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Décisions

Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-15.249

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

BM Est France (EURL), Groupe Rivalis (SA)

Défendeur :

Ancel (ès. qual.), Accel TPE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, Me Bertrand

Colmar, du 14 mars 2018

14 mars 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 14 mars 2018), la société Groupe Rivalis (la société Rivalis) a développé un progiciel ainsi que des méthodes d’aide à la gestion et à la prise de décision à destination des petites entreprises, qu’elle commercialise par un réseau d’affiliés sous l’enseigne Rivalis. Celui-ci est animé par la société BM Est France. Le 21 juin 2010, Mme Berthomieu a conclu avec la société BM Est France un contrat de partenariat afin de pouvoir commercialiser l’utilisation de ce progiciel aux entreprises et de bénéficier de prestations de formation. Dans cet objectif, elle a créé la société Accel TPE, dont elle est la gérante et qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 2 septembre 2013.

2. Soutenant, notamment, que le contrat ainsi conclu était un contrat de franchise et que la société BM Est France, franchiseur, avait manqué à son obligation d’information, en violation de l’article L. 330-3 du Code de commerce, en fournissant à la société Accel TPE un document d’information précontractuelle faisant apparaître des prévisions de chiffre d’affaires exagérément optimistes, M. Ancel, agissant en qualité de liquidateur de la société Accel TPE, a assigné la société BM Est France et la société Rivalis en annulation du contrat et de ses avenants ainsi qu’en paiement de diverses sommes à titre de réparation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La société BM Est France et la société Rivalis font grief à l'arrêt de les condamner à payer à M. Ancel, ès-qualités, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 123 du Code de procédure civile alors « qu’une fin de non-recevoir peut être soulevée pour la première fois en cause d’appel et qu’en condamnant les sociétés BM Est France et Rivalis à des dommages-intérêts parce que la fin de non-recevoir avait été proposée en cause d’appel, cinq ans après les faits, sans établir leur intention dilatoire, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 123 du Code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir relevé que la fin de non-recevoir fondée sur l’inobservation de la clause imposant une procédure préalable de règlement amiable des différends avait été soulevée seulement à hauteur d'appel, après près de cinq ans de procédure, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a retenu que l'invocation de cette fin de non-recevoir n'avait d'autre objet que dilatoire.

5. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et le second moyen, pris en ses quatre premières branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

7. La société BM Est France et la société Rivalis font grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat de franchise et de tous ses avenants subséquents, ainsi que de les condamner solidairement à payer à M. Ancel, ès-qualités, la somme de 63 598,19 euros au titre des sommes versées par la société Accel TPE au titre des contrats annulés, la somme de 6 970,10 euros au titre des sommes versées par la société Accel TPE au titre des coûts d'emprunt, la somme de 87 212,50 euros correspondant à la restitution des revenus sur 18 mois alors « que l’erreur sur la rentabilité du concept ne peut conduire à la nullité du contrat de franchise que si les comptes prévisionnels d’exploitation ont été établis par le franchiseur et qu’ils étaient manifestement erronés ; que la société BM Est France faisait valoir que les comptes prévisionnels n’avaient pas été établis par ses soins mais par Mme Berthomieu elle-même, assistée de son expert-comptable, le franchiseur s’étant borné à fournir à Mme Berthomieu une matrice en transmettant une clef USB contenant un guide et un tableau Excel de comptes d’exploitation prévisionnels qu’il incombait à la candidate de remplir en fonction de ses propres prévisions et objectifs ; que la société BM Est France invoquait à cet égard le courriel de Mme Berthomieu du 19 mars 2010 démontrant la réception de ce tableau Excel à remplir, la capture d’écran de ce guide devant permettre au candidat d’établir ses premiers objectifs et qui rappelait que « cet outil est un guide et n’engage en rien la responsabilité du Groupe Rivalis quant aux chiffres que vous allez y inscrire et la réalisation de ces mêmes objectifs », le courriel de Mme Berthomieu du 23 mars 2010 démontrant que Mme Berthomieu avait elle-même fourni les chiffres et qu’elle avait été assistée pour ce faire de son expert-comptable ; qu’en se bornant à retenir que les comptes prévisionnels avaient été établis et adressés à Mme Berthomieu par la société BM Est France, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, s’il ne résultait pas de l’ensemble de ces éléments que la société BM Est France n’était pas l’auteur des comptes prévisionnels et qu’à supposer que Mme Berthomieu ait pu commettre une erreur, cette dernière n’était pas imputable à la société BM Est France, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 (devenu 1132 du même Code). »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

8. L’erreur sur la rentabilité du concept d’une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur.

9. Pour annuler le contrat de franchise et condamner la société BM Est France et la société Rivalis au paiement de diverses sommes en conséquence de cette annulation, l’arrêt relève que les prévisions envisagées, telles qu’adressées par la société Rivalis, se sont révélées très optimistes, que les résultats n’ont pu être approchés, que ce soit de près ou de loin, de même que le ratio de contacts / clients. Après avoir, ensuite, énoncé que la transmission des comptes prévisionnels permettait au futur franchisé de s'engager en connaissance de tous les éléments et qu’il ne pouvait être contesté que ces prévisions étaient déterminantes dans le consentement, l’arrêt relève qu’en l'espèce, les informations incomplètes ou manquantes, l'absence d'un état réel du réseau et du marché local et la distorsion entre les chiffres prévisionnels, particulièrement optimistes, et les chiffres réalisés étaient de nature à induire en erreur quant aux perspectives de rentabilité envisagées par Mme Berthomieu. L’arrêt conclut que l'espérance de gain en rapport avec le chiffre d'affaires annoncé ayant été déterminante dans le consentement de Mme Berthomieu, qui espérait gagner autant, voire plus, que dans son emploi précédent, le vice du consentement consistant en une erreur substantielle sur la rentabilité doit être retenu, entraînant la nullité du contrat.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les comptes prévisionnels n’avaient pas été établis par la société franchiseur, mais par Mme Berthomieu elle-même, assistée de son expert-comptable, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il écarte la fin de non-recevoir et condamne les sociétés Rivalis et BM Est France à payer à M. Ancel en qualité de liquidateur de la société Accel TPE, la somme de 10 000 euros à
titre de dommages-intérêts en application de l’article 123 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 14 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.