CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 juin 2020, n° 18-00121
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Star's Service (SAS)
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schaller
Conseillers :
Mmes Soudry, Lignières
Avocat :
Clifford Chance Europe LLP
FAITS ET PROCÉDURE :
- La société Star' Service est une société spécialisée dans la livraison à domicile de produits alimentaires.
La société Carrefour Hypermarchés est une société qui exploite en France des magasins hypermarchés à enseigne Carrefour.
La société Star's Service assurait d'une part, la livraison à domicile des clients à partir des magasins du groupe Carrefour et d'autre part, la livraison à domicile des clients du groupe à partir du site internet Ooshop.
En ce qui concerne les livraisons à partir des magasins, ces relations se sont d'abord instaurées avec certains magasins appartenant au groupe Carrefour avant d'être formalisées par un contrat dénommé « Contrat cadre de livraisons à domicile » conclu le 11 juillet 2007 entre la société Star's Service et la société Carrefour Administratif France pour une durée de trois ans non renouvelable tacitement.
Par lettre du 1er juillet 2010, la société Carrefour a sollicité la prorogation de ce contrat jusqu'au 30 septembre 2010.
Les relations se sont ensuite poursuivies jusqu'à la conclusion d'un contrat le 6 juillet 2012 comprenant à la fois les livraisons à partir des magasins et celles relatives aux commandes réalisées depuis le site internet Ooshop.
En ce qui concerne les livraisons à partir du site internet Ooshop, une première convention de prestation de service a été conclue entre la société Ooshop et la société Star's Service portant sur certaines villes d'Ile de France (Versailles, Viroflay, Le Chesnay) pour une durée de trois ans à compter du 3 novembre 1999.
Par contrat du 14 février 2000, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une autre convention de prestation de service portant sur les départements 75, 78 et 92 pour une durée de trois ans à compter du 25 avril 2000. Le contrat prévoyait une exclusivité au profit de la société Ooshop pour les départements visés et était renouvelable tacitement pour une durée identique.
Par contrat du 24 septembre 2001, la société Ooshop et la société Star's Service ont modifié la convention du 14 février 2000. La nouvelle convention de prestation de service portait sur les départements 75, 78, 92 et 94, avec une exclusivité au profit de la société Ooshop, et était conclue pour une durée de trois ans à compter du 25 septembre 2001 renouvelable tacitement pour une durée d'un an.
Par lettre du 24 mai 2004, la société Ooshop a notifié à la société Star's Service la résiliation de la convention du 24 septembre 2001 à compter du 24 septembre 2004.
Par contrat du 2 août 2004, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une nouvelle convention de prestation de service portant sur certaines villes énumérées des départements 69, 75, 78, 91, 92, 93 et 94, avec une exclusivité au profit de la société Ooshop, et conclue pour une durée du 1er août 2004 au 31 décembre 2006, renouvelable tacitement pour une durée d'un an.
Par contrat du 7 juillet 2006, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une nouvelle convention de prestation de service se substituant à celle du 2 août 2004 pour une durée du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008, renouvelable tacitement pour une durée d'un an. Selon cette convention, une exclusivité était consentie à la société Ooshop sur les villes de Paris et Lyon. La convention portait également sur les villes de Rennes, Nantes, Bordeaux, Rouen et le Mans sans exclusivité.
A la suite d'un appel d'offres, la candidature de la société Star's Service a été retenue et une nouvelle convention de prestation de service a été conclue avec la société Ooshop pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2009, renouvelable tacitement pour une durée indéterminée. La convention prévoyait une exclusivité pour toutes les livraisons de clients dépendant des zones géographiques desservies à partir de des entrepôts de Villeneuve la [...], Evry, Lyon, Rouen, Nantes, Rennes, Toulouse, Marseille, Nice, Grenoble, Chambéry, Annecy et Dijon.
A la suite d'une procédure de consultation lancée en 2011, la société Star's Service et la société Carrefour Hypermarchés, agissant en son nom et en tant que mandataire de toute société exploitant un magasin portant une enseigne du groupe Carrefour et de tout site internet Carrefour notamment le site Ooshop, ont conclu le 6 juillet 2012, un contrat de prestation de service de livraison à domicile portant à la fois sur les livraisons des commandes depuis les magasins et depuis les sites internet. Ce contrat a été conclu pour une durée de 36 mois à compter du 1er juillet 2012 et ne prévoyait pas d'exclusivité.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 juin 2014, la société Carrefour Hypermarchés a avisé la société Star's Service de son intention de ne pas reconduire le contrat du 6 juillet 2012 à son échéance et de recourir à des procédures d'appels d'offres pour la réalisation des livraisons à domicile tant pour ses magasins que pour son site internet.
La société Carrefour Hypermarchés a ainsi procédé à deux consultations : l'une concernant les livraisons à domicile depuis ses magasins et l'autre concernant les livraisons à domicile pour les commandes effectuées depuis son site internet. La société Star's Service a formulé des offres au titre des deux consultations.
Par lettre du 5 janvier 2015, la société Carrefour Hypermarchés a informé la société Star's Service que sa candidature était retenue pour les livraisons à domicile relatives aux commandes depuis son site internet pour les sites Alpes, Nice et Paris-Villeneuve la Garenne pour trois ans à partir du 1er juillet 2015. Elle l'a en revanche avisée du rejet de sa candidature pour le site de Vitry.
Par ailleurs, la candidature de la société Star's Service n'a pas été retenue pour les livraisons à domicile depuis les magasins et la société Carrefour Hypermarchés a confirmé, par lettre du 29 mai 2015, la fin des relations commerciales de ce chef à compter du 30 juin 2015.
S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I,5° du Code de commerce, la société Star's Service a fait assigner, par acte en date du 12 août 2015, la société Carrefour Hypermarché devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice économique et de son préjudice moral résultant de l'atteinte à sa réputation et à son image ainsi que du préjudice résultant du débauchage de son personnel.
Par jugement du 12 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Star's Service de sa demande d'indemnité au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;
- débouté la société Star's Service de sa demande de dommages et intérêts pour participation active au débauchage de son personnel ;
- débouté la société Star's Service de sa demande pour préjudice moral ;
- condamné la société Star's Service à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;
- ordonné d'office l'exécution provisoire ;
- condamné la société Star's Service aux dépens.
Par déclaration du 20 décembre 2017, la société Star's Service a interjeté un appel partiel de ce jugement en ce qu'il l'a :
- déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 12 200 000 euros en réparation de ses préjudices économiques résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
- déboutée de ses autres demandes, notamment en omettant de répondre au moyen qui fixait le point de départ du délai de préavis à la date de réception de la notification de rejet total de son offre commerciale pour les magasins par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mai 2015, et de rejet partiel de son offre commerciale pour le e-commerce par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 janvier 2015 ;
- déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 1 000 000 euros en réparation de ses préjudice résultant de la participation active et directe de la société Carrefour Hypermarchés aux opérations de débauchage de son personnel ;
- déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 5 000 000 euros en réparation de ses préjudices moraux résultant de l'atteinte à sa réputation et à son image de marque ;
- déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance ;
- condamnée à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Dans ses dernières conclusions du 29 août 2018, la société Star's Service demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I,5° du Code de commerce,
Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil,
- réformer le jugement rendu le 12 décembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris
Statuant à nouveau,
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés ;
- condamner la société Carrefour Hypermarché à lui payer la somme de 5 827 200 euros en réparation de ses préjudices économiques résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à lui payer la somme de 1 000 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de la participation active et directe de la société Carrefour Hypermarchés aux opérations de débauchage de son personnel ;
- condamner enfin la société Carrefour Hypermarchés à lui verser la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
La société Star's Service invoque le caractère établi des relations la liant aux sociétés du groupe Carrefour. Elle soutient que ces relations se sont d'abord inscrites dans le cadre de contrats verbaux puis écrits conclus, à compter de 1988, avec les sociétés exploitant des magasins aux enseignes « Continent » et « Euromarché » puis, à partir de 1992, avec les sociétés exploitant des magasins aux enseignes « Champion » et « Carrefour ». Elle ajoute avoir été chargée de la livraison à domicile des clients du site Ooshop dès 1999.
Elle considère que le recours à des appels d'offres par la société Carrefour Hypermarchés, à défaut d'être systématique, n'a pu avoir pour effet de rendre précaire les relations établies. Elle prétend que la clause du contrat du 6 juillet 2012 prévoyant un préavis de douze mois et le qualifiant de suffisant au regard de l'ancienneté des relations ne peut lui être opposée dès lors que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce est d'ordre public et qu'il appartient au juge d'apprécier le délai de préavis raisonnable. Elle estime qu'au regard de l'ancienneté de 27 ans des relations, de la part considérable du chiffre d'affaires perdu (30 %) et de la difficulté de se réorganiser dans un secteur hautement concurrentiel, le préavis qui aurait dû être respecté devait être de 24 mois. Elle conteste encore les usages invoqués par la société intimée notamment en matière de transport en faisant valoir qu'elle n'est pas un sous-traitant de transport mais un prestataire de services.
Par ailleurs, la société Star's Service sollicite l'indemnisation du préjudice causé par un acte de concurrence déloyale. Elle reproche en effet à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir participé au débauchage de certains de ses salariés au bénéfice du nouveau prestataire sélectionné à la suite de l'appel d'offres.
Dans ses dernières conclusions du 6 janvier 2020, la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I,5° (ancien) du Code de commerce,
Vu les articles 9, 31 et 122 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1134, 1315 et 1382 du Code civil,
- constater que le contrat à durée déterminée conclu le 6 juillet 2012 a été exécuté jusqu'à son terme,
- constater que la société Star's Service ne conteste plus que le préavis dont elle a bénéficié a effectivement commencé à courir le 19 juin 2014 ;
- dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service n'entretenaient pas de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I,5° ;
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 décembre 2017, en ce qu'il a constaté que la société Star's Service avait bénéficié d'un délai de préavis raisonnable de 12 mois ;
- dire et juger qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité à l'occasion du non-renouvellement du contrat de prestation de services conclu avec la société Star's Service ;
- confirmer le jugement du 12 décembre 2017 en ce qu'il a débouté la société Star's Service de sa demande sur le fondement du débauchage et de la concurrence déloyale ;
Subsidiairement,
- constater que la société Star's Service ne rapporte pas la preuve du préjudice dont elle sollicite réparation ;
En conséquence,
- débouter la société Star's Service de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
En tout état de cause,
- débouter la société Star's Service de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Star's Service à lui verser la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Star's Service aux entiers dépens.
La société Carrefour Hypermarchés dément tout caractère établi des relations nouées avec la société Star's Service. Elle considère en effet que le recours à une procédure d'appel d'offres et la conclusion d'un contrat à durée déterminée le 6 juillet 2012 ont rendu précaire la relation. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir renouvelé le contrat à son terme d'autant plus que les parties ont entendu fixer à douze mois la durée du préavis et ont spécifié, dans leur convention, que « le non renouvellement du contrat à son échéance ne pourra pas être perçu comme une rupture brutale et imprévisible des relations commerciales ». Elle estime en tout état de cause que le préavis de 12 mois accordé à la société Star's Service était suffisant pour lui permettre de se réorganiser au regard de l'ancienneté de la relation commerciale, du flux d'affaires ainsi que du secteur concerné dans lequel les entreprises sont interchangeables. Elle observe que la relation nouée dans le cadre des livraisons effectuées à la suite de commandes sur le site Ooshop n'a duré que 16 ans. Elle fait encore valoir que le flux d'affaires avec la société Star's Service n'a pas complètement été interrompu puisque la candidature de cette dernière a été retenue pour l'e-commerce sur certains secteurs géographiques. Elle invoque encore les usages du commerce en matière de transport et le nouveau contrat-type relatif au transport public routier de marchandises résultant du décret 2017-461 du 31 mars 2017 qui prévoit un préavis maximal de six mois en cas de rupture des relations pour soutenir que le préavis de douze mois accordés était amplement suffisant. Elle dément enfin le préjudice économique invoqué.
Par ailleurs, la société Carrefour Hypermarchés prétend que n'étant pas concurrente de la société Star's Service, aucune concurrence déloyale ne peut lui être reprochée au titre d'un prétendu débauchage de personnel. Elle ajoute qu'elle n'a pas embauché les salariés dont le départ lui est imputé. Elle affirme encore que la société appelante ne démontre aucune désorganisation interne à la suite des faits reprochés. Elle prétend enfin que le départ de 13 salariés sur les 2065 salariés employés ne peut entraîner une quelconque désorganisation.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2020.
MOTIFS
Sur la rupture brutale des relations commerciales
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Sur le caractère établi de la relation
Les parties s'opposent quant au caractère établi de leur relation.
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, la succession de contrats à durée déterminée, pour partie renouvelables tacitement, depuis 1999, pour les livraisons concernant les commandes sur le site Ooshop, et depuis 2007, pour les livraisons depuis les magasins, témoigne d'une relation stable entre les sociétés Star's Service et Carrefour Hypermarchés pendant de nombreuses années. Il convient en outre de relever l'intensité de cette relation puisqu'elle portait sur des flux de plusieurs dizaines de millions d'euros et représentait plus de 30% du chiffre d'affaires de la société Star's service. Le recours à une procédure de consultation, en 2006, pour les livraisons de commandes depuis le site Ooshop puis, en 2011, pour l'ensemble des livraisons n'a pu rendre précaire cette relation établie dès lors qu'à la suite de ces deux consultations, la société Star's Service a été sélectionnée et que la société Carrefour Hypermarchés n'a jamais avisé sa partenaire de son souhait de recourir de manière systématique à une mise en concurrence. Enfin, contrairement à ce que prétend la société Carrefour Hypermarchés, le fait que les parties aient convenu, dans le contrat du 6 juillet 2012, d'une renégociation de ce contrat à son échéance et aient exclu un renouvellement tacite, ne peut manifester une précarisation des relations dans la mesure où une telle exclusion d'un renouvellement tacite avait déjà été prévue au contrat du 11 juillet 2007 et que les relations ont néanmoins perduré. Ainsi, au moment de l'annonce de la fin des relations le 19 juin 2014, la société Star's Service n'avait aucune raison de douter de la pérennité des relations, le simple recours à une mise en concurrence n'étant pas suffisant pour annuler le caractère établi desdites relations commerciales. Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont donc applicables.
Sur la brutalité de la rupture
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que les relations existantes entre la société Star's Service et la société Carrefour Hypermarchés ou les sociétés auxquelles elle a succédé (société Euromarché, société Continent) ont débuté en 1988.
Par ailleurs, les données comptables produites aux débats par la société Star's Service et certifiées par son commissaire aux comptes établissent qu'elle a réalisé avec les sociétés du groupe Carrefour un chiffre d'affaires de 25 685 780 euros en 2012, de 27 490 940 euros en 2013 et de 26 933 472 en 2014 (soit une moyenne de 26 703 397,33 euros), ce qui représentait plus de 30% de son chiffre d'affaires, et que le chiffre d'affaires réalisé avec ces sociétés correspondant aux livraisons désormais confiées à un autre prestataire correspondait à 16 414.906 euros en 2012, de 18 614 949 euros en 2013 et de 19 953 117 euros en 2014 (soit une moyenne de 18 327 657,33 euros). Ainsi la perte du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés du groupe Carrefour s'établit à 68,63 % .
Au vu de l'ancienneté des relations (27 ans), du volume d'affaires réalisé, de sa part importante dans le chiffre d'affaires de la société Star's Service et du secteur économique hautement concurrentiel de la livraison à domicile rendant difficile de retrouver un partenariat équivalent à celui noué avec la société Carrefour Hypermarchés, le délai de préavis qui aurait dû être respecté doit être fixé à 18 mois.
Or la société Carrefour Hypermarchés n'a respecté qu'un préavis de douze mois et 10 jours. En conséquence, la brutalité de la rupture partielle des relations commerciales est caractérisée peu important que le délai de préavis prévu au contrat conclu le 6 juillet 2012 ait été observé. Il sera en outre observé que la société Carrefour Hypermarchés ne saurait se prévaloir du décret 2017-461 du 31 mars 2017, inapplicable à l'espèce, ni encore d'usages en matière de transports, non démontrés et en tout état de cause non applicables à un prestataire n'assurant pas exclusivement une mission de transport, pour soutenir que le délai de préavis de douze mois laissé à la société Star's Service était raisonnable.
La responsabilité de la société Carrefour Hypermarchés pour rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Star's Service sera donc retenue.
Sur le préjudice
La société Star's Service sollicite une indemnisation de 5 827 200 euros correspondant au résultat d'exploitation moyen annuel direct perdu avec la société Carrefour pendant la période de préavis non accompli.
Toutefois le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue en considération de la marge brute escomptée durant cette période, en tenant compte de la moyenne mensuelle de marge des derniers exercices comptables. La méthode d'évaluation du gain manqué sur la base du résultat d'exploitation ne peut donc être retenue.
En l'espèce, il résulte de l'analyse des charges fixes et variables produite aux débats par la société Star's Service que le taux de marge brute s'établit à une moyenne de 7,42 % sur les années 2012 à 2014 (correspondant à la moyenne des charges sur les années 2012 à 2014, soit 75 204 875, par rapport à la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé entre 2012 et 2014, soit 81 233 400 euros). En effet, le total des charges s'est élevé à 73 961 193 euros en 2012 pour un chiffre d'affaires total de 81 702 200 euros, 73 853 310 euros en 2013 pour un chiffre d'affaires total de 78 935 900 euros et 77 800 124 euros en 2014 pour un chiffre d'affaires total de 83.062.100 euros.
La société Star's services ayant réalisé, avec les sociétés du groupe Carrefour, un chiffre d'affaires de 25 685 780 euros en 2012, de 27 490 940 euros en 2013 et de 26 933 472 en 2014, soit une moyenne annuelle de 26 703 397,33 euros, et la perte de chiffre d'affaires résultant de la rupture partielle des relations s'élevant à 68,63 % de ce chiffre d'affaires, (soit une perte moyenne de 18 326 541 euros par an ou 1 527 211 euros par mois), le préjudice subi par la société Star's service du fait de l'insuffisance de préavis sera donc estimé à 642 141 euros ( 1 527 211 x 7,42 % x 5 mois et 20 jours).
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Star's Service de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales. La société Carrefour Hypermarchés sera condamnée à régler à la société Star's Service une somme de 642.141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé.
Sur la concurrence déloyale
La concurrence déloyale suppose une faute au sens de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige. La simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive. De même, le débauchage n'est pas en lui-même fautif. Le débauchage n'est illicite que s'il s'accompagne de manœuvres déloyales et qu'il produit un effet de désorganisation interne.
En l'espèce, outre le fait que les salariés dont le débauchage est reproché à la société Carrefour Hypermachés n'ont pas été embauchés par cette dernière mais par des entreprises tierces (société Warning et société Cogepart), la société Star's Service échoue à rapporter la preuve d'une désorganisation interne du fait du départ d'une vingtaine de salariés sur plus de 2 000 salariés au profit de sociétés concurrentes.
Aucune responsabilité de la société Carrefour Hypermarchés ne peut donc être retenue pour concurrence déloyale et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
La société Carrefour Hypermarchés succombe à l'instance. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront donc infirmées. La société Carrefour Hypermarchés sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Elle sera en outre condamnée à régler à la société Star's Service une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La demande qu'elle a formée de ce chef sera rejetée.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Star's Service à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés pour participation active au débauchage de son personnel, Statuant à nouveau, Dit que les relations entre la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service présentaient un caractère établi, Dit que le préavis de douze mois et dix jours observé par la société Carrefour Hypermarchés avant la rupture partielle des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix-huit mois aurait dû être observé, Déclare la société Carrefour Hypermarchés responsable à l'égard de la société Star 's Service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui lui est imputable, Condamne la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 642 141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé, Condamne la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Carrefour Hypermarchés de sa demande au titre des frais irrépétibles, Condamne la société Carrefour Hypermarchés aux dépens.