Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 juin 2020, n° 17-16437

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Société de Services Informatiques pour Professionnels (Sté), SFR (Sté)

Défendeur :

Primocable (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bel

Conseillers :

Mmes Cochet-Marcade, Moreau

T. com. Paris, du 10 juill. 2017

10 juillet 2017

Faits et procédure

La société de Services Informatiques pour Professionnels (ci-après, la société 2SIP) a notamment pour activité la réalisation d'interventions en matière d'assistance informatique et internet sous la marque et l'enseigne « Connect Assistance » ou « SFR Assistance ».

La société 2SIP réalisait pour le compte de la société SFR, opérateur de communications électroniques, différentes opérations d'installation, de dépannage et de maintenance sur le réseau télécom fibre pour les services haut débit des clients finaux de SFR.

La société Primocable exerce notamment le métier d'installateur de câble en fibre optique chez le client final.

Afin de faire face aux demandes d'interventions formulées par la société SFR, la société 2SIP a décidé de collaborer avec différents prestataires en leur confiant notamment des prestations d'intervention en matière d'assistance informatique et internet. C'est dans ces circonstances que les sociétés 2SIP et Primocable ont commencé à travailler ensemble à partir de 2010 puis ont conclu le 20 février 2014, un « contrat d'application fibre » à effet au 1er mars 2014, pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction pour une durée indéterminée et résiliable par chacune des parties avec un préavis de 3 mois.

Suite au rapprochement entre les sociétés SFR et Numericable, la société 2SIP a résilié le contrat d'application fibre conclu avec la société Primocable, par lettre du 19 mars 2015, avec effet au 25 juin 2015.

Par courrier du 5 mai 2015, la société Primocable a mis en demeure la société 2SIP de procéder au paiement de l'indemnité de résiliation, soit la somme de 500 669,21 euros, en se fondant sur l'article 10.2 du contrat.

Le 23 juin 2015, la société 2SIP a proposé à la société Primocable de prolonger son préavis d'une durée supplémentaire de 3 mois, portant la date d'expiration du contrat au 25 septembre 2015, proposition rejetée par la société Primocable.

Estimant que la rupture des relations avait été brutale, la société Primocable a, par acte du 1er septembre 2015, assigné la société 2SIP devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation.

Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 10 juillet 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société 2SIP à payer à la société Primocable la somme de 463 610 € au titre d'une « brusque rupture » ;

- dit la société 2SIP mal fondée en sa demande reconventionnelle et l'en a déboutée ;

- condamné la société 2SIP à payer à la société Primocable 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif ;

- condamné la société 2SIP aux dépens.

Le tribunal a considéré que la société 2SIP ne pouvait se prévaloir d'une décision de changement de politique de développement interne pour s'exonérer de ses responsabilités visées à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à l'égard de son partenaire commercial. Après avoir rappelé que le caractère établi d'une relation commerciale pouvait résulter de la succession de contrats indépendants les uns des autres, à condition que puisse être caractérisées une certaine ancienneté, intensité et stabilité de la relation, il a retenu que la société Primocable pouvait inférer que sa relation commerciale précédente se poursuivait avec le nouvel acquéreur depuis sa première relation avec la société Noos jusqu'à la dernière relation avec la société 2SIP.

Il en a déduit que des relations commerciales établies existaient entre les parties entre 2001 et 2015, soit pendant une période de 14 ans.

Il a alors décidé qu'en raison de la durée de la relation, le délai de prévenance de 3 mois accordé par la société 2SIP était un préavis insuffisant et que celle-ci avait rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Primocable, estimant qu'un préavis de 12 mois aurait dû être accordé. Il a ajouté que l'offre de préavis supplémentaire de la société 2SIP deux jours avant la fin du premier préavis pouvait être légitimement refusée par la société Primocable et ne peut être retenue comme un délai de prévenance supplémentaire.

Le tribunal a alors retenu une marge sur coût variable de la société Primocable de 31 %, une moyenne de chiffres d'affaires entre les parties pour 2013 et 2014, l'exercice 2015 n'étant pas significatif, de 1 994 000 euros et une période de préavis manquante de 9 mois pour en déduire un préjudice de la société Primocable de 463 610 euros. Il a en outre rappelé que seule est indemnisable la brutalité de la rupture et non ses conséquences, et a rejeté la demande de la société Primocable au titre des conséquences financières de la résiliation des contrats de bail dont elle ne démontrait pas qu'ils résultaient d'une exigence expresse de la société 2SIP.

Par déclaration au greffe du 16 août 2017, la société 2SIP a interjeté appel dudit jugement.

Moyens et prétentions des parties :

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 2 décembre 2019, la société 2SIP aux droits de laquelle vient la société SFR SA demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 9 du Code de procédure civile et 1353 (nouveau) du Code civil, 480, 122, 125, 699 et 700 du Code de procédure civile, et 1844-5 du Code civil, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- déclarer la société SFR recevable et bien fondée en son intervention volontaire,

- donner acte à la société SFR qu'elle vient aux droits et obligations de la société 2SIP et y donner plein effet,

Y faisant droit,

A titre principal,

- déclarer la société Primocable irrecevable et mal fondée à invoquer les relations qui auraient été entretenues avec des tiers au présent litige ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les relations entretenues entre elle et la société Primocable auraient été « établies » ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la rupture aurait résulté de sa seule volonté délibérée ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les relations auraient duré 14 années alors qu'elles n'ont duré que 4 ans et 5 mois ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le préavis qu'elle a laissé était insuffisant car seulement de trois mois, et fixé un préavis de 12 mois ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le chiffre d'affaires de référence à prendre en considération serait de 1 994 000€ ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement des sommes de 463 610€ et de 5 000 € ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Primocable de toutes ses demandes plus amples et contraires ;

Statuant à nouveau,

- débouter la société Primocable de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- ordonner le remboursement des sommes qu'elle a payées au titre de l'exécution provisoire ;

A titre subsidiaire,

- constater que la société Primocable ne démontre pas avoir subi un préjudice, ni un lien de causalité entre le dommage allégué et la prétendue insuffisance de préavis ;

Statuant à Nouveau,

- débouter la société Primocable de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- ordonner le remboursement des sommes qu'elle a payées au titre de l'exécution provisoire ;

A titre infiniment subsidiaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les relations auraient duré 14 années alors qu'elles n'ont duré que 4 ans et 5 mois ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le préavis qui aurait dû être laissé à la société Primocable aurait dû s'élever à 12 mois ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le chiffre d'affaires de référence à prendre en considération serait de 1 994 000€ ;

Statuant a nouveau,

- réduire substantiellement le montant des éventuelles condamnations à intervenir ;

En tout état de cause,

- condamner la société Primocable au paiement de la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Primocable aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Virginie D., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

A titre liminaire, l'appelante prétend que seules les relations ayant existé entre les sociétés 2SIP et Primocable doivent être prises en considération, et que cette dernière ne peut invoquer les relations qui auraient été entretenues par elle avec les sociétés sœurs de la société Primocable (Primo Réseau et Rcip). Elle fait valoir à ce titre que chacune de ces entités constituant une personne morale distincte a engagé une action judiciaire séparée et que par deux jugements rendus par le tribunal de commerce le 10 juillet 2017, les sociétés Primo Réseau et Rcip ont été déboutées de leurs demandes au titre de la rupture brutale à son encontre.

Elle ajoute que les relations antérieures qui auraient existé entre la société Primocable et les sociétés Noos, UPC, Erenis, Ert et SFR, ne peuvent pas plus être prises en considération. Elle précise n'avoir été ni une filiale directe de la société SFR pendant la durée des relations commerciales, ni une filiale directe de la société holding Numericable-SFR. Enfin, elle considère que chacune des sociétés composant un groupe est une personne morale autonome et distincte, et que les relations litigieuses doivent s'analyser indépendamment les unes des autres, entité juridique par entité juridique.

Elle en déduit que seules les relations nouées entre elle et la société Primocable doivent être prises en considération dans le présent litige.

Sur la rupture des relations commerciales, l'appelante soutient que cette rupture ne résulte pas de sa volonté délibérée et ne présente donc aucun caractère fautif. En effet, elle explique que la rupture résulte d'une baisse significative et concomitante de son chiffre d'affaires sur le secteur « fibre » résultant d'une réorganisation imposée par son principal donneur d'ordre. Elle assure donc que la rupture ne résulte pas d'un changement de sa politique commerciale interne mais qu'elle est due à la répercussion sur son sous-traitant, la société Primocable, de la baisse puis de l'arrêt des commandes qui lui étaient confiées, entraînant une chute de son chiffre d'affaires global de plus de 25 % entre 2014 et 2015. Elle ajoute qu'il importe peu que le secteur de la fibre optique soit « en plein essor » puisqu'elle a été informée que les prestations d'assistance informatique et internet au profit des clients sous la marque « Connect Assistance » ou « SFR Connect » ne lui seraient plus confiées.

L'appelante invoque également l'absence de relations commerciales établies avec la société Primocable. Elle fait valoir qu'aux termes du « contrat d'application fibre » conclu entre les parties, les prestations confiées à la société Primocable étaient effectuées ponctuellement, qu'aucune clause d'exclusivité n'était prévue, et qu'aucun nombre minimum d'interventions n'était garanti par elle puisque les prestations confiées étaient intimement liées aux demandes qu'elle recevait de ses donneurs d'ordre. Elle ajoute que le chiffre d'affaires de la société Primocable au titre de ses relations commerciales nouées avec elle ne présentait aucune stabilité, et prétend que lorsqu'un volume d'affaires dépend de conditions extérieures, telles que la conclusion d'un autre contrat ou la naissance d'une demande d'intervention, les relations ne sont pas établies. Elle affirme ne jamais s'être engagée sur l'avenir et n'avoir aucunement laissé espérer à la société Primocable la continuité de leurs relations, étant elle-même dans l'incapacité de prévoir l'apport de nouvelles demandes d'intervention par son principal donneur d'ordre. Elle en conclut que les relations étaient soumises à des fluctuations importantes et à un aléa, qu'elles étaient par conséquent précaires et que la société Primocable ne pouvait légitimement s'attendre à la stabilité des relations commerciales.

Sur la durée des relations commerciales, l'appelante soutient qu'elles ont débuté en octobre 2010 et que les sociétés tierces avec qui la société Primocable aurait antérieurement entretenu des relations commerciales sont des entités juridiques distinctes, même si elles appartiennent au même groupe de sociétés. Elle soutient également que la société Primocable ne démontre pas que ces relations avec des tiers à compter de 2001 seraient « établies », qu'elles auraient eu le même objet que celles entretenues avec elle et partant, qu'il s'agirait de la « même relation commerciale » qui se serait poursuivie.

Elle affirme que, à supposer l'existence de relations commerciales établies avec ces sociétés tierces, il doit être démontré en quoi les relations nouées entre elle et la société Primocable se sont inscrites dans une logique de continuité avec ces relations antérieures. A ce titre, elle prétend n'avoir jamais manifesté son intention de se situer dans la poursuite de quelconques relations commerciales antérieures nouées par la société Primocable avec des tiers. Elle précise qu'une telle intention doit être claire et expresse, surtout lorsqu'aucune substitution de personne n'a été opérée de plein droit par l'effet d'une opération de transfert universel de patrimoine. A ce titre, elle relève que le « contrat d'application fibre » conclu en 2014 ne fait référence à aucune des relations prétendument nouées antérieurement par la société Primocable avec d'autres prestataires, que ce contrat n'avait pas pour but de poursuivre ou développer les relations ayant existé avec les sociétés tierces et qu'il n'existe aucune identité d'objet avec les relations nouées antérieurement par la société Primocable. Elle soutient par ailleurs que la société Primocable a continué ses relations avec une des sociétés tierces, la société Ert Technologies alors même qu'elle avait déjà noué une relation avec elle. Elle prétend que la seule circonstance qu'un flux d'affaires existe avec un « successeur » ne suffit pas à démontrer que le cocontractant a entendu poursuivre la relation primitive et qu'aucune des sociétés tierces citées n'a été absorbée par elle, excluant ainsi toute hypothèse de transmission universelle de patrimoine.

Elle en conclut que les relations avec la société Primocable ont duré d'octobre 2010 au 19 mars 2015, date du préavis, soit 4 ans et 5 mois et que cette dernière à qui incombe la charge de la preuve ne démontre nullement l'existence et la durée alléguée des relations commerciales ni leur caractère établi.

Elle considère par ailleurs ne pas avoir rompu « brutalement » les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Primocable, cette relation étant à durée indéterminée, elle pouvait y mettre fin à tout moment moyennant le respect d'un délai de préavis raisonnable prévu au contrat. Elle fait valoir à ce titre que la société Primocable a refusé le bénéfice d'un préavis supérieur au délai contractuel prévu afin de lui permettre une reconversion, et que ce refus doit être pris en compte pour apprécier la responsabilité de l'auteur de la rupture.

Elle affirme également que la société Primocable ne justifie d'aucune circonstance imposant un préavis supérieur au préavis contractuel, et rappelle que les relations commerciales n'ont duré que 4 ans et 5 mois et que le caractère suffisant du délai est apprécié au regard du temps nécessaire au partenaire pour se réorganiser. Or, selon l'appelante, en refusant le préavis supplémentaire proposé, la société Primocable admet qu'elle a bénéficié du temps nécessaire à une telle réorganisation de son activité et qu'elle n'a donc subi aucun préjudice, comme en témoigne son chiffre d'affaires en 2015 et 2016.

Elle assure que la société Primocable ne se trouvait nullement en état de dépendance économique, la seule circonstance qu'elle aurait réalisé une part conséquente de son chiffre d'affaires auprès d'elle ne suffisant pas à démontrer cet état. Elle ajoute que le marché de la fibre optique est caractérisé par un nombre grandissant d'opérateurs et que la société Primocable avait la possibilité de trouver, auprès d'autres partenaires, une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles nouées avec elle. Elle relève également que la société Primocable n'était pas liée à elle par une clause d'exclusivité et qu'il ressort de l'article 3.5 du contrat que ladite société pouvait conclure d'autres contrats d'intervention en matière d'assistance informatique et Internet tant que ces contrats ne prévoyaient pas qu'elle devait intervenir en portant la marque d'un autre opérateur télécom. Elle indique que sur le site internet de la société Primocable figurent le nom de clients autres que des opérateurs téléphoniques, à savoir les sociétés Ineo-gdf Suez, Alcatel-lucent ou encore la Sade, et qu'ainsi l'intimée ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'avait pas de solutions de diversification.

Sur les demandes de réparation, l'appelante considère que la société Primocable ne démontre ni l'existence d'un préjudice, ni un lien de causalité avec la prétendue insuffisance de préavis. Elle rappelle que la jurisprudence exclut toute indemnisation lorsqu'au cours du préavis ou dans les jours suivants la fin du préavis accordé par l'auteur de la rupture, la société « victime » a réalisé sa reconversion. Elle affirme que tel est le cas en l'espèce puisque la société Primocable a refusé de bénéficier d'un préavis supplémentaire et précisé avoir pris des mesures l'amenant à ne plus pouvoir assurer la poursuite du contrat au-delà du 25 juin 2015.

Elle soutient également qu'à supposer l'existence d'un préjudice subi par la société Primocable, celui-ci doit être analysé au regard de la marge sur coûts variables, et uniquement sur la durée du préavis qui aurait dû être exécuté. Elle fait valoir à ce titre qu'à supposer le préavis de 3 mois insuffisant, octroyer un préavis supplémentaire de 9 mois à la société Primocable (soit 12 mois au total) serait exagéré et hors de proportion, d'autant que celle-ci a elle-même refusé une prolongation du délai jusqu'à 6 mois.

Elle rappelle que la marge sur coût variables à retenir en matière d'indemnisation est définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, et qu'en l'espèce le taux de marge retenu par le tribunal est de 31 %. Elle considère toutefois que le calcul du chiffre d'affaires de référence à prendre en compte est erroné et non pertinent, le tribunal ayant retenu la projection d'un chiffre d'affaires purement hypothétique. Elle affirme en effet que le chiffre d'affaires de la société Primocable au titre des relations entretenues avec elle avait vocation à varier considérablement d'un mois sur l'autre et d'une année à l'autre et que par conséquent, le chiffre d'affaires annuel de référence pour le calcul ne saurait excéder 380 726 euros.

Elle réfute enfin toute indemnisation d'un prétendu préjudice « indirect » allégué par la société Primocable en s'appuyant sur le principe du caractère direct du dommage réparable et sur le principe de prévisibilité du dommage tel qu'il ressort de l'article 1231-3 du Code civil. Elle ajoute que la « victime » de la rupture ne peut exiger l'indemnisation des investissements perdus si elle ne démontre pas qu'ils sont en lien direct avec la brutalité de la rupture ou qu'ils ont été faits à la demande de son partenaire. Elle rappelle également que seule est indemnisable la brutalité de la rupture, et non ses conséquences. A ce titre, elle relève qu'il n'est pas démontré que les différents contrats de crédit-bail conclus par la société Primocable l'ont été à sa demande et ont uniquement servi à la réalisation des prestations qu'elle a commandées.

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 4 novembre 2019, la société Primocable demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

A titre liminaire :

- constater que par suite de la dissolution sans liquidation de la société 2SIP par son associé unique, la société SFR, cette dernière vient aux droits et obligations de la société 2SIP dans le cadre de la présente procédure ;

- donner acte de l'intervention volontaire de la société SFR, en lieu et place de sa filiale à 100 %, la société 2SIP, dont elle a recueilli la totalité des actifs et des passifs en vertu de l'opération de transmission universelle de patrimoine de cette dernière, intervention volontaire qui a été régularisée au cours de la procédure d'appel par la société SFR ;

En conséquence,

- déclarer l'arrêt à intervenir pleinement opposable à l'encontre de la société SFR, société anonyme au capital de 3 423 265 598,40 € dont le siège social est sis 16 rue du général Alain de B. ' 75015 Paris, identifiée sous le numéro n° 343 059 564 RCS Paris,

Au fond,

- confirmer le jugement entrepris sur l'existence d'une relation commerciale établie entre elle et la société 2SIP d'une durée de quatorze (14) années,

- confirmer le jugement entrepris ayant constaté que le préavis de trois (3) mois accordé par 2SIP est insuffisant,

- confirmer le jugement entrepris sur l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec 2SIP, imputable à cette dernière,

- confirmer le jugement entrepris ayant arrêté sa marge sur coûts variables à 31 % de son chiffre d'affaires, lequel s'établit en moyenne à 1 994 000 € sur les deux années précédant la rupture ;

- le reformer pour le surplus,

- dire et juger qu'elle est bien fondée à solliciter une indemnisation sur une période de quinze (15) mois supplémentaires, en sus du préavis de trois (3) mois accordé par la société 2SIP, eu égard à la durée des relations (14 ans) et de son état de dépendance économique vis-à-vis de 2SIP ;

- condamner, en conséquence, la société 2SIP à lui payer la somme de 883 675 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, dont 772 675€ au titre de la perte de marge sur la durée du préavis non effectué, avec intérêts légaux à compter de l'assignation avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an, en application de l'article 1154 du Code civil ;

En tout état de cause

- débouter la société 2SIP de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société 2SIP au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société 2SIP aux entiers dépens dont distraction au profit de la Scp G. B. en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur le prétendu caractère non délibéré de la rupture, l'intimée prétend qu'il ressort de la notification de la rupture adressée le 19 mars 2015 que la société 2SIP ne fait nullement état d'une baisse quelconque de son chiffre d'affaires sur le secteur « Fibre » qu'elle aurait été contrainte de répercuter en cessant ses relations avec elle. Elle ajoute que les annexes de comptes annuels de la société 2SIP indiquent que l'activité fibre a été en constante augmentation. Elle considère que la résiliation réside exclusivement dans l'évolution du modèle d'organisation de la société 2SIP, qui constitue un choix de gestion de cette dernière et du groupe SFR-Numericable auquel elle appartient. Elle en conclut que la rupture des relations commerciales procède bel et bien d'une volonté délibérée de la société 2SIP et de ses actionnaires.

Concernant l'existence d'une relation commerciale établie, elle affirme que la relation entretenue avec la société 2SIP sur la période 2010-2015, et avant celle-ci, depuis 2001 avec les autres donneurs d'ordre agissant pour le compte de l'opérateur SFR-Numericable, a présenté un caractère stable, durable, continu, d'une intensité significative, propre à caractériser l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Elle précise qu'en plus de lui confier des prestations, la société 2SIP entretenait également des relations d'affaires avec ses sociétés s'urs, à savoir les sociétés Primo Reseau et Rcip. Elle ajoute que les chiffres d'affaires réalisés avec la société 2SIP suffisent à caractériser l'existence d'une relation d'affaires habituelle, régulière, suivie et significative et que l'historique de la relation de 14 ans permet d'exclure toute notion d'aléa ou d'instabilité. Elle explique ainsi avoir pu légitimement penser que cette relation se poursuivrait indépendamment des opérations de restructuration interne décidées au sein du groupe SFR suite au rachat par la société Numericable. Elle affirme que la société 2SIP étant la filiale opérationnelle de l'opérateur SFR pour l'installation du réseau et sa maintenance, elle avait la totale maîtrise de ce marché en plein essor et n'était soumise à aucune « condition extérieure » qui aurait pu échapper à la volonté de ses dirigeants et actionnaires.

Sur l'ancienneté de la relation commerciale, elle soutient que la notion de relation commerciale établie dépasse celle du contrat et peut être caractérisée par une relation économique nouée avec des contractants différents qui se sont succédés dans le temps. Elle rappelle également que la relation commerciale établie n'est pas impactée par les différents rachats de sociétés intervenus durant celle-ci. Elle en conclut que le calcul de l'ancienneté d'une relation doit prendre en compte l'ensemble de la durée de cette relation portant sur un objet identique ou similaire, quel que soit le nombre de personnes ayant contracté successivement. A ce titre, elle considère que la société 2SIP est intervenue en tant que successeur de la relation antérieurement nouée, depuis le 1er avril 2001, avec la société Noos puis d'autres contractants portant sur le même objet et ayant tous eu un lien avec l'opérateur SFR-Numericable. Elle ajoute que la nature des prestations qui lui étaient confiées n'a jamais changé malgré la succession de ces différents donneurs d'ordre, et a toujours porté sur des travaux de raccordement des particuliers et professionnels au réseau de l'opérateur télécom et la maintenance de ce réseau. Elle en déduit qu'au moment de la rupture de sa relation avec la société 2SIP, l'ancienneté de cette relation était bien de 14 ans. Elle considère être intervenue pendant toute cette période pour le compte de l'opérateur télécom SFR-Numericable directement ou indirectement par le biais de sociétés « écrans » toutes liées à cet opérateur. Elle soutient donc que l'intervention de la société 2SIP dans cette relation à partir de 2010 ne saurait masquer, sous l'apparence de son autonomie juridique, l'existence d'une réelle continuation de la relation nouée originellement avec d'autres sociétés liées à l'opérateur SFR-Numericable comme c'est le cas de la société 2SIP qui était une filiale à 100 % dès 2009, avant d'être absorbée en 2018.

Sur la réalité des relations entretenues entre la société Primocable et les autres sociétés entre 2001 et 2010, elle soutient que ses interlocuteurs, tels M. Omar A., sont restés très souvent les mêmes et ce malgré la succession d'entités juridiques affiliées au groupe SFR-Numericable avec qui elle a contracté. Elle en conclut que ces différents éléments constituent un faisceau d'indices permettant d'établir la continuité de cette relation commerciale malgré la succession d'entités juridiques. Elle précise que les factures qu'elle produit attestent de la nature identique des prestations qui lui ont été demandées par ses contractants successifs.

Elle affirme en outre qu'il n'est pas exigé une manifestation expresse de volonté pour vérifier si les parties ont entendu se situer dans la continuation des relations antérieures, et que cette intention peut découler d'éléments factuels tirés des caractéristiques de la relation (identité d'objet, liens entre les contractants successifs, appartenance à un groupe, etc). Elle fait notamment valoir à ce titre que le contrat signé entre elle et la société 2SIP porte sur le même objet que les prestations confiées par les précédents donneurs d'ordre, que la société 2SIP a souhaité s'appuyer sur l'expérience acquise par elle auprès de l'opérateur SFR-Numericable depuis 2001 comme en témoigne l'exposé préalable dudit contrat, et que la société 2SIP et les précédents donneurs d'ordre ont agi pour le compte du même client final, à savoir l'opérateur SFR-Numericable. Elle conclut que ce faisceau d'indices démontre l'existence d'une réelle continuation des relations antérieures remontant au 1er avril 2001.

Sur le statut de la société 2SIP, l'intimée retient que le courrier du 19 mars 2015 notifiant la résiliation du contrat indique que cette dernière est une filiale du groupe SFR-Numericable Elle affirme également que, selon l'organigramme du groupe SFR-Numericable, la société 2SIP est bien contrôlée à 100 %, soit 40 % détenus par la société SFR SA et 60 % détenus par la société SFR Participation Sas.

Sur la brutalité de la rupture commise par la société 2SIP, l'intimée soutient que le volume d'affaires significatif représenté par la société 2SIP dans son chiffre d'affaires total et l'impossibilité de retrouver des conditions équivalentes chez un autre donneur d'ordre caractérisent indiscutablement un état de dépendance économique propre à justifier l'octroi d'un préavis de 18 mois. Elle considère que le préavis, même prévu au contrat, était manifestement insuffisant et qu'elle était dans l'impossibilité, dans un délai aussi court, de trouver un nouveau contrat lui apportant un volume d'affaires à des conditions économiques équivalentes. Elle indique que la proposition de la société 2SIP de prolonger le délai de préavis est intervenue 2 jours seulement avant la fin du préavis initial, soit le 23 juin 2015, et qu'elle constitue en réalité une fausse proposition destinée à se prémunir contre une contestation ultérieure du préavis initial dont la société 2SIP savait pertinemment qu'il était insuffisant. Elle ajoute que du fait de cette proposition tardive, elle n'a pas été en mesure d'y répondre favorablement et de poursuivre la relation.

Elle précise que l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à l'égard de la société 2SIP constitue un facteur aggravant. Elle affirme à ce titre que le volume d'affaires réalisé avec la société 2SIP représentait une part significative de son chiffre d'affaires (73 % en moyenne sur la période 2011-2014) et que cela résultait directement de la clause d'exclusivité imposée par la société 2SIP et figurant à l'article 3-5 du contrat sous le nom d'une prétendue « obligation de loyauté ». Elle ajoute que l'obligation faite à ses agents de porter les signes distinctifs « SFR ASSISTANCE » l'empêchait de facto de pouvoir démarcher un opérateur concurrent et la plaçait dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société 2SIP. Elle soutient en outre avoir été contrainte, dans le cadre de sa relation avec la société 2SIP, de réaliser des investissements spécifiques non réutilisables à la fin de leur relation et de déployer des moyens humains et matériels importants, conformément aux stipulations du contrat.

Elle ajoute que le délai de préavis s'appréciant en tenant compte des circonstances au moment de la notification de la rupture et non des circonstances postérieures, il importe peu que la victime de la rupture ait pu retrouver un autre partenaire commercial postérieurement à cette notification. Elle prétend en outre qu'il doit être tenu compte des caractéristiques du marché des télécoms sur lequel elle intervenait, à savoir un marché extrêmement fermé, de nature oligopolistique, l'empêchant de poursuivre la même activité et la contraignant à une reconversion longue et coûteuse.

Sur le préjudice, l'intimée invoque la perte de marge qu'elle aurait réalisée si la société 2SIP avait respecté un délai de préavis suffisant. Elle considère que le calcul à retenir correspond à 31 % du chiffre d'affaires annuel de référence soit 1 994 000 euros calculé sur les années 2013 et 2014, et qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte l'année 2015 qui correspond à l'année de la notification de la rupture de la relation par la société 2SIP. Au vu du délai de préavis raisonnable qu'elle prétend être de 18 mois, l'intimée se considère bien fondée à réclamer 15 mois de marge sur coût variable, soit la somme de 772 675 euros.

Elle explique en outre que cette rupture brutale s'est accompagnée d'autres répercussions correspondant aux investissements qu'elle a réalisés et aux échéances restantes des redevances du crédit-bail qu'elle avait souscrit spécialement pour l'exécution du contrat de prestations au profit de la société 2SIP. Elle considère que cette situation lui créé un préjudice indirect indiscutablement lié à la rupture brutale dont la société 2SIP est l'auteur, et qu'elle évalue à 111 000 euros.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE,

La société 2SIP a fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine au profit de la société SFR le 6 septembre 2018. L'intervention volontaire de la société SFR à la procédure, venant aux droits et obligations de la société 2SIP, est constatée au dispositif.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa version applicable au présent litige :

« I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° 'De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. ...Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

- Sur le caractère établi des relations commerciales :

La relation commerciale établie doit présenter un caractère suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties permettant à la victime de la rupture d'anticiper légitimement et raisonnablement pour l'avenir la persistance d'un flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Sur la durée de la relation

Une relation commerciale avec un prestataire peut se poursuivre avec un autre partenaire dès lors que les parties ont entendu se situer dans la continuité des relations antérieures.

La société Primocable soutient que les relations commerciales entretenues avec la société 2SIP ont duré 14 ans en faisant valoir une relation commerciale nouée avec d'autres contractants dès 2001, faisant valoir qu'elle est intervenue en tant que successeur de la relation antérieurement nouée avec d'autres contractants portant sur le même objet et ayant tous eu un lien avec l'opérateur téléphonique 'SFR Numericable' dont la société 2SIP est une filiale.

La société 2SIP soutient que les relations commerciales avec la société Primocable ont débuté en octobre 2010 et ont été formalisées par le contrat du 20 février 2014 « d'application fibres » à effet du 1er mars 2014 d'une durée initiale d’un an renouvelable tacitement pour une durée indéterminée avec possibilité de résiliation à tout moment par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de trois mois.

Il ressort des éléments versés au débat et des explications des parties que la société Primocable a fourni :

- auprès de la société UPC France du mois d'avril 2001 à mars 2007 des prestations consistant en des « travaux de raccordement multiservice » selon les factures fournies par la société Primocable,

- auprès de la société Erenis de 2004 à 2008 des « travaux de raccordement téléphone, télévision et internet »,

- à la société SFR en 2009 des « travaux de raccordement collectif téléphone, télévision et internet »

- et du mois de février 2010 à mars 2011, à la société ERT Technologie des « travaux de bascule de logement », des « travaux de maintenance réalisés ... sur le réseau SFR » ou des « travaux de raccordement ... sur le réseau Numericable ».

Les prestations offertes par la société Primocable aux société UPC France, devenue Noos, Erenis, SFR, ERT Technologie et 2SIP sont comparables s'agissant toutes de travaux de raccordement au réseau de particuliers ou professionnels et de travaux de maintenance.

Néanmoins, ces différentes entités sont des personnalités juridiques distinctes. Il ne peut résulter de l'appartenance, à la supposer démontrée, de la société 2SIP au même groupe SFR Numericable que ces autres entités, qui n'a aucune incidence sur son autonomie, ni de son action pour le compte du même opérateur de télécommunication SFR Numericable, des indices suffisants pour en déduire une volonté de poursuite des relations commerciales initialement nouées avec ces entités tierces. La référence générale dans le préambule du contrat conclu le 20 février 2014 à 'un professionnel expérimenté et reconnu' dans les domaines d'installation, de dépannage et de maintenance du réseau télécom fibre pour les services haut débit et au fait que le prestataire, en l'espèce la société Primocable, 'déclare avoir une expérience significative s'agissant d'installation, d'assistance, de dépannage et de formation aux produits et services informatiques et internet sur le réseau télécom fibre' ne fait aucun lien avec les relations antérieures invoquées par la société Primocable et n'inscrit aucunement la relation nouée entre les sociétés Primocable et 2SIP dans la continuité de celles invoquées par le prestataire.

Aucun élément versé aux débats par la société Primocable ne vient conforter ses affirmations selon lesquelles la relation avec la société 2SIP nouée à compter de 2010 'ne saurait masquer, sous l'apparence d'une autonomie juridique, l'existence d'une réelle continuation de la relation nouée originellement avec d'autres sociétés'. De même, elle ne démontre nullement ses allégations selon lesquelles la succession des parties intervenues dans cette relation d'affaires a eu lieu au bénéfice d'opérations emportant transfert automatique de droits et obligations au contractant ayant poursuivi la relation commerciale avec elle par suite d'opération de rachat, d'apport ou de fusion. Aucune pièce ne venant établir notamment que la société 2SIP a fusionné avec l'une des entités précédemment citées ou a repris une de leur branche d'activité, le transfert universel de patrimoine de la société 2SIP au bénéfice de la société SFR intervenu e le 26 février 2018, soit trois ans après la fin des relations entre les parties, étant inopérant à cet égard.

Il convient de relever avec la société 2SIP qu'il n'est pas non plus établi que les relations entretenues entre la société Primocable et les différentes entités ci-dessus citées s'inscrivaient également dans une continuité et qu'il s'agissait de la même relation commerciale, alors qu'elle a notamment fourni de manière concomitante des prestations pour les sociétés Upc et Erenis et qu'elle était encore le prestataire de la société Ert Technologies pendant qu'elle entretenait une relation commerciale avec la société 2SIP.

De même, la circonstance que le dirigeant de la société 2SIP, M. Emeric D., a été auparavant employé par la société UPC ou que M. Omar A. a été son interlocuteur ponctuel dans le cadre de ses relations avec plusieurs entités (SFR, Neuf Cegetel ou 2SIP Connect assistance) à des périodes distinctes, est insuffisante à établir une volonté des parties en cause de poursuivre les relations initialement nouées avec d'autres entités.

En conséquence, il ne peut être déduit de ce qui précède comme le fait la société Primocable qu'il existe un faisceau d'indices suffisant pour considérer que la relation nouée à compter de 2010 entre les sociétés 2SIP et Primocable s'inscrit dans la continuité des relations antérieures entretenues avec d'autres entités depuis 2001.

La relation nouée entre les parties a donc débuté en octobre 2010 pour se terminer le 19 mars 2015 et a duré 4 ans et 5 mois.

Sur le caractère significatif et stable de la relation

La société Primocable fournissait à la société 2SIP notamment les prestations suivantes : raccordement, service après-vente, maintenance verticale, acceptation de site, levée de réserves pour le client SFR ou tout autre opérateur commercial.

S'il ne peut être pris en considération, ainsi que le soutient la société 2SIP, la relation commerciale qu'elle entretenait également avec les sociétés Primo Réseau et Rcip, sociétés soeurs de la société Primocable, la rupture de ces autres relations par la société appelante ayant fait l'objet d'instances distinctes, il ressort des éléments versés aux débats par la société Primocable qu'à compter du mois d'octobre 2010 le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par celle-ci avec la société 2SIP, sachant que l'intimée clôture son exercice le 31 mars de chaque année et que la relation a été rompue le 19 mars 2015 avec effet au 25 juin suivant, était de :

- 897 801 euros pour l'exercice 2010-2011,

- 2 138 055 euros pour l'exercice 2011-2012,

- 1 842 904 euros pour l'exercice 2012-2013,

- 2 004 790 euros pour l'exercice 2013-2014,

- 704 407 euros pour l'exercice 2014-2015.

Ces chiffres constants et significatifs, l'activité entretenue avec la société 2SIP représentant au cours de trois exercices plus de 60 % du chiffre d'affaires de la société Primocable, démontrent l'existence d'un flux d'affaires régulier depuis la fin de l'année 2010 jusqu'au mois de mars 2015 avec la société 2SIP. Cette dernière ne peut utilement soutenir que la relation nouée avec la société Primocable ne présentait pas la stabilité requise étant soumise à un aléa car dépendant de l'existence des missions qui lui étaient confiées par son principal donneur d'ordre, la société SFR. En effet, si comme le relève la société 2SIP les interventions confiées à la société Primocable pouvaient varier d'un mois sur l'autre, il n'en demeure pas moins que le chiffre d'affaires annuel présente une stabilité certaine sur les quatre premiers exercices, sachant que le l'exercice initial n'a connu qu'une relation de cinq mois. Aucun élément ne vient confirmer la précarité de la relation soutenue par l'appelante, ce quand bien même la société 2SIP ne s'est pas obligée par le contrat à confier à la société Primocable un nombre minimum d'interventions sur l'année ni à concéder une exclusivité géographique à ce prestataire. En effet, la relation commerciale entre les parties qui a débuté en 2010 et s'est concrétisée par la conclusion d'un contrat d'une durée d'un an tacitement reconduit pour une durée indéterminée, ne résulte pas de la succession de contrats ponctuels dont la continuité est soumise aux commandes du principal donneur d'ordre.

Ces relations suivies pendant plus de quatre années et la réalisation d'un chiffre d'affaires non négligeable par l'intimée caractérisent la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation avec la société 2SIP, et laissaient légitimement espérer à la société Primocable la poursuite pour l'avenir des relations commerciales.

La relation commerciale établie entre la société Primocable et la société 2SIP est ainsi caractérisée.

- Sur la brutalité de la rupture

Par lettre du 19 mars 2015 la société 2SIP adressait à la société Primocable une lettre recommandée avec accusé de réception lui notifiant la résiliation du contrat du 20 février 2014 avec un préavis de trois mois, précisant que la résiliation sera effective le 25 juin 2015 et expliquant cette rupture par l'évolution du groupe SFR Numericable et l'évolution de 'son modèle d'organisation, de gestion et de pilotage des interventions'.

La société 2SIP ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que la rupture ne peut être considérée comme brutale car ne résultant pas d'une volonté délibérée mais de la conséquence d'une situation qu'elle ne pouvait empêcher. En effet, les choix stratégiques de réorganisation de la société 2SIP en raison de l'évolution du groupe de sociétés SFR Numericable auquel elle dit appartenir, se présentant dans la lettre de rupture susmentionnée comme une filiale de ce groupe, ne peuvent être assimilés à une conjoncture économique défavorable dans le secteur concerné susceptible d'écarter le caractère fautif de la rupture en raison d'un préavis insuffisant. Il sera relevé que si le chiffre d'affaires de la société 2SIP a baissé de 25 % entre 2014 et 2015, il n'est pas établi que cette chute soit due à la seule décision de la société SFR d'accroître la pénétration sur le réseau câblé THD, l'arrêt de l'activité avec le client Canal+ étant également évoquée dans les notes jointes aux comptes sociaux de l'exercice comptable 2015 de la société 2SIP.

Le délai de préavis doit permettre à la partie qui se voit rompre le contrat de prendre ses dispositions et de donner en temps utile une nouvelle orientation à ses activités, de retrouver d'autres partenaires.

L'appréciation de la durée du préavis se fait au moment où la décision de rupture est signifiée soit en l'espèce le 19 mars 2015. Des faits survenus postérieurement à la notification de la rupture, en l'occurrence les conditions favorables de la reconversion de la société Primocable, ou la proposition de la société 2SIP le 23 juin 2015, de prolonger de trois mois les relations, proposition refusée par la société Primocable, ne peuvent être pris en considération dans l'appréciation de la brutalité de la rupture.

Si pour apprécier la responsabilité de l'auteur de la rupture, il peut être retenu la durée du préavis réellement effectuée, il apparaît en l'espèce que les relations entre les parties se sont achevées le 25 juin 2015 soit à l'issue du préavis initial notifié par la société 2SIP.

La durée du préavis s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture. En l'espèce, la relation a duré quatre ans et cinq mois, la société Primocable a réalisé un volume d'affaires significatif avec la société 2SIP qui représentait une part importante de son chiffre d'affaires qui a néanmoins réduit au cours du dernier exercice comptable. L'imputabilité à la société 2SIP de cette dépendance économique de la société Primocable n'est toutefois pas établie en raison de l'absence de clause d'exclusivité, ce quand bien même le contrat imposait aux préposés de la société Primocable de porter des tenues arborant les marques « SFR » ou « Connect Assistance » lors de leurs interventions pour son compte à l'exclusion de toutes autres marques, cette clause ne l'empêchant pas de conclure des marchés avec d'autres opérateurs. Enfin, le marché de la fibre optique est fortement concurrentiel.

La cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à trois mois la durée de préavis et considérer le préavis accordé par la société 2SIP à la société Primocable du 19 mars au 25 juin 2015 comme suffisant.

La responsabilité de la société 2SIP au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Primocable n'est donc pas caractérisée.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes

Partie perdante, la société Primocable est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société 2SIP en application de l'article 700 du Code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10 000 €.

Par ces motifs : LA COUR, Constate l'intervention volontaire de la société SFR SA venant aux droits de la société de services informatiques pour professionnels (2SIP), Vu les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, Infirme le jugement dont appel, Statuant à nouveau, Déboute la société Primocable de ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Primocable à payer à la société SFR SA venant aux droits de la société de services informatiques pour professionnels (2SIP) la somme de 10 000 €, Condamne la société Primocable aux dépens de première instance et d'appel, les dépens d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.