Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-20.323
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Centre Est Europe, Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Caisse Fédérale du Crédit Mutuel du Centre, Caisse Fédérale du Crédit Mutuel de Loire Atlantique et du Centre Ouest
Défendeur :
Offre et Demande Agricole (SARL), SPC Olivier Zanni (ès. qual.), Préville (ès. qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Sudre
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Yves et Blaise Capron
LA COUR : - Donne acte à la Confédération nationale du crédit mutuel, à la Caisse fédérale de crédit mutuel Centre Est Europe, à la Caisse fédérale du crédit mutuel du Centre et à la Caisse fédérale du crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest de ce qu'elles reprennent l'instance à l'égard des sociétés Zanni et Ajassociés, en leurs qualités respectives de mandataire et d'administrateur judiciaires de la société Offre et demande agricole, mise en redressement judiciaire le 5 mars 2019 ; - Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Offre et demande agricole (la société ODA), ayant pour activité la formation et le conseil dans le domaine de la commercialisation de matières premières agricoles, a conclu, à compter de 1999, avec la Confédération nationale du crédit mutuel (la CNCM) et les sociétés Caisse fédérale de crédit mutuel Centre Est Europe (la CFCM Centre Est Europe), Caisse fédérale du crédit mutuel du Centre (la CFCM du Centre), Caisse fédérale du crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (la CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest) diverses conventions portant sur la gestion des risques de prix, dans le cadre d'un ensemble de services dénommé Préviris ; qu'en exécution de ces conventions, la société ODA organisait des rendez-vous dits « Clarté » entre la caisse concernée et des agriculteurs pour sensibiliser ceux-ci à la gestion du risque lié au prix, dispensait des formations destinées aux clients désirant ouvrir un compte « marché à terme » et proposait un abonnement aux services « club Préviris », fournissant une information sur l'évolution des marchés agricoles ; que les 11 et 26 août 2003, la société ODA et la CNCM, agissant pour le compte des caisses fédérales adhérentes, ont conclu un accord national d'une durée de deux ans à compter du 1er juin 2003, renouvelable par tacite reconduction par période de deux ans, chaque partie pouvant le dénoncer à l'expiration de chaque période, moyennant un préavis de six mois ; que par lettre du 25 novembre 2004, la CNCM a notifié à la société ODA la non-reconduction de cet accord à son terme, le 31 mai 2005 ; que reprochant à la CNCM, la CFCM Centre Est Europe, la CFCM du Centre et la CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest d'avoir, dans les faits, mis fin à leur partenariat dès le 1er décembre 2004, la société ODA les a assignées en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale pendant la période de préavis ; que par le premier arrêt attaqué, du 4 décembre 2014, la cour d’appel a jugé que la CNCM et les caisses fédérales précitées ont commis une faute en ne respectant pas le préavis contractuel du 1er décembre 2004 au 31 mai 2005 et, avant dire droit sur la détermination du préjudice résultant de cette faute, a ordonné une expertise ; que par le second arrêt attaqué, du 4 mai 2018, la Cour d’appel a condamné in solidum la CNCM et les sociétés CFCM du Centre, CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest et CFCM Centre Est Europe à verser à la société ODA une certaine somme, outre intérêts et capitalisation ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la CNCM, la CFCM Centre Est Europe, la CFCM du Centre et la CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest font grief à l'arrêt du 4 décembre 2014 de dire qu'elles ont commis une faute en ne respectant pas le préavis contractuel du 1er décembre 2004 au 31 mai 2005, et à l'arrêt du 4 mai 2018 de les condamner in solidum au paiement d'une certaine somme à la société ODA alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond doivent préciser sur quels éléments ils se fondent, et les analyser, fût-ce sommairement ; qu'en se bornant à affirmer, pour dire que les intimées n'avaient pas respecté le délai de préavis courant jusqu'au 31 mai 2005, qu'il était établi qu'à la suite de la lettre recommandée avec accusé de réception du 25 novembre 2004, la société ODA n'avait plus eu de rendez-vous Clarté, ni d'action de formation initiale des clients du Crédit mutuel, ni d'adhésion de clients formés pour constituer un club Préviris, et qu'il ressortait clairement des pièces produites que le Crédit mutuel avait suspendu toutes les prestations de la société ODA pendant plusieurs mois, sans préciser de quelles pièces il s'agissait ni en quoi elles établissaient que les prestations de la société ODA avaient été suspendues, la Cour d’appel a privé sa décision de motifs et méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie ; que constitue une relation commerciale celle qui porte sur la fourniture rémunérée d'un produit ou d'une prestation de services ; que le Crédit mutuel faisait valoir qu'en l'espèce, seuls les rendez-vous Clartés lui étaient facturés par ODA, tandis que les formations initiales étaient facturées au client agriculteur, qui conservait le libre choix de son prestataire, de même que les Clubs Préviris, qui présentaient en outre un caractère facultatif pour les clients ; qu'il en déduisait que seule la cessation prétendue des rendez-vous Clarté pouvait, le cas échéant, donner lieu à indemnisation ; qu'en énonçant que la société ODA n'avait plus eu de rendez-vous Clarté ni d'action de formation initiale des clients du Crédit mutuel ni d'adhésions de clients pour constituer un club Préviris, pour dire que le Crédit mutuel avait commis une faute, et que la mission de l'expert devait porter sur la marge brute moyenne annuelle de la société ODA comprenant les rendez-vous Clarté, les formations et les club Préviris, sans répondre à ce moyen, la Cour d’appel a derechef méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie ; que la Cour d’appel a constaté que les parties ne contestaient pas les termes du jugement entrepris en ce qui concerne la rupture du contrat de mandat de transmission d'ordres, et indiquaient que les sommes dues à ce titre avaient été payées en exécution de ce jugement ; qu'il en résultait que la Cour d’appel n'était pas saisie des conséquences de la rupture du contrat de mandat, et que la société ODA avait été dûment indemnisée à ce titre ; qu'en énonçant, pour dire que le Crédit mutuel avait commis une faute en ne respectant pas le préavis contractuel, qu'il avait bloqué les comptes marché à terme de ses clients et qu'ainsi la commercialisation du produit Préviris sur lequel la société ODA collaborait avec le Crédit mutuel depuis plusieurs années avait été brutalement stoppée, la Cour d’appel, qui s'est fondée sur la rupture du contrat de mandat pour en déduire un préjudice lié à la rupture du contrat de partenariat, a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que les arrêts relèvent que les services Préviris comprenaient des rendez-vous « Clarté », permettant de présenter aux agriculteurs céréaliers le concept de gestion du risque de prix, facturés au Crédit mutuel, une formation obligatoire pour ouvrir un compte « marché à terme », à la charge des agriculteurs, et une offre d'information par un abonnement au club Préviris, dont le coût était assumé par les adhérents ; que l'arrêt du 4 décembre 2014 relève qu'à la suite de la lettre du 25 novembre 2004, la société ODA n'a plus réalisé de rendez-vous « Clarté », à l'exception d'un seul, le 3 décembre 2004, les quelques rendez-vous programmés en décembre 2004 et janvier 2005 ayant été annulés par les caisses concernées et ceux qui étaient seulement envisagés étant restés lettre morte ; qu'il relève également qu'elle n'a plus eu ni d'action de formation initiale des clients du Crédit mutuel, ni d'adhésion de clients formés au club Préviris, tandis que, dans le même temps, il était mis fin au contrat de mandat exclusif de transmission d'ordres d'achat et de vente sur les comptes marché à terme ; qu'en cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des conventions des parties et des éléments de preuve versés aux débats, et sans avoir à s'expliquer sur ceux qu'elle retenait ou écartait, qu'abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, la cour d’appel a retenu que les trois prestations de service dénommées Préviris formaient un ensemble s'enchaînant logiquement par étapes successives, justifiant une indemnisation au titre de chacune d'elles ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la CNCM, la CFCM Centre Est Europe, la CFCM du Centre et la CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest font grief à l'arrêt du 4 mai 2018 de les condamner in solidum à payer à la société ODA une certaine somme avec intérêts et capitalisation alors, selon le moyen, qu'en cas de rupture brutale des relations commerciales établies, le prestataire dont le délai de préavis n'a pas été respecté a droit à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de marge brute escomptée durant la période du préavis non exécuté ; qu'est seul indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ; qu'en énonçant que devait être indemnisé le préjudice né de la rupture brutale, peu important que les effets s'en soient fait ressentir après l'expiration du préavis, pour accorder à ODA une indemnisation au titre de la perte du renouvellement des abonnements qui auraient pu être souscrits pendant la période du préavis, la cour d’appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que c'est à bon droit qu'après avoir énoncé que doit être indemnisé le préjudice né de la rupture brutale, peu important que ses effets se fassent ressentir après l'expiration du préavis, la cour d’appel a retenu que la société ODA devait être indemnisée pour la perte du renouvellement des abonnements qui auraient pu être souscrits pendant la période de préavis non effectué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
Attendu que pour condamner la CNCM, la CFCM Centre Est Europe, la CFCM du Centre et la CFCM de Loire-Atlantique et du Centre Ouest à payer à la société ODA une certaine somme pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt du 4 mai 2018 retient que, pour confier à l'expert la mission de chiffrer le préjudice subi par la société ODA en raison de la perte des missions sur tout le territoire français, l'arrêt du 4 décembre 2014 a rejeté l'argumentation du crédit mutuel selon laquelle la société ODA ne pouvait calculer son préjudice en se fondant sur un périmètre géographique excédant celui des caisses qui sont parties à la procédure, en particulier en y incluant la zone géographique dite CLOE (Caen, Laval, Orléans Ensemble) ; qu'il en déduit que la CNCM ne peut demander que le calcul du préjudice soit limité aux zones géographiques couvertes par les trois caisses parties à l'instance ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt du 4 décembre 2014 précisait que la mission confiée à l'expert était de chiffrer la marge brute perdue par la société ODA pendant la durée du préavis, par référence à celle qu'elle réalisait antérieurement dans le cadre de son partenariat avec chacune des caisses parties à la cause, y compris sur la zone géographique CLOE puisque des prestations y avaient été réalisées en application de l'accord national, la Cour d’appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2014 ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée.