Cass. 2e civ., 4 juin 2020, n° 19-13.775
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Société de participation pour la distribution (Sté) , SAGES (SARL) , Société d'études et de gestion commerciale (SAS) , Tahiti Iti (SARL) , Auae (SARL) , Mahina (SAS) , Heiri (SARL) , Paofai (SARL) , Taravao (SARL) , Raiatea (SARL) , Toa Moorea (SAS) , Easy market Faa'a (SAS) , Prince Hinoi (SARL)
Défendeur :
Autorité polynésienne de la concurrence , Procureur général près la cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Dumas
Avocat général :
M. Girard
Avocats :
SARL Cabinet Briard, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée d'un premier président de cour d'appel (Paris, 1er mars 2019), l'Autorité polynésienne de la concurrence (l'APC) a été saisie d'une affaire initiée le 5 avril 2016 par l'Union des importateurs de Polynésie française (l'UIPF) et quatre de ses membres contre des pratiques prétendument abusives mises en œuvre par la Société d'Achat et de Gestion (la SAGES), filiale à 100 % de la société civile Société de participations pour la distribution (la SPD), elle-même détenue par M. Wane.
2. La SAGES agit comme centrale de référencement pour les sociétés exploitant des magasins de commerce de détail en Polynésie française sous les enseignes Carrefour, Champion et Easy Market. Ces sociétés sont la société d'étude et de gestion commerciale, la société commerciale de Tahiti Iti, la société commerciale de Auae, la société commerciale de Mahina, la société commerciale de Paofai, la société commerciale de Heiri, la société commerciale de Taravao, la société commerciale de Raiatea, la société Toa Moorea, la société Easy market Faa'a et la société commerciale de Prince Hinoi (les sociétés).
3. Ces sociétés, mises en cause, ont pris connaissance dans les pièces communiquées, à l'occasion d'une procédure prud'homale, d'une attestation délivrée par le président de l'Autorité polynésienne de la concurrence en faveur d'un ancien cadre dirigeant du pôle distribution du groupe Wane.
4. Après avoir envoyé un courrier recommandé au président de l'APC sur ce point, elles ont saisi le premier président de la cour d'appel de Paris, le 1er février 2019, d'une requête en renvoi pour cause de suspicion légitime de l'affaire devant la cour d'appel de Paris.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
5. La SAGES, la SPD et les sociétés font grief à l'ordonnance de déclarer leur requête irrecevable alors " que lorsqu'elle statue en matière de sanction, l'Autorité polynésienne de la concurrence doit être regardée comme une juridiction au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de sorte que toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir, en application de ces stipulations et même en l'absence de disposition textuelle propre, demander le renvoi pour cause de suspicion légitime, peu important à cet égard qu'elle soit ou non qualifiée de juridiction au sens du droit interne ; qu'en l'espèce, l'Autorité polynésienne de la concurrence agit dans le cadre d'une procédure de sanction ; qu'en jugeant cependant qu'il n'était pas possible de lui appliquer la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, le premier président de la cour d'appel de Paris a violé l'article 6, paragraphe 1, de ladite Convention. "
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et L. 111-8 du Code de l'organisation judiciaire :
6. En vertu de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation portée contre elle en matière pénale, matière à laquelle sont assimilées les poursuites en vue de sanctions ayant le caractère d'une punition.
7. Pour déclarer irrecevable la requête en suspicion légitime des sociétés, l'arrêt, après avoir relevé qu'aucun des textes relatifs à l'autorité polynésienne de la concurrence ne prévoit une procédure spécifique de récusation ou de demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, retient que celle-ci n'est pas une juridiction de sorte que la procédure générale de récusation prévue par le droit local ne lui est pas applicable.
8. En statuant ainsi, alors que, lorsqu'elle est amenée à prononcer une sanction, l'APC est une juridiction au sens des articles susvisés de sorte que, même en l'absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Par ces motifs, LA COUR : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 1er mars 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris ; Remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris autrement composée.