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer. "

89. Enfin, conformément à l'article 14 de la Loi n° 2019-775, celle-ci est entrée en vigueur trois mois après sa promulgation, soit le 24 octobre 2019.

2. LA MODIFICATION DE LA POLITIQUE D'AFFICHAGE DES RESULTATS D'ACTUALITE PAR GOOGLE ET LA REACTION DES EDITEURS

a) La modification de la politique d'affichage des résultats d'actualité par Google

90. À partir du 25 septembre 2019, en prévision de l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins, Google a annoncé aux éditeurs et agences de presse sa nouvelle politique d'affichage de leurs contenus au sein de ses différents services.

91. Cette annonce a pris la forme d'une publication en date du 25 septembre 2019 sur le blog de Google, dans laquelle celle-ci précise :

" Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n'afficherons plus d'aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l'éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c'est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google " (cotes 120-121, 19/0079M).

92. Conformément à cette annonce, Google a mis en place de nouvelles " balises ", soit des fragments de code que les éditeurs et agences de presse peuvent insérer dans le code source de leurs pages web en vue d'autoriser Google à reprendre des extraits de leurs contenus éditoriaux sous forme de textes, d'images et de vidéos. Google a expliqué le fonctionnement de ces balises aux éditeurs, dans un courriel adressé à partir du 25 septembre 2019 aux propriétaires de sites identifiés comme " publication de presse européenne " (cote 103).

93. Ces balises, qui prennent la forme d'un morceau de code informatique exploitable par les robots de Google, sont les suivantes :

- La balise " max-snippet " : cette balise permet à l'éditeur d'indiquer à Google s'il autorise la reprise et l'affichage d'extraits d'articles au sein des différents services Google (Search et Discover notamment, cote 110), ainsi que la longueur des extraits pouvant être affichés par Google. Le paramètre " -1 " de la balise " max-snippet " autorise Google à reprendre un contenu d'actualité sans limite de taille des extraits de texte. À l'inverse, par le paramètre " 0 ", l'éditeur indique qu'aucun extrait textuel ne pourra être affiché par Google sur ses services.

- La balise " max-image-preview " : cette balise permet à l'éditeur d'indiquer à Google s'il autorise la reprise et l'affichage par Google de photographies sous la forme d'image-vignette dans les pages de résultats, ainsi que la taille d'affichage de ces images-vignette dans les services de Google (Search, Google Actualités et Discover notamment, cote 111). L'activation du paramètre " large " confère à Google la possibilité d'afficher ces photographies en qualité maximale.

- La balise " max-video-preview " : cette balise permet à l'éditeur d'indiquer à Google s'il autorise la reprise et l'affichage par Google de vidéos dans les services de Google (Search et Discover notamment, cote 112), ainsi que la durée de la pré-visualisation.

94. Enfin, le même jour, Google a indiqué dans la presse qu'elle n'entendait pas rémunérer les éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus éditoriaux(19). Cette position est également exprimée dans la page " FAQ " publiée par Google à destination des éditeurs de presse, et dans laquelle elle précise qu'elle ne rémunérera pas les éditeurs et agences de presse dans l'hypothèse où ces derniers choisiraient de maintenir l'affichage des " aperçus de texte et d'image " dans ses services :

" Q : Si j'utilise les réglages pour permettre les aperçus de texte et d'image, Google me paiera-t-il ?

R : Nous estimons que le fonctionnement du moteur de recherche doit être basé sur la pertinence et la qualité, et non sur des accords commerciaux. Procéder autrement réduirait le choix et la pertinence des résultats de recherche pour nos utilisateurs - et réduirait la confiance accordée à nos services. C'est la raison pour laquelle nous n'acceptons pas de rémunération pour les résultats de recherche organiques et nous ne rémunérons pas les liens ou les aperçus figurant dans les résultats de recherche. Lorsque vous utilisez les nouveaux réglages, vous acceptez l'utilisation d'aperçus de votre contenu sans paiement, que ce soit vers ou depuis Google. " (cote 5 103, soulignement ajouté)

95. L'accord ainsi donné par un éditeur pour la reprise de son contenu à travers les nouvelles balises équivaut à l'octroi d'une licence à titre gratuit pour l'exploitation par Google de son contenu.

Le cas particulier des titres des articles de presse

96. Ainsi qu'expliqué ci-dessus, les balises créées par Google à la suite de l'adoption de la Loi sur les droits voisins permettant aux éditeurs de donner leur consentement ne portent que sur " les extraits textuels ", les " images-vignette " et les vidéos, mais ne visent pas les titres des articles de presse (cotes 102-116 ; cotes 5 339 - 5 340).

97. Or, Google affichait avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins - et continue d'afficher à ce jour - les titres des articles de presse à de nombreuses occasions au sein de ses différents services(20), sans obtenir l'accord des éditeurs et des agences de presse concernés, ni leur verser de rémunération.

98. L'absence de consentement explicite des éditeurs quant à la reprise des titres de leurs articles soulève la question de l'interprétation à donner au 2° de l'article L. 211-3-1 du CPI et, le cas échéant, d'un non-respect de la lettre de ce texte. Comme l'a relevé le ministère de la culture lors de son audition (PV audition ministère de la culture, cote 2 869), Google a manifestement considéré que les titres étaient couverts par l'exception prévue au 2° de l'article susmentionné(21). Il n'est pourtant pas certain que les titres d'articles soient tous couverts par principe par cette exception, dès lors que le texte vise les " mots isolés ou [de] très courts extraits ", ce qui pourrait inviter à une appréciation in concreto, eu égard par exemple à la longueur ou au contenu informatif des titres d'articles de presse.

b) Le positionnement des éditeurs de presse à la suite de l'annonce de Google

99. Conformément à la nouvelle politique de Google en termes de reprise et d'affichage des contenus protégés, les éditeurs de presse ont dû, entre la fin du mois de septembre et la fin du mois d'octobre 2019, décider s'ils souhaitaient maintenir l'affichage de leurs contenus au sein des services de Google, et, le cas échéant, mettre en œuvre, dans cet espace de temps, les mesures techniques nécessaires à ce maintien.

100. L'Autorité relève par ailleurs que l'AFP, comme l'ensemble des agences de presse, est concernée par la modification des modalités d'affichage des contenus d'actualité, dans la mesure où ses contenus sont indirectement repris par Google, par l'intermédiaire des contenus des éditeurs de presse. De ce point de vue, l'AFP est tributaire de la position adoptée par les éditeurs qui sont ses clients.

101. Il convient de préciser que le terme " snippet ", dans le sens que lui donne Google, à savoir les extraits textuels apparaissant sous les liens hypertextes dans certains de ses services, peut apparaître réducteur en ce qu'il vise uniquement des éléments textuels, à l'exclusion des autres contenus protégés que sont les photographies et les vidéos principalement. En conséquence, dans la suite de cette décision il sera fait référence aux " contenus protégés ", ces derniers comprenant, comme on l'a vu, tout ou partie des articles (voire des titres de ces articles) mais également les photographies et les vidéos.

102. Les éléments versés au débat montrent qu'à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle politique d'affichage de Google, la très grande majorité des éditeurs ont autorisé Google à afficher des contenus protégés sans percevoir de rémunération. Les éditeurs n'ayant pas autorisé Google à afficher des contenus protégés, pour leur part, ont subi des pertes de trafic significatives.

La très grande majorité des éditeurs ont autorisé Google à afficher des contenus protégés sans percevoir de rémunération

103. À la suite de l'annonce de sa nouvelle politique, la très grande majorité des éditeurs de presse ont autorisé Google à continuer à afficher des contenus protégés sous forme d'extraits textuels, de photos et de vidéos au sein des pages de résultats de Search et de ses différents services (dont Google Actualités et Discover), sans contrepartie financière.

104. Cette réaction des éditeurs s'est néanmoins accompagnée de courriers adressés à Google lui indiquant que cette autorisation, résultant d'une décision unilatérale de Google de modifier sa politique d'affichage, ne pouvait s'interpréter comme une renonciation de la part des éditeurs à obtenir une rémunération pour la reprise et l'affichage de leurs contenus protégés (cotes 238-242, 19/0078F). Par ailleurs, d'après les éléments du dossier, ces courriers n'ont pas permis l'ouverture de négociations entre Google et les éditeurs de presse sur une rémunération pour la reprise et l'affichage des contenus protégés.

105. Ainsi, sur un décompte réalisé sur les 30 plus importants sites d'actualité en termes d'audience en France, au 24 octobre 2019, 28 d'entre eux avaient déployé les balises afin d'éviter la dégradation de la présentation de leurs contenus(22). Ce constat est corroboré par au moins deux autres éléments versés au débat.

106. D'une part, selon l'APIG, sur la base d'un constat réalisé le 18 décembre 2019 sur un total de 199 sites, 123 avaient activé les balises et 76 ne les avaient pas activées (cote 2 972). L'APIG relève toutefois que 98 éditeurs membres n'ont pas de site internet en propre et partagent un même site. Par ailleurs, l'APIG relève que " à l'exception notable de sites de titres de la presse quotidienne régionale comme Corse Matin ou les Nouvelles Calédoniennes et de titres de la presse quotidienne nationale comme l'Humanité ou le Paris Turf qui n'ont pas intégré les balises pour des considérations liées à un manque de temps homme ou d'équipe dédiée, 87 % des sites qui n'ont pas activé les balises sont des sites de presse hebdomadaire régionale dont la transition numérique est en cours ou qui concernent des sites qui donnent principalement accès aux versions numérisées des titres (PDF) et pas à des contenus natifs. "

107. D'autre part, selon Google, sur un panel représentatif de 200 éditeurs de presse, les éditeurs ayant fait les démarches pour maintenir l'affichage de leurs contenus protégés représentaient en décembre 2019 environ [90-100]% du trafic total redirigé par Google vers ces 200 éditeurs de presse (cotes 5 028 et 5 029).

108. Par ailleurs, il ressort d'une étude réalisée par Mind Media, versée au débat par l'APIG, et non contestée par Google, que, parmi les sites ayant donné à Google l'autorisation d'afficher des extraits d'article sans obtenir de rémunération, 86,6 % d'entre eux ont choisi le paramètre " -1 " et, de ce fait, ont autorisé Google à reprendre le contenu de leurs articles sans limite de taille (cote 1 680).

109. S'agissant des photos accompagnant les articles, il ressort de la même étude que 87,1 % des éditeurs ont choisi le paramètre " large " conférant à Google la possibilité d'afficher ces photographies en qualité maximale (cote 1 680).

110. Enfin, s'agissant des vidéos, le même constat que celui réalisé pour les extraits textuels et les images peut être fait puisque, selon l'étude précitée (voir paragraphe 108), 78,7 % des éditeurs ont accordé à Google l'autorisation de reprendre leurs vidéos et d'afficher des prévisualisations de ces dernières sans limite de durée (cote 1 680).

Les éditeurs n'ayant pas autorisé Google à afficher des contenus protégés se sont exposés à des baisses de trafic significatives

L'incidence des aperçus sur le classement et le trafic redirigé vers les sites des éditeurs de presse

111. Les éléments recueillis au cours de l'instruction ont permis de mettre en évidence un lien de causalité entre la présence de contenus protégés d'un éditeur sur les différents services de Google et le taux de clics vers le contenu de l'éditeur. De même, il existe un lien de causalité entre le taux de clics vers le contenu de l'éditeur et le classement au sein de l'algorithme de Google de ce contenu. Enfin, plus le classement d'un contenu en réponse à une recherche est bas, moins il est probable que l'utilisateur clique sur le lien vers ce contenu. Il ressort aussi de ces éléments que le classement au sein de l'algorithme a un effet sur le trafic généré vers les sites des éditeurs de presse.

112. En premier lieu, il ressort des éléments versés au dossier que l'affichage de contenus protégés au sein des services de Google est de nature à augmenter le nombre de clics sur un lien. Dans sa FAQ aux éditeurs de presse, Google indique en effet (cotes 23 ; 5 101 et 5 103) :

" Afin d'aider les internautes à comprendre pourquoi certains résultats de recherche sont affichés, Google présente le contenu des pages Web associées sous forme de courts extraits, d'aperçus textuels et de vignettes. [...]

L'aperçu aide les utilisateurs à comprendre ce qui rend votre page pertinente pour leur recherche, et l'expérience prouve que cela l'incite à cliquer. "

113. Par ailleurs, Google précise dans ses observations en date du 1er janvier 2020 (cote 3 673) :

" Les snippets profitent aux Éditeurs et aux utilisateurs en augmentant la probabilité de mettre en relation les utilisateurs avec les sites Web qu'ils recherchent : les utilisateurs sont plus facilement en mesure d'identifier les résultats de recherche qui correspondent le mieux à leurs besoins, et les Éditeurs bénéficient d'une promotion et d'un trafic qui leur permettent de monétiser leur contenu. Naturellement, Google n'est donc pas le seul moteur de recherche à afficher des snippets; d'autres moteurs de recherche tels que Qwant et Bing les utilisent également. L'affichage snippets dans les résultats de recherche généraux constitue une approche standard de l'industrie. "

114. Plusieurs moteurs de recherche concurrents de Google ont également confirmé que la présence de contenu protégé conduisait à améliorer le taux de clics. Microsoft déclare ainsi que " Cet affichage procure un avantage compétitif dans la mesure où une image et une courte description de l'article conduisent, sur un plan statistique, à améliorer le taux de clic. " (cote 2 398). De même, selon Verizon Media qui exploite le moteur de recherche Yahoo, " En améliorant l'expérience utilisateur, ces contenus profitent aux éditeurs de presse qui bénéficient de davantage de trafic. " (cote 4 452).

115. A contrario, la disparition des contenus protégés, par rapport à une situation dans laquelle ils seraient maintenus, est de nature à entraîner une diminution du nombre de clics sur un lien. Or, le taux de clic sur une page est un élément pris en compte pour déterminer le classement de celle-ci dans le(s) moteur(s) de recherche de Google. Dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction du 17 décembre 2019, Google explique ainsi que le nombre de clics sur un lien peut affecter le classement des résultats : " La seule manière dont la présence de snippets pourrait affecter le classement des résultats de recherche est indirecte, si par exemple une page obtient un taux de clics plus faible en raison de l'absence de snippet. " (cote 4 941).

116. Par conséquent, l'absence d'affichage des contenus protégés expose l'éditeur à une diminution du taux de clics et, in fine, à une dégradation du classement des liens vers ses contenus dans les pages de résultats de recherche de Google. Ce constat conduit nécessairement à relativiser l'argument de Google selon lequel : " Il est inexact d'affirmer, comme le font les Plaignants, qu'ils seraient soumis à une menace constante de "déréférencement". Même si des Éditeurs interdisent l'affichage de snippets, leurs sites continueront d'être indexés et référencés dans les résultats de recherche de Google avec un titre et un lien hypertexte. " (cote 3 683). En effet, quand bien même les éditeurs ne seraient pas totalement déréférencés, l'absence d'affichage de contenus protégés est de nature à diminuer le nombre de clics pour ces éditeurs et, par voie de conséquence, leur classement dans l'algorithme. Une telle baisse de trafic représente un enjeu d'autant plus important pour les éditeurs que le lectorat est voué, dans ce cas, à se détourner d'eux pour privilégier des sites d'éditeurs de presse concurrents ayant accepté les conditions d'affichage de Google et n'ayant de ce fait pas subi de dégradation de leur affichage.

117. En second lieu, lorsqu'un utilisateur effectue une recherche, les données fournies par Google dans sa réponse au questionnaire du 13 janvier 2020 démontrent que la probabilité que l'utilisateur clique sur un lien décroît très rapidement avec le classement du site en question en réponse à la recherche (cotes 5 357 et 5 358).

118. En effet, selon ces éléments, la probabilité qu'un utilisateur clique sur un lien diminue de manière significative selon le classement sur la première page de résultat de Search. Ainsi, la probabilité pour qu'un utilisateur clique sur le premier résultat de sa recherche s'élève à [20-30] % environ. Cette probabilité passe à [5-10] % pour le deuxième et troisième résultat, et ne s'élève plus qu'à [0-5] % pour le quatrième résultat (cotes 5 357 - 3 358). Pour les liens apparaissant dans l'encart " A la Une ", ce taux est de [5-10] % pour les PC et appareils mobiles confondus et [10-20] % pour les appareils mobiles uniquement.

119. Dans ces conditions, une dégradation dans les résultats de classement de Google est également susceptible d'entraîner une diminution du nombre de clics et par conséquent du trafic redirigé vers les sites des éditeurs de presse.

Les baisses de trafic observées

120. Les relations causales entre l'affichage de contenus protégés et le taux de clics sur les contenus des éditeurs de presse présentées ci-dessus sont également corroborées par le fait qu'un certain nombre d'éditeurs n'ayant pas fait les démarches pour maintenir la reprise et l'affichage par Google des contenus protégés, ne serait-ce que sur une très courte durée, ont été exposés à des fortes baisses d'audience.

121. Ainsi, la suppression de l'affichage des contenus protégés au sein des services de Google pour le site du journal La Voix du Nord, entre les 24 et 27 octobre 2019, a entraîné une chute du trafic en provenance de Google de l'ordre de 33 % selon l'éditeur (cote 5 420).

122. Selon le Groupe La Dépêche, Google n'aurait pas procédé à l'affichage contextualisé du contenu du Groupe le 24 octobre 2019. Cela se serait traduit, selon le groupe la Dépêche, par une baisse de plus de 50 % des visites en provenance des moteurs de recherche le jour en question, par rapport à la moyenne constatée sur le mois (cote 5 421).

123. Selon des tests effectués par le Groupe Figaro, un lien référencé sans photo ni description sur Google verrait ses performances de clics dégradées d'environ 50 %. Le trafic issu du Search représentant environ 50 % du trafic du figaro.fr selon l'éditeur, l'impact sur les audiences internet pourrait donc potentiellement s'élever à une baisse de 25 % (cote 2 966).

124. Enfin, en raison du faible poids du marché français dans le modèle de News Corp, celui-ci indique avoir " décidé de ne pas autoriser la reprise par Google de [son] contenu pour les internautes français, notamment le Sun, le Times of London et le Wall Street Journal " et avoir mesuré, du 24 octobre à début décembre 2019, pour le site The Sun, une baisse de fréquentation de 43 % en termes de clics, de 8 % en termes de pages vues et de 9 % en nombre d'utilisateurs français (cotes 483 et 2 327).

125. Par ailleurs, ces baisses de trafic sont susceptibles de se traduire en pertes significatives de revenus pour les éditeurs de presse concernés. À cet égard, il ressort des projections de baisses de revenus réalisées par un éditeur de presse, sur la base de la diminution du trafic constatée sur deux de ses sites les 23 et 24 octobre 2019, que la suppression de l'affichage contextualisé pourrait faire perdre entre 30 et 50 % du chiffre d'affaires annuel de ces sites (cotes 7 035-7 036).

II. DISCUSSION

126. L'article L. 464-1 du code de commerce dispose que : " L'Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

127. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, des mesures conservatoires peuvent être décidées " dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce " (Cour de cassation, arrêt du 8 novembre 2005, Neuf Télécom, n° 04-16857). Il convient donc d'examiner si les pratiques dénoncées sont susceptibles, en l'état du dossier, de constituer des pratiques anticoncurrentielles.

128. Les développements ci-après portent sur l'applicabilité du droit de l'Union (A), les marchés pertinents (B), la position de Google sur le marché pertinent (C), le caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques dénoncées (D) et la demande de mesures conservatoires (E).

A. SUR L'APPLICABILITE DU DROIT DE L'UNION

129. L'article 102 du TFUE dispose qu'" est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ".

130. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JOUE 2004, C 101, p. 81), la Commission européenne (ci-après la " Commission ") rappelle que les articles 81 et 82 du traité CE, devenus les articles 101 et 102 du TFUE, s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux, ainsi qu'aux pratiques abusives d'entreprises qui sont " susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ", et ce " de façon sensible ".

131. Dans le cas d'espèce, les pratiques dénoncées portent sur le comportement adopté par Google à la suite de la création par une directive d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse établis au sein de l'Union européenne. En outre, Google est un acteur de dimension internationale, de même que certains éditeurs de presse qui appartiennent à des groupes de dimension européenne, voire mondiale. Enfin, les services de Google, de même que les sites internet des éditeurs et agences de presse concernés, couvrent l'ensemble du territoire français et, en tant qu'activité en ligne, sont par nature ouverts au commerce transfrontalier(23). À cet égard, Google désigne elle-même les éditeurs concernés par sa nouvelle politique de reprise et d'affichage des contenus protégés comme " publication de presse européenne " (cote 22).

132. Partant, les pratiques dénoncées, si elles sont avérées, sont susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres et d'être qualifiées au regard de l'article 102 du TFUE.

B. SUR LES MARCHES PERTINENTS

1. SUR LA DELIMITATION DU MARCHE

a) Rappel des principes

133. L'application des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, qui prohibent les pratiques d'abus, requiert, à titre liminaire, que les marchés pertinents soient définis. En effet, en matière d'abus de position dominante, " la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d'établir l'existence d'un abus de position dominante, il faut établir l'existence d'une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité "(24).

134. Dans sa Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997, la Commission souligne qu'" un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés ". L'appréciation de la substituabilité se fait généralement du côté de la demande, " facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d'un produit donné ", mais elle peut également tenir compte de la substituabilité du côté de l'offre.

135. Dans le même document, la Commission définit par ailleurs le marché d'un point de vue géographique, en précisant que " le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable ".

136. En France, l'Autorité a rappelé que " le marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. [...] Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande "(25).

b) Le marché des services de recherche généraliste

Dimension matérielle

137. Dans sa pratique décisionnelle, la Commission a considéré que la fourniture de services de recherche généraliste (ou générale) constituait une activité économique et un marché pertinent(26). Elle a distingué ce marché de celui des sites fournissant du contenu (" content sites "), tels que, par exemple, Wikipedia, IMDb, The New York Times et Nature. Elle a également distingué ce marché de celui des services de recherche spécialisée et du marché des réseaux sociaux. Elle a enfin considéré que ce marché englobait à la fois les services fournis sur terminaux fixes et ceux fournis sur terminaux mobiles. Dans son avis sur la publicité en ligne, l'Autorité a relevé l'existence d'un marché de services de recherche générale, en soulignant que la décision de fournir un service sans contrepartie financière directe résulte d'un choix des entreprises, et que rien ne s'oppose à ce qu'une entreprise fournisse un service sans que celui-ci ait pour contrepartie un paiement des internautes(27).

138. Les éléments recueillis à ce stade de l'instruction ne sont pas de nature à remettre en cause la distinction opérée par la Commission entre le marché des services de recherche généraliste et le marché des sites fournissant du contenu et le marché des réseaux sociaux. En outre, la question d'un éventuel marché de la recherche spécialisée d'actualité peut être laissée ouverte à ce stade de l'instruction.

139. Il a en effet été relevé au cours de l'instruction que le principe de fonctionnement des moteurs de recherche les distinguait des sites de contenus et des réseaux sociaux. La société Qwant, qui édite un moteur de recherche généraliste, a ainsi indiqué : " Le principe du moteur de recherche est de renvoyer l'internaute vers les sites référencés, à l'inverse par exemple des réseaux sociaux qui conservent, par nature, l'internaute sur leur environnement. [...] Enfin, les fournisseurs de contenu (content sites) et les réseaux sociaux sont bien des marchés distincts. " (cote 2 891). La société Microsoft explique pour sa part que : " Le Search permet à un utilisateur d'entrer des mots clés pour obtenir des résultats issus du crawl [action " d'exploration " consistant à recueillir des informations sur les sites internet à l'aide de logiciels appelés " robot d'exploration "] des sites des éditeurs de presse ou des sites qui proposent de l'actualité. " (cote 2394).

140. Les moteurs de recherche et réseaux sociaux se distinguent également au regard de leurs usages. Microsoft indique ainsi à ce propos : " Il existe des réseaux sociaux purs que l'on peut distinguer des services de recherche. Lorsque l'on va sur Facebook ou Linkedin on y va pour échanger avec des contacts personnels ou professionnels. La distinction est donc pertinente du point de vue de l'utilisateur. Par ailleurs, du point de vue technologique, les plateformes sont différentes (au point de vue algorithmique notamment). Le mode de financement est cependant proche. " (cote 2393).

141. Lors de son audition, Facebook a certes émis pour sa part des réserves sur une telle segmentation (cote 4 459) en considérant être en concurrence avec tout acteur cherchant à capter " le temps passé par l'utilisateur ". Ce point de vue ne semble toutefois pas tenir compte des spécificités de l'offre ou de la demande des réseaux sociaux par rapport aux moteurs de recherche.

142. Enfin, on pourra relever que dans ses observations, Google ne remet pas en question la définition d'un marché des services de recherche généraliste, mais conteste l'existence d'un lien de causalité entre la position dominante qu'il détiendrait sur ce marché et les pratiques qui lui sont reprochées (cotes 8 238, VC 8 240 - 8 241, VNC 8 362). Ce point est examiné aux paragraphes 218 et suivants.

143. Par ailleurs, l'existence d'un marché de la recherche spécialisée d'actualité ne peut pas être exclue à ce stade de l'instruction. Sur cet éventuel marché, Google serait actif par l'intermédiaire, notamment, de l'Onglet Actualités de Google Search et le service Google Actualités. La question de l'existence d'un tel marché peut toutefois être laissée ouverte dès lors que, à ce stade de l'instruction, il apparaît que l'essentiel du trafic redirigé par Google vers les sites des éditeurs de presse l'est depuis Google Search (cotes VC 4 945 - 4 946 / VNC 5 003 - 5 004, VC 5 344 / VNC 5 369, VC 6 959 / VNC 6 961).

144. Enfin, la Commission a également relevé que les services de recherche généraliste sur terminaux fixes et mobiles appartenaient au même marché dans la mesure où, bien que les interfaces soient différentes, la technologie sous-jacente est la même. De plus, ces services sont proposés par les mêmes entreprises, que ce soit sur terminaux fixes et mobiles. Les éléments recueillis au cours de l'instruction ne conduisent pas à remettre en cause ce constat(28).

145. Compte tenu de ces éléments, l'Autorité considère que le marché des services de recherche généraliste est susceptible, à ce stade de l'instruction, de constituer un marché pertinent.

Dimension géographique

146. Dans sa pratique décisionnelle, la Commission a considéré que le marché des services de recherche généraliste était de dimension nationale(29).

147. En premier lieu, elle a relevé à cet égard que les principaux services de recherche généraliste étaient déclinés sur des bases nationales et linguistiques.

148. En second lieu, il existe selon la Commission des barrières à l'extension de l'activité d'un moteur de recherche au-delà de ses frontières nationales et linguistiques. Elle a notamment relevé que, même pour de grandes entreprises multinationales, l'internationalisation d'un service de recherche était couteuse.

149. Cette position est confirmée par Microsoft qui indique : " Cette délimitation est plus locale qu'internationale. Les annonceurs qui achètent des mots clés le font dans la langue et sur la base de la culture locale " tout en relevant cependant que " Les aspects techniques, en revanche, sont mutualisés au niveau international " (cote 2 395).

150. S'agissant des facteurs pris en compte pour le classement de résultats en réponse à une recherche d'un utilisateur, Google indique aussi que : " Les facteurs pertinents comprennent les termes de recherche utilisés, la pertinence et la facilité d'utilisation des sites web, l'expertise des sites web, la localisation/les paramètres de l'utilisateur et les informations que Google a enregistrées sur la façon dont les utilisateurs ont interagi avec ces sites web dans le passé. [...] Google peut proposer des résultats différents en fonction de facteurs contextuels tels que la localisation de l'utilisateur. Par exemple, une recherche pour le mot " football " aura probablement deux significations différentes selon que l'utilisateur est au Royaume-Uni ou aux États-Unis. " (cote 4 937, soulignement ajouté).

151. En l'état des éléments versés aux débats, il y a lieu de considérer que le marché des services de recherche généraliste est susceptible, à ce stade de l'instruction, d'être de dimension nationale.

c) Conclusion

152. En conclusion, le marché pertinent sur lequel les pratiques évoquées dans cette décision sont susceptibles d'être commises est le marché français des services de recherche généraliste.

2. SUR LA POSITION DE GOOGLE SUR LE MARCHE PERTINENT

a) Rappel des principes

153. La position dominante est définie comme une " position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs "(30).

154. L'existence d'une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants(31). Parmi ces facteurs, l'existence de parts de marché d'une grande ampleur est hautement significative(32).

155. Selon la jurisprudence de la CJUE, une part de marché de 50 % constitue par elle-même, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante(33).

156. Outre le niveau des parts de marché de l'entreprise en cause, il y a également lieu de tenir compte du rapport existant entre les parts de marché détenues par l'entreprise concernée et par ses concurrents.

157. Le Tribunal de l'Union européenne a considéré, s'agissant des secteurs récents en pleine expansion et qui se caractérisent par des cycles d'innovation courts et un contexte dynamique, que les parts de marché élevées ne sont pas nécessairement indicatives d'un pouvoir de marché(34). En revanche, le critère des parts de marché élevées demeure pertinent s'agissant d'un marché en forte croissance qui ne montre pas de signe d'instabilité pendant la période litigieuse et où une hiérarchie stable est établie(35).

158. Des indices complémentaires peuvent être pris en compte pour déterminer si un acteur peut être considéré comme étant en position dominante. Il y a lieu de mentionner en particulier l'existence de barrières à l'entrée ou de barrières à l'expansion et la puissance d'achat compensatrice des clients(36).

159. En l'espèce, en l'état des éléments versés au débat, Google est susceptible de disposer d'une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. Ses parts de marché se situent à des niveaux très élevés, alors même que celles de ses concurrents restent très limitées (b). La position dominante de Google est également confortée par l'existence de fortes barrières à l'entrée du marché des services de recherche généraliste (c).

b) Les parts de marché de Google

160. Les saisissants soutiennent que Google détient une position dominante sur le marché de la recherche en ligne. Selon le SEPM, qui reprend des éléments retenus par l'Autorité dans sa décision n° 19-MC-01, " Google détient une part de marché extrêmement élevée sur le marché des moteurs de recherche générale. Google Search représente en effet plus de 90% des requêtes des internautes en France (plus de 93% en octobre 2019) " (cote 28). L'APIG relève aussi que " [Or,] la même source que celle utilisée par la Commission pour établir la position dominante dans le cadre de la décision Google Shopping indique qu'en septembre 2019, Google détenait 93,41% des parts du marché de la recherche en ligne en France. Son premier concurrent, Bing, ne détenait que 2,94% des parts de ce marché [...]. La part de marché de Google est donc en augmentation. " (19/0079M cote 29). Enfin, selon l'AFP, " [En effet,] le géant des moteurs de recherche détenait, en octobre 2019, 93,34% de parts de marché sur le marché de la recherche en ligne, détenant une avance significative sur ses principaux concurrents, dont le premier Bing, détient uniquement 3,03% de parts de marché [...]. Sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, Google détenait plus de 70% des parts de marché [...]. " (19/0081M cote 7).

161. La Commission considère qu'il existe(37), pour la recherche en ligne, plusieurs méthodes pour calculer des parts de marché en volume : le nombre de requêtes, le nombre d'utilisateurs, le nombre de pages vues ou encore le nombre de sessions. En l'espèce, les acteurs interrogés ont confirmé la pertinence d'indicateurs comme le nombre de requêtes (PV d'audition de Qwant, cote 2 379), ou encore le nombre d'utilisateurs (PV d'audition de Microsoft, cote 2 411, PV d'audition de Yahoo 4 447). Google n'a pas contesté ces éléments dans ses observations.

162. Les éléments versés au dossier montrent que, quel que soit l'indicateur retenu pour apprécier sa part de marché, Google dispose d'une part très largement majoritaire du marché des services de recherche généraliste. En particulier, sa part de marché en nombre moyen mensuel de requêtes est de l'ordre de 90 % fin 2019 (contre environ 5 % pour son premier concurrent Microsoft, qui exploite le moteur de recherche Bing)(38).

163. Ces éléments sont cohérents avec les constats opérés antérieurement par l'Autorité. En 2010(39), elle observait déjà que " La position du moteur Google s'affermit régulièrement depuis sa création et, depuis 2004, elle dépasse les 50 % en France. ". Au début de l'année 2019(40), l'Autorité notait que " Sur le marché des services de recherche généraliste, Google génère via son service Google Search plus de 90 % des requêtes des internautes français ". Enfin, l'Autorité a relevé fin 2019(41) que le nombre de requêtes réalisées sur des moteurs de recherche autres que Google Search ne dépassait pas 10 % en 2016, constat similaire à celui réalisé déjà en 2018(42) et traduisant une stabilité des parts de marché dans le temps.

164. Enfin, les acteurs interrogés proposant un service de recherche en ligne identifient aussi Google comme l'acteur principal de ce type d'activité (PV d'audition de Microsoft, cote 2 411 ; PV d'audition de Qwant cote 2 379 ; PV d'audition de Yahoo, cote 4 433). Google n'a pas contesté ces déclarations dans ses observations.

c) Les barrières à l'entrée et à l'expansion

165. Comme l'a relevé l'Autorité dans la décision n° 19-D-26, le développement d'un moteur de recherche généraliste implique des investissements importants dans des technologies dédiées à la fourniture de publicités liées aux recherches et à l'accès à des ensembles de données permettant d'optimiser le référencement des contenus(43). Les pièces versées au dossier confirment que la mise au point et le fonctionnement d'un service de recherche en ligne nécessitent, à tout le moins, le développement d'algorithmes particulièrement sophistiqués, qui font l'objet de mises à jour ou d'innovations constantes, une puissance de calcul et de stockage de données considérable, permettant de parcourir internet et d'analyser les données ainsi recueillies et enfin des capacités de cyber sécurité pour éviter les tentatives de piratage de l'algorithme et des données.

166. Selon Microsoft (cotes 2393 - 2 394), " Une première barrière à l'entrée est l'algorithmie. Il faut plusieurs millions de lignes de code. Cela permet d'avoir des résultats extrêmement fins. Il faut également une puissance de calcul importante pour crawler [explorer] le web et pouvoir stocker ces données dans le monde entier si l'on veut un moteur de recherche mondial. Il faut ensuite maintenir un état de l'art au sens de la cybersécurité pour éviter que l'algorithme ainsi que les données soit piratés. Cela correspond à plusieurs millions d'euros d'investissements annuels. Il y a une troisième barrière qui est le potentiel d'investissement marketing. Il faut pouvoir communiquer sur cet algorithme. Par exemple, des couleurs particulières, une identité particulière. Il faut également des devices [appareils électroniques] sur lesquels le moteur est disponible et préconfiguré. C'est un point essentiel. ".

167. Ce constat est partagé par Qwant (cote 2 381) qui précise que " La barrière à l'entrée pour les moteurs réside dans la technologie, d'une grande complexité et onéreuse. ".

168. Le développement puis la réunion de ces éléments nécessaires à l'exploitation d'un moteur de recherche généraliste supposent des investissements significatifs qui apparaissent, à ce stade de l'instruction, susceptibles de constituer des barrières à l'entrée et à l'expansion sur le marché français des services de recherche généraliste.

169. Les barrières à l'entrée sont renforcées par deux facteurs interdépendants. D'une part, plus le volume et la variété de recherches augmentent, plus les résultats apparaissent pertinents. D'autre part, l'attractivité intrinsèque de services de recherches qui dépassent un certain seuil d'utilisations renforce les effets de réseaux existants entre l'utilisation du moteur de recherche généraliste et les services de publicité liés aux recherches. Plus le nombre d'utilisateurs fournissant des données augmente, plus la qualité des services publicitaires s'améliore(44).

170. En effet, comme l'ont relevé l'Autorité et la Commission(45), les deux faces d'une plateforme que constituent le moteur de recherche d'une part, et la publicité liée aux recherches d'autre part fonctionnent de façon interdépendante : l'importance du nombre d'utilisateurs d'un moteur de recherche augmente la probabilité qu'une publicité liée aux recherches soit correctement ciblée et aboutisse à un acte d'achat de la personne ciblée. En retour, le prix des publicités liées aux recherches pourra être d'autant plus élevé qu'elles auront été suivies d'un nombre de clics important.

171. Du fait de ces effets de réseau et d'expérience, Google a une capacité à générer des revenus et à investir bien supérieure à celle de la plupart de ses concurrents. Ces effets, combinés aux coûts d'entrée significatifs inhérents à la technologie requise pour le développement d'un moteur de recherche, renforcent les barrières à l'entrée et à l'expansion pour les concurrents.

d) Conclusion

172. En conclusion, à ce stade de l'instruction, Google apparaît susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. À bien des égards, cette position dominante de Google est susceptible de revêtir les l'aspect " extraordinaire ", ou exceptionnel, relevé par la Commission dans l'affaire Microsoft(46), et plus récemment par l'Autorité dans sa décision n° 19-D-26(47).

3. SUR L'EVENTUELLE DEPENDANCE ECONOMIQUE DES EDITEURS VIS-A-VIS DE GOOGLE

a) La pratique décisionnelle de l'Autorité en matière de dépendance économique

173. L'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce prohibe " (...) dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires (...) ".

174. L'abus de dépendance économique suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l'absence de l'une de ces trois conditions, l'abus de dépendance économique allégué n'est pas établi.

175. Issue de l'ordonnance du 1er décembre 1986, cette infraction n'a pas d'équivalent en droit de l'Union, mais est compatible avec celui-ci, le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenus 101 et 102 du TFUE) " n'empêch[ant] pas les États membres d'adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d'une entreprise ".

176. Dans un arrêt du 12 octobre 1993, Concurrence, n° 91-16988 et 91-17090, la Cour de cassation a défini quatre critères cumulatifs permettant de caractériser une situation de dépendance économique de la manière suivante : " si l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ".

177. S'agissant de l'impossibilité d'obtenir des produits équivalents, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 3 mars 2004, Concurrence, n° 02-14529, que " l'état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce ". Il y a lieu de rappeler que, malgré la suppression par la loi NRE de la mention du critère d'absence de solution alternative dans le code de commerce, la Cour de cassation a maintenu l'exigence, pour la partie dépendante, d'apporter la preuve de l'absence d'une telle solution(48).

178. L'Autorité a précisé que l'effectivité d'une éventuelle alternative doit également être appréciée au regard de son délai de mise en œuvre : " La possibilité d'un report vers d'autres débouchés ne doit impacter l'analyse que pour autant que ces débouchés constituent des solutions alternatives effectives, susceptibles d'être mises en œuvre dans un délai raisonnable. Il convient donc de tenir compte des contraintes techniques, commerciales ou juridiques liées au report vers d'autres débouchés (...) "(49).

179. Enfin, il est de jurisprudence constante que la démonstration d'une situation de dépendance doit être effectuée in concreto. L'Autorité a ainsi précisé que " l'état de dépendance économique s'apprécie in concreto, soit dans la relation bilatérale entre deux opérateurs économiques, soit plus largement, dans les relations entre un fournisseur et son réseau de distribution pourvu que ce réseau constitue un groupe d'entreprises aux caractéristiques suffisamment homogènes, dont les membres sont placés, à l'égard de ce fournisseur dans la même position économique et juridique "(50).

b) Application au cas d'espèce

180. Afin de caractériser une situation de dépendance économique il convient donc d'apprécier si les quatre critères suivants sont réunis : (i) la marque du mis en cause jouit d'une notoriété suffisante ; (ii) ce dernier détient une part de marché importante sur le marché concerné ; (iii) sa part dans le chiffre d'affaires de l'entreprise en éventuelle situation de dépendance économique est importante ; (iv) ladite entreprise ne dispose pas d'une solution alternative dans des conditions techniques et économiques comparables(51).

181. L'instruction au fond permettra de déterminer si les éditeurs et agences de presse se trouvent ou non en situation de dépendance économique vis-à-vis de Google, et le cas échéant si un abus est constaté. Dans le cadre de la présente procédure d'urgence, il n'est cependant pas nécessaire de se prononcer sur ces points, dès lors qu'en l'état de l'instruction, Google apparaît comme disposant d'une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste.

C. SUR LE CARACTERE POTENTIELLEMENT ANTICONCURRENTIEL DES PRATIQUES DENONCEES

182. Les saisissants estiment que les modalités de mise en œuvre par Google de la Loi sur les droits voisins constituent un abus de position dominante sur le marché de la recherche en ligne généraliste.

183. Selon l'APIG, cet abus prend la forme d'une " imposition par Google de conditions d'achat non-équitables du contenu protégé des éditeurs de presse " ainsi qu'un " contournement abusif de la Loi du 24 juillet 2019 " (cotes 9 et 10, 19/0079M).

184. Selon le SEPM, ces pratiques sont abusives en ce qu'elles " sont constitutives d'un détournement de la loi, dans la mesure où elles visent à contraindre les éditeurs de presse à renoncer à la rémunération de leur droit voisin, contrairement à l'objectif poursuivi par le législateur " ; qu'" au moyen de ce détournement, Google impose aux éditeurs des conditions inéquitables pour la diffusion de leurs contenus éditoriaux sur ses moteurs de recherche et Discover (i.e., la gratuité de la diffusion de ces contenus sous la forme de snippets) " ; que " Google impose ces conditions inéquitables sous la menace d'un déréférencement des éditeurs de presse (i.e., l'affichage dégradé de leurs contenus sur les moteurs de recherche de Google et Discover) " ; que " Google fait usage de sa position quasi-monopolistique sur le marché des moteurs de recherche pour imposer ces conditions inéquitables dans la mesure où elle n'aurait pas été en mesure d'imposer ces conditions dans une situation de concurrence efficace " et que " ces pratiques affectent la structure et le fonctionnement de la concurrence, à la fois à l'égard des éditeurs de presse magazine, des consommateurs (les lecteurs) et des moteurs de recherche ". (cote 32)

185. Selon l'AFP, Google a abusé de sa position dominante à deux égards : " Google a volontairement contourné l'esprit de la Directive et de la Loi, qui vise à rétablir l'équilibre dans les relations entre les moteurs de recherche d'une part, et les éditeurs de presse d'autre part, afin d'assurer une juste répartition de la valeur créée par ces derniers " et " Google impose des conditions non équitables de rémunération au titre des droits voisins, en privant les éditeurs et les agences de presse purement et simplement de toute rémunération, ces derniers étant obligés de concéder à Google des autorisations gratuites de reprise de leurs contenus, sous la menace d'un déréférencement ou d'un affichage très dégradé de leurs contenus parmi les résultats des moteurs de Google, ce qui compromettrait la continuité de leur activité ". (cotes 5 et 6, 19/0081M)

186. Dans ses observations du 24 février 2020, Google indique s'être " conformée à la Loi, y compris aux objectifs sous-jacents de la Loi, en cessant d'afficher ce qui peut être du contenu protégé (snippets) sans l'autorisation préalable de l'Éditeur de presse, et en développant des outils permettant aux Éditeurs de presse de mieux contrôler l'affichage de leurs contenus " (cote 8 251). Google soutient par ailleurs ne pas avoir imposé de conditions d'achat inéquitables aux éditeurs dans la mesure où " les snippets (et autres aperçus) ne remplacent aucunement les sites Web des Éditeurs de presse, mais aident plutôt à la redirection des utilisateurs vers ces sites Web, où l'Éditeur peut monétiser la visite de l'utilisateur " et où " l'affichage des snippets pour les résultats d'actualités ne génère aucune valeur monétaire pour Google " (cotes 8 252 et 8 253). Google soutient en outre qu'il ne fait pas obstacle au développement d'un nouveau marché dans la mesure où " Google n'a tout simplement pas de demande pour des licences payantes pour des snippets " et que " les demandes des Plaignants consistent en pratique à réclamer que Google soit soumis à une obligation de distribuer et d'afficher gratuitement les snippets au bénéfice des Éditeurs de presse, et que, de surcroît, elle soit obligée de payer lesdits Éditeurs. " (cotes 8 255 et 8 257) Google considère aussi que " la mise en œuvre de la loi par Google n'entraîne pas d'effets anticoncurrentiels " (cote 8 257). Enfin, Google soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité entre sa position sur le marché des services de recherche généraliste et les pratiques alléguées.

187. Le comportement de Google sera examiné au regard de la position dominante qu'elle est susceptible de détenir sur le marché des services de recherche généraliste.

188. Il résulte à cet égard d'une jurisprudence constante, aussi bien européenne que nationale, que si l'existence d'une position dominante n'est pas en soi condamnable, il incombe toutefois à l'entreprise qui la détient, indépendamment des motifs d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l'Union(52).

189. Seront successivement examinées l'utilisation éventuelle par Google de sa position dominante pour imposer des conditions de transactions inéquitables (1), des conditions discriminatoires (2) et contourner la Loi sur les droits voisins (3). Seront enfin examinés les justifications objectives avancées par Google (4) et les effets, réels ou potentiels, des pratiques (5).

1. SUR L'IMPOSITION DE CONDITIONS DE TRANSACTION INEQUITABLES

190. L'article L. 420-2 du code de commerce dresse une liste non-exhaustive de pratiques abusives lorsqu'elles sont mises en œuvre par un opérateur en position dominante. De même, selon l'article 102 du TFUE :

" Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. "

191. Comme l'a rappelé l'Autorité dans sa récente décision n° 19-D-26, s'agissant plus spécifiquement du a) du deuxième alinéa de l'article 102 du TFUE, son application ne se limite pas à l'hypothèse dans laquelle l'acteur dominant impose des prix non équitables ou excessifs, mais couvre aussi, comme l'article y fait expressément référence, le cas où cet acteur impose, de façon directe ou indirecte, d'" autres conditions de transaction non équitables ".

192. Dans un arrêt du 21 mars 1974, BRT/SABAM et Fonior, la Cour de justice fait référence au a) du deuxième alinéa de l'article 102 du TFUE dans le cas de figure de conditions inéquitables de transaction. La Cour rappelle que, selon les termes des dispositions précitées, une pratique doit être considérée comme abusive lorsqu'elle consiste, notamment, à " imposer de façon directe ou indirecte des conditions de transaction non équitables ". Elle estime " que le fait qu'une entreprise chargée de l'exploitation de droits d'auteur, occupant une position dominante au sens de l'article 86 [devenu article 102 du TFUE], imposerait à ses adhérents des engagements non indispensables à la réalisation de son objet social et qui entraveraient ainsi de façon inéquitable la liberté d'un adhérent dans l'exercice de son droit d'auteur, peut constituer une exploitation abusive "(53).

193. Le standard de preuve consiste, d'une part, à examiner les modalités selon lesquelles les conditions de transaction ont été conclues, les termes du a) du deuxième alinéa de l'article 102 précisant que la pratique abusive peut consister à " imposer " des conditions, et d'autre part, à apprécier le caractère inéquitable de ces conditions, en examinant plus particulièrement si les comportements de l'entreprise dominante ont été accomplis dans une " mesure raisonnable ". La jurisprudence précise à cet égard " Que s'il est exact, comme le fait remarquer la requérante, que l'existence d'une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu'il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses dits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser "(54).

a) Sur le contexte des pratiques

194. L'entrée en vigueur de la Loi n° 2019-775 visait à permettre de redéfinir le partage de la valeur entre plateformes et éditeurs et agences de presse, dans un cadre de négociation entre eux. Ces finalités ont été confirmées explicitement par le ministère de la culture lors de son audition (cote 2 867) :

" Sur le plan juridique, l'objectif est d'outiller les éditeurs de presse qui étaient, avant même la loi, déjà cessionnaires des droits des journalistes auteurs des contenus qu'ils éditent. La loi permet donc de faire de l'éditeur le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle propre, facilitant de ce fait les négociations et les actions contentieuses. Sur le plan économique, l'objectif est de rééquilibrer le partage de la valeur entre les éditeurs et un ensemble d'opérateurs économiques de l'univers numérique, ensemble assez diversifié incluant notamment les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les agrégateurs de contenus. [...]. En définitive, l'outil juridique sert la finalité économique, l'objet des droits voisins étant de valoriser, et donc rémunérer, l'investissement consenti par leur titulaire. ".

195. La Loi sur les droits voisins prévoit un certain nombre de critères pour guider les négociations et la définition de la rémunération due par les services de communication au public en ligne aux éditeurs et agences de presse pour l'exploitation de leurs contenus éditoriaux. L'article L. 218-4 du CPI dispose ainsi :

" La rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l'exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l'article L. 131-4.

La fixation du montant de cette rémunération prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l'information politique et générale et l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.

Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d'information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d'information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition. ".

b) Sur l'absence de toute négociation entre Google et les éditeurs et agences de presse

196. Les éléments du dossier recueillis à ce stade de l'instruction font état de l'absence de toute négociation de Google avec les éditeurs et agences de presse visant à définir les conditions d'affichage et de rémunération de leurs contenus protégés dans le cadre de la Loi sur les droits voisins.

197. En l'espèce, le comportement de Google a consisté à annoncer unilatéralement qu'elle ne reprendrait plus les contenus protégés des éditeurs et des agences de presse à compter de la date d'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins, sauf à ce que ces derniers lui en donnent l'autorisation à travers les trois types de différentes balises Meta (" max-snippets ", " max-image-preview " et " max-video-preview "), les titres d'articles étant par principe repris.

198. Par ailleurs, Google a annoncé sur la page " FAQ " à destination des éditeurs de presse qu'elle ne rémunérerait pas la reprise des contenus protégés, excluant toute négociation contractuelle sur ce sujet. De plus, ces annonces s'adressaient à l'ensemble des éditeurs, quelle que soit la nature des contenus en cause.

199. Google a donc, dès le 25 septembre 2019, soit un mois avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins, notifié aux éditeurs de presse un préavis de rupture de leurs relations préexistantes pour le 24 octobre 2019, accompagné d'une offre de maintien de ces relations, mais à prix nul et sans discussions possibles. Cette pratique a donc abouti à contraindre les éditeurs de presse, ne disposant d'aucune alternative satisfaisante à la reprise de leurs contenus par Google, à renoncer par avance au bénéfice attendu de la Loi sur les droits voisins, à savoir autoriser, aux termes d'un processus de négociation effective, un rééquilibrage de leurs relations.

200. Ce comportement unilatéral et systématique place les éditeurs de presse dans une situation fortement contrainte, alors même que l'objectif de la Loi sur les droits voisins était au contraire d'octroyer à la négociation, sur un plan à la fois juridique et économique, une place centrale dans les relations entre services de communication au public en ligne et éditeurs et agences de presse.

201. Il doit être rappelé à cet égard que l'alternative proposée aux éditeurs entre les différentes modalités d'affichage de leurs contenus par Google et l'absence de reprise de ces contenus est en réalité inexistante. En effet, les éditeurs et agences de presse ne peuvent supporter la perte de trafic que représenterait l'absence d'affichage des contenus protégés au sein des services de Google, en raison notamment du caractère irremplaçable du trafic redirigé par cette dernière (voir ci-dessous). Plutôt que de négocier avec un éditeur ou une agence de presse, Google, par son comportement, met ce dernier devant un choix consistant soit à potentiellement perdre du trafic et des revenus au profit de ses concurrents qui auraient opté pour une licence gratuite, soit à les conserver en octroyant également une licence gratuite. Dans ces conditions il est rationnel pour l'éditeur d'accepter l'offre unilatérale de Google, compte tenu de son anticipation sur le choix des autres éditeurs. La situation dans laquelle le comportement de Google place les éditeurs de presse ne peut donc qu'aboutir à une rémunération nulle.

202. Ainsi, en pratique, en raison de l'approche adoptée par Google, la très grande majorité des éditeurs de presse ont sollicité sans aucune négociation le maintien de l'affichage de leurs contenus protégés, et ce, alors que la Loi sur les droits voisins leur reconnaît désormais un droit sur les contenus éditoriaux qu'ils publient.

c) Sur le caractère inéquitable des conditions imposées

203. À ce stade de l'instruction, l'Autorité considère que l'application par Google d'un " prix nul " à l'ensemble des éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus protégés n'apparaît pas comme constituant une mesure raisonnable au sens de la jurisprudence (voir l'arrêt de la Cour, United Brands, précité), dans la mesure où Google retire un intérêt économique à la reprise de contenus protégés et que la Loi sur les droits voisins vise à transférer une partie de ce gain aux éditeurs et agences de presse.

204. Dans ses observations, Google soutient que la Loi sur les droits voisins doit être interprétée conformément à la Directive, laquelle créerait simplement un droit d'interdire l'utilisation de contenus protégés sans pour autant introduire un droit d'obtenir une rémunération ou d'imposer la conclusion d'accords de licence d'utilisation des contenus protégés.

205. Or, le législateur européen, à travers notamment les considérants 55 et 57 de la Directive, a manifesté son souhait de permettre aux éditeurs et agences de presse de percevoir une rémunération appropriée pour l'utilisation de leur travail par les prestataires de service de la société de l'information. En outre, si la Loi sur les droits voisins n'exclut pas par principe la possibilité, pour une plateforme en ligne, de reprendre certains contenus spécifiques sans rémunération associée, si ces contenus, par exemple, n'ont pas nécessité d'investissements particuliers, il paraît en revanche contraire à la volonté du législateur que l'intégralité des contenus des éditeurs et agences de presse puisse échapper à toute forme de rémunération. C'est pourtant cette situation indifférenciée de " prix nul ", quels que soient le contenu et le titulaire de droit voisin concerné, qui résulte de la stratégie actuellement mise en place par Google. Par ailleurs, la circonstance que Google ait procuré, dès avant les pratiques, certains revenus aux éditeurs et agences de presse par le trafic qu'elle redirige ne saurait par elle-même, en tout état de cause, justifier les pratiques en cause, alors que le législateur a considéré que la répartition actuelle de la valeur ajoutée devait être modifiée en faveur des éditeurs et agences de presse, par le bais d'une rémunération spécifiquement attachée au droit voisin.

206. Dans ses observations, Google soutient aussi que les contenus d'actualité représentent un poids minime dans son modèle économique en soulignant (i) la faible part des recherches en lien avec l'actualité et la presse sur Google Search ([0 ; 3 %], cote 8 689) et (ii) les revenus quasi-nuls générés par la publicité sur des résultats d'actualité. Dans ses observations, Google soutient également que l'affichage de contenus protégés d'éditeurs de presse dans ses services ne présente pas de valeur économique pour elle.

207. À titre liminaire, un tel argument revient à questionner le bien fondé du choix opéré par le législateur d'une redéfinition du partage de valeur au bénéfice des éditeurs et des agences de presse. Or, il n'appartient pas à l'Autorité de remettre en cause ce choix. Les arguments de Google à cet égard sont donc irrecevables.

208. En tout état de cause, les éléments versés au débat témoignent de l'existence d'avantages économiques obtenus par Google grâce à la reprise de contenus protégés.

209. Premièrement, Google admet qu'il existe des publicités qui s'affichent à la suite de requêtes en lien avec l'actualité. Ces publicités, si elles représentent une faible proportion des revenus de Google selon elle, n'en demeurent pas moins une source de revenus (cotes 5 002 et 5 003).

210. Deuxièmement, il existe pour Google un intérêt économique certain et des revenus indirects qui sont tirés de la reprise et de l'affichage de contenus protégés. Ce type d'affichage est en effet attractif pour les utilisateurs, en ce qu'il améliore la qualité et l'expérience de visionnage de la page de recherche. Des déclarations de Microsoft en audition témoignent de cet avantage lié à l'affichage de contenus émanant des éditeurs et agences de presse (cote 2 398). Un moteur de recherche a dès lors intérêt à développer ce type d'affichage pour attirer ou conserver des utilisateurs sur ses services. L'attractivité de ces contenus peut jouer tant dans le déclenchement d'une recherche (qui peut être motivé par un contenu d'actualité, puis dériver sur un autre type de recherche) que dans le temps passé sur le moteur de recherche et les données personnelles qui en dérivent. Microsoft explique aussi que cet affichage est de nature à maintenir l'utilisateur dans l'environnement du moteur de recherche et, le cas échéant, le rediriger vers un lien sponsorisé générant des revenus pour le moteur de recherche. Ces déclarations n'ont pas été remises en cause par Google au cours de l'instruction.

211. Google soutient, par ailleurs, que l'affichage des contenus protégés rend possible une meilleure monétisation des sites internet des éditeurs de presse grâce au trafic qu'elle leur apporte. Or, les bénéfices retirés par les éditeurs de sites d'actualités liés à l'affichage de contenus profitent de manière directe ou indirecte à Google, en raison de son propre rôle sur l'intermédiation dans la publicité en ligne.

212. Ainsi, d'une part, comme le relèvent les travaux parlementaires, certains internautes se contentent de l'information enrichie sur la page de recherche de Google, sans éprouver le besoin d'aller cliquer sur le lien, et donc de visiter le site, qui par la suite ne peut monétiser ses contenus, sous forme d'abonnement ou de publicité (rapport n° 243 précité, page 18). Dans le cas d'une recherche sur un fait d'actualité, les extraits associés ou non à des images peuvent suffire à fournir une synthèse de l'information que certains lecteurs considèrent comme suffisante. Dans cette situation, Google est la seule à retirer un bénéfice de l'affichage de contenus protégés.

213. Google indique également entretenir des relations contractuelles et financières avec des éditeurs de presse en ce qui concerne la vente et l'achat de publicités et intervenir en tant qu'intermédiaire dans l'écosystème publicitaire (cotes VC 4 948 - 4 951, VNC 5 006 - 5 009). Interrogée sur les revenus associés directement ou indirectement à la publicité et générés par du trafic en lien avec du contenu d'actualité consulté sur ou depuis les services de Google, celle-ci indique : " Il convient de préciser que ces chiffres n'incluent pas les revenus dégagés par les publicités dites " display " diffusées par l'intermédiaire de Google sur des sites tiers, car Google comprend que cette question porte sur les redirections de trafic provenant des services de Google Search et Google Actualités, plutôt que sur l'écosystème via lequel les éditeurs monétisent eux-mêmes leurs propres pages à l'aide des services publicitaires de Google, pour lesquels Google perçoit une part des revenus " (cote 4 944, soulignement ajouté). En outre, comme le rapporte Google dans son deuxième rapport économique (voir paragraphe 231 ci-après), la suppression de l'affichage des contenus protégés et même la fermeture d'un service comme Google Actualités(55), est susceptible d'entraîner une diminution du trafic total sur les sites des éditeurs de presse. A contrario, l'affichage de contenus protégés d'éditeurs de presse accroît ce trafic et bénéficie ainsi aux activités publicitaires de Google.

214. Par ailleurs, il peut être relevé que l'ensemble des autres opérateurs (moteurs de recherche, agrégateurs, réseaux sociaux) interrogés s'inscrivent dans une démarche de maintien de l'affichage enrichi, sous réserve d'un partenariat avec les éditeurs (cotes 2 418-2 419, 2 897-2 898, 4 436, 4 926, 4 461). Cette volonté reflète bien l'intérêt que représente ce type d'affichage pour l'utilisateur, et aussi pour l'audience et les revenus des plateformes.

215. L'étude interne de Google intitulée " Snippet Experiment " selon laquelle l'affichage de contenus protégés ne procurerait pas de revenus à Google n'est pas de nature à remettre en cause les constats précédents. Il est en effet impossible d'apprécier la pertinence des conclusions de cette étude dès lors que celle-ci ne détaille pas le périmètre de revenus considéré, étant relevé que comme indiqué supra, les revenus que tire Google de ces affichages peuvent être indirects, au travers de revenus publicitaires " display " (cote 4 944) ou d'une plus grande attractivité de son moteur de recherche. En outre, et en dépit des demandes des services d'instruction (cotes 5 341 VC et 5 366 VNC), Google n'a communiqué ni les données ni les programmes utilisés dans le cadre de cette étude. Enfin, il peut être relevé que selon cette étude, l'affichage de contenus protégés sous forme de " snippet " augmente le trafic vers les sites des éditeurs de presse en provenance de Google d'environ 7 % (cote 8 222). Un tel affichage augmente donc, selon les résultats mêmes de l'étude en question, le nombre de clics réalisés par des internautes vers des sites d'éditeurs de presse depuis le moteur de recherche de Google, ce qui est de nature à améliorer son fonctionnement.

216. Il peut enfin être relevé qu'à la différence des éditeurs de presse, Google est en mesure de retirer un gain de tout internaute accédant à du contenu d'actualité sur internet, que cet accès se fasse par une recherche sur le Search en lien avec l'actualité et donnant lieu à l'affichage de contenu protégé, ou par tout autre moyen. Dans le cas où un internaute utilise le moteur de recherche générale Search, Google est en effet en mesure de percevoir des revenus, que l'internaute clique ou non sur un lien affichant du contenu protégé et le redirigeant vers le site d'un éditeur de presse (voir ci-dessus). Dans le cas où un internaute accède au site d'un éditeur de presse par un autre moyen que le Search, Google peut toujours profiter de son rôle sur l'intermédiation dans la publicité en ligne. Ainsi, à la différence des éditeurs qui restent tributaires, pour leur chiffre d'affaires publicitaire, du seul trafic qui leur est apporté, Google tire un intérêt de toute recherche d'internaute portant sur l'actualité, alors même qu'elle ne produit pas de contenu d'actualité.

217. Enfin, le caractère inéquitable des conditions imposées par Google résulte également, en l'état de l'instruction, de la situation paradoxale dans laquelle sont placés les éditeurs et agences de presse, dont les conditions de transaction sont plus défavorables que celles qui préexistaient à l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins et des pratiques de Google. Ceci sera développé aux paragraphes 244 et suivants.

d) Sur le lien de causalité entre la position dominante de Google sur le marché des services de recherche généraliste et l'imposition de telles conditions de transaction

218. Comme indiqué ci-dessus, les éléments versés au débat témoignent d'un poids particulier et irremplaçable de Google dans le trafic des sites internet des éditeurs de presse, qui découle de la position de Google sur le marché des services de recherche généraliste et permet la mise en œuvre des pratiques identifiées.

Sur l'importance du trafic internet pour les éditeurs et agences de presse

219. Le chiffre d'affaires numérique des éditeurs dépend, comme l'indique le SEPM, intégralement du trafic sur le site de ces éditeurs (cote 42), lequel est monétisé par l'affichage de publicités et la vente de contenus éditoriaux numériques (cotes VC 2 947 - 2 951, VNC 4 504 - 4 508).

220. Les éléments versés au dossier font ressortir une part certes limitée(56), à ce jour, de la vente de contenus en ligne et de la publicité en ligne dans le chiffre d'affaires total des éditeurs de presse. Pour autant, les revenus de ces derniers deviennent de plus en plus dépendants de leurs activités en ligne (édition de contenus, publicité, etc.). Cela s'explique notamment par une frontière entre lectorat papier et lectorat numérique de plus en plus poreuse. Les données communiquées par l'APIG illustrent cette tendance avec, par exemple, 82 % des abonnés du journal Sud-Ouest ayant une offre papier et numérique. Ce pourcentage s'élève à 94 % pour les abonnés de La République des Pyrénées, et à 95 % pour ceux de Charente Libre. De même, le lectorat exclusivement papier diminue au profit du lectorat numérique. Entre le premier trimestre 2014 et le troisième trimestre 2018, le lectorat exclusivement papier du journal l'Equipe est passé de 48 % à 21 % du lectorat total. Ce pourcentage est passé de 61 % à 57 % pour le Télégramme entre janvier 2018 et novembre 2019, de 69 % à 58 % entre 2015 et 2019 pour Le Parisien, et de 47 % à 39 % pour Les Echos sur la même période. De même, le Groupe Centre France identifie au cours des cinq dernières années une baisse de son lectorat papier de 4 % par an et une augmentation de ses abonnements numériques " de l'ordre de 10 % à 30 % ". Le Groupe La Dépêche indique enfin qu'il existe une tendance en faveur des lecteurs mixtes et des lecteurs purement numériques (cotes VC 2 947 - 2 951, VNC 4 504 - 4 508). Dans ces conditions, le numérique apparaît comme un relais de croissance stratégique du chiffre d'affaire des éditeurs de presse. Compte tenu de la situation critique dans laquelle se trouvent les éditeurs de presse, ce relais de croissance représente un enjeu de " survie économique des éditeurs et agences de presse " comme le relève le député P. Mignola dans le rapport n° 1912(57). Il apparaît donc que les éditeurs de presse ne peuvent se permettre une quelconque perte de lectorat numérique.

221. Du fait de sa croissance, la place qu'occupe le numérique dans le lectorat confère au trafic d'internautes une importance majeure dans l'activité des éditeurs de presse. Les liens économiques qu'entretiennent éditeurs et agences de presse, tels que décrits ci-dessus, rendent également ce trafic essentiel pour les agences de presse.

Sur le poids du trafic en provenance de Google, et son caractère non remplaçable

? Sur le poids du trafic en provenance de Google

222. Il ressort des données communiquées par les éditeurs de presse, mais aussi par Google, que celle-ci apporte une part très importante du trafic des sites internet des éditeurs de presse. D'après les données fournies par les saisissants, portant sur 32 titres de presse, et non contestées par Google, les moteurs de recherche représentent, selon l'éditeur, entre 26 % et 90 % du trafic redirigé, et deux tiers de celui-ci en moyenne (non pondérée(58)). Pour plus des trois quarts des répondants du SEPM (et 80 % des répondants de l'APIG), ce pourcentage est supérieur à 50 %. Il ressort aussi de ces réponses que la quasi-totalité du trafic issu des moteurs de recherche provient de Google (cotes 3 961 à 3 963, 3 967, 5 428 et 5 430 à 5 437, 7 403 et 7 045). Dès lors, toute diminution des redirections depuis Google Search est susceptible d'aboutir à une diminution importante du trafic sur les sites des éditeurs. Ces données sont corroborées par les statistiques du Syndicat de la Presse Indépendante d'Information en Ligne (ci-après le " Spiil "), basées sur les données d'une quinzaine de ses adhérents et non contestées par Google dans le cadre de l'instruction, selon lesquelles la part que représente Google dans le trafic de ces adhérents serait comprise entre 8 et 80 % avec une moyenne à 40 % (cote 2 878).

223. Dans sa première étude économique, Google soutient, pour sa part, qu'elle apporte 31,5 % du trafic total sur les sites des éditeurs de presse. Ce pourcentage appelle plusieurs observations.

224. Tout d'abord, ce chiffre traduit bien un poids significatif de Google dans le trafic des éditeurs de presse. Ensuite, l'Autorité constate que ce chiffre est calculé en excluant le " trafic organique de marque ", lequel consiste à associer à des termes d'une recherche le nom d'un titre de presse spécifique. Or de telles recherches sont tout aussi susceptibles d'afficher du contenu protégé d'éditeurs de presse que des recherches n'incluant pas de nom d'éditeur. En outre, aucun élément versé au débat par Google, notamment sa première étude économique (cotes 3 699 et suivantes) dans laquelle elle défend l'exclusion du " trafic organique de marque " ou l'étude interne de Google intitulée " Snippet experiment ", n'apporte de justification à une telle exclusion. Il ne peut donc être exclu à ce stade de l'instruction que l'absence de contenus protégés puisse également conduire à une baisse de ce " trafic organique de marque ". La prise en compte du " trafic organique de marque " ferait passer, d'après la première étude économique de Google, la part de trafic en provenance de Google de 31 % à près de 37 %.

225. Enfin, l'Autorité relève aussi que ce chiffre de 31,5 % est calculé sans pondération et en grande partie sur la base de trafics d'éditeurs de presse étrangers (par exemple " timesofisrael.com ") ou de sites qui ne sont pas éditeurs de presse (comme par exemple " visa-algerie.com ")(59). Sur les 200 sites étudiés par Google dans l'étude précitée, l'APIG indique que seuls 75 sont des sites d'éditeurs de presse français (cote 7 059), constat qui n'est pas remis en cause par Google dans ses dernières observations. En ne considérant par exemple que les seuls membres de l'APIG, la moyenne pondérée du volume de trafic redirigé par Google s'élèverait, selon l'APIG, à 45,3 % du trafic total de ces éditeurs (cote 7 059)(60).

226. Dans ces conditions, il apparaît qu'en raison de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste, le trafic en provenance de Google, et tout particulièrement de Google Search, constitue une part prépondérante du trafic total des éditeurs de presse.

? Sur le caractère non remplaçable du trafic en provenance de Google et en lien avec du contenu protégé

227. Il paraît enfin peu vraisemblable que le trafic issu des moteurs de recherche soit substituable, du point de vue des éditeurs, à un trafic issu de réseaux sociaux, d'agrégateurs de contenus, ou encore à de l'accès direct. Ces différents services présentent, en effet, des caractéristiques et des fonctionnalités différentes pour les utilisateurs. Ces particularités, qui sont également présentes pour ce qui concerne l'accès aux articles de presse, ont d'ailleurs conduit la Commission à envisager des marchés distincts s'agissant des services de recherche généraliste et de réseaux sociaux(61).

228. En outre, les données fournies par les parties, saisissants comme Google, font apparaître un écart très substantiel entre le trafic fourni par Google et les éventuelles alternatives à disposition des éditeurs.

229. Ainsi, dans sa première étude économique, Google estime le poids de différentes sources de trafic vers les sites des éditeurs de presse (cote 3 702). Selon cette étude, la première source de trafic est constituée du trafic direct, lequel représenterait 46,8 % (en ce compris le " trafic organique de marque ", 41,5 % sans ce dernier) du trafic total sur les sites des éditeurs de presse. La deuxième source de trafic correspond aux moteurs de recherche (31,5 % - cf. supra) et la troisième source de trafic (derrière le trafic direct et les moteurs de recherche) provient des réseaux sociaux, à hauteur de 12,6 % du trafic des sites d'éditeurs de presse. Cette note économique identifie aussi quatre autres sources de trafic qui, en cumulé, sont à l'origine de moins de 10 % du trafic des sites des éditeurs de presse.

230. Ces pourcentages appellent deux commentaires. En premier lieu, et comme il a été indiqué ci-dessus, ces données, et notamment celles relatives aux moteurs de recherche, souffrent de biais méthodologiques qui limitent leur pertinence. En deuxième lieu, et nonobstant la première observation, ces données soulignent, en tout état de cause, le poids prépondérant des moteurs de recherche par rapport à toute autre alternative de source de trafic redirigé. Les données communiquées par les saisissants témoignent aussi de l'écart entre Google et les autres sources de trafic. D'après les données fournies par l'APIG, les moteurs de recherche, au sein desquels Google occupe une place présentant des aspects " extraordinaires ", représentent, en moyenne arithmétique (en l'absence de données de volumes), 4,7 fois le trafic du deuxième pourvoyeur de trafic redirigé que sont les réseaux sociaux pour les sites du groupe Sud Ouest, de La Dépêche, du Courrier de l'Ouest, de Ouest France, du Maine Libre, de Presse Océan, de La Provence, de La Croix, du Parisien et des Echos (cotes VC 3 966 - 3 986, VNC 5 428 - 5 437). Le Spiil indique aussi en audition (cote 2 878) que " Nous avons compilé les chiffres chez une quinzaine d'adhérents de la part que représente Google dans l'audience (tous les services gratuits de Google, notamment le Search, Google Actualités et Discover). Il en ressort que cette part varie entre 8% et 80% avec une moyenne à 40%. [...] A titre de comparaison, la part que représente Facebook, deuxième pourvoyeur de trafic, dans l'audience de ces mêmes adhérents varie entre 0% et 17%. ". Au final, un éditeur de presse qui perdrait directement du trafic et dont le classement dans le moteur de recherche Google serait dégradé en raison de l'absence de contenus protégés ne pourrait substituer aisément à ce canal et au trafic qu'il générait un autre canal susceptible de générer le même trafic : le trafic que cet éditeur perdrait au travers de cette dégradation de l'affichage et dans le rang de classement du moteur de recherche de Google ne pourrait donc être retrouvé au travers d'un autre canal ou même d'une combinaison de canaux.

231. Troisièmement, dans sa deuxième étude économique, Google souligne que " En plus de démontrer que les plateformes et agrégateurs d'information orientent le trafic vers les sites Internet des éditeurs et agences, la littérature économique montre également que les snippets jouent un rôle favorable pour les éditeurs et agences de presse " (cote 8 659). Google s'appuie sur une littérature économique étudiant les expériences qu'ont constituées la fermeture de Google Actualités en Espagne en 2014 et la réforme allemande du droit d'auteur en 2013 (conduisant au contentieux entre Google et VG Media et à la suppression des " snippets " se rapportant aux titres de cet éditeur dans le moteur de recherche de Google). Dans le premier cas, qui a donné lieu à la fermeture du service Google Actualités en Espagne et a fortiori la suppression de tout affichage de contenus de presse sur ce service, Google constate que les études s'accordent sur une réduction du total des visites des sites internet des éditeurs en Espagne, de 5,3 % à 14 % selon les estimations. Dans le deuxième cas, Google constate que le nombre de visites quotidiennes sur les sites internet d'un groupe d'éditeurs n'ayant pas autorisé Google à afficher des contenus sous forme de " snippets " (mais seulement sous forme de liens), a diminué de 8 %. Google relève que " le trafic ainsi perdu s'était reporté vers les pages Internet des concurrents qui avaient autorisé Google à afficher des snippets " (cote 8 660).

232. Il ressort donc de ces études que la suppression des " snippets " occasionne bien une diminution du trafic vers les sites des éditeurs visés, ce qui tend à indiquer qu'au moins une partie du trafic généré par ces " snippets " n'est pas reconquise par d'autres canaux. Les études citées par Google examinent certes l'impact sur le trafic des éditeurs sur un horizon temporel limité (6 mois dans l'étude relative au cas espagnol, deux semaines dans l'étude relative au cas allemand). Mais le cas allemand suffit à montrer qu'un éditeur de presse a jugé moins coûteux d'accorder, après deux semaines, une licence gratuite à Google pour la reprise de ses contenus, plutôt que d'attendre une période indéterminée, et en tout état de cause supérieure à deux semaines, pour compenser le trafic perdu depuis le moteur de recherche de Google. Plus récemment, la réaction unanime des éditeurs de presse français à l'annonce de la nouvelle politique d'affichage de Google témoigne aussi du caractère irremplaçable du trafic issu de Google et de l'affichage de contenus protégés pour les éditeurs de presse et du fait que chaque éditeur n'a pas voulu être pénalisé en prenant une décision différente de celle de ses concurrents.

233. À l'inverse de ce que soutient Google, ces exemples, qu'elle met en avant, illustrent le caractère irremplaçable pour les éditeurs de presse du trafic issu de Google.

e) Conclusion

234. Il ressort des éléments versés au débat que les conditions imposées par Google lui ont permis d'éviter toute forme de négociation et de rémunération pour la reprise des contenus protégés, quelle que soit leur nature, et ce alors que les droits voisins créés par la Loi n° 2019-775 ouvraient aux éditeurs et agences de presse une possibilité de négociation pour la valorisation de leurs contenus, en fonction des critères énumérés par la Loi sur les droits voisins.

235. Une telle situation s'explique par le caractère non remplaçable et essentiel pour la viabilité économique des éditeurs de presse du trafic généré par les contenus protégés affichés par Google. En effet, la menace de dégradation de l'affichage est synonyme pour chaque éditeur de presse de perte de trafic et donc de revenus, aussi bien s'il est seul concerné par cette dégradation que si cette dégradation vise l'ensemble des éditeurs. C'est également la raison pour laquelle ces éditeurs sont conduits à accepter des conditions plus défavorables que celles qui auraient prévalu dans l'hypothèse où Google n'aurait pas imposé unilatéralement l'absence de rémunération pour la reprise et l'affichage des contenus protégés, mais se serait engagée dans des négociations avec les éditeurs et agences de presse. C'est également la raison pour laquelle ces derniers ont été conduits à accepter des conditions encore plus défavorables après l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins que celles qui lui préexistaient.

236. Cette situation est résumée par le ministère de la culture de la manière suivante (cotes 2 870 et 2 871) :

" L'argument consistant à dire que les éditeurs auraient le choix de refuser d'être référencé, voire d'accepter un référencement dégradé, est contestable pour au moins deux raisons ; la première, de fait, tout éditeur dépend pour son trafic donc pour ses recettes publicitaires d'un référencement efficace sur Google ; la seconde se pose sous la forme d'un dilemme du prisonnier. En effet, tout éditeur peut ressentir qu'il a intérêt à accorder la licence la plus large possible ne serait-ce que par crainte que d'autres le fassent. Cela est corroboré par l'attitude des éditeurs de presse qui ont, dans leur grande majorité, concédé une licence gratuite, la plus large possible, à Google. " (cote 2 870)

237. Au regard de ce qui précède, il apparaît que les modalités de mise en œuvre par Google de la Loi sur les droits voisins sont susceptibles d'être qualifiées d'imposition de conditions de transaction inéquitables au sens de l'article 102 a) du TFUE et de l'article L. 420-2 du code de commerce.

2. SUR LE CARACTERE DISCRIMINATOIRE DES PRATIQUES DE GOOGLE

238. Parmi les pratiques prohibées au titre des pratiques anticoncurrentielles, les discriminations peuvent constituer un abus de position dominante, au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE, lorsqu'elles sont le fait d'entreprises détenant une position dominante. À ce titre, l'article 102 c) du TFUE vise l'abus de discrimination, qui consiste à " appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ".

239. Or, en vertu des principes généraux du droit de l'Union, la notion de discrimination consiste non seulement à traiter de manière différente des situations similaires, mais aussi à traiter de manière identique des situations objectivement non similaires (CJCE 17 juillet 1963, République Italienne c/ Commission, aff. C-13/63).

240. En l'espèce, le comportement de Google revient à imposer une rémunération nulle pour tous les éditeurs et ce, indépendamment d'un examen de leurs situations respectives, et des contenus protégés correspondants, à l'aune des critères posés par la Loi sur les droits voisins. Eu égard en particulier à la volonté du législateur de donner la possibilité aux éditeurs et agences de presse de percevoir une rémunération pour la reprise et l'affichage de leurs contenus protégés en fonction de critères précis, un tel traitement indifférencié paraît, en l'état de l'instruction, susceptible d'être dépourvue de justification objective. Cette pratique, pour les mêmes raisons que celles développées ci-avant, est rendue possible par la position dominante que Google détient sur le marché des services de recherche généraliste.

241. Au regard de ce qui précède, il apparaît que les modalités de mise en œuvre par Google de la Loi sur les droits voisins sont susceptibles de contrevenir à l'article 102 c) du TFUE et à l'article L. 420-2 du code de commerce.

3. SUR LE CONTOURNEMENT DE LA LOI

242. Les juridictions européennes ont considéré qu'une entreprise en position dominante pouvait commettre un abus lorsque, sans violer formellement une loi, elle en détourne les finalités sans justification objective(62).

243. En l'espèce, les modalités de mise en œuvre de la Loi sur les droits voisins par Google apparaissent susceptibles de contrevenir à l'esprit de la loi. En effet, ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, l'objectif de la Loi n° 2019-775 est de redéfinir le partage de la valeur en faveur des éditeurs de presse, et ce dans un cadre négocié. Or, les modifications apportées par Google à sa politique d'affichage lui ont permis d'obtenir le consentement de la grande majorité des éditeurs de presse pour la reprise systématique de leurs contenus, quelle qu'en soit la nature, et ce sans aucune forme de négociation préalable ni a fortiori de rémunération versée par Google. En d'autres termes, Google utilise la possibilité laissée par la Loi sur les droits voisins de consentir des licences gratuites pour en faire un principe général de non-rémunération pour l'affichage des contenus protégés sur sa plateforme.

244. Le comportement de Google lui a permis de surcroît d'obtenir de nouvelles conditions de transaction encore plus avantageuses qu'avant l'entrée en vigueur des nouvelles modalités de reprise et d'affichage des contenus protégés.

245. Ainsi, la nouvelle balise " max-snippet " mise en place par Google dans le cadre de l'entrée en vigueur en France du droit voisin permet aux éditeurs d'indiquer à Google la longueur du contenu textuel que Google est autorisée à reprendre dans ses pages de résultats. Or, comme indiqué ci-dessus, la très grande majorité des éditeurs (86,6 % selon l'étude Mind Media précitée) ont indiqué à Google via cette balise et le paramètre associé " -1 " qu'ils n'imposaient pas de limite à la longueur des extraits (cote 1 680). S'agissant des photographies et des vidéos, la très grande majorité des éditeurs ont accordé des autorisations très larges à Google, lui permettant d'afficher des image-vignette de très haute qualité ainsi que des vidéos sans limite de durée, et ce sans percevoir de rémunération en retour. En pratique, cela signifie que, selon cette étude, la grande majorité des éditeurs ont choisi d'autoriser Google à reprendre gratuitement l'intégralité de leurs articles dans ses pages de résultats. Le ministère de la culture indique ainsi (cote 2 871) :

" De ce point de vue, l'application que fait Google de la loi conduit à un recul par rapport à la situation antérieure. Non seulement Google ne paie pas, mais il a également accès à davantage de contenu puisque la grande majorité des éditeurs ont opté pour une licence autorisant la reprise de contenus sans limite de caractères là où antérieurement, Google appliquait unilatéralement une limite (de l'ordre de 300 caractères). Aujourd'hui, Google est en capacité de reprendre la totalité des contenus de presse pour l'essentiel des éditeurs de presse selon un article de l'agence Mind Media. "

246. Cette analyse est corroborée par les réponses fournies par Google dans le cadre de l'instruction. En effet, comme Google l'explique elle-même la balise " max-snippet " et le paramètre " -1 " " autorise[nt] expressément Google à copier tout le texte de la page web et à l'afficher dans Google Search. " (cote 4 952). Interrogée sur sa capacité à afficher de tels contenus sans limite de taille avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins et la mise en place de cette nouvelle politique, Google indique qu'elle " n'avait pas la possibilité d'afficher des " snippets textuels " sans limite de taille avant octobre 2019 ". (PV d'audition Google : cotes 4426 et 4427 ; réponse 11 au questionnaire du 13 janvier 2020, cotes VC 5 334 et VNC 5 359).

247. Cette situation paradoxale dans laquelle sont placés les éditeurs et agences de presse, dont les conditions de transaction sont plus défavorables que celles qui préexistaient à l'entrée en vigueur de Loi et des pratiques de Google, est en contradiction directe avec les objectifs de la Loi n° 2019-775.

248. Pour justifier sa position Google a soutenu au cours de l'instruction que " les éditeurs qui choisissent le balisage " max-snippet :-1 " (plutôt que de spécifier une longueur particulière pour leurs snippets) font confiance à Google pour sélectionner la longueur de snippet qui donnera aux utilisateurs suffisamment d'informations sur la page pour les inciter à cliquer, sans se substituer au besoin de visiter la page pour consommer le contenu dans son intégralité sur le site de l'éditeur. [...] Google n'utilise pas le balisage " max-snippet " en substitut d'une licence de contenu s'agissant des expériences de consommation sur consommation sur ses propres outils ". (cotes VC 5 335, VNC 5 360)

249. Cette réponse n'apparaît cependant pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel la majorité des éditeurs se trouvent dans une situation dégradée à la suite de l'entrée en vigueur de la nouvelle politique d'affichage de Google. En effet, il importe peu que Google déclare vouloir optimiser la longueur des contenus affichés au bénéfice des éditeurs, dès lors que Google apparaît comme ayant imposé par son comportement l'octroi d'une licence à titre gratuit par les éditeurs pour afficher tout ou partie des articles en question.

250. Il ne peut non plus être exclu que la modification des conditions d'affichage des contenus des éditeurs de presse constitue une violation de la lettre de la Loi n° 2019-775.

251. En effet, les modalités de reprise de tout ou partie des titres des articles des éditeurs de presse par Google ne sont pas nécessairement couvertes par les exceptions prévues par la Loi sur les droits voisins. À cet égard, le ministère de la culture a expliqué que : " Il convient de relever que l'exception ne vise pas spécifiquement les titres. Ceux-ci pourraient ne pas être couverts par l'exception soit par principe eu égard à leur caractère spécifique, soit au cas par cas en fonction du nombre de mots qu'ils contiennent. A supposer qu'ils le soient, en ce qu'ils seraient qualifiables de mots isolés ou très courts extraits, se poserait alors la question de l'application de la deuxième phrase du 2° de cet article ". (cote 2 869) Cette approche est également partagée par un autre acteur du marché comme News Republic (cote 4 929).

252. Le caractère très spécifique des titres est d'ailleurs reconnu par Google elle-même qui indique : " L'utilité d'un snippet varie en fonction de l'origine du contenu et de la nature de l'information. Par exemple, dans le cas d'une recette de cocktail, le snippet peut être utile pour permettre à l'utilisateur de savoir sur quel lien il veut cliquer. En revanche, les contenus d'actualité sont produits par des journalistes professionnels et les titres sont rédigés avec une grande attention pour attirer l'intérêt des utilisateurs et les inciter à cliquer pour aller lire l'article. Dès lors, pour les contenus d'actualité, les snippets ne sont pas en général aussi utile que pour d'autres contenus. En outre, lorsqu'il n'y a pas de snippets, nous pouvons faire apparaître plus de résultats sur une page. " (PV d'audition de Google, cote 4 424).

253. Enfin, l'absence de communication par Google des informations spécifiques prévues par l'article L. 218-4, alinéa 3 du CPI, et indispensables à toute négociation commerciale entre éditeurs et agences de presse et services de communications au public en ligne paraît, en l'état de l'instruction, en contradiction avec la lettre et l'objet de la Loi sur les droits voisins.

254. Ce contournement de la Loi sur les droits voisins est rendu possible par la position dominante dont bénéficie Google en particulier sur le marché des services de recherche généraliste, et le poids que celle-ci représente dans le trafic sur les sites des éditeurs de presse. Pour les mêmes raisons, Google par son seul comportement, paraît en capacité de priver la Loi sur les droits voisins d'une grande partie de son effectivité. Un tel comportement est donc susceptible de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

4. SUR L'ABSENCE DE JUSTIFICATIONS OBJECTIVES

255. La décision n° 19-D-26 rappelle que, s'agissant du comportement de l'entreprise dominante qui impose des conditions de transaction inéquitables, la jurisprudence examine si celles-ci sont à la fois nécessaires et proportionnées pour remplir l'objectif poursuivi par l'entreprise dominante ou la réalisation de son objet social.

256. Google soutient qu'en vertu d'un principe prétendument intangible de neutralité, elle ne paie jamais pour indexer du contenu. Selon Google, " rémunérer des snippets serait incompatible avec le compromis fondamental inhérent à l'exploitation d'un moteur de recherche ". Google considère par ailleurs que sa décision de demander le consentement des éditeurs de presse pour la reprise d'extraits de texte, et ce sans contrepartie monétaire, constitue " une démarche naturelle, prudente et raisonnable " compte tenu des nouvelles dispositions légales et des incertitudes qui entourent ce texte d'une part, et de la nécessité de se protéger d'éventuelles actions contentieuses des éditeurs d'autre part. Enfin, Google opère un parallèle avec la procédure ayant donné lieu à une décision du Bundeskartellamt en 2015(63) qui analysait le comportement de Google qui refusait de mettre en œuvre un droit de propriété intellectuelle accessoire en faveur des éditeurs de presse introduit en droit allemand.

257. Toutefois, en premier lieu, à supposer que l'invocation par Google de sa pratique interne soit opérante au cas d'espèce, il ressort des éléments produits par l'AFP que celle-ci a conclu à plusieurs reprises des conventions portant sur la rémunération de contenus issus de l'AFP pour leur reprise par Google.

258. En 2007, à la suite de poursuites judiciaires engagées par l'AFP en 2005, Google a accepté de transiger et de conclure un accord de rémunération de l'AFP pour la reprise dans les services de Google d'extraits textuels et d'images-vignettes. Le mécanisme de rémunération prévoyait un montant forfaitaire ainsi qu'un mécanisme de partage des revenus publicitaires (voir réponse de l'AFP au questionnaire du 5 décembre : cotes 2 605-2606 et 2718). En 2010, un nouveau contrat, établi sur les mêmes bases que celui de 2007 a été conclu pour une période de trois ans (cotes 472-473 et 2 727-2 734).

259. L'Autorité relève par ailleurs que le refus de rémunérer les éditeurs de presse a lui-même un impact sur le référencement des éditeurs de presse qui, ne souhaitant pas octroyer de licence sans rémunération associée, subissent la dégradation de leur affichage. En tout état de cause, Google n'apporte pas d'éléments démontrant l'impossibilité de garantir la neutralité de son référencement tout en rémunérant des éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus protégés comme le prévoit la Loi.

260. En deuxième lieu, s'agissant du caractère prétendument naturel, prudent et raisonnable du comportement de Google, l'Autorité relève que la Loi n° 2019-775 n'exclut certes pas par principe la possibilité pour un éditeur de consentir une licence gratuite, dans certains cas, pour l'exploitation de ses contenus. Pour autant, le comportement de Google, consistant à placer systématiquement les éditeurs et agences de presse dans une situation dont le seul équilibre possible est la concession d'une partie substantielle de leurs droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, ne peut être considéré, à l'issue de cette première analyse, comme prudent au regard notamment des dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE. En effet, comme développé supra, une telle pratique est susceptible de constituer un abus de position dominante sur le marché des services de recherche généraliste, quand bien même elle ne constituerait pas par elle-même une violation de la Loi sur les droits voisins.

261. De même, le choix de Google d'inclure systématiquement, et sans distinction, les titres des articles dans l'exception prévue au 2° de l'article L. 211-3 du CPI ne paraît, à ce stade de l'instruction, et contrairement à ce que soutient Google, ni " naturel ", ni " prudent ", ni " raisonnable ".

262. À l'inverse, un comportement " naturel, prudent et raisonnable " pour un opérateur dominant comme Google, sur lequel repose une responsabilité particulière, aurait pu consister à entrer dans des négociations préalables de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse. De telles négociations auraient permis à Google de respecter la volonté du législateur, tout en préservant ses intérêts.

263. En troisième lieu, enfin, le parallèle établi par Google avec la procédure ayant donné lieu à une décision du Bundeskartellamt en 2015(64) est, en tout état de cause, dénué de pertinence en l'espèce. Comme l'indique d'ailleurs le Bundeskartellamt dans sa décision, le cas allemand s'inscrit dans un contexte juridique et factuel déterminé, qui ne saurait servir de précédent pour apprécier le caractère anticoncurrentiel de pratiques mises en œuvre par Google dans un autre cadre. La décision précise à ce titre (cotes 3 340 et 3 341) :

" Il est vrai qu'en-dehors de l'Allemagne, des dispositifs relatifs aux droits d'auteur en faveur des éditeurs de presse existent en Espagne et sont en discussion en Autriche [...]. Pour autant, il s'agit dans tous les cas d'un sujet de droits nationaux qui sont construits de manière différente. Par conséquent, l'analyse concurrentielle de la réaction de Google peut varier - même si les réactions de Google, comme indiqué par la partie tierce, sont cohérentes. Même une possible " stratégie européenne ou globale " poursuivie par Google ne pourra changer cela. Seules des actions concrètes sont sujettes à un examen concurrentiel pour des pratiques anticoncurrentielles. Cet examen tient compte du cadre spécifique en lien avec le contexte légal dans lequel une telle action intervient(65). " (traduction libre, soulignement ajouté)

264. Le Bundeskartellamt prend par ailleurs le soin de préciser dans sa décision que son appréciation pourrait être différente dans l'hypothèse d'un changement de la loi sur les droits voisins en Allemagne (" changes in the ancillary copyright of publishers by the legislator ") (cote 3 342). Or, c'est précisément dans un cadre législatif différent que les pratiques de Google sont intervenues, à la suite de l'adoption de la Directive puis de sa transposition en droit français.

5. SUR LES EFFETS REELS OU POTENTIELS DES PRATIQUES

265. Ainsi que l'a rappelé récemment l'Autorité dans sa décision n° 19-D-26 précitée, s'agissant de l'imposition de conditions de transaction non équitables, la démonstration d'effets anticoncurrentiels de la pratique n'est pas requise(66).

266. En tout état de cause, à ce stade de l'instruction, le comportement de Google est susceptible d'avoir entraîné des effets de deux ordres.

267. D'une part, les pratiques de Google sont susceptibles d'être préjudiciables aux éditeurs et agences de presse, en privant la Loi sur les droits voisins de ses effets escomptés. Ceci résulterait d'une dégradation de la situation des éditeurs et agences de presse, tant d'un point de vue économique que juridique, compte tenu du périmètre des licences gratuites concédées à Google, par rapport à la situation qui aurait résulté d'une négociation dans les conditions fixées par la Loi. Au-delà des conséquences des pratiques de Google pour les éditeurs et agences de presse, il ne peut être exclu que celles-ci conduisent également à une dégradation de la qualité de l'information, faute pour les éditeurs d'avoir les ressources suffisantes pour faire face à leurs charges. Elles porteraient ainsi atteinte à la pérennité de la contribution que les éditeurs apportent " au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique ", pérennité que le législateur entendait garantir. Cette volonté transparaît non seulement dans les dispositions de la Loi sur les droits voisins, mais également dans celles de la Directive (considérant 54 de la Directive, voir aussi PV d'audition du ministère de la culture, cote 2 867).

268. D'autre part, ces pratiques sont susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché des services de recherche généraliste, en plaçant les concurrents de Google, notamment ceux détenant une faible part de marché et qui s'acquittent d'une rémunération auprès des éditeurs pour l'affichage de leurs contenus, dans une situation d'asymétrie par rapport à Google (cotes 2 387 et 2 400).

D. SUR LES DEMANDES DE MESURES CONSERVATOIRES

269. Selon une jurisprudence constante, " des mesures conservatoires peuvent être décidées (...) dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou l'entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction, dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce, pratique à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée " (Cour de cassation, arrêt du 8 novembre 2005, Neuf Télécom, n° 04-16857).

270. Pour déterminer si les pratiques dénoncées permettent de prononcer des mesures conservatoires, il convient donc d'apprécier le caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à l'économie générale, au secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Ces différentes atteintes ne constituent toutefois pas des conditions cumulatives, mais alternatives : une atteinte grave et immédiate relevée dans un seul de ces cas suffit à permettre le prononcé de mesures conservatoires.

271. En revanche, la gravité de l'atteinte, son immédiateté et l'existence d'un lien de causalité entre les faits dénoncés et l'atteinte sont trois critères cumulatifs(67).

1. SUR L'ATTEINTE GRAVE ET IMMEDIATE A L'ECONOMIE GENERALE, A CELLE DU SECTEUR INTERESSE, A L'INTERET DU CONSOMMATEUR OU A L'ENTREPRISE PLAIGNANTE

272. À titre liminaire, l'Autorité relève qu'en se servant de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste, et compte tenu de l'importance manifeste de l'usage de contenus protégés dans son moteur de recherche (cote 4 957), Google est en mesure de porter atteinte à l'effectivité d'une loi, en l'occurrence la Loi sur les droits voisins, et ce avant même que celle-ci puisse produire ses effets. Cette situation pourrait être qualifiée d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, compte tenu du rôle primordial de la presse dans le fonctionnement d'une société démocratique. Toutefois cette question peut être laissée ouverte en l'espèce dès lors que les pratiques de Google portent une atteinte grave et immédiate qui affecte spécifiquement le secteur de la presse.

a) Sur la gravité de l'atteinte au secteur de la presse

273. Ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, le secteur de la presse connaît de très grandes difficultés économiques. En effet la transformation des usages a conduit à l'érosion de la diffusion papier, à laquelle s'ajoute également la baisse des recettes publicitaires. La contraction de ses deux sources de revenus traditionnels a conduit à une diminution du chiffre d'affaires total du secteur de la presse d'environ 4 milliards d'euros depuis une dizaine d'années, ainsi que cela a été relevé ci-dessus.

274. Face au déclin de la presse papier et à la diminution des revenus publicitaires associés, en particulier, les éditeurs et agences de presse n'ont pas d'autres solutions que de développer leurs activités numériques pour assurer leur pérennité. Dans ce contexte, les revenus liés aux activités en ligne des éditeurs et agences de presse, et notamment la valorisation de leurs droits voisins auprès des services de communication au public en ligne, sont appelés à jouer un rôle stratégique dans la stabilité financière de ces acteurs. Il apparaît aussi que les éditeurs de presse ne peuvent se permettre une quelconque perte de leur lectorat numérique.

275. Or, contrairement à ce que soutient Google, les pratiques dénoncées empêchent les éditeurs et les agences de presse de valoriser auprès d'elle les droits qui leur ont été reconnus par la Loi sur les droits voisins, et ce, alors même que le législateur a souligné qu'il s'agissait d'une source de revenus vitale pour le secteur. En ce sens, dans le Rapport n° 1912, le député Mignola a souligné que le dispositif sur les droits voisins constitue " une question de vie ou de mort " pour les médias et qu'à travers " la survie économique des éditeurs et agences de presse, c'était celle du pluralisme des médias, et donc de la liberté de la presse, qui était en jeu ". (cotes 6673 et 6674)

276. Cette atteinte apparaît d'autant plus grave que l'usage que fait Google des contenus protégés des éditeurs et agences de presse sur ses différents services est important, en particulier Google Search. En effet, comme indiqué ci-dessus, Google Search est la principale source de trafic redirigé vers les sites des éditeurs de presse et à ce titre, le service susceptible de faire le plus massivement usage des contenus protégés.

277. La gravité de cette atteinte réside également dans le fait que la pratique porte sur un secteur qui joue un rôle primordial dans le cadre d'une société démocratique. Le considérant 54 de la Directive souligne ainsi que la presse " apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique ". Cette particularité du secteur de la presse a également été reconnue par le Conseil constitutionnel qui a considéré que " le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle "(68).

278. En conséquence, les pratiques dénoncées créent une atteinte grave au secteur de la presse en ce qu'elles menacent la viabilité économique des opérateurs du secteur de la presse, et en premier lieu, les éditeurs et agences de presse.

b) Sur le caractère immédiat de l'atteinte au secteur de la presse

279. Seule une atteinte immédiate peut justifier une intervention en urgence de l'Autorité, visant à empêcher la réalisation d'un dommage que la décision au fond serait impuissante à prévenir ou à réparer. L'intervention de l'Autorité peut ainsi être sollicitée pour mettre fin en urgence à un comportement récent qu'il conviendrait de faire cesser afin que le dommage ne puisse se matérialiser ou prendre de l'ampleur. L'immédiateté de l'atteinte est notamment appréciée au regard de la date de la mise en œuvre des pratiques, c'est-à-dire de leur caractère récent.

280. En l'espèce la mise en œuvre des pratiques de Google est intervenue à partir du 25 septembre 2019 et celles-ci sont toujours en cours. Leur caractère récent est dès lors établi.

281. En outre ces pratiques sont intervenues à une époque décisive pour le secteur de la presse. Or, l'Autorité tient compte des circonstances conjoncturelles dans lesquelles se déroulent les pratiques. Ainsi, l'immédiateté de l'atteinte peut notamment découler du fait que les pratiques aient été mises en œuvre dans un secteur s'ouvrant à la concurrence ou encore à " une époque décisive pour l'animation concurrentielle "(69) d'un marché.

282. La nouvelle politique d'affichage des contenus d'actualité de Google a été annoncée le 25 septembre 2019, et mise en œuvre le 24 octobre 2019, jour de l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins. Cette nouvelle loi aurait dû permettre le déclenchement de négociations de bonne foi en vue de déterminer la rémunération due au titre des droits voisins dès son entrée en vigueur. Or, les titulaires de ces nouveaux droits se sont trouvés dans l'incapacité de les exercer du fait du comportement de Google, au moment précis où la Loi n° 2019-775 devait produire les effets escomptés pour remédier aux difficultés économiques du secteur de la presse. Il ne fait donc pas de doute que les pratiques de Google interviennent à une époque particulièrement décisive pour le secteur de la presse, et alors que l'économie des acteurs est extrêmement fragile.

283. Selon Google, les éditeurs n'ont jamais été rémunérés pour l'affichage des contenus protégés au sein de ses services et le choix de la plupart d'entre eux de continuer à autoriser la reprise et l'affichage de ces contenus par Google signifie qu'aucun changement n'est intervenu à leur égard.

284. Toutefois, cet argument ne saurait emporter la conviction. D'une part, il convient de relever que l'adoption par le Parlement de la Loi sur les droits voisins constitue un fait nouveau, qui devait conduire, selon la volonté du législateur, à rééquilibrer la répartition de la chaîne de valeur entre les services de communication au public en ligne tels que Google Search et les éditeurs et agences de presse. D'autre part, les modalités particulières de mise en œuvre de la Loi sur les droits voisins décidées par Google constituent elles aussi un fait nouveau et, en outre, peuvent être regardées comme ayant " aggravé la situation de l'économie, du secteur ou des consommateurs ", circonstance qui est regardée par l'Autorité, dans sa pratique décisionnelle, comme rendant " particulièrement urgente leur protection par l'octroi de mesures conservatoires "(70). En effet, comme on l'a vu, loin de rééquilibrer les rapports entre éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne, le comportement de Google a conduit à placer les éditeurs et agences de presse dans une situation encore plus défavorable que celle qui préexistait à l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits voisins.

285. L'urgence est d'autant plus caractérisée en l'espèce que la nécessité de rééquilibrer immédiatement le rapport de force entre les différents acteurs du secteur de la presse a été soulignée tout au long des débats parlementaires ayant précédé l'adoption de la Loi sur les droits voisins. Cette " urgence très réelle à agir sur le sujet "(71) s'est d'ailleurs concrétisée par la transposition dans un délai très bref de la Directive. La célérité attendue de la tenue et de l'aboutissement des négociations entre plateformes et éditeurs et agences de presse était par ailleurs un objectif mis en avant par les parlementaires, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la Loi. Le député Patrick Mignola, rapporteur de la proposition de la loi au nom de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, indiquait ainsi dans son rapport n° 2141 en date du 15 juillet 2019: " l'urgence à présent est que les négociations sur la rémunération de ce droit et sur la part qui en sera rétrocédée aux journalistes professionnels et autres acteurs d'œuvres intégrées aux publications de presse s'engagent et aboutissent dans les meilleurs délais "(72) (cote 6 770).

286. Il résulte de ce qui précède que les pratiques de Google doivent être regardées comme portant une atteinte immédiate au secteur de la presse.

c) Sur le lien de causalité entre les pratiques de Google et l'atteinte identifiée

287. Au regard des développements qui précèdent, il apparaît que l'atteinte identifiée au secteur de la presse est directement liée aux modalités de mise en œuvre par Google de la Loi sur les droits voisins, qui privent les éditeurs et agences de presse, au moment où leurs activités numériques apparaissent comme un relais incontournable pour leur pérennité, de toute possibilité de négociation et de valorisation de leur droit nouvellement reconnu.

288. Comme précédemment s'agissant du critère relatif à l'immédiateté de l'atteinte, Google soutient qu'il n'y aurait pas de lien entre la modification des conditions de reprise et d'affichage des contenus protégés sur ses différents services et les difficultés du secteur de la presse, ces dernières étant préexistantes à l'adoption de la Directive et de la Loi sur les droits voisins. Comme cela a été indiqué ci-dessus, cet argument n'est pas pertinent, car c'est précisément le comportement de Google qui génère l'atteinte identifiée empêchant les éditeurs et agences de presse de valoriser les droits que la Loi sur les droits voisins vient de leur octroyer. La situation de crise préexistante du secteur, si elle est de nature à aggraver par ailleurs les conséquences de l'atteinte résultant du comportement de Google, n'est donc pas la cause de l'atteinte identifiée.

289. Dans ces conditions, le lien de causalité entre les pratiques dénoncées et l'atteinte au secteur de la presse est établi.

290. L'Autorité relève pour finir que les plaignants, qui agissent pour la défense des intérêts d'un très grand nombre d'éditeurs de la presse d'information générale, de la presse quotidienne nationale, de la presse quotidienne régionale, de la presse quotidienne départementale ainsi que de la presse hebdomadaire régionale et de la presse magazine, représentent une grande partie du secteur de la presse en France. Par ailleurs, la Fédération Nationale de la Presse d'Information Spécialisée (FNPS) s'est également manifestée afin d'apporter son soutien à leur démarche. Dans ces conditions, les pratiques de Google qui portent atteinte, de façon manifeste, au secteur de la presse, doivent être regardées comme portant également une atteinte de manière grave et immédiate aux intérêts des plaignants.

291. Dans ce contexte, et en l'état des éléments produits au débat, il n'apparaît pas nécessaire d'analyser si les pratiques dénoncées ont par ailleurs porté une atteinte grave et immédiate aux intérêts des consommateurs.

2. SUR LES MESURES CONSERVATOIRES NECESSAIRES

292. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 464-1 du code de commerce, les mesures conservatoires " peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

293. Accessoirement à leurs saisines au fond, l'APIG, le SEPM et l'AFP ont sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce, le prononcé des mesures conservatoires résumées dans le tableau suivant :

[TABLEAU]

294. Selon Google, ces demandes seraient " injustifiées et disproportionnées ". Ces demandes impliqueraient en effet de revenir aux conditions d'affichage antérieures à la Loi sur les droits voisins, ce qui exposerait Google à des plaintes pour violation des droits d'auteur. Enfin, selon Google, les demandes des saisissants seraient de nature à transformer un droit de propriété intellectuelle limité à un droit exclusif sur un contenu en une possibilité pour le détenteur du droit d'imposer à d'autres entreprises une obligation d'achat de ce droit. Or, non seulement une telle obligation d'achat serait en contradiction avec le droit de la propriété intellectuelle et les principes du libre marché, mais elle serait en outre incohérente avec la position de Google qui " n'est pas en demande d'achats de snippet " (cote 8 271).

295. Lors de la séance, les services d'instruction ont, pour leur part, proposé d'adopter des mesures conservatoires tenant à l'obligation de négociation de bonne foi, tout en ajoutant des mesures plus spécifiques visant à introduire un principe de neutralité d'éventuelles négociations sur les modalités de présence des contenus d'éditeurs et agences de presse sur les services de Google d'une part, et sur toute autre relation économique qu'entretiendrait Google et des éditeurs et agences de presse d'autre part.

296. Compte tenu du caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques dénoncées et de l'atteinte grave et immédiate qu'elles portent au secteur de la presse, l'Autorité estime nécessaire d'obtenir, dans l'attente de la décision au fond, des garanties relatives au caractère équitable des conditions de transaction entre Google et éditeurs et agences de presse s'agissant des droits voisins.

297. Ainsi qu'il a été dit plus haut, les pratiques dénoncées par les saisissants, et susceptibles de constituer un abus de position dominante, consistent, de la part de Google, à imposer aux éditeurs et agences de presse une rémunération nulle pour la reprise et l'affichage de leurs contenus protégés. Ces pratiques pourraient être regardées comme une exploitation abusive par Google de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste, le caractère non remplaçable du trafic qu'elle apporte aux éditeurs de presse et la situation économique actuelle des éditeurs rendant toute perte de trafic extrêmement préjudiciable à la pérennité de leurs activités.

298. Dans ces conditions, la suspension des atteintes identifiées nécessite de mettre en place un mécanisme d'injonctions (ci-après les " Injonctions ") permettant aux éditeurs et agences de presse au sens de l'article L. 218-1 du CPI ou aux organismes de gestion collective au sens de l'article L. 218-3 du CPI, s'ils le désirent, d'entrer en négociation avec Google en vue de discuter tant des modalités d'une reprise et d'un affichage de leurs contenus que des rémunérations pouvant y être associées. Il convient, dans le cadre de ces mesures conservatoires, que la négociation ainsi engagée puisse se dérouler de bonne foi. Les mesures conservatoires, doivent, afin d'être strictement nécessaires et proportionnées, également préserver la faculté des éditeurs et agences de presse qui le souhaiteraient à ne pas entrer en négociation avec Google ou à lui accorder une licence gratuite. Il paraît, enfin, nécessaire de préserver Google contre des demandes qui ne seraient pas conformes aux critères fixés par la Loi sur les droits voisins.

299. Contrairement à ce qu'a indiqué Google, tant dans ses observations qu'en séance, ces mesures apparaissent nécessaires et proportionnées à la gravité des pratiques car étant les seules à même de garantir des conditions de transactions équitables ainsi que l'effectivité de la Loi sur les droits voisins.

300. En réponse aux demandes des saisissants consistant à revenir à l'état antérieur, Google soutient qu'une telle mesure conservatoire l'exposerait à des plaintes pour violation des droits d'auteur. Cette critique n'est pas pertinente s'agissant du mécanisme imposé par l'Autorité qui n'a pas retenu un retour à l'état antérieur mais impose un maintien des conditions d'affichage en conformité avec les demandes formulées par les éditeurs et agences de presse postérieurement à l'annonce de la nouvelle politique d'affichage de Google.

301. Le dispositif mis en place par les Injonctions n'implique nullement de placer Google en situation d'obligation d'achat de tout contenu, mais se limite à permettre un partage équitable des revenus générés par des contenus que Google reprend déjà depuis le lancement de son moteur de recherche en 1998(73), et uniquement avec les éditeurs et agences de presse dont les demandes sont conformes aux critères fixés par la Loi sur les droits voisins.

302. Par ailleurs, les mesures conservatoires n'excluent pas que certains contenus puissent être fournis gratuitement à Google par les éditeurs et agences de presse. Cela pourrait se produire lorsque l'éditeur ou l'agence de presse souhaite accorder à Google une licence gratuite, ou lorsque les critères fixés par la Loi n° 2019-775 ne justifient pas le versement d'une rémunération.

303. S'agissant de l'argument de Google selon lequel, au-delà de toute question d'obligation d'achat, il n'existerait pas de volonté de sa part de reprendre des contenus protégés pour les afficher au sein de ses services, celui-ci n'apparaît pas étayé par des éléments crédibles. D'une part, et ainsi que précédemment exposé, il existe un historique de reprise de ces contenus par Google de plus de 20 ans. D'autre part, les modalités retenues par Google de mise en œuvre de la Loi sur les droits voisins lui ont, non seulement permis de poursuivre la reprise et l'affichage des contenus, mais, plus encore, ont renforcé sa capacité à reprendre et à afficher de la façon la plus extensive les articles, photos et vidéos des éditeurs et agences de presse.

a) Obligation de négocier de bonne foi dans les conditions fixées par l'article L. 218-4 du CPI

304. Au vu de ce qui précède, il convient d'enjoindre à Google de négocier avec les éditeurs et agences de presse qui en feraient la demande pour la reprise de leurs contenus, et ce dans le respect des dispositions de l'article L. 218-4 du CPI. Afin d'assurer l'effectivité d'une telle mesure, l'Autorité considère nécessaire d'apporter les précisions suivantes :

(i) la mise en œuvre de cette Injonction doit couvrir l'ensemble des services de Google reprenant des contenus protégés par la Loi n° 2019-775, en particulier son site de recherche en ligne Google Search. Ainsi défini, le champ d'application des mesures conservatoires doit permettre d'éviter tout risque de contournement du dispositif par Google.

(ii) cette Injonction implique l'obligation pour Google d'entrer en négociation de bonne foi dès lors qu'elle est sollicitée par un éditeur, une agence de presse ou un organisme de gestion collective.

(iii) cette Injonction impose que les négociations aboutissent effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google. Cette proposition financière sera appréciée à la lumière de sa conformité avec la Loi n° 2019-775 et de son caractère transparent, objectif et non discriminatoire. Le cas échéant, une telle proposition pourra donc conduire à proposer une rémunération nulle.

(iv) compte tenu notamment de l'urgence de la situation dans laquelle se trouve le secteur de la presse, ayant notamment conduit le législateur à transposer la Directive dans un délai très bref, les négociations relatives à cette Injonction couvriront, de façon rétroactive, la période commençant dès l'entrée en vigueur de la Loi 2019-775, soit le 24 octobre 2019.

[1] Il est enjoint à Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective qui en feraient la demande, la rémunération due par Google à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés sur ses services, conformément aux modalités prévues à l'article L. 218-4 du CPI et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires. Cette négociation devra couvrir la période de reprise des contenus depuis le 24 octobre 2019.

b) Obligation de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due

305. Afin de garantir l'effet utile de la première Injonction, il convient d'enjoindre Google de communiquer aux éditeurs et agences de presse entrant en négociation les éléments d'information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due, et ce conformément aux dispositions de l'article L. 218-4, alinéa 3, du CPI.

[2] Il est enjoint à Google de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l'article L. 218-4 du CPI.

c) Obligation de maintien des extraits textuels et des extraits enrichis des éditeurs et agences de presse pendant la période de négociation

306. Afin de garantir l'effectivité du processus de négociation, il est nécessaire d'enjoindre à Google de maintenir, pendant la période de négociation, l'affichage des contenus protégés dans les services de Google selon les modalités choisies par ces mêmes éditeurs et agences de presse dans les REP et les balises Méta. Il appartiendra à Google de s'assurer du respect des dispositions du code la propriété intellectuelle dans la mise en œuvre de cette Injonction.

307. S'agissant des éditeurs et agences de presse n'ayant pas accordé d'autorisation de reprise de leurs contenus protégés à Google depuis le 24 octobre 2019 mais sollicitant Google pour une négociation dans le cadre des Injonctions, il convient d'enjoindre à Google de ne pas s'opposer à l'affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par ces éditeurs et agences de presse pendant la période de négociation.

[3] Il est enjoint à Google de maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d'affichage mises en place depuis l'entrée en vigueur de la Loi n° 2019-775, selon les paramètres retenus par les éditeurs. Il est enjoint à Google de permettre aux éditeurs et agences de presse n'ayant pas accordé à Google d'autorisation de reprise de leurs contenus protégés depuis le 24 octobre 2019 mais souhaitant entrer en négociation dans le cadre des Injonctions, de ne pas s'opposer à l'affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par ces éditeurs et agences de presse, pendant la période de négociation.

d) Durée des négociations

308. En cohérence avec l'urgence de la situation dans laquelle se trouve le secteur de la presse, Google devra conduire les négociations visées par les Injonctions dans un délai de 3 mois à partir de la demande d'ouverture d'une négociation. Cette ouverture sera matérialisée par la date de réception d'une demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le cas échéant sous forme électronique, adressée par un éditeur de presse, une agence de presse ou un organisme de gestion collective visé par l'article L. 218-3 du CPI, à au moins une des entités de Google concernées par ces Injonctions.

[4] Il est enjoint à Google de conduire les négociations visées par les Injonctions dans un délai de 3 mois à partir de la demande d'ouverture de négociation émanant d'un éditeur de presse, d'une agence de presse ou d'un organisme de gestion collective.

e) Principe de neutralité dans les modalités d'indexation, de classements et de présentation des contenus protégés des éditeurs et agences de presse sur les services de Google au cours des négociations relatives aux droits voisins

309. Afin que les négociations entre les éditeurs ou agences de presse et Google puissent se dérouler de façon équilibrée, il importe que Google respecte un principe de neutralité sur la façon dont sont indexés, classés et plus généralement présentés les contenus protégés des éditeurs et agences concernés sur les services de Google. Il s'agit ainsi d'éviter que les éditeurs ne puissent subir des conséquences défavorables sur les conditions habituelles d'affichage, d'indexation et de classement de leurs contenus sur Google, du fait ou en liaison avec les négociations en cours.

[5] Il est enjoint à Google de prendre les mesures nécessaires pour que l'existence et l'issue des négociations prévues par les Injonctions n'affectent ni l'indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services.

f) Principe de neutralité des négociations relatives aux droits voisins sur tout autre relation économique qu'entretiendrait Google avec des éditeurs et agences de presse

310. De même, il convient d'enjoindre à Google de respecter un principe de neutralité des négociations visées par les présentes Injonctions et de leur issue sur toute autre relation économique qu'entretiendrait Google avec les éditeurs et agences de presse, que ces derniers soient ou non parties aux négociations.

311. Il s'agit ainsi d'éviter que Google vide de leurs effets les négociations sur les droits voisins en compensant sur d'autres activités les rémunérations versées aux éditeurs au titre des droits voisins. Il s'agit aussi d'éviter que Google ne se serve de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste pour imposer, au cours des négociations avec les éditeurs et les agences de presse, le recours à certains de ses services.

[6] Il est enjoint à Google de prendre les mesures nécessaires pour que les négociations prévues par les Injonctions n'affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse.

g) Suivi des Injonctions

312. Afin de contrôler la mise en œuvre des Injonctions, subordonnée en particulier à la bonne foi de Google dans la conduite des négociations, il apparait nécessaire de prévoir un mécanisme de suivi du respect des Injonctions.

313. D'une part, Google devra fournir à l'Autorité des rapports périodiques sur la manière dont elle se conforme à la présente décision. Ces rapports devront comprendre notamment :

(i) tout élément de calcul permettant l'évaluation de la proposition de rémunération faite par Google aux éditeurs et agences de presse ;

(ii) tout élément permettant d'apprécier le caractère objectif, transparent et non-discriminatoire de cette proposition ;

(iii) tout élément permettant d'apprécier le caractère objectif, transparent et non-discriminatoire des rémunérations sur lesquelles Google et les éditeurs et agences de presse se sont accordés, assorti des contrats afférents ;

(iv) tout élément relatif aux difficultés de négociation rencontrées avec les éditeurs et agences de presse ainsi que les échanges correspondants ;

(v) tout élément permettant à l'Autorité d'apprécier le respect des principes de neutralité figurant aux Injonctions 5 et 6.

314. Le premier de ces rapports devra être communiqué à l'Autorité dans un délai de 4 semaines à compter du jour où Google a entamé des négociations avec un ou plusieurs éditeurs, agences de presse ou organisme de gestion collective. Les prochains rapports devront être envoyés le 5 de chaque mois, jusqu'à la publication de la décision au fond de l'Autorité.

315. Compte tenu de la variété et de la complexité potentielle des questions à examiner, l'Autorité pourra décider de s'adjoindre les services d'un ou plusieurs experts techniques externes.

[7] Il est enjoint à Google, dans un délai de 4 semaines à compter de l'ouverture des négociations avec un ou plusieurs éditeurs, agences de presse ou organisme de gestion collective d'adresser un premier rapport sur la manière dont elle se conforme aux Injonctions. Les rapports suivants seront communiqués à l'Autorité le 5 de chaque mois jusqu'à la publication de la décision au fond de l'Autorité.

h) Durée des mesures conservatoires

316. Compte tenu du caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques dénoncées et de l'atteinte grave et immédiate qu'elles portent en particulier au secteur de la presse, l'Autorité estime nécessaire que les Injonctions prononcées demeurent en vigueur jusqu'à la publication de la décision au fond de l'Autorité.

[8] Les Injonctions resteront en vigueur jusqu'à la publication de la décision de l'Autorité sur le fond.

DÉCISION

Article 1er : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective qui en feraient la demande, la rémunération due par Google à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés sur ses services, conformément aux modalités prévues à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires. Cette négociation devra couvrir la période de reprise des contenus depuis le 24 octobre 2019.

Article 2 : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle.

Article 3 : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d'affichage mises en place depuis l'entrée en vigueur de la Loi n° 2019-775, selon les paramètres retenus par les éditeurs. Il est enjoint à Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France de permettre aux éditeurs et agences de presse n'ayant pas accordé à Google d'autorisation de reprise de leurs contenus protégés depuis le 24 octobre 2019 mais souhaitant entrer en négociation dans le cadre des articles 1 et 2 de la présente décision, de ne pas s'opposer à l'affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par ces éditeurs et agences de presse, pendant la période de négociation.

Article 4 : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de conduire les négociations visées par les articles 1 et 2 de la présente décision dans un délai de 3 mois à partir de la demande d'ouverture de négociation émanant d'un éditeur de presse, d'une agence de presse ou d'un organisme de gestion collective.

Article 5 : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de prendre les mesures nécessaires pour que l'existence et l'issue des négociations prévues par les articles 1 et 2 de la présente décision n'affectent ni l'indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services.

Article 6 : Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de prendre les mesures nécessaires pour que les négociations prévues par les articles 1 et 2 de la présente décision n'affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse.

Article 7 : Les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France adresseront, dans un délai de 4 semaines à compter de l'ouverture des négociations avec un ou plusieurs éditeurs, agences de presse ou organisme de gestion collective, un premier rapport sur la manière dont elles se conforment aux articles 1 à 6 de la présente décision. Les rapports suivants seront communiqués à l'Autorité le 5 de chaque mois jusqu'à la publication de la décision au fond de l'Autorité.

Article 8 : Les articles 1 à 7 de la présente décision resteront en vigueur jusqu'à la publication de la décision de l'Autorité sur le fond.

72

Article 9 : L'instruction au fond se poursuit sur les pratiques dénoncées par l'APIG et autres, le SEPM et l'AFP.

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Le segment internet comprend aussi bien la publicité liée aux recherches que la publicité liée à l'affichage (" Display ") sur les sites internet, voir avis de l'Autorité de la concurrence n° 19-A-04 du 21 février 2019 relatif à une demande d'avis de la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation de l'Assemblée nationale dans le secteur de l'audiovisuel, page 42.

3 Il s'agit des groupes de presse et journaux suivants : Groupe Parisien - Les Échos (Aujourd'hui en France, Les Échos) ; Groupe Bayard Presse (La Croix) ; Groupe Amaury (L'Équipe) ; Groupe Figaro (Le Figaro) ;

4 Il s'agit notamment des groupes de presse et journaux suivants : La Dépêche du Midi (Groupe Dépêche du Midi), Ouest France (Groupe Ouest France), Le Parisien (Groupe Parisien - Les Échos), Sud Ouest (Groupe Sud Ouest), le Télégramme (Groupe Télégramme) et La Voix du Nord (Groupe Rossel - La Voix).

5 La liste complète des hebdomadaires adhérents est disponible sur le site suivant : http://sphr.fr/hebdomadaires/

6 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000315388

7 Voir décision n° 19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, point 8, et cote 4 992.

8 SEC Form 10-K (www.sec.gov). Conversation en euros sur la base du taux de change moyen du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 selon les données de la BCE (1€ pour 1,1195$, www.ecb.europa.eu).

9 Voir décision n° 19-D-26 précitée, point 13.

10 Pour ce faire, Google Search réalise une succession d'opérations décrites de la manière suivante par Google : " Google affiche les résultats de son moteur de recherche selon trois étapes principales. Premièrement, il explore (" crawling ") les sites internet pour recueillir des informations sur leur contenu. Deuxièmement, il stocke ces informations dans son index. Troisièmement, en réponse à une requête d'un utilisateur, Google classe ces sites en fonction de leur pertinence probable par rapport à la requête et les affiche sur cette base dans ses pages de résultats. " (cote 4 936)

11 Il convient de préciser ici, par souci d'exhaustivité, que pour apparaître dans le carrousel " A la Une " sur mobile, le contenu des éditeurs doit être disponible par le biais du protocole AMP. Ce protocole permet une mise en mémoire cache des pages des éditeurs afin d'accélérer leur chargement sur les appareils mobiles des utilisateurs. Ainsi que l'indique Google, l'utilisation de protocole " équivaut à donner son consentement à la " mise en cache " et à la prévisualisation des images de grande taille. Cependant, depuis le déploiement par Google des nouveaux paramètres relatifs à la taille des images miniatures et des snippets, les éditeurs AMP (comme tous les éditeurs) peuvent utiliser le marquage pour modifier la taille d'images pré-visualisables s'ils le souhaitent " (cotes 4942 et 4943).

12 L'avis n° 18-A-03 de l'Autorité du 6 mars 2018 portant sur l'exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet indique que le secteur de la publicité sur internet se caractérise par l'existence de nombreux marchés de l'édition de services, de l'intermédiation, de services de serveurs publicitaires et de services d'exploitation de données. S'agissant plus particulièrement du positionnement de Google sur ces marchés, l'avis observe que Google est présente sur l'ensemble des métiers de l'intermédiation publicitaire. Elle fournit plusieurs services aux annonceurs (réseau publicitaire, DSP, serveur publicitaire) pour mettre en œuvre des campagnes et diffuser des annonces sur ses propres services et sur des sites et applications tiers. Elle offre également plusieurs services aux éditeurs (réseau publicitaire, SSP, Ad Exchange, serveur publicitaire). Google fournit aussi plusieurs services de collecte et d'exploitation de données (Data Analytics, DMP et gestion de tags) ainsi qu'une gamme d'outils informatiques de type cloud computing, qui peuvent être utilisés conjointement avec les outils publicitaires pour exploiter des volumes très importants de données.

13 Document également disponible à l'adresse suivante : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-num-2019.pdf

14 Le terme " robot " renvoie aux robots d'exploration automatiques (" automated crawlers ") utilisés notamment par les services de Google, et permettant la collecte et l'indexation de ressources disponibles sur internet.

15 Sigle correspondant à " Really Simple Syndication " et désignant une famille de formats de données.

16 https://www.senat.fr/leg/ppl17-705.html

17 Lien associé à un élément d'un document hypertexte, qui pointe vers un autre élément textuel ou multimédia (Larousse).

18 Rapport Mignola du 30 avril 2019, pages 8-9

19 https://www.lefigaro.fr/flash-eco/google-ne-paiera-pas-les-editeurs-de-presse-francais-pour-les-extraits-de-contenus-20190925; https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/google-refuse-de-payer-les-editeurs-de-presse-1134633

20 Dans Google Search les liens vers les articles des éditeurs de presse sont affichés en reprenant tout ou partie des titres des articles correspondant (cote 14, 19/0079M ; cotes 120-121). Par ailleurs, comme l'explique Google, les encarts " A la Une " affichent généralement le titre de l'article (cotes 5 339 - 5 340). Dans Google Actualités et Discover les liens vers les articles font apparaitre le titre de l'article (accompagné éventuellement d'une image-vignette, voire d'extraits textuels et vidéos s'agissant de Discover) (cotes 4 956 - 4 957 ; cotes 5 339 - 5 340).

21 Une telle interprétation n'est manifestement pas partagée par tous les services de communication au public en ligne, comme en atteste la décision de News Republic de ne reprendre des titres qu'après consentement des éditeurs, quand bien même ce consentement ne donnerait pas lieu à rémunération (PV d'audition de News Republic, cote 4486).

22 https://www.journaldunet.com/media/publishers/1459188-droit-voisin-pour-la-presse-les-editeurs-francais-plient-devant-google/

23 Arrêt de la cour d'appel de Paris, 16 octobre 2007, Bijourama, n° 2006/17900.

24 Arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen AG/Commission, T-62/98, point 230.

25 Voir en particulier les décisions n° 10-D-19 de l'Autorité du 24 juin 2010 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés de la fourniture de gaz, des installations de chauffage et de la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, points 158-159 ; n° 10-D-13 de l'Autorité du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, point 220 ; arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 janvier 2011, Perrigault, n° 2010/08165.

26 Voir les décisions de la Commission du 27 juin 2017, Google Search (Shopping), AT.39740, points 155 et suivants et du 18 juillet 2018, Google Android, AT.40099, points 323 et suivants.

27 Avis n° 18-A-03 de l'Autorité du 6 mars 2018, précité.

162. Sur l'existence d'un marché des services de recherche généraliste, voir également la décision n° 19-MC-01 de l'Autorité du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus, point 104, confirmé pour l'essentiel par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 2019, Amadeus, n° 19/03274.

28 En audition, Microsoft a confirmé qu'il s'agissait du même marché (cote 2 395).

29 Voir décision Google Shopping du 27 juin 2017, précitée, points 252 à 255 ; décision Google Android du 18 juillet 2018, précitée, points 422 à 425.

30 Arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal BV/Commission, 27/76, point 65.

31 Ibid, point 72.

32 Arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, point 90 ; et du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission, T-66/01, points 255 et 256.

33 Arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. P. I-3359, point 60.

34 Arrêt du Tribunal du 11 décembre 2013, Cisco Systems, Inc. and Messagenet SpA v European Commission, T-79/12, point 69.

35 Arrêt du Tribunal du 30 janvier 2007, France Telecom vs Commission, T-340/03, points 107 et 108.

36 Arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, points 97 à 104.

37 Voir décision Google Shopping, précitée, points 276 à 279.

38 Cotes 4 978 VC / VNC 5 036, 3 642 VC / 3 816 VNC, 4 432 VC / 4 447 VNC, 2 378 VC / VNC 2 889, 5 207 VC / 5 225 VNC, 3 642 VC / VNC 3 815, 6 954 VC / VNC 6 969, 2 902 VC / 2 933 VNC

39 Décision n° 10-MC-01 de l'Autorité du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx, point 133.

40 Décision n° 19-MC-01 de l'Autorité du 31 janvier 2019, précitée, point 105.

41 Décision n°19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019, précitée, point 313.

42 Avis n° 18-A-03 de l'Autorité du 6 mars 2018, précité, point 208.

43 Décision n°19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019, précitée, point 318.

44 Décision n°19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019, précitée, points 25, 26 et 319 ; décision Google Shopping, précitée, points 287 et suivants.

45 Décision n°19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019, précitée, point 319 ; décision Google Shopping, précitée, points 292 et suivants.

46 Décision de la Commission du 24 mars 2004, Microsoft, COMP/C-3/37, points 429, 472 et 560 ; Arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, T-201/04, point 387. Le terme " extraordinaire " est sans doute une traduction littérale de " extraordinary " qui serait probablement mieux rendu en français par " exceptionnel ".

47 Décision n° 19-D-26 de l'Autorité du 19 décembre 2019, précitée, point 321.

48 Avis n° 15-A-06 de l'Autorité du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d'achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, point 261.

49 Avis n° 15-A-06 de l'Autorité du 31 mars 2015, précité, point 269.

50 Décision n° 10-D-08 de l'Autorité du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité, point165.

51 Voir arrêts de la Cour de cassation du 12 octobre 1993 et de la cour d'appel de Paris du 4 juin 2002 ; Décision n° 09-D-02 du Conseil de la concurrence du 20 janvier 2009 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par le Syndicat National des Dépositaires de Presse.

52 Arrêts de la Cour de justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Commission, 85/76, Rec. p. 461 ; du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57 ; du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202/07 P, Rec. p. I-2369, point 105, et du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, point 112 ; Conseil de la concurrence, décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, point 207 ; Autorité de la concurrence, décision n°14-D-02 du 20 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la presse d'information sportive, point 208, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel du 15 mai 2015, la société Les éditions P. Amaury S.A, n° 2014/05554, point 8.

53 Arrêt de la Cour du 21 mars 1974, Belgische Radio en Televisie et Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs /SV SABAM, C-127/73, point 15.

54 Voir arrêt de la Cour, United Brands, précité, point 189.

55 La fermeture de Google Actualités en Espagne en 2014 a entraîné une baisse du trafic vers les éditeurs de presse selon la littérature économique citée par Google (cote 8 659). Si, dans un cas de figure aussi extrême, les éditeurs de presse n'ont pas réussi à trouver de substitut comparable, il parait peu probable qu'ils réussissent à le faire dans une situation où seuls les contenus protégés ne seraient plus affichés dans les résultats de recherches. Cet exemple corrobore donc les baisses de trafic entraînées par la suppression de l'affichage des contenus protégés.

56 Selon une étude Deloitte réalisée en 2017 pour le compte de l'APIG, les revenus numériques des quotidiens nationaux généraient 21 % des revenus totaux en 2016 (cote 207). Selon Google, la majorité des revenus des éditeurs proviendrait d'activité hors ligne (cote 8 248), et les revenus publicitaires en ligne ne représenteraient que 11 % du total des revenus publicitaires des éditeurs de presse (cote 8 249).

57 Rapport du 30 avril 2019 fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, Par M. Patrick Mignola.

58 Ces taux sont calculés à partir du taux de trafic constaté pour chaque éditeur.

59 Voir cotes 3 706 à 3 709.

60 A titre de comparaison, et sur la base des données fournies par Google, la moyenne arithmétique du volume de trafic redirigé par Google pour les membres de l'APIG s'élève à plus de 42 %, et ce devant le trafic direct.

61 Voir ci-dessus et décision Google Shopping du 27 juin 2017, précitée, points 179 et suivants.

62 Voir arrêt de la Cour du 6 décembre 2012, AstraZeneca, C-457/10, points 129 à 141.

63 Bundeskartellamt, 6th Decision Division, B6-126/14, Google Inc. vs. Third Parties, 8 September 2015.

64 Bundeskartellamt, 6th Decision Division, B6-126/14, Google Inc. vs. Third Parties, 8 September 2015.

65 " It is true that apart from Germany, copyright amendments in favour of press publishers are in force in Spain and are under discussion in Austria [...]. However, in all cases it is a matter of national laws, which are also differently construed. The antitrust assessment of a reaction by Google can therefore - even if Google's reactions, as postulated by the Third Party, were consistent - vary. The antitrust behavioural framework applying to Google may be different in each case. Not even a possible " EU wide or even global strategy " pursued by Google will change that. Only concrete action actions are subject to antitrust review of anticompetitive practices. The review takes into account the specific frameworks for such action against the background set by the respective legal context ". (traduction versée par Google)

66 Voir décision n° 19-D-26, point 353.

67 Voir Autorité de la concurrence, décision 19-MC-01 du 31 janvier 2019, précitée, point 167 ; décision n° 14-MC-01 du 30 juillet 2014 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société beIN Sports France dans le secteur de la télévision payante, points 228 et 229 ; décision n° 13-D-16 du 27 juin 2013 relative à une demande de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre par le groupe SNCF dans le secteur du transport de personnes, point 163 ; décision n° 13-D-04 du 14 février 2013 relative à une demande de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre par le groupe EDF dans le secteur de l'électricité´ photovoltaïque, point 179.

68 Conseil constitutionnel, décision n°86-210 DC du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse, point 20.

69 Décision n° 09-MC-02 de l'Autorité du 16 septembre 2009 relative aux saisines au fond et aux demandes de mesures conservatoires présentées par les sociétés Orange Réunion, Orange Mayotte et Outremer Télécom concernant des pratiques mises en œuvre par la société SRR dans le secteur de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, point 89 ; Décision n° 14-MC-02 de l'Autorité du 9 septembre 2014 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Energie dans les secteurs du gaz et de l'électricité, point 215.

70 Décision n° 10-D-07 de l'Autorité du 2 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kadéos dans le secteur des titres cadeaux prépayés, point 126.

71 Rapport n° 243 du 16 janvier 2019 établi par le sénateur M. Assouline, page 26.

72 Rapport n° 2141 du 15 juillet 2019 établi par le député M. Mignola, page 6.

73 À cet titre, Google a expliqué, en réponse à un questionnaire des services d'instruction (cote 4 957), le lien historique entre ses services et l'affichage de courts extraits et d'images sur ses services : " Si la question de l'Autorité porte sur l'affichage des snippets et des images miniatures (thumbnails) par Google, Google souhaite indiquer que Google Search a toujours (depuis le lancement du moteur de recherche en 1998) affiché des snippets dans ses résultats de recherche (y compris pour les résultats de recherche liés aux actualités) sauf si un éditeur a demandé à Google de ne pas le faire, par le biais du REP ou en utilisant des balises Meta sur son site. Google Actualités a affiché des snippets de résultats de recherche de son lancement fin 2002 jusqu'à mi-2017 mais ne le fait plus depuis. Google Search et Google Actualités affichent des images miniatures (thumbnails). "