Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-23.555
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Pellegrini (ès qual.), Tecora (Sté)
Défendeur :
Société d'équipements techniques nouveaux pour l'analyse des gaz (SARL) , Tecora (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, SCP Marc Lévis
LA COUR : - Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2018) et les productions, la Société d'équipements techniques nouveaux pour l'analyse des gaz (la société Setnag), qui conçoit et fabrique des analyseurs de gaz pour l'industrie, a conclu, le 17 novembre 2008, avec la société Tecora, anciennement dénommée Arelco, qui produit et distribue du matériel électrique, un contrat régissant les relations des parties pour la fourniture par la seconde à la première, de cartes électroniques et accessoires destinés à être incorporés par celle-ci dans les appareils vendus à ses clients.
2. Le 12 septembre 2011, la société Setnag, après avoir annulé une commande du 27 juillet précédent, a émis une nouvelle commande ayant le même objet, mais comportant un délai de livraison différent. Le 18 octobre 2011 elle a annulé cette dernière commande en invoquant des dysfonctionnements des produits livrés antérieurement.
3. Par une ordonnance rendue en référé le 20 décembre 2012, confirmée sur ce point par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 décembre 2013, le président du tribunal de grande instance de Paris a ordonné une expertise du matériel en cause.
4. Après dépôt du rapport d'expertise, la société Tecora a assigné la société Setnag en paiement de la commande et en réparation de son préjudice fondé sur la rupture brutale de la relation commerciale établie.
5. La société Tecora ayant été mise en redressement, puis en liquidation judiciaires, M. Pellegrini a été désigné mandataire liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. Pellegrini, ès qualités, fait grief à l'arrêt de condamner la société Setnag à lui payer, en application de l'article 2 des conditions générales de vente de la société Tecora, les seules sommes de 49 634 euros et de 7 445 euros, à titre de pénalités, outre intérêts, et de rejeter le surplus de ses demandes alors " qu'en retenant que, du fait de l'annulation par la société Setnag de la commande des ensembles de cartes électroniques, la société Tecora devait uniquement être indemnisée du montant des frais qu'elle avait facturés à son propre fournisseur, sans répondre aux conclusions d'appel par lesquelles M. Pellegrini, ès qualités, faisait valoir que la société Setnag avait exigé, au cours des opérations d'expertise judiciaire, l'exécution de la commande qu'elle avait préalablement annulée, ce dont il résultait que la société Tecora pouvait prétendre au paiement de l'intégralité de la commande, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile. "
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du Code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que, sans être tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, les juges doivent, pour motiver leur décision, répondre aux conclusions opérantes dont ils sont saisis.
8. Pour limiter aux sommes de 49 634 euros et de 7 445 euros, à titre de pénalités, outre intérêts, la condamnation à paiement de la société Setnag, l'arrêt retient que la société Tecora reconnaît que le préjudice résultant de l'annulation de la commande est constitué du montant de la facture payée par elle à son propre fournisseur des cartes Euro Process et ne rapporte la preuve d'aucun autre frais engagé au titre de cette commande.
9. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Pellegrini, ès qualités, qui faisait valoir que la société Setnag avait exigé, au cours des opérations d'expertise judiciaire, l'exécution de la commande qu'elle avait préalablement annulée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
10. M. Pellegrini, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie alors " qu'en retenant, pour lui imputer une faute justifiant la rupture brutale des relations commerciales, que la société Tecora avait, par des courriers échangés en août et septembre 2011, indiqué qu'elle prenait la mesure des dysfonctionnements invoqués par la société Setnag et précisé " tout mettre en œuvre pour résoudre les problèmes ", quand de telles lettres n'emportaient pas reconnaissance d'un manquement qui lui aurait été imputable ni, a fortiori, d'un manquement suffisamment grave pour autoriser la société Setnag à mettre fin aux relations commerciales sans délai, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. "
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable à l'espèce :
11. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale, ces dispositions ne faisant pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure.
12. Pour rejeter la demande de M. Pellegrini, ès qualités, fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, l'arrêt relève que les manquements reprochés à la société Tecora ont été reconnus réels par elle, par une lettre du 4 août 2011 qui précisait qu'elle avait pris la mesure du nombre, de l'importance et de l'urgence des dysfonctionnements cités, et qu'aux termes des lettres et courriels échangés en septembre 2011 entre les cocontractants, la société Tecora a indiqué " tout mettre en œuvre pour résoudre les problèmes ", confirmant le caractère sérieux des difficultés survenues et l'urgence d'y mettre un terme. Il déduit de la multiplicité des problèmes rencontrés et reconnus par le fournisseur que la société Setnag était fondée à se prévaloir de manquements graves de la société Tecora, propres à justifier l'absence de notification d'un préavis de rupture.
13. En statuant ainsi, sans caractériser un manquement suffisamment grave de la société Tecora à ses obligations contractuelles, autorisant la société Setnag à mettre fin aux relations commerciales sans préavis, les correspondances adressées par la première à la seconde n'emportant pas reconnaissance d'un tel manquement mais valant seulement, de sa part, prise d'acte des dysfonctionnements allégués et engagement de procéder aux investigations nécessaires à la détermination de leur cause, en vue de les résoudre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la Société d'équipements techniques nouveaux pour l'analyse des gaz à payer, en quittance ou deniers, à M. Pellegrini, ès qualités, en application de l'article 2 des conditions générales de vente de la société Tecora, la somme de 49 634 euros TTC avec intérêts de droit calculés au triple du taux légal, à compter de la mise en demeure du 24 mai 2012, et la somme de 7 445 euros à titre de pénalités, avec intérêts de droit calculés au triple du taux légal à compter de la mise en demeure du 24 mai 2012, ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil, déboute M. Pellegrini, ès qualités, de sa demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.