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Décisions

Cass. com., 24 juin 2020, n° 17-28.115

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Caisse des dépôts et consignations , Services conseil expertises territoires (SA)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence , Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Perruzzetto

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié , SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Cass. com. n° 17-28.115

24 juin 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 octobre 2017), l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) s’est saisie d’office, le 26 février 2015, des pratiques mises en oeuvre sur le marché de l’assistance foncière de l’Etablissement public foncier de l’Ouest Rhône-Alpes (l'Epora). Le 11 juillet 2016, la rapporteure générale de l’Autorité a notifié à la société Services conseil expertises territoires (la société SCET) et à la société SETIS, en tant qu’auteures des pratiques, ainsi qu’au « Groupe Caisse des dépôts et consignations » (le Groupe CDC) et au Groupe Degaud, en tant que sociétés mères, un grief d’entente anticoncurrentielle prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce pour s'être, préalablement à leurs remises, échangé des informations sur leurs offres en vue de la passation du marché d’assistance foncière de l’Epora.

2. Les sociétés SETIS et Groupe Degaud ayant demandé à bénéficier de la procédure de transaction prévue à l'article L. 464-2, III, du code de commerce, l’Autorité, par une décision n° 16-D-27 du 2 décembre 2016, a prononcé à leur encontre une sanction dans le respect des termes du procès-verbal de transaction signé le 22 septembre 2016.

3. Par une décision n° 16-D-28 du 6 décembre 2016, l’Autorité a dit établi que la société SCET, en tant qu’auteure, et le « Groupe CDC, en tant qu’entité mère », avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente avec la société SETIS et leur a infligé, solidairement, une sanction pécuniaire.

4. La société SCET et la Caisse des dépôts et consignations (la CDC) ont formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Paris.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et cinquième branches, les troisième et quatrième moyens, le cinquième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et le sixième moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, et quatrième branches

Enoncé du moyen

6. La société SCET et la CDC font grief à l’arrêt de dire qu’elles ont, respectivement en tant qu'auteure et entité mère, enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente avec la société SETIS lors de la passation du marché d'assistance foncière de l'Epora et de leur infliger solidairement une sanction pécuniaire alors :

« 1°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que cette exigence, qui doit s’apprécier objectivement, interdit qu’un même juge porte deux fois une appréciation sur les mêmes faits entre les mêmes parties ; qu’en excluant tout manquement des membres de l’Autorité à leur obligation d’impartialité objective, tout en constatant que par deux décisions distinctes, des 2 et 6 octobre 2016 "relative à des pratiques mises en oeuvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes", la même formation de l’Autorité a statué sur les mêmes faits et a infligé successivement une sanction pécuniaire de 40 000 euros à l'encontre des sociétés SETIS et Groupe Degaud, puis une sanction de 560 000 euros à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations, la cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2°) qu’après avoir précisément décrit les comportements relevés l’Autorité a, dans sa première décision n° 2016-D-27 du 2 décembre 2016, retenu que « la société SETIS, en tant qu’auteur, et le groupe Degaud, en tant que société mère, ont échangé avec la SCET, entre avril 2012 et janvier 2013, des informations sur leurs offres en vue de la passation du marché d’assistance foncière de l’EPORA ; que ces échanges d’informations entre SETIS et la SCET ont porté sur les bordereaux de prix du marché concerné ainsi que sur leur intérêt respectif pour les marchés subséquents aux accords-cadres (et) avaient pour objet de se répartir les marchés subséquents aux deux accords-cadres (…) » avant d’en conclure qu’en « participant à une telle entente avec la SCET et la société SETIS a méconnu les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce » ; que dès lors, en affirmant, pour considérer que cette première décision de l’Autorité ne constituait pas un préjugement, que pour cette décision, la formation a « prononcé une sanction pécuniaire de 40 000 euros à l'encontre des sociétés SETIS et Groupe Degaud » tandis que « pour la seconde, (elle a) statué sur le grief reproché à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations et leur a infligé une sanction pécuniaire de 560 000 euros », quand elle s’était déjà prononcée, dans sa première décision sur la participation de la SCET à l’entente, la cour d’appel qui a dénaturé la décision précitée, a violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause, ensemble l’article 1192 du code civil ;

3°) qu’en affirmant péremptoirement que les deux procédures ont été examinées au cours d'une même séance et d'un délibéré unique de l'Autorité, tout en constatant que les sociétés SETIS et Groupe Degaud d’un côté, et SCET et Caisse des dépôts et consignations, d’un autre côté, ont été auditionnées séparément et que deux décisions distinctes ont été rendues à des dates différentes, les 2 et 6 décembre 2016, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. »

Réponse de la Cour

7. Ayant constaté, sans dénaturation, que les pratiques reprochées aux sociétés SETIS et Groupe Degaud, d’une part, et à la société SCET et au groupe CDC, d’autre part, avaient donné lieu à une seule et même instruction, avaient été examinées par l’Autorité au cours d’une même séance, le 3 novembre 2016, et avaient fait l’objet d’un délibéré unique, la cour d'appel a exactement retenu, peu important que les sociétés en cause aient été entendues séparément par le collège lors de cette séance, que la circonstance que deux décisions distinctes aient été rendues par l’Autorité, à deux dates différentes, n’avait emporté aucun préjugement des pratiques reprochées à la société SCET et au Groupe CDC et ne pouvait être considérée comme jetant un doute sur l’impartialité objective des membres de l’Autorité.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. La société SCET et la CDC font le même grief à l’arrêt alors :

« 1°) que l'instruction et la procédure devant l'Autorité sont contradictoires sous réserve de respecter le secret des affaires ; qu’en considérant que le principe du contradictoire n’avait pas été méconnu malgré le refus de l’Autorité de communiquer à la SCET et à la Caisse des dépôts et consignations le procès-verbal de transaction signé par les autres parties à la prétendue entente quand la décision de l’Autorité du 6 décembre 2016 ayant condamné la SCET pour avoir participé à une entente avec SETIS a été expressément rendu au visa du « procès-verbal de transaction en date du 22 septembre 2016 signé par le rapporteur général adjoint de l’Autorité et les sociétés Eurl SETIS et Groupe Degaud en application des dispositions du III de l’article L. 464-2 du code de commerce », la cour d’appel a violé l’article L. 463-1 du code de commerce ;

2°) que l'instruction et la procédure devant l'Autorité sont contradictoires sous réserve de respecter le secret des affaires ; qu’en affirmant, pour justifier l’audition séparée des parties à l’entente par l’Autorité, que les sociétés SETIS et Degaud n’auraient été entendues oralement que sur le montant de la sanction par elles encourue quand l’oralité de l’audience ne permet pas de s’assurer qu’aucune appréciation n’a été portée à cette occasion sur l’infraction reprochée, la cour d’appel a violé l’article L. 463-1 du code de commerce ;

3°) que l'instruction et la procédure devant l'Autorité sont contradictoires sous réserve de respecter le secret des affaires ; que le fait, pour l’Autorité, d’entendre séparément les parties à l’entente les prive d’un débat contradictoire à l’audience ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 463-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, l'arrêt énonce exactement que le procès-verbal de transaction n’a pas vocation à être porté à la connaissance de tiers à la procédure de transaction, s’agissant d’un acte qui ne comporte pas d’examen des pratiques reprochées ni quant à leur réalité, ni quant à leur qualification juridique, et qui se borne à attester de l'accord des parties intéressées à la proposition de transaction du rapporteur général, laquelle, selon les termes mêmes de l'article L. 464-2 III du code de commerce, a pour seul objet de fixer le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée.

11. C'est dès lors à bon droit qu’il en déduit que le refus de l’Autorité de communiquer le procès-verbal de transaction du 22 septembre 2016 signé par les sociétés SETIS et Groupe Degaud à la société SCET et à la CDC, tiers à la procédure de transaction, ne caractérise aucune atteinte au principe de la contradiction, peu important que ce procès-verbal ait été visé, à titre de simple rappel de la procédure, dans la décision de l‘Autorité.

12. En second lieu, après avoir constaté que la société SCET et la CDC avaient eu accès à toutes les autres pièces de la procédure et qu’elles avaient pu présenter des observations orales devant l’Autorité durant la séance du 3 novembre 2016, l’arrêt relève que, si les sociétés SETIS et Groupe Degaud ont été entendues séparément lors de cette séance, leur audition n’a porté que sur la détermination du montant de la sanction pécuniaire qui leur serait infligée dans les limites définies par la proposition du rapporteur général, soit sur des points étrangers à la défense des intérêts de la société SCET et de la CDC.

13. De ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a, à bon droit, déduit qu’aucune atteinte au principe de la contradiction n’était caractérisée.

14. Le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches.

Sur le cinquième moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

15. La société SCET et la CDC font le même grief à l‘arrêt alors :

« 1°) que seul un grief clair, précis, préalablement notifié dans les mêmes termes et sur lequel les parties ont pu présenter leurs observations peut être retenu à leur encontre par la formation de jugement ; qu’ainsi l’Autorité et sur recours la cour d’appel de Paris ne peuvent ni compléter, ni modifier les griefs notifiés, ni a fortiori prononcer une condamnation dont la possibilité n’avait pas été envisagée par la notification des griefs ; que dès lors, en affirmant, pour condamner en qualité d’entité mère de la SCET la Caisse des dépôts et consignations, aux lieu et place du « Groupe Caisse des dépôts et consignations » seul visé par la notification des griefs mais dépourvu de personnalité juridique, que si la décision attaquée a improprement attribué la qualité d’« entité mère » de la société SCET au « Groupe Caisse des dépôts et consignations » et lui a, en conséquence, imputé les pratiques en cause, l'Autorité visait en réalité clairement la Caisse des dépôts et consignations, qui détient 100 % du capital de cette société, la cour d’appel qui a modifié la notification des griefs a violé les articles 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du code de commerce ;

2°) que l’erreur de droit commise pour déterminer le redevable d’une condamnation ne saurait être assimilée à une simple erreur matérielle pouvant être librement rectifiée ou interprétée ; qu’en considérant, pour condamner en qualité d’entité mère de la SCET la Caisse des dépôts et consignations, aux lieu et place du « Groupe Caisse des dépôts et consignations », que si la décision attaquée a improprement attribué la qualité d’« entité mère » de la société SCET au « Groupe Caisse des dépôts et consignations » et lui a, en conséquence, imputé les pratiques en cause, l'Autorité visait en réalité clairement la Caisse des dépôts et consignations, qui détient 100 % du capital de cette société, après avoir constaté pour réformer la décision déférée, que si l'Autorité souligne que « l'article L. 518-2 du code monétaire et financier fait de l'ensemble formé par la Caisse des Dépôts et Consignations et ses filiales un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays (…) les sanctions prévues par l'article L. 464-2 du code de commerce ne peuvent, par définition, être prononcées qu'à l'encontre de personnes physiques ou d'entreprises ou d'organismes pourvus de la personnalité juridique (ce qui) n'est pas le cas du « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations » visé par la décision », ce dont il résulte que l’Autorité a commis une erreur de droit en imputant l’infraction au Groupe Caisse des dépôts et consignations, la cour d’appel a violé l’article L. 464-2 du code de commerce, ensemble les articles 461 et 462 du code de procédure civile ;

3°) que selon la décision déférée de l’Autorité « le Groupe Caisse des dépôts et consignations détient 100 % du capital de la SCET depuis le mois de mars 2012, soit antérieurement à la date de début des pratiques (si bien que) dans ces conditions, le Groupe Caisse des dépôts et consignations est présumé exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale » ; qu’en affirmant au contraire, pour imputer les pratiques en cause non plus au Groupe Caisse des dépôts et consignations mais à la Caisse des dépôts et consignations que la décision déférée « s'est exclusivement fondée sur le constat qu'elle détenait, depuis mars 2012, tout le capital de cette société, appliquant ainsi la présomption, consacrée en jurisprudence tant communautaire que nationale, selon laquelle la société qui détient, directement ou indirectement, la totalité du capital d'une filiale est présumée exercer sur elle une influence déterminante », la cour d’appel a méconnu le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause, ensemble l’article 1192 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Après avoir relevé que la CDC, représentée par son directeur général et un conseil, avait été destinataire de tous les actes de la procédure et avait présenté des observations écrites et orales pour la défense de ses intérêts, l’arrêt retient qu’en imputant improprement les pratiques en cause au “Groupe CDC”, dépourvu de la personnalité juridique, visé par la notification des griefs, l’Autorité visait en réalité la CDC, détentrice de 100 % du capital de la société SCET.

17. Ayant ainsi fait ressortir que la désignation, dans la notification des griefs comme dans la décision de l’Autorité, de la CDC en tant que “Groupe CDC” était le fruit d’une simple erreur matérielle qui n’avait pas porté atteinte aux intérêts de la CDC, la cour d’appel a pu retenir, sans modifier la notification des griefs ni dénaturer les documents de la cause, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, que les pratiques en cause étaient imputables à la CDC.

18. Le moyen n’est donc pas fondé.

Par ces motifs, la Cour :

Rejette le pourvoi.