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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 17 juin 2020, n° 19/09589

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Casino Guichard-Perrachon (SA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ienne-Berthelot

TGI Paris, JLD, du 17 mai 2019

17 mai 2019

Le 13 mai 2019, la Commission européenne a rendu une décision à l'encontre de la société Casino, Guichard-Perrachon SA, ordonnant à l'entreprise ainsi qu'à toutes sociétés contrôlées par elle, de se soumettre à une inspection concernant les locaux qu'elle occupe notamment <adresses>, sur le fondement de l'article 20, paragraphes 1 et 4 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 au motif que les sociétés Casino, Guichard-Perrachon SA (ci-après Casino), Les Mousquetaires SA (ci-après Les Mousquetaires) et Intermarché-Casino achats SARL (ci-après INCAA) seraient susceptibles d'avoir mis en œuvre des pratiques concertées et/ou des accords entre concurrents restreignant la concurrence et, comme tels, constituant une infraction à l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cette décision faisait suite à une première décision d'inspection datant du 9 février 2017 à l'encontre de Casino, les Mousquetaires et INCAA, motivée par le fait que la Commission avait été informée que Casino d'une part, et Les Mousquetaires et ou sa filiale Intermarché d'autre part, avaient au moins depuis 2016 échangé des informations concernant leurs stratégies commerciales futures (notamment en termes d'assortiment, de développement de magasins, d'e-commerce et de politique promotionnelle) sur les marchés d'approvisionnement en biens de consommation courant en France. Selon ces informations, cette coordination ou ces échanges d'informations s'étaient déroulés soit directement entre Casino d'une part et Les Mousquetaires et/ou sa filiale Intermarché d'autre part, soit à travers leur alliance à l'achat INCAA.

Lors de ces inspections de février 2017, la Commission a collecté des informations selon lesquelles Casino d'une part et Les Mousquetaires et ou sa filiale Intermarché d'autre part, ont au moins depuis 2014 coordonné leur comportement et/ou échangé des informations stratégiques et commercialement sensibles concernant les prix au consommateur final et les parcs de magasins, en matière de vente aux consommateurs de biens de consommation courante.

Selon la Commission, si ces allégations étaient fondées, les pratiques décrites ci-dessus constitueraient des pratiques concertées et/ou des accords entre concurrents restreignant la concurrence et constituant une infraction à l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Afin de permettre à la Commission de vérifier ces faits révélés par les premières inspections, il apparaissait nécessaire de procéder à de nouvelles inspections auprès de personnes n'ayant pas fait l'objet des premières inspections ou bien auprès de personnes déjà inspectées mais chez lesquelles il était important d'effectuer des recherches sur la base de mots-clés identifiés au vu des résultats des premières inspections.

D'après les renseignements de la Commission, les accords et pratiques concertées ont lieu dans le secret le plus absolu, la connaissance de leur existence est limitée dans chaque entreprise aux cadres de l'entreprise et un nombre restreinte du personnel, les documents s'y rapportant sont supposés limités et détenus dans des endroits et sous une forme facilitant leur dissimulation, leur rétention ou leur destruction si d'autres moyens qu'une inspection étaient utilisés pour investiguer la violation présumée.

Dans sa décision du 13 mai 2019 la Commission précise que pour garantir l'efficacité de l'inspection, il est essentiel d'une part que celle-ci soit effectuée sans que l'entreprise soupçonnée en ait été avertie au préalable et d'autre part, que plusieurs inspections se déroulent simultanément.

Il convient de préciser que suite à la décision d'inspection de la Commission du 9 février 2017 concernant la société SA Casino Guichard-Perrachon et la SAS EMC Distribution une visite domiciliaire a été effectuée dans les locaux des sociétés <adresses> du 20 au 24 février 2017, que les sociétés SA Casino Guichard-Perrachon et SAS EMC Distribution ont formé un recours devant le Premier président de la Cour d'appel de Paris pour contester les opérations de visite et saisie.

Par ordonnance du 17 janvier 2018, le Premier président de la Cour d'appel de Paris (chambre 5-15) s'est déclaré incompétent pour connaître du recours contre la validité du déroulement des inspections dans le cadre de la décision de la Commission du 9 février 2017 et a déclaré le recours irrecevable. Cette décision a été confirmée par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 juin 2019 (n° 18-80.681 Casino et AMC).

Suite à la décision de la Commission du 13 mai 2019, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a prescrit aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence de prendre toutes mesures nécessaires pour garantir l'efficacité des interventions des agents mandatés par la Commission dans la recherche de la preuve de pratiques prohibées par l'article 101 du TFUE et les a chargés de mettre en œuvre l'assistance aux agents.

Par requête du 14 mai 2019, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a saisi le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) des Tribunaux de grande instance de Paris et de Créteil, pour obtenir l'autorisation de réaliser des opérations de visite et saisie, dans les locaux de Casino <adresses>, à titre préventif.

Par ordonnance du 17 mai 2019, le JLD de Paris a autorisé les visites et saisies sollicitées à titre préventif en vue de surmonter l'opposition éventuelle des entreprises visées, dans les locaux de l'entreprise Casino et des sociétés du même groupe, <adresse> et dans ceux de l'entreprise Les Mousquetaires et des sociétés du même groupe <adresse>.

Par ordonnances du 15 mai 2019, le JLD de Créteil a autorisé les visites et saisies sollicitées à titre préventif en vue de surmonter l'opposition éventuelle des entreprises visées, dans les locaux <adresse>.

Un procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été dressé le 20 mai 2019, par les agents mandatés par la Commission, à l'occasion de leur présentation dans les locaux de l'entreprise Casino, Guichard-Perrachon SA, sur le site <adresse>, et signé par le représentant de l'entreprise (Monsieur Z, Directeur).

Un procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été dressé le 20 mai 2019, par les agents mandatés par la Commission, à l'occasion de leur présentation dans les locaux de l'entreprise Casino, Guichard-Perrachon SA, à Vitry/Seine (94) et signé par la représentante de l'entreprise (Madame W, directrice juridique).

Les inspections de la Commission se sont déroulées aux adresses précitées, du 20 au 24 mai 2019 sur le fondement de l'article 20 du règlement n° 1/2003, notamment ses paragraphes 2 et 4, et n'ont pas fait l'objet de procès-verbaux de notification des ordonnances des JLD des TGI de Paris et de Créteil ni de procès-verbaux de visite et saisie en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, en l'absence d'opposition de Casino aux mesures d'inspection.

Le 4 juin 2019, par acte du 31 mai 2019, la société anonyme Casino, Guichard-Perrachon a interjeté appel contre l'ordonnance du JLD de Paris du 17 mai 2019 autorisant les visites et saisies dans les lieux suivants :

- Entreprise Casino et sociétés du même groupe, <adresse> et

- Entreprise Les Mousquetaires et sociétés du même groupe <adresse> ( RG 19/09792).

Par déclaration du 29 mai 2019, enregistrée le 3 juin 2019 à la Cour d'appel de Paris, la société Casino, Guichard-Perrachon SA a formé un recours afin de contester le déroulement des opérations de visite et de saisies menées par les inspecteurs de la Commission européenne et les rapporteurs de l'ADLC, suite à une décision de la Commission européenne rendue le 13 mai 2019 dans les lieux suivants :

- <adresse>, occupés par les filiales détenues par Casino, Guichard-Perrachon, du 20 au 24 mai 2019 (RG 19/09589).

Par déclaration du 31 mai 2019, enregistrée le 4 juin 2019 à la Cour d'appel de Paris, la société anonyme Casino, Guichard-Perrachon a formé un recours afin de contester le déroulement des opérations de visite et de saisies autorisée dans les lieux suivants :

- Entreprise Casino et sociétés du même groupe, <adresse> (RG 19/09796).

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 12 février 2020, la jonction des dossiers a été évoquée à l'audience du 12 février 2020.

L'affaire est mise en délibéré pour être rendue le 18 mars 2020.

SUR L'APPEL ET LES RECOURS :

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris en date du 24 septembre 2019, la société Casino Guichard-Perrachon SA fait valoir :

1 Sur l'irrégularité liée au défaut de notification des ordonnances des JLD et la compétence de la Cour d'appel pour juger les inspections irrégulières et déclarer les pièces saisies inopposables à Casino en vertu de l'article L. 450-4 du Code de commerce

Il ressort de l'article L. 450-4 du Code de commerce, qui s'applique notamment « dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne » que « l'ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de ma visite à l'occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal ».

En l'espèce, Casino ne s'est pas vue notifier aucune ordonnance, alors que des ordonnances ont été obtenues des JLD de Paris et de Créteil préalablement aux inspections.

Il est argué que le défaut de notification des ordonnances entraîne une violation grave et irrémédiable des droits de la défense, du droit au respect du domicile et de l'article L. 450-4 du Code de commerce dès lors qu'il a eu pour conséquence de priver Casino, pendant les inspections, de la présence des officiers de police judiciaire désignés par lesdites ordonnances et du droit de référer, en cas de difficultés, au JLD et après les inspections, du droit à un recours effectif contre le déroulement des inspections.

Il est soutenu qu'il est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (ci-après CESDH) de priver les entreprises qui ne se sont pas opposées aux inspections du bénéfice des garanties prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce, et en particulier d'un contrôle juridictionnel effectif tel que prévu par la CESDH, à laquelle la FRANCE adhère.

Ainsi, la FRANCE ne saurait être exonérée de son devoir de faire respecter les dispositions issues de la CESDH au motif que l'enquête menée sur son territoire serait d'initiative européenne et non nationale.

Par ailleurs, les inspecteurs n'ont notifié à Casino aucun acte ouvrant droit à un recours effectif contre le déroulement des opérations.

Il n'existe donc, en dehors du Premier président de la Cour d'appel de Paris, aucun juge à même de statuer dans un délai raisonnable sur les violations précitées.

En effet, s'agissant du recours « direct » évoqué par la Cour de cassation dans sa décision en date du 13 juin 2019, le Tribunal de l'Union européenne juge, conformément à la jurisprudence constante de l'Union européenne, que le déroulement des inspections n'est pas susceptible d'un recours autonome devant lui.

Concernant le recours « contre la décision finale de la Commission » sur le fond de l'affaire, celui-ci est, suivant les jurisprudences Canal Plus (CEDH, 21 décembre 2010, n° 29408/08) et Primagaz (CEDH, 21 décembre 2010, n° 29613/08), un recours incertain et différé dans le temps et par conséquent, contraire au principe du droit à un recours effectif tel que prévu par l'article 6 de la CESDH.

2 Sur les violations de la CESDH

Il résulte de la jurisprudence de la CEDH que la conduite d'une inspection est soumise au respect de garanties procédurales fondamentales, dont la requérante a été privée en l'espèce.

En effet, le défaut de notification des ordonnances des JLD a privé Casino de la présence des officiers de police judiciaire (ci-après OPJ) et de la possibilité de bénéficier, par leur intermédiaire et en temps utile, d'un contrôle effectif et indépendant du JLD.

Il est soutenu que cette protection était d'autant plus nécessaire que Casino, sous peine de faire obstruction à l'enquête en application de l'article 23§1 du Règlement n° 1/2003, a été contrainte d'accepter que les inspecteurs prennent connaissance de dossiers contenant des documents relatifs à la défense de Casino dans le cadre des procédures contentieuses relatives aux premières inspections qui se sont déroulées du 20 au 24 février 2017 et ce, malgré le fait que les agents aient été instantanément alertés par les conseils de la requérante de la nature de ces documents; que les inspecteurs revoient des documents portant expressément la mention « Confidentiel - Communication avocat-client » ; que les inspecteurs visitent chacun des sites parisien et vitriote sans qu'aucune limite ne puisse être imposée à leurs déplacements, de sorte qu'en pratique ils ont visité les locaux de nombreuses filiales du groupe, qui n'ont manifestement aucun rapport avec l'objet de la décision.

En outre, les enquêteurs ont saisi des pièces allant très au-delà de l'objet matériel de l'enquête, en dépit des réserves formulées sur les inventaires des pièces saisies par la requérante et ses conseils.

Il est argué que si un OPJ avait été présent lors des inspections, Casino aurait pu lui demander de contacter le JLD compétent pour l'informer des réserves émises dès le début des investigations, ce qui aurait, le cas échéant, permis au JLD de formuler des recommandations visant à encadrer le déroulement des opérations de visite et saisie en cours.

Il est cité une jurisprudence de la CEDH jugeant qu'une saisie de documents dans le cadre d'une enquête visant à rechercher des indices et preuves d'ententes illicites entre des entreprises avait été réalisée en violation de l'article 8 de la CESDH, en l'absence de mandat judiciaire préalable et hors la présence d'un officier de police judiciaire.

En conclusion, il est demandé de :

- juger que le respect de la CESDH s'impose sur le territoire français dans le cadre d'opérations de visite et saisie initiées par la Commission ;

- constater que les inspections auxquelles ont à nouveau procédé la Commission européenne et l'Autorité de la concurrence entre les 20 et 24 mai 2019 dans les locaux de la société du groupe Casino, sont intervenues en violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6, 8 et 13 de la CESDH et des articles 7 et 14 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

En conséquence,

- annuler la saisie des documents papier et électroniques effectuée en application de la décision ;

A titre subsidiaire,

- juger les pièces saisies inopposables à Casino et aux sociétés qu'elles contrôlent directement et indirectement;

En tout état de cause,

- rejeter la demande de l'Autorité de la concurrence au paiement d'une amende civile de 10 000 euros pour appel dilatoire ou abusif sur le fondement de l'article 32-1 et 559 du Code de procédure civile ;

- rejeter la demande de l'Autorité de la concurrence au paiement de 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la Commission européenne et l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens.

Par observations du 19 septembre 2019 et observations récapitulatives déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 9 octobre 2019, l'Autorité de la concurrence fait valoir:

I - Sur la compétence du Premier président et la recevabilité de l'appel et des recours de l'entreprise Casino

Il est argué que l'ordonnance du 17 mai 2019 rendue par le JLD de Paris, sollicitée à titre préventif et non notifiée sur place à l'occupant des lieux, à la différence de la décision d'inspection de la Commission du 13 mai 2019 qui mentionnait la possibilité d'un recours non suspensif devant le Tribunal de l'Union européenne (TUE), n'a pas été mise à exécution en raison de l'absence d'opposition à l'inspection diligentée.

Dans ces conditions, la requérante dispose bien d'un recours direct devant le TUE, qu'elle n'a d'ailleurs pas manqué d'exercer.

Par ailleurs, il est constant qu'aucun agent mandataire de la Commission n'a constaté l'existence d'une opposition de la part de l'entreprise visée nécessitant la mise en œuvre des pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce ni sollicité le concours de la force publique auprès de la FRANCE, État membre intéressé.

Au cas présent, et conformément à l'article 20 § 7 du règlement n° 1/2003, l'autorisation judiciaire a été demandée à titre préventif afin de faire face à une opposition éventuelle, qui n'est jamais intervenue.

Ainsi, selon les paragraphes 6 et 7 de l'article 20 du règlement n° 1/2003, seule la notification sur place de l'ordonnance du JLD du TGI de Paris (ou du JLD du TGI de Créteil) à l'occupant des lieux, nécessaire afin d'obtenir ce concours de l'Autorité nationale de la concurrence pour vaincre l'opposition de l'entreprise visée donnerait compétence au Premier président de la Cour d'appel de Paris pour connaître du contentieux de la légalité de l'ordonnance et/ou du déroulement des opérations de visite et saisie, prévus par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, ce qui ne s'est pas réalisé du fait de la coopération de Casino au long des inspections à Paris et à Vitry-sur-Seine.

L'Autorité cite des jurisprudences relatives à des affaires semblables à l'appui de son argumentation et répond aux arguments développés par Casino dans ses conclusions.

En premier lieu, le fait que la requérante mentionne des objections et réserves par écrit remises directement aux inspecteurs de la Commission montre bien que ses interlocuteurs pour cette affaire sont sans conteste la Commission européenne et les juridictions européennes.

En deuxième lieu, la société Casino reconnaît elle-même qu'elle ne s'est pas opposée à l'inspection de la Commission en mettant en œuvre une quelconque obstruction manifeste.

En troisième lieu, quant à la critique s'appuyant sur la violation des articles 6, 8 et 13 de la CESDH et 7 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il est rappelé que l'article 52 § 3 de la Charte énonce clairement que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CESDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». Ainsi, même si l'Union européenne n'a toujours pas adhéré à la CESDH, la prétendue violation des articles 8 (respect de la vie privée et familiale) et 6 et 13 (droit à un recours effectif et à un tribunal impartial) de la CESDH sera analysée au titre de la prétendue violation de la Charte par les juridictions de l'Union européenne dans le cadre des recours introduits par Casino.

Par conséquent, la requérante dispose bien d'un juge impartial et indépendant, celui du TUE, puis de la CJUE, à même de statuer dans un délai raisonnable sur ses prétentions.

En dernier lieu, en ce qui concerne la jurisprudence citée par Casino, ces décisions sont totalement inopérantes au cas présent puisque, sauf pour l'affaire Colas Est, soumise au régime de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 ne prévoyant, à l'époque, aucune autorisation judiciaire, il s'agit, dans tous les autres cas, d'autorisations judiciaires de visite et de saisie notifiées aux entreprises visitées et mises en œuvre par l'exercice du pouvoir de saisir de manière coercitive au niveau des enquêtes nationales.

Au cas présent, la société Casino n'a pas fait l'objet d'une opération nationale de visite et de saisie sur la base de l'article L. 450-4 du Code de commerce mais d'une inspection de la Commission européenne fondée sur la coopération de la requérante et le droit de communication prévu par l'article 20 § 2 du règlement n° 1/2003.

Pour l'ensemble de ces raisons, et à défaut de désistement de la requérante, il est demandé à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître du présent litige et déclarer irrecevable par voie de conséquence l'appel et le recours fondés sur l'article L. 450-4 du Code de commerce dont les pouvoirs d'enquête coercitifs n'ont pas été mis en œuvre.

En conclusion, il est demandé à la Cour de :

- constater l'absence de mise en œuvre des ordonnances d'autorisation de visite et saisie délivrées par les JLD des TGI de Paris et de Créteil ;

- se déclarer incompétente pour connaître des contestations de l'entreprise Casino en ce qui concerne la mise en œuvre des pouvoirs confiés aux agents de la Commission et aux rapporteurs leur prêtant l'assistance prévue par l'article 20 § 2 et 5 du règlement n° 1/2003 et l'article L. 490-9 du Code de commerce ;

- déclarer en conséquence irrecevable l'appel et les recours déposés par l'entreprise Casino sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

- condamner Casino à une amende civile de 10 000 euros pour appel dilatoire ou abusif sur le fondement des articles 32-1 et 559 du Code de procédure civile ;

- condamner Casino au paiement de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions en réponse déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 6 janvier 2020, la Commission européenne fait valoir :

1 Faits et procédure :

Casino Guichard-Perrachon SA (la requérante) est une entreprise active dans la vente aux consommateurs de produits alimentaires, d'hygiène, d'entretien et d'autres produits dans des supermarchés et dans des magasins similaires en France. La Commission européenne a obtenu des indices sérieux lui permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence, consistant en des échanges d'informations susceptibles de restreindre la concurrence en violation de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La Commission a adopté en vertu de l'article 20 du règlement 1/2003 deux décisions successives ayant donné lieu à deux séries d'inspections dans les locaux de la requérante. Les premières inspections menées par la Commission se sont déroulées du 20 au 24 février 2017 à Paris et Vitry/Seine. La requérante n'a pas fait usage de son droit d'opposition au cours de ces inspections, aucune mesure n'a nécessité l'usage de la contrainte et les ordonnances du 17 février 2017 des JLD de Créteil et Paris n'ont pas eu à être notifiées aux requérantes. L'ensemble de la procédure s'est déroulée sur le fondement exclusif du droit de l'Union européenne (article 20 du Règlement 1/2003).

La requérante a saisi la Cour d'appel de Paris d'un recours contre le déroulement des premières inspections sur le fondement des articles L. 450-4 et L. 470-6 du Code de commerce. Par ordonnance du 17 janvier 2018, la Cour d'appel de Paris s'est déclarée incompétente pour connaitre du recours, par un arrêt du 13 juin 2019 la cour de Cassation a confirmé l'incompétence des juridictions françaises pour connaitre des recours contre le déroulement des inspections fondées sur l'article 20 du Règlement 1/2003.

La légalité de la première décision est actuellement contestée par la requérante devant le tribunal de l'Union européenne.

En analysant les documents collectés au cours des premières inspections, la Commission a pu circonscrire davantage les suspicions d'infractions à l'égard de la requérante, et collecté des indices selon lesquels Casino d'une part et Les Mousquetaires et ou sa filiale Intermarché d'autre part, ont au moins depuis 2014 coordonné leur comportement et/ou échangé des informations stratégiques et commercialement sensibles concernant les prix au consommateur final et les parcs de magasins, en matière de vente aux consommateurs de biens de consommation courante. Pour confirmer ces indices, la Commission avait besoins d'effectuer des vérifications auprès de personnes n'ayant pas fait l'objet des premières inspections ou bien auprès de personnes déjà inspectées mais chez lesquelles il était nécessaire d'effectuer des recherches sur la base de mots clés identifiés au vu des résultats des premières inspections.

La Commission européenne a adopté une nouvelle décision le 13 mai 2019 autorisant des inspections conformément à l'article 20(1) et (4) du règlement 1/2003 et a dûment informé l'autorité de la concurrence française de son intention d'inspecter Casino.

La Commission précise que pour tenir compte du recours en annulation de la requérante toujours pendant devant le TUE à l'encontre de la première décision, et de garantir la protection de la confidentialité de la correspondance entre la requérante et ses avocats au sujet de ce recours, la Commission a mis en œuvre des mesures de précaution dès le début des secondes inspections ( dit plan LPP) : vérification par un agent de la Commission européenne étranger à l'équipe d'enquête des données identifiées potentiellement protégées par le secret de correspondance avocat /client, placement de document contesté sous scellés, absence de collecte de document auprès de services juridiques de Casino. Les inspections ont eu lieu du 20 au 24 mai 2019. Il en résulte que la requérante n'a pas fait usage de son droit d'opposition au cours de cette inspection, aucune mesure n'a nécessité l'usage de la contrainte et les ordonnances des JLD français, demandées à titre préventif, n'ont pas eu à être notifiées. L'ensemble de la procédure s'est déroulé sur le fondement exclusif du droit de l'union européenne.

1. Discussion

à titre liminaire

Il est souligné que, par le présent recours, la société Casino se fonde artificiellement sur les dispositions du Code de commerce français et de la CESDH pour demander au Premier président de la Cour d'appel de Paris de se prononcer sur la validité de la décision litigieuse, acte de la Commission européenne, tombant, à ce titre, dans le ressort de la compétence exclusive des juridictions européennes.

La Commission européenne souscrit entièrement aux observations de l'Autorité de la concurrence et argue que le recours est manifestement irrecevable.

1 Sur l'irrecevabilité du présent recours en raison de l'incompétence des juridictions françaises

a Le cadre juridique applicable aux inspections mises en œuvre sur le fondement de l'article 20 du Règlement n° 1/2003

Il est rappelé que l'article 20(1) du règlement n° 1/2003 confère à la Commission européenne la compétence d'inspecter des entreprises suspectées d'avoir commis ou de commettre des infractions aux règles de concurrence, tandis que l'article 20(2) dudit règlement énumère les pouvoirs dont est investie la Commission lorsqu'elle met en œuvre des décisions d'inspection. La CJUE a eu l'occasion de préciser que de tels pouvoirs ne s'apparentent pas à des mesures de contrainte (affaires jointes 46/87 et 227/88, 21 septembre 1989, Hoechst AG c. Commission des Communautés européennes ; affaire Y-289/11, 6 septembre 2013, Deutsche Bahn AG et autres c. Commission européenne).

L'article 20(4) du règlement précise quant à lui que la Commission ne peut adopter une décision d'inspection qu'« après avoir entendu l'autorité de concurrence de l'État membre sur le territoire duquel l'inspection doit être effectuée ». En l'espèce, la Commission s'est dûment acquitté de cette obligation puisqu'elle a informé l'ADLC dès le 16 janvier 2017 de son intention d'inspecter INCA Achats.

Lors d'une inspection, deux cas de figure peuvent se produire : d'une part, les entreprises inspectées peuvent accepter les inspections en leur principe et décider de coopérer durant lesdites inspections et l'article 20(5) du règlement n° 1/2003 est alors applicable, dans cette hypothèse, le droit de l'Union européenne régit exclusivement le déroulement des inspections ; d'autre part, les entreprises inspectées peuvent rejeter les inspections en leur principe en refusant de coopérer durant lesdites inspections, l'article 20(6)(7) du règlement n° 1/2003 est alors applicable. Dans cette hypothèse les agents des autorités de concurrence des Etats membres chargés des inspections par la Commission exercent leur pouvoir conformément à leur législation nationale, il s'agit en France de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Ainsi, il est faux de laisser entendre, comme le fait la requérante, que les ordonnances du JLD obtenues par la Commission à titre préventif doivent obligatoirement être notifiées aux entreprises inspectées, et que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce s'appliquent systématiquement.

Il est soutenu que les dispositions du Code de commerce ne s'appliquent que lorsque les conditions cumulatives suivantes sont réunies: l'entreprise a fait usage de son droit d'opposition au début ou au cours de l'inspection de la Commission; une ordonnance autorisant des opérations de visite et saisie, obtenue auprès du JLD compétent, a par conséquent été notifiée à l'entreprise inspectée.

Il est précisé que lorsque ces conditions ne sont pas réunies, comme c'est le cas en l'espèce, il est incorrect de parler d'« opérations de visite et saisie » au sens du droit français.

Il est argué que le fait qu'une autorisation judiciaire ait été établie à titre préventif à la demande de l'autorité nationale de concurrence concernée (article 20(7) du règlement n° 1/2003) ne change rien au fait que, tant qu'il n'y a pas d'opposition à l'inspection et de présentation de l'autorisation de l'autorité judiciaire compétente (si, en vertu du droit national, cette autorisation doit être sollicitée, ce qui est le cas en France) le droit de l'Union européenne régit exclusivement le déroulement des inspections effectuées sur le fondement de l'article 20 du règlement n° 1/2003.

En l'espèce, c'est bien la Commission, et non les agents de l'ADLC française, qui a procédé aux inspections litigieuses. Il y a donc eu uniquement application de l'article 20 du règlement n° 1/2003, à l'exclusion de l'article 22(2) dudit règlement.

b L'incompétence des juridictions nationales pour statuer sur des inspections mises en œuvre sur le fondement exclusif du droit européen

Il résulte de la jurisprudence constante des juridictions européennes et françaises que dès lors que des inspections sont mises en œuvre sur le fondement exclusif de l'article 20(1) et (4) du règlement n° 1/2003, il est exclu qu'une juridiction nationale puisse contrôler le déroulement des inspections en question au regard du droit national.

c En l'espèce, les inspections litigieuses ont été mises en œuvre sur le fondement exclusif du droit de l'Union européenne

Il est soutenu que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'a en aucun cas pu être violé, puisqu'il n'a pas été mis en œuvre lors du déroulement des inspections litigieuses.

En effet, la requérante reconnaît, de son propre aveu, qu'elle a collaboré et qu'elle n'a, en tout état de cause, pas commis d'obstruction durant lesdites inspections. Elle n'a ainsi pas fait opposition à l'inspection. Aucune mesure de contrainte n'a été exercée, ce qui n'est à aucun moment contesté par la requérante.

Ainsi, la solution apportée par l'ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Paris du 17 janvier 2018, confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juin 2019, s'applique mutatis mutandis au présent litige.

d L'absence de violation au droit à un recours effectif

Il est argué que les affirmations de la requérante selon lesquelles lorsqu'est en cause une inspection menée sur le fondement de l'article 20 du règlement n° 1/2003, seul l'ordre juridique français garantirait le droit à un recours effectif, à l'exclusion de l'ordre juridique de l'Union européenne, ne reflètent absolument pas l'état du droit de l'Union européenne.

En effet, les juridictions européennes ont ouvert, de façon prétorienne, des recours contre le déroulement des inspections, d'une part, au stade de la contestation de la décision finale de la Commission et d'autre part, dans le cadre de voies de recours autonomes (affaire T-289/11, 6 septembre 2013, Deutsche Bahn AG et autres c. Commission européenne).

En l'espèce, il était loisible à la requérante de saisir le Tribunal de l'Union européenne d'un recours contre un acte de la Commission dont elle considérerait qu'il a été pris en violation des principes fondamentaux précités, ce qu'elle n'a pourtant pas fait.

Enfin, un recours en indemnité extra-contractuelle peut toujours être exercé contre la Commission pour obtenir une réparation pécuniaire faisant suite à un préjudice, dès la survenance dudit prétendu préjudice.

Par ailleurs, la CJUE garantit de longue date, dans l'ordre juridique européen, le respect des droits de la défense et le droit au respect du domicile en s'inspirant de la jurisprudence de la CEDH. De surcroît, ces droits sont consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Il est fait valoir que le Tribunal de l'Union européenne a récemment rappelé que les voies de recours ouvertes par le droit européen contre le déroulement d'une inspection menée sur le fondement de l'article 20 du règlement n° 1/2003 sont conformes au droit à un recours effectif, et que la Cour de cassation a également attesté, dans son arrêt du 13 juin 2019, de l'existence d'un recours effectif contre les procédures d'inspections menées par la Commission sur le fondement du droit européen.

Dans ces conditions, le fait que les ordonnances du JLD de Paris et de Créteil, obtenues à titre préventif, n'aient pas été notifiées, ne viole ni l'article L. 450-4 du Code de commerce ni le droit de la requérante à un recours effectif. Il s'en déduit que le présent recours est manifestement irrecevable.

2 Sur les prétendues violations de la CESDH

S'agissant du moyen relatif à l'absence d'officiers de police judiciaire, liée au défaut de notification des ordonnances, il est souligné que la requérante cite à l'appui de son argumentation, certains précédents de la CEDH (v. affaire Modestou c. Grèce) qui n'ont aucun rapport avec la présente affaire.

Enfin, la Commission renvoie aux arguments développés supra et tient à rappeler qu'accepter d'examiner le présent recours sur le fond constituerait une violation manifeste de deux principes fondamentaux du droit de l'Union européenne : le principe de primauté du droit de l'Union européenne sur les droits nationaux d'une part et le principe d'application uniforme du droit de l'Union européenne d'autre part.

En conclusion, il est demandé à la Cour de :

- constater l'absence de mise en œuvre de l'autorisation de visite et saisie délivrée par le JLD de Paris et de Créteil les 15 et 17 mai 2019 ;

- se déclarer incompétente pour connaître du recours introduit par la société Casino en ce qui concerne la validité de la décision et du déroulement de l'inspection litigieuse, et notamment la mise en œuvre des pouvoirs confiés aux agents de la Commission et aux rapporteurs leur prêtant l'assistance prévue par les articles 20(2) et 20(5) du règlement n° 1/2003 et l'article L. 470-6 du Code de commerce (devenu l'article L. 490-9 du Code de commerce) ;

- déclarer en conséquence irrecevable le présent recours ;

- condamner la requérante à une amende civile de 10 000 euros pour appel dilatoire et abusif sur le fondement des articles 559 et 32-1 du Code de procédure civile ;

- condamner la requérante au paiement de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par avis déposé au greffe de la Cour d'appel de Paris le 27 janvier 2020, le Ministère public soutient :

L'appel est manifestement sans objet puisque c'est seulement à titre préventif que le JLD a pris une ordonnance d'autorisation de visite et saisie, qui n'a pas eu besoin d'être notifiée aux occupants des lieux, aucune opposition à l'inspection de la Commission européenne n'ayant été manifestée par la société Casino.

Il est rappelé que la question soulevée par la requérante a précédemment été tranchée par le Premier président de la Cour d'appel de Paris, lequel avait relevé son incompétence à connaître la mise en œuvre du droit communautaire, dont le contentieux peut être porté exclusivement devant les juridictions européennes compétentes pour en connaître. Par un arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation a confirmé l'ordonnance d'incompétence rendue par le Premier président de la Cour d'appel de Paris.

Par ailleurs, un contentieux communautaire est d'ores et déjà engagé par la requérante sur la légalité de la décision de la Commission du 13 mai 2019 sur le fondement de laquelle les JLD ont rendu à titre préventif les ordonnances dont la légalité est ici mise en cause: un recours est actuellement pendant devant le Tribunal de l'Union européenne (affaire T-538/19 Casino, Guichard-Perrachon-Commission européenne), dont l'examen est suspendu jusqu'à la décision mettant fin à l'instance précédemment introduite devant ce Tribunal par la société Casino dans l'affaire T-249/17, qui concerne la légalité de la première décision d'autorisation d'enquête, rendue par la Commission le 9 février 2017, concernant les éventuelles pratiques anti-concurrentielles de cette société.

En l'espèce, seules les règles et la procédure européenne ont été mises en œuvre et il appartient donc aux seules juridictions européennes d'en connaître concernant tant la contestation de la légalité des opérations que leur déroulement.

En outre, ainsi que le rappelle la Commission européenne dans ses observations, les procédures européennes sont incontestablement soumises à toutes les exigences posées par la CEDH, qui sont de surcroît reprises dans l'ordre juridique communautaire par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

En conclusion, le Ministère public invite la Cour à se déclarer incompétente pour connaître de l'appel en contestation des ordonnances rendues à titre préventif par les JLD de Paris et de Créteil, qui n'ont été ni notifiées ni mises en œuvre, ainsi que du recours exercé contre le déroulement des opérations, et estime qu'il pourra être prononcée ici à l'encontre de la requérante, au vu du caractère manifestement inapproprié de son recours devant une juridiction française, les questions soulevées ayant récemment été tranchées par la Cour de cassation dans le cadre d'un contentieux identique engagé par la requérante, l'amende civile posée par l'article 559 du Code de procédure civile pour appel manifestement dilatoire et abusif.

SUR CE

SUR LA JONCTION.

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du Code de procédure civile et eu égard aux liens de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 19/09792 (appel) et RG 19/09589 et RG 19/09796 (recours), qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien RG 19/09589.

SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL.

Il ressort des éléments du dossier transmis à l'appréciation de notre juridiction que l'appel contre l'ordonnance du JLD de Paris porte sur une décision qui n'a été ni notifiée, ni exécutée envers la requérante, que les opérations de "visites et saisies" contestées ont été autorisées en application de la décision de la Commission du 13 mai 2019 ordonnant à Casino ainsi qu'à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre a une inspection conformément à l'article 20(1) et (4) du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, que l'ordonnance du JLD de Paris du 17 mai 2019 a été rendue de manière préventive, qu'un appel envers une décision de justice qui n'a été ni notifiée ni appliquée est sans objet et donc irrecevable.

L'appel interjeté le 4 juin 2019 contre l'ordonnance du JLD de Paris du 17 mai 2019 sera déclaré sans objet et irrecevable.

SUR LA RECEVABILITE DES RECOURS.

Il ressort des éléments du dossier transmis à l'appréciation de notre juridiction que des recours ont été formés par la société anonyme Casino Guichard-Perrachon afin de contester "le déroulement des opérations de visite et saisies autorisées dans les lieux suivants" : dans les locaux de l'entreprise Casino, Guichard-Perrachon SA, <adresses>, qui se sont déroulés du 20 au 24 mai 2019, que néanmoins la société requérante, qui dans sa déclaration de recours vise les articles L. 450-4 et L. 490-9 du Code de commerce, ne présente à l'appui de ses recours aucun procès-verbal de visite et de saisie dont la rédaction est prévue par l'article L. 450-4, elle produit en revanche à l'appui de ses recours plusieurs documents datés du 23 et 24 mai 2019, intitulés "list of electronic inspection documents" rédigés pour partie en langue anglaise et ne comportant aucune signature, difficilement compréhensibles.

Il ressort des éléments du dossier que les "visites et saisies" contestées sont en réalité des mesures d'inspection autorisées en application de la décision de la Commission européenne du 13 mai 2019, ordonnant à Casino ainsi qu'à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l'article 20(1) et (4) du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil ( AT 40466-Tute 1).

L'article premier de la décision précitée était rédigé ainsi qu'il suit : "Casino Guichard-Perrachon SA (ci-après "Casino"), visée à l'article 3, ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l'article 101 du traité, en matière de vente aux consommateurs de produits alimentaires, de produits d'hygiène et de beauté, de produits d'entretien, de produits [...] et d'accessoires de voyage (ci-après "biens de consommation courante"), dans les magasins physiques et en ligne.

Ces accords et/ou pratiques concertées présumés consistent en [...].

Cette inspection peut avoir lieu dans n'importe quel local de l'entreprise (et en particulier dans les locaux sis <adresses>).

Casino ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, autorisent les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission à procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l'autorité de la concurrence de l'Etat membre concerné ou nommées par ce dernier à cet effet, à les assister, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport de l'entreprise pendant les heures de bureau. Ces sociétés soumettent à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel quel qu'en soit le support, si les fonctionnaires et autres personnes mandatées en font la demande et leur permettent de les examiner sur place ou de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elles autorisent l'apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l'inspection et dans la mesure ou cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elles fournissent immédiatement sur place des explications orales sur l'objet et le but de l'inspection si ces fonctionnaires ou personnes en font la demande et autorisent tout représentant ou membre du personnel à fournir de telles explications. Elles autorisent l'enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit".

Il est également indiqué dans l'article 2 : «  L'inspection peut débuter le 20 mai 2019 ou peu de temps après », puis en son article 3 : «  (...) Cette décision est notifiée, juste avant l'inspection, à l'entreprise qui en est destinataire, en vertu de l'article 297, paragraphe 2, du traité. »

La décision comporte in fine la possibilité pour la Commission, d'infliger une amende ou des astreintes en cas d'obstruction à l'inspection ordonnée et dispose "sans préjudice des dispositions susmentionnées lorsqu'une entreprise destinataire de la présente décision s'oppose à une inspection ordonnée en vertu de cette dernière, l'Etat membre prête l'assistance nécessaire aux agents et autres personnes les accompagnant mandatées par la Commission pour leur permettre d'exécuter leur mission d'inspection, conformément à l'article 20, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 1/2003".

Il ressort des pièces versées au dossier que la procédure d'inspection telle que décrite a été respectée, que notamment :

un procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été dressé le 20 mai 2019 à 14H41, par les agents mandatés par la Commission, à l'occasion de leur présentation dans les locaux de l'entreprise Casino, Guichard-Perrachon SA, sur le site <adresse>, et signé par le représentant de l'entreprise (Monsieur Z., Directeur) ;

un procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été dressé le 20 mai 2019 à 14H35, par les agents mandatés par la Commission, à l'occasion de leur présentation dans les locaux de l'entreprise Casino, Guichard-Perrachon SA, à Vitry/Seine (94) et signé par la représentante de l'entreprise (Madame Z, directrice juridique).

Lors de ces notifications, les représentants de l'entreprise Casino n'ont émis aucune réserve ou opposition. Il est constant que ni l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Créteil, ni celle du juge des libertés et de la détention de Paris (ordonnances obtenues à titre préventif), n'avait pas à être notifiée aux représentants de la société des lieux visités pour les raisons ci-dessus énoncées.

Si par courrier du 24 mai 2019, la société Casino Guichard-Perrachon, a contesté "la régularité de l'inspection en cours" auprès de la Commission européenne, cela ne constitue pas une opposition à l'inspection.

Par ailleurs, il a déjà été jugé que l'assistance des autorités nationales peut être demandée à titre préventif pour surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise, dans l'hypothèse d'une inspection ordonnée par la Commission.

En l'espèce, il convient de constater que c'est sur le fondement de l'article 20(1) du règlement n° 1/2003 donnant compétence à la Commission européenne pour inspecter des entreprises suspectées d'avoir commis ou de commettre des infractions aux règles de concurrence, que la décision d'inspection de la Commission au sein des locaux de la société Casino Guichard-Perrachon, a été prise.

Ainsi les agents de la Commission ont pris acte que la société susmentionnée acceptait leur inspection dans son principe, ne refusait pas de coopérer et que dès lors, compte tenu de cette absence d'opposition, il n'était pas nécessaire de s'assurer du concours des autorités nationales pour la mise en œuvre d'éventuels pouvoirs de contrainte.

II y a lieu de relever que les pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce n'ont pas été exercés, que d'une part les ordonnances des JLD de Paris et de Créteil n'ont pas été notifiées et que les mesures d'inspection ont été effectuées exclusivement par les agents de la Commission et non par ceux de l'Autorité de la concurrence, qu'il n'existe d'ailleurs au dossier aucun procès-verbal établi par l'ADLC.

En conséquence, d'une part le déroulement des inspections s'étant réalisées sur la base de l'article 20 du règlement n° 1/2003 et non sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le droit national n'a pas vocation à s'appliquer, l'ensemble de ces inspections étant régies par le droit de l'Union européenne, d'autre part la procédure d'inspection ordonnée par la Commission en application du Règlement CE n° 1/2003 du Conseil du 16/12/2002 est entourée de garantie assurant le respect des droits de la défense, et les modalités de recours ouverts aux sociétés soumises à cette procédure, en ce qu'elles permettent de contester soit directement soit dans le cadre du contentieux relatif à la décision finale de la Commission le déroulement de ces opérations, satisfont aux exigences du droit à un recours effectif, le juge communautaire effectuant un contrôle en droit et en fait.

Dès lors, il convient de nous déclarer incompétents pour connaître des recours de la société Casino Guichard-Perrachon et les déclarons irrecevables.

En conséquence, il n'y a pas lieu à statuer sur les autres moyens soulevés.

En outre, en interjetant appel de la décision du JLD de Paris du 17 mai 2019 et en formant un recours contre le déroulement des "opérations de visite et saisies autorisées", suite à la décision du 13 mai 2019 de la Commission européenne, alors que la Cour d'appel de Paris a rendu une décision d' incompétence et d'irrecevabilité des recours en date du 17 janvier 2018 dans le même dossier, suite aux inspections ordonnées par la Commission en février 2017, et que la décision de la Cour d'appel a été confirmée par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 13 juin 2119, qu'ainsi la SA Casino et Guichard-Perrachon a manifestement abusé de son droit en intentant un nouveau recours qui était évidemment voué à l'échec, les moyens soulevés ayant déjà été rejetés, tant par la cour d'appel de Paris que par la Cour de cassation dans une décision très récente, que cette circonstance commande que la société requérante, soient condamnée, en application des article 559 et 32-1 du Code de procédure civile, à une amende civile de 7 000 euros (sept mille euros).

Enfin, la réitération des recours commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité de la concurrence et de la Commission européenne.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

- Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 19/09792 (appel), 19/09589 et 19/09796 (recours), sous le numéro le plus ancien RG 19/09589 ;

- Déclarons sans objet et irrecevable l'appel interjeté contre l'ordonnance du 17 mai 2019 rendue par le Juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris ;

- Nous déclarons incompétents pour connaitre des recours introduits par la société Casino Guichard-Perrachon SA en ce qui concerne la validité du déroulement des inspections suite à la décision de la Commission du 13 mai 2019 ordonnant à société Casino Guichard-Perrachon SA ainsi qu'à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l'article 20 (1) et (4) du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil (AT.40466);

- Déclarons en conséquence les recours irrecevables ;

- Rejetons toute autre demande, fin ou conclusion ;

- Disons qu'il convient de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, et d'accorder la somme de 5 000 euros à la Commission européenne et d'accorder la somme de 8 000 euros à l'Autorité de la Concurrence ;

- Disons que la société requérante devra s'acquitter d'une amende civile de 7 000 euros (sept mille euros) en application des articles 559 et 32- 1 du Code de procédure civile ;

- Disons que la charge des dépens sera supportée par la société requérante ;

- Disons, que sur les soins du greffe, une expédition de la présente ordonnance sera transmise au directeur départemental des finances publiques, pour exécution.