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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18/16622

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Antipodes (SAS)

Défendeur :

Profida (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Mes Bouzidi-Fabre, Bremond, Régnier, Iscovici

T. com. Paris, du 29 mai 2018

29 mai 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Profida qui appartient au groupe Printemps a pour objet la vente au détail de prêt-à-porter, accessoires de mode et de chaussures. Elle est propriétaire du fonds de commerce Citadium situé à Paris 9e, d'une superficie de 6 000 m² environ sur 4 niveaux, qu'elle exploite en direct.

La société Antipodes, spécialisée dans la distribution de chaussures de gamme moyenne et haute est une filiale du groupe X qu'elle présente comme réalisant la majorité de son chiffre d'affaires dans le négoce, la gestion de marque et le design, en tant que concessionnaire de points de vente "chaussures" dans les grands magasins et assimilés mais également dans ses propres boutiques de vente au détail ainsi que sur son site Ambazad.com.

Ces sociétés ont signé le 16 février 2007, un premier contrat dit de « commission à la vente et de développement commercial » pour une période de 3 ans, au terme duquel la société Antipodes devait assurer l'approvisionnement en chaussures de certains stands du magasin Citadium ainsi que leurs ventes par son propre personnel.

Le 23 juillet 2010, un second contrat a été signé également pour une période de 3 années. Ce contrat a été prolongé jusqu'en fin janvier 2014 puis fin juillet 2014.

La société Antipodes a été placée en liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce d'Evry du 6 octobre 2014 qui a désigné Me Y en qualité de mandataire liquidateur.

Elle a fait assigner la société Profida devant le tribunal de commerce de Paris, prétendant que celle-ci est responsable de sa liquidation judiciaire pour avoir :

- abusé de son état de dépendance économique,

- créé un déséquilibre significatif dans leurs obligations contractuelles,

- obtenu des avantages disproportionnés au regard des services rendus,

- manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi dans l'exécution de ces contrats de commissionnement,

- rompu le contrat de façon brutale,

- repris à son seul profit le fonds de commerce qu'elle avait développé sans prendre en charge le coût des licenciements nécessaires de ce fait,

- subsidiairement, commis des actes de concurrence déloyale aboutissant à la désorganisation de son activité.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 29 mai 2018 qui a :

- dit recevable la procédure engagée par la société Antipodes et Me Y en qualité de mandataire liquidateur de la société Antipodes à l'encontre de la société Profida;

- dit irrecevable l'intervention volontaire de M. X;

- dit irrecevable l'intervention volontaire de Mme X;

- débouté Me Y ès qualité de mandataire liquidateur de la société Antipodes de l'ensemble de ses demandes;

- débouté la société Profida de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de Me Y ès qualités;

- débouté la société Profida de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. X;

- condamné M X à payer à la société Profida la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du CPC;

- condamné Mme X à payer à la société Profida la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du CPC;

- condamné Me Y ès qualité de mandataire liquidateur de la société Antipodes à payer à la société Profida la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du CPC;

- ordonné l'exécution provisoire sans caution;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

- condamné Me Y ès qualité de mandataire liquidateur de la société Antipodes aux dépens de la présente procédure dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 128,70 euros dont 21,23 euros de TVA

Vu la déclaration d'appel de ce jugement formée par Me Y ès qualités le 29 juin 2018,

Vu les dernières conclusions de Me Y ès qualités, signifiée et notifiée le 14 février 2020, qui demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu l'article L. 420-2 du Code de commerce,

Vu les articles 1134, 1382, 1383 du Code civil anciens, applicables au présent litige,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées au débat et notamment les rapports du cabinet Ricol Lasteyrie,

- la dire et juger recevable ès qualités en son appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions attaquées et statuant à nouveau :

A titre principal :

dire et juger que la société Profida a abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société Antipodes à son égard ;

dire et juger que la société Profida a entretenu un déséquilibre significatif dans ses relations commerciales avec la société Antipodes au préjudice de cette dernière ;

dire et juger que la société Profida a rompu de façon brutale et abusive la relation commerciale établie de longue date avec la société Antipodes ;

dire et juger que la société Profida a manqué à son obligation de bonne foi et de loyauté dans l'exécution du contrat qui la liait à la société Antipodes ;

dire et juger que la société Profida a bénéficié d'un transfert du fonds de commerce de la société Antipodes, sans aucune contrepartie pour cette dernière ;

dire et juger que la société Profida n'a pas respecté ses obligations à l'égard des salariés d'Antipodes, qu'il y avait un lien de subordination juridique entre la société Profida et les employés de la société Antipodes et que la société Profida était le co-employeur des employés de la société Antipodes,

dire et juger que la société Antipodes a subi un préjudice du fait de ces agissements ;

En conséquence :

condamner la société Profida à payer à Maître Y es-qualités la somme de 4 500 000 euros à titre de dommages et intérêts tous chefs de préjudices confondus;

A titre subsidiaire :

dire et juger que la société Profida a entretenu des pratiques déloyales à l'égard de la société Antipodes, qui ont mené à la désorganisation de celle-ci ;

En conséquence,

condamner la société Profida à payer à Maître Y es-qualités la somme de 4 500 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause :

débouter la société Profida de ses demandes ;

condamner la société Profida à payer à Maître Y ès qualités la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Profida, intimée, signifiées et notifiées le 7 février 2020, qui demande à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les articles 1103 et 1104 (1134 ancien) du Code civil et les articles L. 420-2, L. 442-6 I 5° et L. 641-13 du Code de commerce

- la recevoir en ses conclusions d'intimée ;

- l'y dire bien fondée et y faisant droit,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter en conséquence de ses demandes la société Antipodes, prise en la personne de Maître Y ès qualités;

- donner acte de la mise en demeure adressée à la société Antipodes, prise en la personne de Maître Y ès qualités, de retirer la pièce n° 76 : « Mail du 16 juin 2006 de M. Z » qu'elle a versé aux débats, en ce qu'elle comporte un tableau Excel qui ne figure pas en pièce jointe à cette pièce et qu'elle tire de ce retrait toutes les conséquences qui s'imposent quant aux déductions auxquelles elle procède à tort dans ses écritures ;

- condamner Maître Y ès qualités à lui payer la somme supplémentaire en cause d'appel de 20 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens d'appel.

- dire et juger que sa créance totale au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du CPC, tant en première instance qu'en cause d'appel, soit au total 60 000 euros est une créance utile et née pour les besoins de la procédure collective et, partant éligible au privilège légal assorti du rang attribué aux frais de justice de la procédure collective de la société Antipodes.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Vu les articles L. 420-2, L. 442-6 I 1° et 2° du Code de commerce tels que reproduits par le jugement entrepris, applicables au litige,

Vu les articles 1134, 1382, 1383 du Code civil anciens, applicables au litige,

Le jugement entrepris, au terme d'une motivation circonstanciée que la Cour adopte dans toute la mesure compatible avec ce qui suit, répond à suffisance à l'ensemble des griefs de Me Y ès qualités dont l'argumentation en appel ne permet pas la remise en cause.

A titre liminaire, la Cour observe que l'évaluation globale du préjudice, seule reprise au dispositif des conclusions de Me Y ès qualités, a varié à plusieurs reprises, soit 7 900 000 euros en novembre 2015, ramené au vu du rapport du cabinet Ricol à 5 509 000 en septembre 2016 puis 4 500 000 en appel et que les trois chefs de préjudice chiffrés, tels qu'identifiés dans le rapport Ricol (pièce 68) soit :

- manque à gagner du fait du déplacement du stand,

- manque à gagner du fait de la rupture brutale ou du transfert d'activité au bénéfice de la société Profida sans contrepartie,

- coûts des licenciements des personnels non repris, ne recoupent que partiellement les nombreux griefs énoncés, tels en particulier le changement de mode de livraison et le refus de vente de marque de chaussures dont l'appelante ne tire ainsi aucune conséquence juridique.

De même, la Cour rappelle à titre liminaire et au visa de l'article 954 alinéa 3 du Code de procédure civile, qu'il ne lui appartient pas de procéder au "donner acte" sollicité, qui, dépourvu de conséquence juridique, ne s'analyse pas en une prétention.

I - Sur l'exploitation abusive par la société Profida de l'état de dépendance économique de la société Antipodes quant au déplacement de son stand, seul chef de préjudice chiffré en lien avec ce grief

Le jugement entrepris retient à bon droit que la société Antipodes invoque vainement un état de dépendance juridique et économique vis-à-vis de la société Profida, dont la part dans son chiffre d'affaires s'élève à 86 %, dès lors qu'elle n'a fait aucun effort pour se diversifier et que cet état résulte donc d'une politique délibérée de sa part.

En effet, elle disposait au moment de la signature du contrat de cinq autres implantations représentant, comme le reconnaît le rapport Ricol, une part significative de son chiffre d'affaires. Or, sauf à relever que la Serap a été placée en liquidation judiciaire, elle ne s'explique pas sur les raisons de leurs disparitions en 2010 alors qu'aucune contrainte ne l'y obligeait.

En outre, la clause de non-concurrence est limitée et, au demeurant, dépourvue de réelle portée pratique eu égard à l'activité de la société Astorg, filiale à 99 % de la société Antipodes, celle-ci, de même type, étant dédiée aux Galeries Lafayette situé à moins de 500 mètres du Citadium (pièce Profida 33). Au surplus elle a été assouplie lors du renouvellement du contrat en 2010 qui la limite à un rayon de 500 mètres autour du Citadium et qui étend aux accessoires et textiles les produits que la société Antipodes pouvait commercialiser au Citadium.

Le jugement entrepris retient enfin que la société Profida a rempli, sans déloyauté, ses obligations résultant des contrats de commissionnement qui l'obligent seulement à la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la vente des produits qu'ils concernent.

A cet égard, Me Y ès qualités fait vainement état, pour les motifs qui suivent, de trois griefs tirés du changement de mode de livraison, du déplacement du stand de la société Antipodes et de la perte des investissements consacrés à l'installation initiale de son stand au rez-de-chaussée soit 457 516 euros.

I- 1) Sur le changement de mode de livraison

Certes, au vu de l'avenant du 29 septembre 2008 au contrat de travail de l'intérimaire embauché en 2005 et de l'attestation produite en pièce 41 qui ne vise qu'un seul manutentionnaire, un surcoût issu du changement de mode de livraison, qui s'effectue à compter d'octobre 2008 de nuit et par l'intermédiaire de DHL, est établi à hauteur de 124 644,30 euros sur la période du 1er octobre 2008 au 31 janvier 2013.

Néanmoins, ce surcoût n'apparaît pas sans contrepartie. En effet, il est rendu nécessaire par le succès du Citadium, qui se traduit par une forte affluence en journée alors qu'il est situé au coeur du quartier des grands magasins avec toutes les implications d'une telle situation en termes de circulation et de stationnement. En outre, l'évolution des conditions d'exploitation du Citadium, générale et non discriminatoire est motivée par les exigences de gestion des conséquences d'un tel succès, dont la société Antipodes, responsable de ses approvisionnements, a nécessairement profité.

Enfin et en tout état de cause, ce grief n'apparaît pas dans le chiffrage des préjudices invoqués.

I- 2) Sur le déplacement du stand

Me Y ès qualités ne démontre pas que l'emplacement du rez-de-chaussée était un élément essentiel du consentement de la société Antipodes en 2007.

Au surplus, la société Antipodes qui a négocié le renouvellement de son contrat en 2010 et ainsi obtenu l'assouplissement de la clause de non-concurrence comme indiqué plus haut ainsi qu'un accroissement conséquent de sa surface de vente (378/300 m2, conclusions p. 31 et pièce 83) ne soutient pas utilement qu'elle s'est vu imposer un nouvel emplacement de vente, bien moins attractif et d'une gestion logistique plus difficile, sous peine de non-renouvellement de son partenariat avec la société Profida et que ce changement a entraîné une baisse significative de son chiffre d'affaires.

Quant à l'attractivité du 3e étage où se situe 90 % de ses surfaces commerciales et du 2e étage où se situe le surplus, elle ne conteste pas utilement qu'ils disposent d'un chiffre d'affaires plus important que le rez-de-chaussée pour la période 2010-2013 en se bornant :

- à faire valoir qu'elle n'a pas accès au premier étage

- et à soutenir que le 3e étage qui a connu la croissance des ventes la plus forte de tous les étages pour la même période soit 22 % (rapport Deloitte du 22 mai 2017, p. 8) est le moins attractif du magasin avant comme après le changement de stand, sans expliquer en quoi (ses conclusions p. 35).

En effet, la baisse de 16 % du chiffre d'affaires annuel moyen HT de la société Antipodes, passé de 4 290 K euros en 2007-2009 à 3 611 K euros en 2010-2013 (rapport Deloitte du 12 avril 2016, p. 22) ne suffit pas à l'établir en l'absence d'analyse par le cabinet Ricol de facteurs intrinsèques étrangers au déplacement du stand et susceptibles d'affecter les performances commerciales économiques et financières de la société Antipodes. Ainsi, selon le rapport Deloitte du 12 avril 2016 (p. 36) « depuis 2007, la situation financière de la société Antipodes a toujours été déséquilibrée; la société connaissait des difficultés financières des années avant le déménagement de ses espaces commerciaux au 2e et 3e étages du magasin Citadium intervenu mi-2010 ».

Quant à l'absence de signalétique du déplacement de stand, elle n'apparaît pas indispensable compte tenu de la configuration des lieux, s'agissant d'un espace de vente unique par étage, constitué d'un plateau ouvert et circulaire autour d'escalators.

Quant aux charges supplémentaires résultant de difficultés logistiques, elles ne sont pas établies au vu du rapport Deloitte du 17 novembre 2016 (pièce intimée 32, p. 12 et 13) dont il résulte que les salaires et charges sociales correspondantes de la société Antipodes ont toujours évolué proportionnellement au chiffre d'affaires selon un ratio stable de 18 %.

En tout état de cause, ce changement de stand, autorisé par les articles IV b) 1er alinéa et annexe 9 a) des contrats, est motivé, conformément à ces dispositions dans l'intérêt du développement des ventes de produits et en tenant compte des impératifs de la politique commerciale de la société Profida, par la création au 3e étage d'un espace dédié à la chaussure de sport "sneakers" et à son univers commercial.

I- 3) Sur les investissements initiaux prétendument perdus

En appel, Me Y ès qualités ne discute pas utilement les motifs du jugement entrepris quant à l'amortissement des investissements dédiés à l'installation initiale du stand au premier étage, à la prise en charge par la société Profida des travaux liés à cette installation aux étages et à l'absence de disposition contractuelle prévoyant le remboursement des sommes invoquées à l'issue du contrat.

Il suffira d'ajouter qu'elle admet en appel l'amortissement de cet investissement, dès lors qu'elle sollicite le remboursement du montant dépensé en dépit de cet amortissement, sans toutefois justifier du bien fondé de cette demande.

En tout état de cause, ce grief n'apparaît pas dans le chiffrage des préjudices invoqués.

II - Sur le déséquilibre significatif et l'obtention d'avantages sans contrepartie

L'article L. 442-6, I, 2° prohibe, pour tout commerçant, le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective des clauses incriminées.

La société Antipodes soutient que le contrat met à sa charge de très nombreuses obligations et charges outre le versement d'une commission de 20 à 23 % du prix de vente HT de ses produits à la société Profida tandis que celle-ci doit supporter :

- un risque d'impayés très théorique s'agissant d'articles payés comptant,

- une gestion de la relation client très faible dès lors que les ventes sont réalisées par le personnel Antipodes,

- un aménagement et un financement des espaces de vente, qui n'a pas eu lieu pour le rez-de-chaussée.

Elle ajoute que la société Profida disposait d'un droit de regard extrêmement étendu sur son activité et ses résultats (possibilité de modifier son espace de vente, choix de ses marques).

Elle en déduit qu'elle disposait d'une marge de négociation extrêmement réduite quant aux stipulations contractuelles qui lui étaient défavorables, l'étendue et l'absence de contrepartie à la clause de non-concurrence étant révélatrice à cet égard, l'assouplissement résultant de second contrat n'étant qu'apparente en ce qu'elle l'empêchait de travailler avec le principal concurrent du magasin Citadium, à savoir les Galeries Lafayettes.

La société Profida soutient que l'ensemble d'actions contractuelles substantielles à sa seule charge a effectivement permis à la société Antipodes de bénéficier d'une contrepartie tangible à ses propres engagements, sans disproportion importante entre les obligations respectives des parties : alors que son rôle se limitait à la présentation, pour la vente, de chaussures avec la seule contrainte objective d'avoir de bonnes marques et, en conséquence, de mettre en place une équipe commerciale adaptée afin de conserver des relations fructueuses avec ses propres fournisseurs, la société Antipodes a bénéficié de l'accès à des emplacements particulièrement marchands, ne serait ce qu'eu égard à la progression du chiffre d'affaires du magasin, étage par étage et de tirer ainsi profit d'une enseigne très attirante pour la clientèle d'adolescents et jeunes adultes visée, la gestion et la promotion du magasin étant assurées à ses seuls frais.

La Cour retient que les contrats de commissionnement litigieux sont le résultat de la négociation intervenue entre les parties et que le déséquilibre significatif allégué (conclusions p. 39-41) n'est étayé par aucun élément de preuve quant aux circonstances factuelles dans lesquelles ils ont été conclus, permettant d'écarter l'existence de négociations effectives établissant qu'elle a tenté, vainement, d'obtenir la suppression ou la modification des obligations litigieuses dans le cadre de telles négociations ou qu'aucune suite n'a été donnée aux réserves ou avenants proposés par elle ou qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de contracter sans alternative possible.

Dès lors, la société Antipodes échoue à établir le déséquilibre significatif invoqué qui ne saurait se déduire in abstracto de la seule puissance de négociation de la société Profida, au demeurant affirmée compte tenu du sens de l'arrêt, point I. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le caractère éventuellement déséquilibré des obligations incriminées.

D'autre part et compte tenu de ce qui précède quant aux griefs tirés de la modification des conditions de livraison et du déménagement, il ne résulte de ceux-ci aucun avantage sans contrepartie au sens de l'article L. 442 6 I 1° précité du Code de commerce.

Enfin, le grief tiré de la prétendue reprise d'activité sans contrepartie doit être examiné avec celui qui suit.

III - Sur la cession forcée de fonds de commerce et l'absence de prise en charge des licenciements des salariés

Me Y ès qualités soutient que la société Antipodes peut revendiquer la création du rayon chaussures du magasin Citadium et se prévaloir d'une clientèle propre tel un franchisé, du transfert de son activité au profit de la société Profida et de la poursuite à l'identique de son activité par la société Profida.

Toutefois, le jugement entrepris, relève exactement :

- que la société Antipodes, dont les clients potentiels, qui ne connaissent pas son nom mais viennent pour le magasin Citadium, n'est qu'un distributeur et ne peut se prévaloir d'y avoir créé le département chaussures dont le chiffre d'affaires en 2006, réalisé d'abord par la société Made in Sports, locataire gérante de la société Profida puis par la société Profida directement, était de 6 920 012 euros,

- que la liquidation de la société Antipodes dont la cessation des paiements a été fixée au 1er février 2014 trouve sa source antérieurement à la fin de ses relations commerciales avec la société Profida,

- enfin que si au vu des procès-verbaux dressés en juillet et septembre 2014 par Maître W, huissier, l'organisation des stands semble très similaire à celle prévalant avant la cessation du contrat litigieux, tel n'est plus le cas en décembre 2014.

Le jugement entrepris en déduit justement, par des motifs que la Cour adopte, que la cessation en juillet 2014 des liens contractuels entre la société Antipodes et la société Profida n'a entraîné aucun transfert d'une entité économique autonome, au sens de l'article L. 1224-1 du Code du travail, faute de transfert d'aucun élément corporel ou incorporel significatif et nécessaire à l'exploitation, tels :

- la clientèle, qui existait indépendamment de la société Antipodes et appartenait à la société Profida

- les stocks, qui n'ont pas été cédés à la société Profida,

- les éléments incorporels, constitués du seul contrat litigieux, expiré,

- le savoir-faire puisque la société Profida était déjà en rapport avec des marques qu'elle distribuait en direct et que le contrat ne conférait aucune exclusivité de distribution de chaussures au sein du magasin Citadium.

Le jugement entrepris ajoute pertinemment :

- que si, par courrier du 25 novembre 2014, l'inspection du travail a considéré que la société Profida qui n'a pas repris les contrats de travail a fait obstacle aux dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail, néanmoins, le Conseil de Prud'hommes de Paris, statuant en référé, a débouté certains salariés de la société Antipodes de leur demande de transfert auprès de la société Profida par ordonnance du 9 juillet 2014, retenant une contestation sérieuse,

- qu'il n'est pas justifié d'une instance au fond à ce sujet,

- que la société Antipodes a toujours été le seul employeur de ses salariés sans que la soumission à l'organisation du magasin ne constitue un lien de subordination ni un lien contractuel,

- qu'une partie importante de ses salariés (33 à 57 %) n'était pas affectée au magasin Citadium.

Il suffira d'ajouter ce qui suit.

Me Y ès qualités ne justifie pas en appel que la société Antipodes a créé l'activité chaussures du magasin Citadium. A cet égard, ne suffisent :

- ni sa contestation de la valeur probante du chiffre d'affaires chaussures 2006 avancé par la société Profida et repris par le jugement entrepris, lequel est impropre à établir l'inexistence alléguée de cette activité avant son arrivée comme l'absence prétendue de maîtrise de la clientèle par la société Profida,

- ni la photo de la signalétique du magasin Citadium en 2006 (pièce 72) en ce qu'elle ne concernerait pas la vente de chaussures.

En effet, Me Y ès qualités se fonde sur le tableau joint au mail produit en pièce 36 par la société Profida en le joignant elle-même à un autre mail qui pourtant n'en comportait pas (sa pièce 76) pour prétendre limiter à 501 065,74 euros pour la période du 31 janvier au 31 mai 2006, soit 1 202 556 euros sur l'année 2006, le chiffre d'affaires chaussures de la société Profida.

Or, force est de constater au vu du mail auquel il est effectivement annexé (pièce 36 Profida) que ce tableau ne concerne que les marques qui ont été concédées à la société Antipodes.

Il s'en déduit par ailleurs qu'une partie seulement des marques déjà en concession au magasin Citadium lui a été conférée, ce que confirme la seconde pièce jointe au mail produit en pièce 36 de la société Profida qui soutient au vu de ses pièces 12 et 19 que le Magasin Citadium commercialisait 61 marques en 2006 dont 35 ont bénéficié à la société Antipodes, sans être contredite à cet égard par Me Y ès qualités qui ne s'en explique pas précisément (ses conclusions p. 59-60).

Pour le surplus, il est constant que l'article L. 1224-1 du Code du travail ne s'applique qu'en cas de transfert d'une entité économique autonome poursuivant un objectif propre, dont l'identité aurait été maintenue et dont l'activité aurait été reprise ou poursuivie à l'identique.

Me Y ès qualités ne discute donc pas utilement en appel, compte tenu de ce qui précède, les motifs du jugement, qui répondent à suffisance à ses allégations :

1 - quant à une clientèle propre, distincte de celle du magasin Citadium qui lui imposait ses horaires d'ouverture et de fermeture, alors même :

qu'elle soutient à ce sujet que la société Profida est son client quasi exclusif, à hauteur de 98 % de son chiffre d'affaires en moyenne sur les trois derniers exercices, ce dont atteste son expert-comptable,

qu'elle ne justifie pas avoir développé, en sa qualité de fournisseur multimarques, le savoir-faire qu'elle invoque sans le caractériser utilement comme résultant de son expérience et testé par elle, susceptible de rallier une clientèle au détail qui lui aurait été personnelle. A cet égard, il ne suffit pas qu'elle soit contractuellement responsable, de l'approvisionnement et de la gestion de ses stocks, des risques d'invendus et des installations nécessaires au développement de ses ventes, effectuées directement à la clientèle finale ou que « son chiffre d'affaires [soit] passé de 3 458 659 euros à 7 209 277 euros en à peine deux ans »

qu'elle ne dispose pas, comme il a été vu plus haut (point I.2), d'un local privatif ou d'un positionnement stable à l'intérieur du magasin Citadium, mais de la concession d'un rayon de vente dont l'utilisation des locaux de ce magasin n'est que l'accessoire,

2 - quant au transfert de son activité au profit de la société Profida, Me Y ès qualités soutenant vainement que, dès novembre 2012 la société Profida, « en tentant d'obtenir des informations stratégiques sur l'activité d'Antipodes en vue d'un transfert d'activité », « a tenté d'évincer son partenaire » et d'obtenir ainsi un avantage commercial sans contrepartie. En effet, les courriers invoqués à ce sujet (pièces 21, 25, 26 et 105) ont pu n'avoir pour objectif que les modalités pratiques et techniques du départ de celle-ci du magasin Citadium et n'ont, en tout état de cause, donné lieu à aucun processus de pourparlers avec échanges de projets et/ou d'offre portant sur la chose et le prix. Ces courriers suffisent d'autant moins à caractériser l'intention de la société Profida de reprendre la société Antipodes et/ou ses activités, a fortiori sans contrepartie, que :

il n'est justifié d'aucune transmission effective des informations prétendument sollicitées pour détourner les techniques ou contacts de la société Antipodes, tels que chiffres d'affaires mensuels par marques, modèles, tailles, conditions commerciales détaillées des marques, éléments logistiques sur la qualité des livraisons ou respect des délais ou des cadencements, alors même que la société Profida avait déjà noué des relations avec un grand nombre de marques pour son magasin Citadium Beaubourg où la vente de chaussures, se réalisant en ferme, impliquait des rapports directs avec les fournisseurs concernés, il n'est pas établi qu'une liste des fournisseurs, et chez ceux-ci, des interlocuteurs de la société Antipodes ait été ni obtenue ni utilisée,

3 - quant à la poursuite à l'identique de l'activité de la société Antipodes et aux licenciements, à défaut, ainsi qu'il a été jugé, de transfert d'une entité économique autonome poursuivant un objectif propre dont l'identité aurait été maintenue et dont l'activité aurait été reprise ou poursuivie à l'identique. En effet, contrairement à ce qu'affirme Me Y ès qualités et en l'état de ce qui précède (point III), le constat qu'elle produit en pièce 45 - document de 155 pages dont elle ne cite aucun extrait ni ne détaille pas précisément le contenu - ne suffit pas à établir un tel transfert (conclusions p. 68). Ce d'autant que Me Y ès qualités ne s'explique pas non plus sur les observations de la société Profida quant au caractère non contradictoire de la décision de l'inspection du travail du 25 novembre 2014 précitée, obtenue sans visa des ordonnances d'incompétence du juge des référés du CPH de Paris.

IV - Sur la rupture brutale

Le jugement entrepris retient justement, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce applicable au litige et VI du contrat conclu le 27 juillet 2010, un préavis de 15 mois à compter de l'échange de mail d'avril 2013, qu'il considère comme suffisant, relevant qu'il ressort de cet échange que la société Antipodes connaissait le terme du 31 juillet 2014 que M. X qui a écrit « je te remercie pour ce délai supplémentaire » n'a pas contesté.

En tout état de cause, à supposer même qu'il faille retenir le seul courrier confirmatif de ce terme daté du 29 novembre 2013, comme point départ de ce préavis, un tel délai serait également suffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie des parties comme des circonstances de l'espèce, dont il résulte, comme retenu plus haut :

- une dépendance économique délibérée,

- le caractère limité de la clause de non-concurrence au demeurant sans grande portée pratique

- l'absence d’exclusivité,

- et l'absence de preuve de l'impossibilité de se diversifier, alors même que la société Antipodes était en état de cessation des paiements depuis le 1er février 2014, rendant plus qu'incertains son avenir et les prétendus gains manqués du fait de la rupture.

Ce d'autant qu'au vu des échanges des parties dès le 19 novembre 2012, la société Antipodes connaissait à compter de cette date l'intention de la société Profida ne pas poursuivre la relation commerciale qui n'est pas en contradiction avec l'étude des modalités de transfert de l'activité résultant de la rupture et du temps nécessaire à celles-ci.

V - Sur la déloyauté dans l'exécution du contrat

Me Y ès qualités soutient à nouveau à ce titre qu'en changeant le mode de livraison en octobre 2008, en déplaçant son stand et en développant une offre concurrente à la sienne tout en abusant de son droit de regard sur les marques distribuées par la société Antipodes au sein du Citadium, la société Profida a tiré avantage d'un contrat profondément déséquilibré pour obtenir des avantages sans contrepartie.

Cependant, le sens de l'arrêt, points I et II, quant aux deux premiers de ces griefs conduit au rejet de cette prétention.

Quant au grief tiré de la multiplication des stands concurrents et de la concurrence directe de la société Profida et ainsi que le retient justement le jugement entrepris, la société Antipodes soutient vainement que la société Profida a cherché à développer à son détriment une offre concurrente au sein du magasin Citadium, par l'attribution à de nouvelles marques d'espace de vente qui lui étaient dévolus au troisième étage, que l'attribution d'un espace au deuxième étage n'a pas compensée, tout en abusant du droit de regard qu'elle tient de l'annexe 1 des contrats en cause, sur les marques qu'elle même y distribue, le transformant en droit de veto, parfois sans motif.

En effet, le courriel du 16 juin 2006 adressé à X et produit en pièce 36 par la société Profida justifie à suffisance, ainsi que le retient le jugement entrepris, que la société Antipodes savait dès la signature du premier contrat que serait maintenue une coexistence entre plusieurs modes de commercialisation à l'intérieur du Citadium, magasin multimarques dont c'est la vocation et qu'aucune exclusivité n'a été convenue à son bénéfice.

Ainsi et eu égard à la gestion des espaces de vente par la société Profida conformément à l'annexe 9 des contrats, la circonstance que, selon la société Profida elle-même, "il y a peut-être un léger effet de surface défavorable" suite de l'attribution d'un espace au deuxième étage plutôt qu'au troisième (pièce 15), ne suffit pas à établir la déloyauté alléguée. Ce d'autant que, si au vu de cette même pièce 15, la société Profida énonce « concernant l'offre, elle est en effet moins large », elle ajoute « mais mieux ciblée », ce qui devrait avoir comme effet de vous concentrer en matière d'appro sur les best sellers' ce que la société Antipodes ne discute pas.

En outre, il n'est pas contesté que les deux contrats en examen prévoyaient expressément (annexe 1) le commun accord des parties pour le choix des marques exposées à la vente et la modification de ce choix.

Ainsi, les trois refus des marques LTC, Barons Paillon et American Collège en 2012 et 2013, dûment motivés (pièces 18-20) ne suffisent pas à caractériser l'abus allégué non plus que le seul refus non motivé de la marque Camper en février 2013 (pièce 23), alors même qu'il n'est justifié d'aucune discussion postérieure à ces décisions quant à la cohérence de ces marques avec la ligne du magasin et le style du magasin Citadium comme de sa clientèle.

VI - Subsidiairement, sur la concurrence déloyale sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil

Me Y ès qualités reprend à ce titre le grief précédemment invoqué de concurrence directe de la société Profida faussant de fait le jeu de la concurrence puisqu'elle disposait contractuellement de prérogatives importantes de contrôle sur son activité. Elle invoque en outre sa désorganisation commerciale résultant :

- de la surcharge de coûts consécutifs au changement de mode de livraison,

- du déplacement de son stand,

- de la modification de son offre de chaussures

- et de l'information de ses salariés quant à la rupture du contrat avant même sa dénonciation officielle.

Elle demande en conséquence la somme de 4 500 000 euros reprise au dispositif de ses conclusions.

Cependant, cette demande n'est pas recevable en vertu du principe du non-cumul des responsabilité contractuelle et délictuelle qui interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle sans faire prévaloir de faits distincts des manquements contractuels en cause, ce dont Me Y ès qualités ne s'explique pas malgré les observations de la société Profida à ce sujet.

En tout état de cause, à supposer même qu'elle le soit comme articulant des faits distincts des manquements contractuels, force est de constater que les chefs de préjudice chiffrés dans le corps des conclusions d'appelante pour étayer cette évaluation - effectuée en terme de perte de chiffre d'affaires et de perte de marge associée sur la période 2010-2014 par rapport à la période 2007-2010 - ne comporte pas ces griefs, à l'exception du déplacement du stand, déjà vu aux points 1 et 2 de l'arrêt. Or, aucun élément n'y est proposé pour établir le lien de causalité entre ces pertes et ces griefs.

Par suite et au vu du sens de l'arrêt, cette demande ne peut aboutir.

VII - Sur les demandes accessoires

Me Y ès qualités, partie perdante, doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure, conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile.

Et l'équité commande de la condamner à payer à la société Profida une indemnité de procédure dans les termes du dispositif qui suit.

A cet égard, la Cour retient que la procédure collective de liquidation suppose que soit définitivement tranchés les contentieux en cours, tel celui initié en l'espèce par la société Antipodes elle-même et repris par son liquidateur de sorte que les dépens exposés pour y parvenir sont justifiés par les besoins de cette procédure collective elle-même, au sens de ses dispositions de l'article L. 641-13 I du Code de commerce.

Ce d'autant que retenir le contraire aboutit à une différence de traitement entre le liquidateur dont l'indemnité de procédure est une créance utile bénéficiant du privilège légal assorti du rang associé aux frais de justice de la procédure collective de la société en cause et son contradicteur, différence de traitement difficilement compatible avec les principes régissant le droit à un procès équitable lorsque, comme en l'espèce, ce dernier est défendeur à la procédure ainsi initiée par le liquidateur, qui succombe.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à déclarer irrecevable la demande formée au titre de la concurrence déloyale sur le fondement délictuel et, en tout état de cause, non fondée ; y ajoutant, Condamne Maître Y en sa qualité de liquidateur judiciaire de la procédure collective de la société Antipodes aux dépens d'appel; Condamne Me Y ès qualités à payer à la société Profida la somme supplémentaire en appel de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la créance totale au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du CPC, tant en première instance qu'en cause d'appel, soit au total 55 000 euros est une créance éligible au privilège légal assorti du rang attribué aux frais de justice de la procédure collective de la société Antipodes ; Rejette toute autre demande.