CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18/22344
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alsamaison (SAS)
Défendeur :
Perspectives (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocats :
Me David, Me Fromantin
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 5 septembre 2018 qui :
- condamne la société Alsamaison à payer à la société Perspectives :
la somme de 87 885,90 euros à titre d'indemnité de résiliation avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 janvier 2016, avec capitalisation des intérêts ;
la somme de 5 373,48 euros au titre des contrat d'abonnement en cours avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 janvier 2016, avec capitalisation des intérêts ;
- déboute la société Alsamaison de l'intégralité de ses demandes ;
- condamne la société Alsamaison à payer à la société Perspectives une indemnité de procédure de 3 000 euros et aux dépens.
Vu les dernières conclusions de la société Alsamaison, appelante, signifiées et notifiées le 17 avril 2020, qui demande à la Cour d'appel de Paris de :
Vu l'article D. 442-3 du Code de commerce,
Vu l'article L. 442-6, I, 2°, 4° et 5° du Code de commerce,
Vu les articles 42, 46, 48 et 78 du Code de procédure civile,
- A titre principal, sur l'appel nullité à l'encontre du jugement,
dire et juger que le Tribunal a violé les 42, 46 et 48 du Code de procédure civile en ayant statué au fond sans avoir préalablement mis en demeure la société Alsamaison de conclure sur le fond en violation de ses droits et la privant par l'effet dévolutif de l'appel d'un degré de juridiction ;
- Subsidiairement, en cas d'évocation du litige par la cour,
dire et juger que la résiliation du contrat de partenariat est intervenue aux torts exclusifs de la société Perspectives, en raison de la rupture brutale des relations commerciales ;
dire et juger que la clause sur le fondement de laquelle la société Alsamaison a été condamnée au paiement d'une indemnité contractuelle de rupture est constitutive d'un déséquilibre significatif au titre des droits et obligations des parties ;
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau
- débouter la société Perspectives de ses demandes ;
- condamner la société Perspectives à payer à la société Alsamaison une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Vu les dernières conclusions de la société Perspectives, intimée, signifiées et notifiées le 6 avril 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 1134 ancien du Code civil,
Vu les articles L. 442-6, I, 2° et 5° (anciens) du Code de commerce,
Vu l'article D. 442-3 et l'annexe 4-2-2 du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu la jurisprudence précitée,
- Sur la parfaite validité du jugement
constater que les premiers juges ont respecté les dispositions de l'article 78 du Code de procédure civile,
Par conséquent :
débouter la société Alsamaison de sa demande de nullité du jugement,
- Sur la parfaite la compétence du Tribunal de commerce de Lyon en première instance
constater la validité et l'opposabilité de la clause attributive de compétence stipulé à l'article 20 du contrat de partenariat régularisé le 16 février 2007 tacitement reconduit le 16 février 2012,
constater que le Tribunal de commerce de Lyon est une juridiction spécialisée pour apprécier une demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce conformément à l'article D. 442-3 et l'annexe 4-2-2 du Code précité,
Par conséquent :
confirmer le jugement entrepris ,
dire, en tout état de cause, que la Cour d'appel de Paris reste compétente pour statuer sur le fondement de l'article 90 du Code de procédure civile,
- Au fond :
constater que les parties sont liées par un contrat de partenariat régularisé le 16 février 2007 tacitement reconduit le 16 février 2012,
constater que la société Alsamaison, s'est engagée en toute connaissance de cause, et n'a jamais émis le moindre grief sur ledit contrat de partenariat,
constater que la société Alsamaison entendait déjà résilier le contrat de partenariat dès le 14 septembre 2015,
constater que la société Alsamaison, qui manifestait son désir de mettre un terme au contrat dix-sept mois avant le terme contractuel, avait pris ses dispositions pour se reconvertir et surtout afin de pouvoir prospecter au-delà du secteur géographiquement concédé en vertu dudit contrat de partenariat,
constater que la société Alsamaison a violé sa clause d'implantation territoriale en prospectant sur le département de la Moselle (57) non concédé, et pour lequel elle n'a pas non plus été agréé par la société Perspectives,
constater que la société Perspectives a valablement résilié aux torts exclusifs, aux dispositions contractuelles, le contrat de partenariat,
constater que la violation du secteur géographique concédé est un motif grave justifiant la résiliation pour faute du contrat conclu le 16 février 2007,
constater que la société Alsamaison a de facto bénéficié d'un préavis de 5 mois avant le courrier de résiliation de la société Perspectives du 5 janvier 2016,
constater que les dispositions de l'article L. 442-6 concernant le déséquilibre significatif ne s'applique pas au contrat litigieux compte tenu de sa date de signature,
constater que l'article XVI du contrat qui pose le principe d'une indemnité de résiliation en cas de sortie anticipée du contrat à durée indéterminée ne crée pas déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
dire et juger que la rupture du contrat est intervenue en raison d'une faute grave de la société Alsamaison justifiant l'absence de préavis au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
dire et juger que les dispositions de l'article L. 442-6 concernant le déséquilibre significatif ne s'applique pas au contrat litigieux compte tenu de sa date de signature,
dire et juger que le contrat conclu le 16 février 2007 ne crée pas de déséquilibre significatif,
En conséquence :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
débouter la société Alsamaison de l'ensemble de ses demandes;
condamner la société Alsamaison à payer à la société Perspectives la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens ;
Les parties ont accepté la procédure sans audience qui leur a été proposée.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Le 16 février 2007, Perspectives a conclu un contrat de partenariat avec Alsamaison pour une durée de 5 ans tacitement reconductible pour 5 ans (article VII) dont l'objet était la concession à cette dernière du droit et de l'obligation de vendre et de construire des maisons conformes au label "Perspectives" (article I), comprenant l'usage de la marque Arlogis et du logo qui y est attaché (article III), ce contrat comportant une clause "secteur géographique", concédée en exclusivité et décrit en annexe 3 comme le département du Bas-Rhin (67), en dehors duquel Alsamaison s'est engagée à ne faire aucune proposition commerciale directe (article IV).
Par courrier du 14 septembre 2015, Alsamaison a proposé à Perspectives de mettre un terme amiable à ce partenariat compte tenu de sa réticence à son développement sur le secteur de la Moselle (57) (pièce intimée 2) en dépit de ce qui y avait déjà été initié en toute transparence.
Après divers échanges à ce sujet et par courrier du 5 janvier 2016 (pièce 6), Perspectives - faisant grief à Alsamaison d'avoir créé, en violation des dispositions contractuelles, un nouveau local à Marly (57) et prospecté sur la région Lorraine, soit dans un secteur que Perspectives n'a ni concédé ni agréé - a, conformément à l'article XVI du contrat, procédé à la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Alsamaison de ce chef et lui a facturé :
- l'indemnité de résiliation contractuelle correspondant aux deux dernières années de redevances fixes, informatiques et de démarrage, soit de janvier 2014 à décembre 2015
- les prestations liées à internet, à Médiapost et au site « le bon coin », jusqu'à leur terme.
Le 5 février 2016, Alsamaison a assigné la société Perspectives en référé devant le président du tribunal de commerce de Lyon aux fins de rétablissement de ses accès internet et droits d'utilisation de la marque Arlogis, se prévalant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par ordonnance du 2 mars 2016, le président du tribunal de commerce de Lyon a ordonné à la société Perspectives de réactiver les codes internet jusqu'au 17 février 2017, terme contractuel. La société Perspectives a formé un recours contre cette décision devant la Cour d'appel de Nancy qui s'est déclarée incompétente au profit de la cour d'appel de Paris.
En parallèle, dès le 11 février 2016, la société Perspectives avait assigné la société Alsamaison en paiement de l'indemnité de résiliation prévue au contrat, devant le tribunal de commerce de Lyon qui a rendu le jugement entrepris.
1- Sur la nullité du jugement entrepris
Vu les articles 16 et 78 du code de procédure civile,
Alsamaison prétend, au soutien de cette demande en nullité du jugement entrepris, ne pas avoir reçu d'injonction de conclure au fond et en déduit, au visa de ces textes, la nullité du jugement entrepris qui a statué, dans une même décision, sur la compétence contestée et au fond, alors, précisément, qu'elle n'avait pas conclu au fond.
Toutefois, Perspectives produit en pièce 13 les injonctions de conclure adressées par le greffe du tribunal de commerce de Lyon le 12 janvier 2018, sans observation d'Alsamaison dont les conclusions d'appel sont pourtant postérieures à celles de Perspectives.
Cette demande ne peut donc prospérer.
2 - Sur la compétence
Vu l'article 954 alinéa 3 du Code de procédure civile, selon lequel la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif,
Vu le dispositif des conclusions d'Alsamaison, la Cour n'est saisie d'aucune prétention du chef de la compétence.
Elle ne peut donc que confirmer le jugement entrepris de ce chef qui ne comporte aucune disposition contraire à l'ordre public quant à la compétence du tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur les demandes de Perspectives fondées sur le droit commun contractuel qu'il a tranchées en l'absence de demandes reconventionnelles d'Alsamaison qui n'a pas cru devoir satisfaire à l'injonction de conclure de ce tribunal et le saisir de telles demandes éventuellement fondées sur la rupture brutale et le déséquilibre significatif.
En effet, il est constant que le tribunal de commerce de Lyon est désigné par la clause attributive de compétence de l'article 20 du contrat de partenariat litigieux, régularisé le 16 février 2007 entre les parties, en leur qualité de sociétés commerciales et tacitement reconduit pour 5 ans à son échéance et que cette clause se lit ainsi : « en cas de contestation sur l'interprétation des présentes et sur leur application, les parties contractantes font attribution de juridiction au tribunal de commerce de Lyon ».
3 - Sur l'imputabilité de la rupture
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, applicable en l'espèce, dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. (...) Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution de ses obligations par l'autre partie ou en cas de force majeure.
Alsamaison soutient que la rupture est imputable à Perspectives qui ne disposait pas d'un motif suffisamment grave pour résilier le contrat et qu'elle est brutale au sens de cet article, faute de préavis suffisant, soit 10 jours au vu du courrier de Perspectives du 5 janvier 2016 - au regard de l'ancienneté de la relation commerciale des parties (8 ans et 10 mois), comme des circonstances résultant des discussions alors en cours quant au développement géographique de son activité ainsi qu'en attestent les courriers intervenus depuis son offre de résiliation amiable du contrat le 14 septembre 2015.
Cependant, Perspectives fait justement valoir que la résiliation de contrat est intervenue le 5 janvier 2016 (sa pièce i 6), conformément à l'article 16 du contrat intitulé "résiliation" qui la prévoit expressément par simple lettre pour « non-respect de prospection uniquement dans la zone conférée ».
En effet, d'une part ce manquement, malgré mises en garde des 28 juillet 2015, 23 octobre 2015 et 9 décembre 2015 dont les deux dernières sont restées sans réponse (pièces appelante 4, 5 et 9), résulte du rapport de M. X, enquêteur privé et d'une liste des 28 chantiers hors du département concédé (pièces intimée 7 et 8) qu'Alsamaison ne discute pas.
D'autre part, la tolérance de Perspectives qu'elle invoque dans sa lettre du 14 septembre 2015 sollicitant une résiliation anticipée amiable du contrat, ne suffit pas à établir le manque de gravité de ce manquement, compte tenu des observations, notamment relatives à l'indemnité de résiliation anticipée, émises à deux reprises en réponse à cette offre de pourparlers du 14 septembre 2015.
Enfin, cette demande de résiliation amiable est formulée sans plus de précision quant à ses termes envisageables au regard des dispositions contractuelles, ainsi dûment rappelées par Perspectives dans ses lettres précitées des 23 octobre et 9 décembre 2015 auxquelles Alsamaison n'a donné aucune suite. Par conséquent, Alsamaison ne prétend pas utilement à une rupture brutale de pourparlers résultant du courrier de résiliation du 5 janvier 2016, peu important le préavis de 10 jours qu'il contient en l'état de la violation de la clause du contrat de partenariat relative à la concession d'un secteur géographique déterminé, qui rompt sans justifications suffisantes l'équilibre initial du contrat dont la poursuite est ainsi rendue impossible du fait d'Alsamaison.
Sa demande tendant à voir imputer cette rupture à Perspectives et à voir en conséquence rejeter les demandes pécuniaires de celle-ci à ce titre, ne peut donc être accueillie.
4 - Sur le déséquilibre significatif
Par application de l'article L. 442-6-I 2° et 4° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur le fait par tout commerçant :
2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Alsamaison soutient au visa de ce texte que la clause relative à l'indemnité de rupture à laquelle elle a été condamnée en application de l'article XVI du contrat par le jugement entrepris constitue un déséquilibre significatif, en l'absence de marge de négociation de cette clause résultant d'une convention unique, pré-rédigée qui prévoit au surplus des indemnités asymétriques selon l'auteur de la rupture, soit deux ans de redevances pour l'adhérent contre une seule année pour le prestataire.
Perspectives soutient que les dispositions sur le déséquilibre significatif ne sont pas applicables au contrat signé avant leur entrée en vigueur le 1er janvier 2009, qu'en tout état de cause aucune disposition contractuelle n'a fait l'objet du moindre grief d'Alsamaison et que la clause de résiliation qui permet à l'adhérent de résilier le contrat à son gré avant son terme n'est pas déséquilibrée.
La Cour retient ce qui suit.
Ces dispositions légales sont applicables au contrat de partenariat litigieux tacitement reconduit le 16 février 2012, soit postérieurement au 1er janvier 2009, dès lors qu'il est constant que cette reconduction a donné naissance à sa date à une nouvelle convention bien qu'elle soit soumise aux mêmes conditions que le contrat initial.
Pour autant, l'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique au vu de ce qui précède la démonstration de l'absence de négociation effective de la clause incriminée. A cet égard, si la puissance économique d'une partie par rapport à l'autre peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre elles, ce seul élément ne peut suffire et doit être complété par d'autres indices établissant l'absence de négociation effective.
Or, Alsamaison n'étaye son affirmation quant à l'élément de soumission d'aucune offre de preuve de ce qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de contracter sans alternative possible ou qu'elle a tenté, vainement, d'obtenir la suppression ou la modification de cette clause dans le cadre de négociations, notamment après le 14 septembre 2015, ainsi qu'il a été vu au point précédent.
Sa demande ne peut donc prospérer.
5- Sur les demandes accessoires
Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile, Alsamaison, partie perdante, doit supporter la charge des dépens et l'équité commande de la condamner à payer à Perspectives l'indemnité de procédure ci-dessous.
Par ces motifs : LA COUR, Rejette la demande tendant à la nullité du jugement entrepris ; Confirme le jugement entrepris de ses chefs contestés ; y ajoutant, Rejette les demandes de la société Alsamaison fondées sur la rupture brutale du contrat de partenariat litigieux et le déséquilibre significatif résultant de la clause relative à l'indemnité de rupture anticipée ; Condamne la société Alsamaison aux dépens d'appel ; La Condamne à payer à la société Perspectives une indemnité de procédure complémentaire de 3 000 euros et rejette toute autre demande.