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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 mai 2020, n° 17-22223

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Action Propreté Services (SARL)

Défendeur :

Phisand (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mmes Soudry, Lignières

T. com. Marseille, du 2 févr. 2017

2 février 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Action Propreté est une société de nettoyage comptant 15 salariés et implantée à Béziers.

La société Phisand exploite un hôtel sous l'enseigne B&B à Villeneuve Les Béziers qui compte 60 chambres.

Le 16 septembre 2013, les société Action Propreté Services et Phisand ont signé un devis relatif aux tarifs de prestation pour le nettoyage des chambres de l'hôtel, fixant un prix unitaire par chambre ainsi qu'un nombre de chambres à nettoyer en fonction des jours de la semaine.

La relation contractuelle s'est poursuivie jusqu'au 9 août 2014.

La société Action Propreté a fait assigner la société Phisand devant le Tribunal de commerce de Béziers sur le fondement de l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce aux fins de voir condamner cette dernière à lui payer 63 967,67 euros à titre de dommages-intérêts, 1 157,88 euros à titre de rappels de factures et 518,95 euros au titre de la facture de septembre 2014.

Par jugement du 27 avril 2015, le Tribunal de commerce de Béziers s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 2 février 2017, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- dit et jugé que la société Action Propreté SARL a résilié de manière unilatérale le contrat de prestations de services ;

En conséquence,

- débouté la société Action Propreté SARL de ses demandes en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices occasionnés par la brusque rupture des relations contractuelles ;

- condamné la société Phisand SARL à payer à la société Action Propreté SARL la somme de 1 157,88 euros (mille cent cinquante-sept euros quatre-vingt-huit cents) au titre du solde de la facture du mois d'août 2014 n° FA01313 et la somme de 518,95 euros (cinq cent dix-huit euros quatre-vingt-quinze cents) au titre de la facture du 29 septembre 2014 n° 14090032 ;

- débouté la société Phisand SARL de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

- condamné la société Action Propreté SARL à payer à la société Phisand SARL la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Action Propreté SARL aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 82,08 euros (quatre-vingt-deux euros huit cents TTC) ;

- ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement ;

Par déclaration du 5 décembre 2017, la société Action Propreté Services a interjeté appel partiel de ce jugement, en ce qu'il a :

- débouté la société Action Propreté Services de sa demande tendant à faire dire et juger que la société SARL Phisand a été à l'origine d'une rupture abusive de relations commerciales établies,

- débouté la société Action Propreté Services de sa demande subséquente de dommages et intérêts pour rupture abusive de relations commerciales établies,

- condamné la société Action Propreté Services à verser un article 700 du Code de procédure civile à la société Phisand,

- condamné la société Action Propreté Services aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 2 mars 2018, la société Action Propreté Services demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du Code de commerce,

Vu le contrat en date du 16 septembre 2013,

Vu la rupture abusive des relations contractuelles du 5 août 2014,

Infirmant le Tribunal de commerce de Marseille du 2 février 2017,

- en ce qu'il a débouté la société Action Propreté de sa demande tendant à faire dire et juger que la société SARL Phisand a été à l'origine d'une rupture abusive de relations commerciales établies ;

- en ce qu'il a débouté la société Action Propreté de sa demande subséquente de dommages et intérêts pour rupture abusive de relations commerciales établies ;

- en ce que la société Action Propreté a été condamnée à verser un article 700 du Code de procédure civile à la société SARL Phisand ;

- en ce que la société Action Propreté a été condamnée aux dépens.

Et statuant à nouveau,

- s'entendre condamner à verser à la SARL Action Propreté la somme de 43 714,071 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices occasionnés par la brusque rupture des relations contractuelles,

- condamner la société à responsabilité limitée Phisand à payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société à responsabilité limitée Phisand aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître X en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er juin 2018, la société Phisand demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 2 février 2017, en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat était imputable à la société Action Propreté Services et l'a déboutée en conséquence de ses demandes de dommages et intérêts fondées sur la brusque rupture des relations commerciales,

A titre infiniment subsidiaire,

- fixer l'indemnisation du préjudice de la société Action Propreté Services au titre de la brusque rupture des relations commerciales à une somme symbolique,

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a condamné la société Phisand à payer à la société Action Propreté les sommes de 1 157,88 euros au titre du solde de la facture d'août 2014 et 518,95 euros au titre d'une facture de septembre 2014,

- juger à nouveau,

- débouter la société Action Propreté Services de sa demande,

- la condamner à verser à la société Phisand une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur la rupture brutale de la relation établie

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Sur la relation commerciale établie :

Il n'est pas contesté l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties depuis la conclusion du contrat du 16 septembre 2013.

Il n'est pas non plus discuté que leur relation a cessé totalement à compter du 9 août 2014.

Le litige porte sur l'imputabilité de la rupture des relations commerciales établies entre la société Action Propreté et la société Phisand.

Sur l'imputabilité de la rupture :

La société Action Propreté prétend que la société Phisand est à l'origine de la rupture de la relation commerciale établie.

A l'appui de sa prétention, l'appelante soutient que la société Phisand a exécuté de mauvaise foi le contrat en sollicitant continuellement des prestations hors contrat et a tenté de détourner ses salariés, qu'elle a donc dû lui indiquer par email du 5 août 2014 que les prestations futures seraient cantonnées aux chambres contractualisées. Elle prétend que dès lors la société Phisand a mis fin à la totalité du contrat de façon brutale et déloyale par email du 5 août 2014, alors que le contrat avait été renouvelé pour une durée d'un an, soit jusqu'en septembre 2015.

La société Phisand réplique que la société Action Propreté, à compter du 9 août 2014, a cessé de procéder à la moindre prestation de nettoyage des chambres et qu'elle a seule décidé de résilier d'abord partiellement puis totalement le contrat de prestation de services. L'intimée conteste la réalité des reproches allégués et nie avoir exécuté le contrat déloyalement.

Sur ce ;

Celui qui se prévaut être victime d'une rupture brutale doit apporter la preuve que l'autre partie est à l'origine d'une rupture unilatérale de la relation commerciale.

En l'espèce, il convient à titre préalable de relever que le seul instrumentum signé par les parties est un devis qui ne mentionne nullement un renouvellement tacite des relations contractuelles au terme d'une année.

Il convient de rappeler qu'en matière de relations commerciales, la preuve se fait par tout moyen, conformément aux dispositions de l'article L. 110-3 du Code de commerce.

Il ressort des pièces versées aux débats que la société Action Propreté a informé la société Phisand, pour la première fois par email du 5 août 2014, de divers reproches relatifs à l'exécution des relations contractuelles, tels que la cadence de travail lui causant une perte financière du fait que ses salariées exécuteraient des tâches autres que le seul nettoyage des chambres comme descendre le linge sale, changer le pommeau d'une douche, monter du linge ou faire l'interprète pour un client de l'hôtel, changer un "linge pas suffisamment propre", aspirer les bords de moquette avec un suceur et les plafonds pour éliminer les moustiques, et le nettoyage l'année dernière des moquettes de l'hôtel entier, des terrasses du hall et de la salle du petit déjeuner gratuitement.

La société Action Propreté allègue en outre que la société Phisand aurait proposé d'embaucher directement deux de ses salariés, mais ne démontre nullement ses allégations qui sont contestées par la société Phisand.

La société Action Propreté écrit enfin dans son email du 5 août 2014 :"Pour conclure, étant donné que nos services ne vous conviennent plus en période estivale, je vous invite à reprendre la partie de l'hôtel qui est non contractualisée en gestion. Nous continuerons à effectuer le nettoyage contractuel de vos chambres du 1er étage comme tel est le cas depuis le commencement de notre contrat d'entretien. Cependant, pour ne pas vous prendre de court, notre équipe continuera le nettoyage de toutes les chambres de l'hôtel jusqu'à vendredi".

L'appelante se prévaut du devis signé le 16 septembre 2019 prévoyant le nettoyage de 12 chambres le lundi, 26 chambres le mercredi, 12 chambres le jeudi et 12 chambres le vendredi et 16 chambres le samedi. Cependant, au vu des factures versées aux débats dès le mois de février 2014 ont été facturées par la société Action Propreté le nettoyage supplémentaire de chambres, c'est à dire "en supplément des chambres contractualisées" prévues dans le devis initial. La société Action Propreté avait donc accepté d'effectuer des prestations supplémentaires en le facturant à un prix unitaire par chambre de 6 euros HT, au lieu de 5,50 euros HT prévues au devis initial de 2013.

La société Action Propreté a refusé de continuer à effectuer les prestations de chambres supplémentaires qui étaient pourtant entrées dans le champ contractuel depuis début 2014, et ce sous un préavis de moins d'une semaine, et alors qu'elle ne justifie pas que les reproches à l'encontre de la société Phisand constituent un manquement grave aux obligations contractuelles de cette dernière.

Il en résulte qu'une rupture partielle brutale de la relation commerciale est imputable à la société Action Propreté.

Dans ces conditions, il ne peut pas être reproché à la société Phisand de ne pas avoir accepté la proposition de son cocontractant de modifier unilatéralement les relations contractuelles instaurées entre les parties depuis des mois, cette modification unilatérale brutale intervenant début août, au plus fort de la période de fréquentation de l'hôtel situé au sud de la France.

Il n'est pas contesté que les salariées de la société Action Propreté ne sont pas revenues sur le site de travail après le 5 août 2014.

Par conséquent, la société Action Propreté échoue à prouver être victime d'une rupture unilatérale à l'initiative de la société Phisand de leur relation commerciale établie, condition sine qua non pour mettre en œuvre la responsabilité délictuelle de la société Phisand en matière de rupture brutale prévue par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Action Propreté de ses demandes fondées sur une rupture brutale de la relation commerciale.

Sur le paiement des factures

La société Phisand a formé un appel incident pour contester sa condamnation en paiement des factures décidée par les juges de première instance, en faisant valoir que les tarifs facturés étaient le fruit d'un accord verbal entre les parties à appliquer hors période estivale.

La société Action Propreté sollicite la confirmation du jugement sur ce point en soutenant que les tarifs appliqués dans les factures litigieuses étaient erronés car ne correspondant pas au contrat initial.

Sur ce ;

Le litige porte sur le solde de la facture du mois d'août 2014 n° FA01313 ainsi que sur la somme de 518,95 euros au titre de la facture du 29 septembre 2014 n° 14090032.

Il a été payé pour solde de tout compte par la société Phisand à la société Action Propreté en septembre 2014 la somme de 1 705,20 euros, alors que la facture d'août s'élevait à 2 863,08 euros pour les prestations non réglées effectuées jusqu'au 9 aout 2014.

Concernant la facture du 29 septembre 2014 n° 14090032 dite de "régularisation", l'intimée conteste le fait que le tarif de 4,50 euros HT par chambre aurait été appliqué par erreur par la société Action Propreté sur les mois de novembre 2013 à mai 2014, au lieu de 5 euros HT par chambre comme mentionné dans le devis signé du 19 septembre 2013.

La cour estime au vu des pièces produites que l'application de ce tarif ne peut être une erreur renouvelée chaque mois durant 7 mois par la société Action Propreté mais le fruit d'un accord entre les parties intervenu ultérieurement au devis de septembre 2013, à l'instar de l'application d'un tarif majoré à 6 euros HT par chambre supplémentaire dite "non contractualisée", tarif qui n'était pas non plus mentionné dans le devis initial.

Seul reste dû le solde de la facture du mois d'août dont le paiement du solde (2 863,08 - 1 705,20) n'est pas prouvé par la société Phisand, soit 1 157,88 euros.

Le jugement sera donc infirmé quant au quantum fixé au titre des factures impayées restant dues par la société Phisand.

Sur les frais et dépens

Le jugement du Tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Action Propreté aux dépens et laissé à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles respectivement engagés par elles lors de la première instance.

En cause d'appel, la société Action Propreté succombant totalement, supportera les entiers dépens de l'appel.

L'appelante participera en outre à hauteur de 2 000 euros aux frais irrépétibles complémentaires que la société Phisand a dû engager pour se défendre en appel.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le quantum de la condamnation en paiement au titre des factures restant dues par la société Phisand ; Statuant de nouveau de ces chefs; Condamne la société Phisand à payer à la société Action Propreté Services la somme de 1 157,88 euros au titre du solde de la facture d'août 2014 n° FA01313 et rejette la demande en paiement au titre de la facture n° 14090032 de régularisation de 518,95 euros en date du 29 septembre 2014 ; Y ajoutant, Condamne la société Action Propreté Services à payer à la société Phisand la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Action Propreté Services aux entiers dépens de l'appel.