CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 juin 2020, n° 18/21085
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Société Holding d'Exploitation et d'Investissement Hôtelier (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocat :
Me Laborie
FAITS ET PROCÉDURE
M. X est un artisan commerçant exerçant sous l'enseigne Home Tech Multi Services.
La Société Holding d'exploitation et d'investissement (ci-après "HEIH") a pour objet la location de terrains et de biens immobiliers à Saint Barthélemy.
M. X effectue la maintenance de plusieurs villas mises en location par la société HEIH.
Les relations commerciales entre les parties ont débuté en mars 2010 pour prendre fin en septembre 2015.
Sur la demande en paiement de factures de M. X et la réparation du préjudice que celui-ci aurait subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'il impute à la société HEIH, ainsi que sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de cette dernière, le Tribunal mixte de commerce de Fort de France, par jugement du 24 juillet 2018, a :
- débouté les parties de leurs demandes respectives ;
- condamné M. X aux dépens ;
- condamné M. X à payer à la société HEIH la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du CPC ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 19 septembre 2018, M. X a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.
Vu les dernières conclusions de M. X, notifiées le 30 janvier 2019 par RPVA, par lesquelles il est demandé de :
Vu l'article 1103 du Code civil,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- condamner la société HEIH à payer à Monsieur X la somme de 16 664 euros au titre des factures impayées,
- condamner la société HEIH à payer à Monsieur X la somme de 60 000 euros au titre de la rupture sans préavis de la relation commerciale établie,
- condamner la société HEIH à payer à Monsieur X la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner la société HEIH à payer à Monsieur X la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Me Y conformément aux dispositions de l'article 699 dudit Code.
Vu les dernières conclusions de la société HEIH, intimée, notifiées le 1er février 2019 par le RPVA tendant à voir :
1) Sur la demande en paiement de la somme de 16.664 euros au visa des dispositions de l'article 1103 du Code civil et celle de la somme de 60 000 euros au visa des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce
A titre principal et sur la forme,
- réformer la décision de première instance et statuant à nouveau déclarer irrecevables les demandes de M. X
Subsidiairement et sur le fond
- confirmer la décision des premiers Juges et débouter M. X.
2) Sur la demande en paiement de la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et toutes les demandes accessoires au titre des frais irrépétibles et dépens,
- confirmer la décision des premiers juges et débouter M. X
3) En tout état de cause et à titre reconventionnel
- réformer la décision de premiers Juges et statuant à nouveau condamner M. X au paiement à la concluante de la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
En cause d'appel
- condamner M. X à payer à la concluante la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande en paiement de factures
M. X soutient que HEIH reste devoir lui payer 3 factures correspondant à des prestations qu'il a effectuées :
- FC 811 d'un montant de 7 484 euros du 19 juin 2015,
- FC 812 d'un montant de 2 610 euros du 23 juillet 2015,
- FC 814 d'un montant de 6 570 euros du 30 août 2015.
Ces factures sont contestées par HEIH qui oppose l'irrecevabilité de cette demande en paiement de fausses factures, faute d'intérêt légitime et en tout état de cause, leur caractère infondé.
Si HEIH justifie du caractère anormal de la numérotation des factures litigieuses au regard de celles qu'elle produit et qui ont été payées puisque notamment la facture du 18 juin 2015 (sa pièce 10) "prestation de services JUIN 2015" porte le numéro FC 0178 alors que celle du 19 juin 2015 contestée porte le numéro FC 811, il n'en demeure pas moins que ce seul élément ne permet pas d'en déduire l'absence d'intérêt légitime de la demande en paiement des trois factures de M. X.
La demande est donc recevable.
En revanche, force est de constater que M. X qui a sollicité pour la première fois le paiement de ces trois factures par courriel du 18 novembre 2015 alors que les relations entre les parties avaient cessé, se borne à produire, outre le détail de prestations qu'il aurait réalisées, documents qui émanent de lui-même, les factures en cause sans justifier :
- s'agissant de la facture du 19 juin 2015 "Nettoyage Deck" d'un devis, accord préalable ou demande de HEIH, ou encore de justification de la réalisation effective de ces travaux ou même de la date de la prestation, étant observé que l'intimée produit une autre facture datée du mois de novembre 2015 concernant la Villa Chambord à Saint Barthélémy mentionnant notamment "Deck lavé et poncé",
- s'agissant de la facture du 23 juillet 2015 "Forfait reprise étanchéité avance de toitures et reprise gouttières Résidence Les Alizés villa 1 à 9", d'un devis, d'un forfait convenu, de l'accord préalable ou demande de HEIH, ou encore d'une justification de la réalisation effective de ces travaux ou même de la date de la prestation,
- s'agissant de la facture du 30 août 2015 "Heures supplémentaires d'août 2014 à août 2015, prestation HEIH", sans aucune précision à cet égard.
Ainsi, c'est sans inverser la charge de la preuve que le Tribunal a rappelé que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et a considéré que la simple production de factures et de documents émanant de la partie demanderesse, ne permettait pas de rapporter cette preuve.
La demande en paiement de ces trois factures est rejetée et le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
M. X soutient que ses relations commerciales avec HEIH, établies depuis le mois de mars 2010, ont été rompues au mois de septembre 2015, aucune tâche ne lui étant plus confiée, sans préavis écrit. Ce point n'est pas contesté et est justifié par l'attestation de M. Z, gérant de HEIH, du 26 octobre 2015 (pièce 13).
M. X fait valoir que HEIH était un important client, qu'il a dû prospecter de nouveaux clients pendant la haute saison touristique pour l'année suivante, de sorte qu'un préavis de 12 mois devait lui être accordé.
Il retient un montant mensuel de marge brut escompté de 5 000 euros prenant en compte la compensation avec le paiement de son loyer de 900 euros et sollicite la somme de 60 000 euros au titre de la perte de marge brute.
La société HEIH oppose vainement l'irrecevabilité de la demande alors que tant la circonstance que le statut d'auto entrepreneur de l'intéressé ne lui permettait pas de dépasser 32 000 euros de chiffre d'affaires annuel et ainsi de se prévaloir d'une perte de chiffre d'affaires de 60 000 euros, que celle qu'il n'ait pas satisfait à la sommation de produire ses déclarations fiscales, ne sont pas de nature à établir le défaut d'intérêt légitime de la demande d'indemnisation présentée sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.
De la même façon, la société HEIH invoque vainement une rupture pour faute de la relation commerciale alors qu'il n'est produit aucun écrit à cet égard, que les photos produites sont dépourvues de toute valeur probante comme ne pouvant être ni localisées ni datées et que le rapport de gérance de l'exercice 2014 mentionnant une redéfinition des fonctions de M. X (pièce 28 de l'intimée) est sans emport.
Egalement, la société intimée ne peut se prévaloir de faits postérieurs à la cessation des relations commerciales entre les parties, tels la demande en paiement des factures litigieuses et les termes du courriel du 18 novembre 2015 de M. X (pièce 18), pour justifier la rupture intervenue.
Dès lors, la société HEIH était redevable d'un préavis à l'égard de M. X.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'intéressé pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.
Au regard de la durée des relations commerciales entre les parties (5 ans et six mois) et de la dépendance économique dans laquelle se trouvait M. X à l'égard de cette société qui était son principal client et la raison de sa venue sur l'île ainsi qu'il résulte des attestations produites (pièces 12 et 13), ainsi que du caractère saisonnier de l'activité, un préavis de six mois devait être accordé à l'intéressé.
La brutalité de la rupture, seule indemnisable, est réparée par l'octroi d'une indemnité égale à la marge brute sur coûts variables qui aurait pu être réalisée pendant la durée de préavis manquante.
En l'espèce, au vu des factures produites et payées des années 2014 et 2015, la cour estime à 10 000 euros le montant de l'indemnisation dû à M. X par la société HEIH.
Sur le préjudice moral
M. X sollicite la somme de 10 000 euros à ce titre, invoquant le caractère vexatoire de la cessation de leurs relations et le non-renouvellement de son bail.
Mais, l'appelant ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral alors que le préjudice né de la brutalité de la rupture a été réparé et que l'intention malicieuse de la société HEIH n'est pas établie, étant observé de surcroît que le bail dont il se prévaut, consenti par M D... A..., n'est pas au nom de l'intimée.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive
La société HEIH sollicite reconventionnellement la somme de 8 000 euros à ce titre.
Mais, le sens de l'arrêt démontre le caractère infondé de cette demande, en l'absence de tout caractère abusif de la procédure engagée par M. X.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
La société HEIH qui succombe, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant infirmé sur ce point et elle est condamnée à payer sur ce fondement la somme de 5 000 euros à M. X.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. X de sa demande en paiement de la somme de 16 664 euros au titre de trois factures ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare M. X recevable en sa demande fondée sur la rupture des relations commerciales établies ; Condamne la société Holding d'exploitation et d'investissement hôtelier (HEIH) à payer à M. X la somme de 10 000 euros à ce titre ; Déboute M. X de sa demande en réparation de son préjudice moral ; Déboute la société Holding d'exploitation et d'investissement hôtelier de sa demande de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Holding d'exploitation et d'investissement hôtelier aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Y dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile ainsi qu'à verser à M. X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.