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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 10 juillet 2020, n° 17-22520

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SFR (SA), Sagemcom Broadband (SAS)

Défendeur :

Stmicroelectronics (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bel

Conseillers :

Mmes Cochet-Marcade, Moreau

Avocats :

Mes Fertier, Clédat, Archambault, Boccon Gibod, Lecat, Chapuy, Collette, Vilotte

T. com. Paris, du 13 nov. 2017

13 novembre 2017

Faits et procédure

La Société Française du Radiotéléphone (ci-après, la société SFR) est un opérateur de téléphonie mobile et fournisseur d’accès à internet (« FAI ») du groupe Altice. Elle fournit à ses utilisateurs des abonnements à la téléphonie mobile ainsi que des contenus dits « triple play » (internet, télévision, téléphonie fixe).

La société Sagemcom Broadband (ci-après, la société Sagemcom) appartenant au groupe Sagemcom intervient dans les secteurs d’activités de la télévision numérique et du haut débit à travers le développement et la commercialisation de décodeurs TV numériques.

La société Stmicroelectronics est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de composants électroniques et fabrique notamment à ce titre des puces électroniques à destination de boîtiers décodeurs TV.

A partir de 2006, les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont développé une relation commerciale portant sur le développement et la fabrication par la société Stmicroelectronics de puces électroniques (ou chipset) et de logiciels de fonctionnement desdites puces (ou software), en vue de leur commercialisation à la société Sagemcom, pour que celle-ci les intègre dans des décodeurs TV vendus à différents opérateurs parmi lesquels SFR.

Les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont formalisé leur relation commerciale dans un contrat signé en 2007 avec effet rétroactif à 2006.

Suite à une consultation de la société SFR auprès de plusieurs acteurs du marché, les trois sociétés ont commencé à travailler en étroite collaboration à compter d’avril 2015 pour développer une nouvelle génération de puces (STiH318 devant être intégrée dans le décodeur Zapper et STiH418 devant être intégrée au décodeur OneBox FttH) et de logiciels destinés à être intégrés dans de nouveaux décodeurs de technologie « 4K » que la société Sagemcom devait fabriquer pour répondre aux besoins exprimés par la société SFR.

Le 27 janvier 2016, la société Stmicroelectronics N.V., maison mère de la société Stmicroelectronics, a annoncé dans un communiqué de presse sa volonté de cesser le développement de nouveaux produits pour le marché des décodeurs.

Les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord sur les modalités de poursuite de leur collaboration sur ce projet.

Estimant que cet arrêt de collaboration avait été décidé et mis en œuvre au mépris de leurs droits, les sociétés SFR et Sagemcom ont assigné la société Stmicroelectronics devant le Tribunal de commerce de Paris par acte du 29 juillet 2016.

Par jugement assorti de l’exécution provisoire en date du 13 novembre 2017, le Tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société Sagemcom de l’ensemble de ses demandes ;

- Débouté la société SFR de l’ensemble de ses demandes ;

- Condamné la société Sagemcom à payer à la société Stmicroelectronics la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la société SFR à payer à la société Stmicroelectronics la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- Condamné in solidum la société Sagemcom et la société SFR aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 137,65 euros dont 22,73 euros de TVA.

Sur la rupture brutale des relations commerciales alléguée, le tribunal a considéré que le changement opéré dans ses prétentions financières par la société Stmicroelectronics après janvier 2016, devait être analysé comme une rupture, les nouvelles conditions ne pouvant être considérées comme un simple ajustement. Il a également retenu que la relation visée consistait en la mise au point technique d’un composant nouveau qui ne faisait pas encore l’objet d’une quelconque commercialisation et ne donnait lieu à aucune facturation. Il en a déduit que, s’agissant de la phase de développement et de négociations de la technologie « 4K », les parties pouvaient éventuellement s’attendre à déboucher sur l’établissement d’une relation commerciale complémentaire mais pas sur la continuité d’un flux qui n’existait pas encore.

Le tribunal conclut alors que la relation entre les parties concernant le développement du projet « 4K » n’était pas une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et que la rupture de la phase de développement et de négociation par la société Stmicroelectronics n’engageait pas sa responsabilité au titre de cet article.

Les sociétés SFR et Sagemcom ont interjeté appel dudit jugement par déclaration au greffe en date du 13 décembre 2017, en ce qu’il a :

- Débouté la SAS Sagemcom Broadband de l’ensemble de ses demandes,

- Débouté la SA Société Française du Radiotéléphone - SFR de l’ensemble de ses demandes,

- Condamné la SAS Sagemcom Broadband à payer à la SA STMicroelectronics la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

-Condamné la SA Société Française du Radiotéléphone - SFR à payer à la SA STMicroelectronics la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

- Condamné in solidum la SAS Sagemcom Broadband et la SASociété Française du Radiotéléphone - SFR aux dépens.

Moyens et prétentions des parties :

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 31 mars 2020, les sociétés SFR et Sagemcom demandent au visa des articles L. 110-3, et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1134, 1147, 1150 et 1382 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats applicable à l’espèce et 563 et suivants du Code de procédure civile à la cour de :

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 novembre 2016 en ce qu’il a :

- débouté la SAS Sagemcom de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la SA SFR de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SAS Sagemcom à payer à la SA Stmicroelectronics la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SA SFR à payer à la SA Stmicroelectronics la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné in solidum la SAS Sagemcom et la SA SFR aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 137,65 € dont 22,73 de TVA.

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- Juger que les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont formalisé leur relation commerciale dans un contrat signé en 2007, avec effet rétroactif à 2006, indiquant que « Sagem accepte de considérer ST comme un fournisseur privilégié » ;

- Juger par conséquent que Sagemcom et Stmicroelectronics entretenaient une relation privilégiée depuis 2006 ;

- Juger que Sagemcom et Stmicroelectronics ont indiqué par e-mail en date du 30 juillet 2015 que « toutes les conditions commerciales antérieurement convenues entre ST et Sagemcom s’appliquent (accord de fourniture, accord CMI). » (SG n° 30) ;

- Constater que « Sagem accepte de considérer ST comme un fournisseur privilégié » ce qui « implique notamment des consultations privilégiées pour de nouvelles opportunités commerciales concernant de nouveaux produits de Sagem » (telle que cela est indiqué dans le contrat de 2007 à l’article 3.1 (SG n° 5) ;

- Juger par conséquent qu’il était prévu contractuellement que Stmicroelectronics répondrait à des consultations privilégiées adressées par Sagemcom et cela pour de nouveaux produits, dont la « 4K » fait partie ;

- Juger que la société Stmicroelectronics a répondu à une « consultation » et non à un appel d’offres, ce qu’elle reconnaît elle-même en indiquant dans un e-mail du 6 février 2015 à SFR : (SG n° 13) « Veuillez trouver ci-joint les offres de ST dans le cadre de votre consultation » ;

- Juger que l’état d’avancement du décodeur TV Onebox FTTH se situait entre 83 et 90 % au 27 janvier 2016, date de la rupture de la relation par la société Stmicroelectronics (SG 38) ;

- Juger que par conséquent le projet portant sur les puces de nouvelle génération 4K s’intègre dans une relation globale établie, ayant débuté en 2006, exempte d’aléa notamment sur le plan technique quant à l’issue des projets OneBox FTTH et Zapper 4K ;

- Juger que 758 puces STiH418-SUB ont été commandées (pièces Sagemcom n° 42, 42- 1 et 42-2) par Sagemcom à STMicroelectronics, livrées (pièce STM n° 53) et payées (pièces Sagemcom n° 48, 48-1, 48-2 et 55) fin 2015 et début 2016, démontrant l’existence d’un flux financier résultant de la vente des puces « 4K » à hauteur de 12 393 dollars (758 puces payées au prix unitaire de 16,35 dollars) ;

- Juger que l’existence de commandes par la société Sagemcom de nombreuses autres puces 4K (STIH418) résulte des termes même des écrits de la société STMicroelectronics et notamment de l’email du 30 mars 2016 de son salarié Rogerio Altnetter enregistrant (par suite du désengagement de l’intimée le 27 janvier 2016) l’annulation par la société Sagemcom de la commande de 33 092 puces 4K dans des termes dépourvus d’ambiguïté « Commandes pour le produit STIH418-SUB finalement annulées ; ci-jointe la confirmation envoyée à Rueil » (Pièce STM n° 53) ;

- Juger qu’il résulte des rapports de M. Hattab, expert, que parmi les 758 puces 4K terminées, livrées, facturées et payées par la société Sagemcom, 258 puces au moins ne pouvaient pas être des échantillons et, qu’en conséquence, les 33 092 puces 4K commandées (en sus des 758 puces livrées) ne pouvaient pas non plus être des échantillons (outre l’état d’avancement considérable par ailleurs du décodeur TV Onebox Ftth (STiH418) devant les intégrer) ;

- Juger la réalité de dizaines de milliers d’unités de puces 4K commandées par Sagemcom et dont, par ailleurs, les commandes n’ont pas été honorées par STMicroelectronics uniquement du fait de sa décision d’abandonner ce modèle de puce le 27 janvier 2016 (laquelle a généré l’annulation de la commande des 33 092 puces 4K) ;

- Juger que la cessation du flux financier sur les puces 4K n’a pour cause que la décision brutale de la société Stmicroelectronics d’abandonner ce modèle de puce le 27 janvier 2016 (la société Sagemcom ne payant, comme tout bon gestionnaire, qu’à hauteur de ce qui est effectivement livré) ;

- Juger qu’en parallèle du désengagement brutal de la société Stmicroelectronics, des flux financiers sur d’autres modèles de chipsets, pré-existaient à cette décision et ont continué après cette décision de la société Stmicroelectronics, ce que ne conteste pas l’intimée ;

- Juger qu’en toute hypothèse, il résulte de la jurisprudence issue de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qu’un simple flux d’affaires suffit (caractérisation d’un intérêt pécuniaire), même en l’absence de flux financier effectif ;

- Juger que la société Stmicroelectronics a rompu de manière brutale et abusive la « partie » de relation 4K de sa relation commerciale établie avec la société Sagemcom, causant un préjudice considérable à cette dernière ;

- Juger que cette rupture brutale de partie de relation commerciale établie constitue une faute ayant causé un dommage considérable à la société SFR ;

En conséquence :

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom la somme de 6,3 millions d’euros de dommages intérêts en réparation des gains manqués de celle-ci sur les décodeurs Zapper et Onebox Ftth du 27 janvier 2016 au 27 avril 2017, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom la somme de 831 000 euros de dommages intérêts au titre des frais de R&D non amortis du 27 janvier 2016 au 27 avril 2017, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société SFR la somme de 64 millions d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société SFR des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

A titre subsidiaire :

- Juger que la société Sagemcom et la société Stmicroelectronics ont indiqué par e-mail en date du 30 juillet 2015 que « toutes les conditions commerciales antérieurement convenues entre ST et Sagemcom s’appliquent (accord de fourniture, accord CMI) » (SG n° 30) ;

- Juger qu’en conséquence, les parties ont renouvelé, par écrit, ce qui était antérieurement convenu, se plaçant ainsi dans la continuité du contrat-cadre de 2007 puisqu’elles font expressément référence à un « accord de fourniture » ;

- Juger qu’en conséquence la relation portant sur les puces « 4K » n’est qu’une application de ce contrat-cadre de 2007 ;

- Juger qu’un contrat existe sur la relation « 4K » compte tenu de l’accord de volonté entre les parties ;

- Juger que la société Stmicroelectronics était soumise à des obligations de nature contractuelle concernant le développement et la commercialisation de puces et logiciels 4K ;

- Juger que la société Stmicroelectronics et la société Sagemcom se sont accordées sur le prix des puces STiH418-SUB mais aussi STiH318 par un e-mail entre Sagemcom et Stmicroelectronics du 23 décembre 2015 (SG n° 17) ;

- Juger que l’état d’avancement du décodeur TV Onebox FTTH (devant intégrer des puces 4K STiH418 elle-même terminées) se situait entre 83 et 90 % au 27 janvier 2016, date de la rupture de la relation par STMicroelectronics (pièce Sagemcom n° 38) et que, dans le même temps, la puce 4K STiH418 elle-même était certifiée Nocs par Nagravision, donc achevée, commercialisable et connaissant un début de commercialisation (le développement du logiciel accompagnant la puce 4K n’ayant cependant pas été parachevé par STMicroelectronics) ;

- Juger que 758 puces STiH418-SUB ont été commandées (pièces Sagemcom n° 42, 42-1 et 42-2) par la société Sagemcom à la société Stmicroelectronics, livrées à Sagemcom par cette dernière (pièce STM n° 53) et payées (pièces Sagemcom n° 48, 48-1, 48-2 et 55 capture SAP) par Sagemcom fin 2015 et début 2016, démontrant le début d’exécution du contrat liant la société Sagemcom et la société Stmicroelectronics sur les puces « 4K » ;

- Juger que l’existence de commandes par la société Sagemcom de nombreuses autres puces 4K (STIH418) résulte des termes même des écrits de la société STMicroelectronics et notamment de l’email du 30 mars 2016 de son salarié Rogerio Altnetter enregistrant (par suite du désengagement de l’intimée le 27 janvier 2016), l’annulation par Sagemcom de la commande de 33 092 puces 4K dans des termes dépourvus d’ambiguité « Commandes pour le produit STIH418-SUB finalement annulées ; ci-jointe la confirmation envoyée à Rueil» (pièces STM n° 53) ;

- Juger qu’il résulte des rapports de M. Hattab, expert, que parmi les 758 puces 4K terminées, livrées, facturées et payées par Sagemcom, 258 puces au moins ne pouvaient pas être des échantillons et, qu’en conséquence, les 33 092 puces 4K commandées (en sus des 758 puces livrées) ne pouvaient pas non plus être des échantillons (outre l’état d’avancement considérable, par ailleurs, du décodeur TV Onebox Ftth (STiH418) devant les intégrer) ;

- Juger que la réalité de dizaines de milliers d’unités de puces 4K commandées par la société Sagemcom, et dont, par ailleurs, les commandes n’ont pas été honorées par la société STMicroelectronics uniquement du fait de sa décision d’abandonner ce modèle de puce le 27 janvier 2016 (laquelle a généré l’annulation de commande des 33 092 puces 4K) ;

- Juger que la société Stmicroelectronics a fait preuve d’une inertie délibérée et téméraire consistant à ne pas informer personnellement et bien en amont les sociétés Sagemcom et SFR de son désengagement, et à accepter, sans justification valable, la réalisation certaine du dommage au détriment de son cocontractant ;

- Juger que la société Stmicroelectronics a commis une inexécution téméraire et dolosive de ses obligations contractuelles envers la société Sagemcom, lui causant un préjudice considérable, dont, par son abstention délibérée, elle avait parfaitement conscience ;

- Juger que cette inexécution contractuelle constitue une faute ayant causé un préjudice également considérable à SFR ;

En conséquence :

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom la somme de 11,7 millions d’euros au titre du gain manqué sur la durée prévue de commercialisation des décodeurs Zapper et Onebox FTTH, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom la somme de 95 000 euros de dommages intérêts au titre des frais de R&D non amortis entre avril et décembre 2016, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société SFR la somme de 64 millions d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société SFR des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Juger que la société Stmicroelectronics et la société Sagemcom étaient parvenues à un stade extrêmement avancé des pourparlers ;

- Juger que la société Stmicroelectronics a rompu de manière abusive et brutale ces pourparlers, causant un préjudice à la société Sagemcom ;

- Juger que cette rupture abusive constitue une faute ayant causé un préjudice à la société SFR ;

En conséquence :

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom la somme de 1,993 million d’euros au titre de la rupture abusive des pourparlers, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à SFR la somme de 64 millions d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé, outre les intérêts légaux à compter de la date de l’assignation ;

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à SFR des dommages intérêts au titre du préjudice d'image (pour mémoire) ;

En tout état de cause :

- Condamner la société Stmicroelectronics à payer à la société Sagemcom et à la société SFR la somme de 500 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en ce incluses, les dépenses de conseils depuis 4 ans ainsi que les dépenses engagées au titre des expertises amiables financières et techniques ;

- Condamner la société Stmicroelectronics aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Fertier pour ceux le concernant.

1. A titre principal, sur la rupture brutale par la société Stmicroelectronics d’une partie de la relation commerciale établie avec la société Sagemcom :

Les appelantes rappellent qu’une relation commerciale au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s’apprécie dans son ensemble. Elles ajoutent qu’il est artificiel de dissocier deux aspects de la relation entretenue entre les deux parties à savoir, d’une part, la production et commercialisation des puces de seconde génération dites « puces HD » encadrées par un accord de 2006, et d’autre part le développement et la commercialisation de puces de la génération suivante dites « puces 4K ». Elles soulignent que selon le tribunal, la relation commerciale établie a pour objet large « la fourniture de composants électroniques », ce qui comprend les puces 4K.

Elles font valoir que les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics entretiennent une relation commerciale depuis 2006, formalisée en 2007 par la conclusion d’un contrat à effet rétroactif, et que la société Stmicroelectronics est devenue un fournisseur incontournable pour la société Sagemcom.

Elles répliquent à l’intimée qu’il existe une unité juridique, à supposer ce critère pertinent, entre la partie de la relation issue de l’accord de 2007 et le prolongement naturel de cette relation visant à moderniser, développer et commercialiser les puces 4K, dans la continuité d’une adaptation technologique permanente. Elles estiment en effet que le développement de nouvelles versions de puces était bien compris dans le champ de l’application du contrat- cadre de 2007.

Les appelantes soutiennent en outre qu’une relation commerciale établie peut s’espacer dans le temps et que les puces litigieuses de 3ème génération ne sont que la continuité technologique des puces de seconde génération, ce qui permet d’affirmer qu’il s’agit de produits de nature identique. Elles ajoutent que les phases technologiques émaillant la relation commerciale établie, que ce soit en 2006 ou en 2015, ont précisément les mêmes objectifs : développer des puces afin de commercialiser ensuite des décodeurs les intégrant.

Elles en concluent que pour appréhender la partie de la relation objet de la rupture, il y a lieu de considérer la relation commerciale dans son ensemble dont cette partie était une composante.

Sur le caractère établi de la relation commerciale, elles considèrent que :

- le caractère suivi de la relation est manifeste, les deux sociétés ayant travaillé ensemble de façon continue depuis 2006,

- la stabilité de la relation est également incontestable au regard du chiffre d’affaires considérable qu’ont réalisé ensemble les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics durant les dix dernières années.

- le caractère habituel de la relation ressort des méthodes de travail des parties, notamment des habitudes de coopération entre ingénieurs et commerciaux des deux sociétés.

Elles ajoutent que cette relation commerciale était de nature à placer la société Sagemcom dans la croyance légitime de sa poursuite dans la durée. Elles soulignent qu’un flux d’affaires existait bien entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics au titre du projet 4K puisque des bons de commande et des ordres de paiement ont été produits au débat, démontrant la présence d’un flux financier.

Elles soutiennent que la relation est exempte d’aléa, et que la société Sagemcom n’a pas eu recours à un processus d’appel d’offres, mais à une consultation technique et financière ponctuelle, dans le but d’obtenir des informations sur les capacités techniques et le coût financier du développement et de la commercialisation des puces 4K. Elles estiment en tout état de cause que le recours ponctuel à l’appel d’offre n’est pas de nature à porter atteinte au caractère établi d’une relation commerciale et qu’une appréciation au cas d’espèce est nécessaire pour déterminer si cela a réellement précarisé la relation. Elles rappellent, en outre, que l’article 3.1 du contrat-cadre de 2007 prévoit que « SAGEM accepte de considérer ST comme un fournisseur privilégié, ce qui implique notamment des consultations privilégiées pour de nouvelles opportunités commerciales concernant des nouveaux produits de SAGEM ».

Elles invoquent encore l’absence d’aléa technique quant à l’issue des projets OneBox FTTH et Zapper. Elles expliquent que l’état d’avancement du projet OneBox FTTH au moment du désengagement de la société Stmicroelectronics se situait à un niveau compris entre 83 % et 90 %, et que le projet Zapper portant sur la partie set-top box de la OneBox FTTH ne nécessitait qu’une légère modification de cet élément. Elles ajoutent que la certification a été obtenue le 2 décembre 2015, soit de nombreuses semaines avant la rupture, et que la société Stmicroelectronics ne démontre pas qu’il existait un aléa sérieux sur cette obtention.

Elles contestent également l’affirmation de l’intimée selon laquelle les commandes passées porteraient sur des échantillons au motif que l’état de développement des puces n’était pas suffisant pour qu’il puisse s’agir de véritables commandes. Elles prétendent au contraire que le développement des puces était quasiment achevé et que les produits commandés par la société Sagemcom étaient bien des produits finis.

Elles considèrent alors que l'abandon brutal par l'intimée de la production et de la commercialisation des puces constitue une rupture partielle de la relation commerciale établie et soutiennent que le l’existence d’un « flux financier » ne constitue pas un critère d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et que l’intimée entretient une confusion volontaire entre le flux d’affaires et le flux financier. Elles en concluent que l’absence ponctuelle de facturation n’est pas suffisante pour écarter l’existence d’une relation commerciale établie.

Les appelantes affirment qu’en toute hypothèse, un flux d’affaire existait bien entre les sociétés Stmicroelectronics et Sagemcom, puisque le projet portant sur les puces de nouvelle génération s’intégrait dans une relation globale ayant débuté en 2006, et que ce flux portait sur plusieurs millions d’euros chaque année depuis 10 ans. Elles font valoir que des commandes de plusieurs dizaines de milliers de puces de troisième génération ont été passées par la société Sagemcom soit dix commandes pour un total de 33 850 puces, 758 à 16,35 dollars l’unité et 33 092 à 16,05 dollars l’unité, soit 543 520,90 dollars (12 393+531 126,60), élevant la somme totale à plus d’un demi-million de dollars. Elle estime que la société Stmicroelectronics ne peut raisonnablement soutenir que 10 commandes, pour un total de 33 850 puces, portent seulement sur des échantillons.

Les appelantes considèrent que le désengagement sans préavis de la société Stmicroelectronics caractérise la rupture et sa brutalité. Elles expliquent en effet que la société Stmicroelectronics n’a jamais notifié à la société Sagemcom, en violation de l’article susvisé, sa volonté d’abandonner le marché des puces et des logiciels de sécurité 4K. Elles estiment qu’en ayant accepté de développer cette technologie et conduit le développement quasiment jusqu’à son terme, puis en abandonnant ses partenaires, la société Stmicroelectronics a délibérément manqué aux exigences de loyauté et de bonne foi.

Elles ajoutent que le fait que la rupture ne porte que sur la partie de la relation commerciale établie (rupture dite partielle) n’est pas de nature à écarter l’application de l’article L. 442- 6, I, 5° du Code de commerce.

Elles invoquent l’absence de cause exonératoire de responsabilité de la société Stmicroelectronics. Elles font valoir que l’augmentation des commandes de puces de 2ème génération dont la société Sagemcom souhaitait pourtant cesser progressivement les commandes s’explique par la nécessité de pallier l’indisponibilité des puces de 3ème génération. Elles considèrent que « les circonstances macroéconomiques parfaitement justifiables » invoquées par la société Stmicroelectronics ne permettent pas d’expliquer son retrait brutal, et que l’intimée ne peut sérieusement faire état de difficultés économiques alors que ses résultats financiers lui ont permis d’intégrer le CAC 40 en septembre 2017.

Elles relèvent en outre que la rupture partielle est imputable à la société Stmicroelectronics dès lors que sa proposition alternative transmise à la société Sagemcom le 19 février 2016 était composée de conditions tarifaires et techniques nouvelles qu’elle savait inacceptables.

Elles expliquent que cette proposition alternative avait pour conséquence de forcer la société Sagemcom et la société SFR à « internaliser » un pôle de compétence construit autour d’une technologie spécifique à la société Stmicroelectronics qui n’avait plus d’avenir du fait de son désengagement du marché. Elles ajoutent que l’annulation des commandes en cours par la société Sagemcom n’est pas de nature à exonérer la société Stmicroelectronics de sa responsabilité, cette annulation ayant été faite quelques jours seulement après l’annonce litigieuse de la société Stmicroelectronics et ne faisant que prendre acte de celle-ci.

S’agissant de la réparation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, les appelantes insistent sur le sérieux de la méthode utilisée par la société Sagemcom pour évaluer son préjudice grâce au travail de son expert financier qui a utilisé une méthodologie conforme à celle applicable dans le cadre d’une rupture brutale des relations commerciales établies.

Elles expliquent que les variations de demandes entre les différents jeux d’écritures ne sont que le reflet du fait que l’expert financier ait pris en compte les nouveaux éléments mis à sa disposition.

Elles estiment que la société Sagemcom a été privée d’un gain manqué sur la période de préavis de 15 mois qui aurait dû lui être accordée, soit du 27 janvier 2016 au 27 avril 2017.

Elles considèrent que la durée de 9 années et 10 mois de relation commerciale établie justifie un préavis de 10 mois auquel doit être appliqué un coefficient multiplicateur de 1,5 compte tenu de :

- la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la société Sagemcom vis-à-vis de la société Stmicroelectronics puisqu’entre 2006 et 2015, 73 % des ventes de décodeurs de la société Sagemcom intégraient des puces de la société Stmicroelectronics,

- l’importance des investissements effectués, soit 1 993 000 euros de frais de recherche et développements engagés par la société Sagemcom depuis avril 2015,

- la notoriété des puces Stmicroelectronics pour la fabrication de décodeurs et leur caractère difficilement substituable.

Elles ajoutent que ce gain manqué correspond à la marge théorique que la société Sagemcom pouvait escompter de la poursuite de sa relation avec la société Stmicroelectronics sur cette période. Elles font valoir que le montant de la marge théorique escomptée durant la période de préavis est lié au volume de ventes théoriques de la société Sagemcom de décodeurs Zapper et Onebox FTTH, et qu’il est estimé entre 4,2 millions et 6,3 millions d’euros. Elles expliquent en effet que cette marge sur coûts variables perdue correspond au prix de vente des décodeurs TV, après déduction des coûts variables nécessaires à leur fabrication/commercialisation et économisés du fait de l’absence de production et de vente.

Elles estiment que la date d’avril 2016 à laquelle la société Sagemcom planifiait les premières ventes de décodeurs OneBox FTTH, soit 3 mois après la rupture, est parfaitement réaliste au regard de l’état d’avancement du projet OneBox FTTH, par comparaison à l’état d’avancement du projet Zapper trois mois avant sa commercialisation.

Elles soutiennent que la commande de décodeurs HD par SFR a été provoquée pour remplacer les décodeurs 4K brutalement abandonnés par la société Stmicroelectronics, et que cette commande doit donc être prise en compte dans le calcul de la perte de marge.

Elles précisent que la société SFR avait totalement arrêté de commander des box munies de puces de 2ème génération dès avril 2015 dans la perspective de la commercialisation de sa nouvelle box 4K, et que la reprise des commandes de puces de 2ème génération entre janvier et octobre 2016 n’est intervenue que pour pallier l’absence de puces de 3ème génération.

Elles prétendent encore que la société Sagemcom a subi des surcoûts liés à la brutalité de la rupture pour un montant de 831 000 euros. Elles expliquent que ces surcoûts sont liés à l’impossibilité d’amortir, sur la durée du préavis, une perte des coûts de recherche et développement dédiés aux projets Onebox FTTH et Zapper. Elles précisent que ces coûts ne sont pas réutilisables dès lors qu’un changement de puce implique nécessairement la refonte totale des développements de matériels, la société Sagemcom ayant dû changer de fournisseur de puces 4K.

Les appelantes soutiennent que la société SFR doit également être indemnisée en sa qualité de victime indirecte de l’ensemble des préjudices résultant de la rupture brutale commise par la société Stmicroelectronics.

Elles font valoir que la société SFR était le bénéficiaire final de la relation commerciale rompue brutalement par la société Stmicroelectronics. Elles expliquent que cette rupture a contraint la société SFR à abandonner le projet Onebox FTTH quasiment achevé alors que les nouveaux décodeurs devaient être commercialisés dès le printemps 2016, et à rechercher en urgence un nouveau fabricant susceptible de leur fournir une puce pour le projet de décodeur Zapper dont il a fallu adapter l’architecture. Elles ajoutent que la société Sagemcom n’a alors pu commencer à fournir la société SFR en décodeurs 4K qu’à compter du mois de novembre 2016 et que cette dernière a été contrainte, dans l’intervalle, de s’approvisionner en décodeurs de 2ème génération pour continuer à assurer la fourniture de décodeurs TV à ses abonnés.

Elles fondent les prétentions indemnitaires de la société SFR sur plusieurs rapports d’évaluation de son préjudice établis le cabinet Eight Advisory selon lesquels celui-ci s’élève à la somme de 64 millions d’euros et correspond aux postes suivants :

- Perte de 258 308 abonnés et perte de valeur d’abonnés fixe (FTTH et ADSL) pour 54,1 millions d’euros ;

Surcoût de 8,5 millions d’euros relatif à l’achat d’équipements obsolètes ;

- Coûts de recherche et développement perdus du seul fait de la désaffection de la société Stmicroelectronics pour un montant de 1,4 millions d’euros.

Elles affirment que la méthodologie employée par le cabinet Eight Advisory ne conduit pas à des doublons, que les 2 postes de préjudices (gains manqués et coûts de R&D) ont été évalués séparément et que le préjudice subi par la société SFR du fait des manquements de la société STMicroelectronics a été établi par comparaison entre la situation réelle de la société SFR et sa situation théorique en l’absence de faute. Elles précisent qu'il n'est pas incohérent que le préjudice de la société SFR soit plus important que celui de la société Sagemcom compte tenu de la perturbation de l’activité commerciale de l'opérateur causée par les manquements de la société Stmicroelectronics. Elles soulignent enfin que l’évolution de la demande de la société SFR entre la première instance et l’appel démontre son caractère sérieux et sa cohérence avec les calculs des experts financiers.

Sur la perte d’abonnés et la perte de valeur d’abonnés fixe (54,1 millions d’euros), les appelantes estiment que le lien de causalité entre cette perte et le retard de la commercialisation des décodeurs TV 4K est établi de façon sérieuse, le calcul de la perte d’abonnés effectué ne pouvant être remis en cause, que la période considérée dans ledit calcul est pertinente, et que la prétendue mauvaise qualité des services de SFR n’est justifiée que par des coupures de presse qui ne sont pas de nature à remettre en question l’analyse rigoureuse faite par le cabinet Eight Advisory.

Concernant le surcoût relatif à l’achat d’équipements obsolètes pour 8,5 millions d’euros, les appelantes affirment que le lien de causalité entre l’achat des décodeurs STB6 et les retards de commercialisation des décodeurs Onebox FTTH et Zapper 4K est démontré, la société SFR ayant cessé de s’approvisionner en décodeurs STB6 dès le mois d’avril 2015 et été contrainte de reprendre les commandes desdits décodeurs de janvier à octobre 2016 afin de pallier l’absence de décodeurs Onebox FTTH et Zapper 4K.

Elles exposent enfin que la société SFR a mobilisé en pure perte les ingénieurs de ses équipes de recherche et développement pendant plusieurs mois, lesquels ont dû recommander leurs travaux avec le remplaçant de la société Stmicroelectronics, en l’occurrence Broadcom.

2. Sur la recevabilité des demandes subsidiaires et infiniment subsidiaires des sociétés SFR et Sagemcom

Les appelantes soutiennent, à titre principal, qu’elles peuvent développer au soutien de leurs prétentions des moyens de droit nouveaux en cause d’appel, conformément à l’article 563 du Code de procédure civile. Elles expliquent que l’objet de leurs prétentions n’est pas de substituer devant la cour d’appel un droit différent de celui dont elles se sont prévalues en première instance, mais toujours d’analyser les conditions et conséquences du désengagement de la société Stmicroelectronics quelle que soit la qualification juridique retenue.

Elles rappellent ensuite que les prétentions ne sont pas nouvelles en appel lorsqu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, conformément à l’article 565 du Code de procédure civile. Elles soutiennent qu’en l’espèce, leurs prétentions en appel tendent à la même fin qu’en première instance c’est à dire la condamnation du fournisseur de puces à des dommages et intérêts. Elles ajoutent que les fautes reprochées à la société Stmicroelectronics sont bien les mêmes qu’en première instance puisque c’est bien le désengagement brutal de cette dernière qui est mis en cause, que « l’appréciation juridique des faits » invoquée par l’intimée n’est autre que le fondement juridique des prétentions qui peut être nouveau d’après les articles 563 et 565 du Code de procédure civile, et que la différence de quantum du préjudice réclamé ne justifie pas de déclarer irrecevables les prétentions des appelantes.

3. A titre subsidiaire, sur l’inexécution intentionnelle du contrat de développement et de commercialisation de produits 4K caractérisant une faute dolosive de la société Stmicroelectronics :

Les appelantes affirment que la société Stmicroelectronics a reconnu l'exisence d'un contrat les liant concernant la puce 4K en reprochant à la société Sagemcom l'annulation de commandes. Elles ajoutent qu’un contrat entre les sociétés Stmicroelectronics et Sagemcom s’est formé le 15 avril 2015 ayant pour objet le développement et la commercialisation des puces 4K. Elles soutiennent en effet qu’une offre en date du 6 février 2015 a bien été émise par la société Stmicroelectronics à la suite d’une consultation des acteurs du marché des puces électroniques le 5 février 2015, et que cette offre portait sur le développement en vue de la commercialisation de puces 4K destinées au lancement de nouveaux décodeurs par la société SFR. Elles prétendent que la société Stmicroelectronics a reçu le 15 avril 2015 une acceptation pure et simple de son offre marquant très clairement la fin de la phase précontractuelle. Elles ajoutent que l’engagement de la société Stmicroelectronics pour le projet 4K s’inscrit dans le sillage du contrat de 2007 qui, dans ses stipulations, prend en compte la nécessaire adaptation des composants du fait de la perpétuelle évolution du marché des puces. Elles en concluent que le contrat de 2007 est un contrat cadre dont le projet de développement et de commercialisation des puces 4K n’est qu’une application.

Elles estiment qu’en toute hypothèse, indépendamment de l’existence dudit contrat-cadre de 2007, il n’est pas contestable qu’un accord de volonté portant sur le développement et la commercialisation des puces 4K est né entre les parties en avril 2015, s’intégrant dans le flux d’affaires engagé depuis 2006. Elles rappellent en outre que l’absence de contrat écrit n’est pas de nature à nier l’existence d’un contrat et que le contrat de 2007 avait ainsi été formalisé par écrit un an après son entrée en vigueur, signe d’un usage de confiance entre les partenaires.

Elles ajoutent que le contrat de licence évoqué par la société Stmicroelectronics était sur le point d’être signé et qu’il aurait pu, tout comme le précédent contrat de licence conclu entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics, produire ses effets rétroactivement.

Elles précisent en outre que, dans cette perspective, un contrat de licence provisoire avait été prévu, permettant de faire fonctionner sans délai la puce fabriquée par la société Stmicroelectronics. Elles prétendent par ailleurs que la « Fuse Map », prérequis à la production des produits en masse, a été validée le 16 juillet 2015 pour la puce STiH418-SUB et le 25 janvier 2016 pour la puce STiH318.

Elles invoquent encore l’existence de commandes en exécution du contrat, prouvées par les bons de commande et les ordres de paiement de la société Sagemcom à la société Stmicroelectronics. Elles affirment que les commandes passées, qui comportaient des références et des quantités précises, portaient en plus des 758 puces commandées, livrées, facturées et payées, sur un total de 33 850 puces 4K à 16,35 dollars l’unité pour les 758 premières puces et 16,05 dollars l’unité pour les 33 092 suivantes soit un total de 543 520,90 dollars. Elles soutiennent qu’il ne s’agissait pas d’échantillons mais bien de produits finis, et que des puces ont bien été livrées par la société Stmicroelectronics à la société Sagemcom à la suite de ces commandes, attestant qu’il existait une relation contractuelle entre les deux parties.

Elles considèrent que la société Stmicroelectronics était tenue aux obligations contractuelles suivantes : la mise au point des puces 4K et d’un logiciel permettant leur fonctionnement et la fabrication de celles-ci pour leur commercialisation à la société Sagemcom qui les distribue à son tour au client final, la société SFR. Elles ajoutent qu’il existait également un accord sur le prix définitif des puces, les quantités et la date de leur commercialisation.

Les appelantes font valoir qu’en annonçant brutalement son arrêt d’activité, la société Stmicroelectronics a violé délibérément ses obligations contractuelles puisqu’elle a abandonné les projets Onebox FTTH et Zapper 4K alors que le développement des puces 4K était terminé et qu’il n’existait aucun aléa quant à la faisabilité des dernières finitions à apporter, ce qui est confirmé par l’ « offre alternative » émanant de la société Stmicroelectronics le 19 février 2016. Elles précisent qu’il importe peu que cette société ait continué à travailler sur le développement des puces après son annonce du 27 janvier 2016 puisque l’absence de mise à disposition du produit et son désengagement de la maintenance des projets, continuité inhérente au développement, est constitutif d’une inexécution dolosive. Elles ajoutent que l’annonce par la société Stmicroelectronics de son retrait a également empêché l’achèvement du logiciel et la signature de la licence, en violation de ses engagements contractuels, que la société Stmicroelectronics n’a pas non plus exécuté son obligation de fabrication en série alors que plus de 30 000 puces ont été commandées par la société Sagemcom, et qu’elle n’a jamais procédé à la commercialisationen série des puces 4K attendues par la société Sagemcom. Selon les appelantes cette inexécution caractérise, de la part de la société Stmicroelectronics, une faute dolosive d’une gravité exceptionnelle, confinant à la faute « lucrative ».

Les appelantes rappellent qu’aux termes de l’article 1231-3 du Code civil, seul le dommage prévisible peut être réparé, sauf à ce que le comportement du débiteur soit constitutif d’une faute lourde ou dolosive de la rupture, ce qui est le cas en l’espèce. Elles insistent sur le caractère sérieux de l’évaluation de son préjudice par la société Sagemcom qui fait valoir que la méthodologie employée par son expert financier est conforme à celle applicable dans le cadre de l’inexécution contractuelle.

Elles soutiennent tout d’abord que la société Sagemcom a éprouvé un gain manqué sur les ventes des décodeurs Zapper et Onebox FTTH qui est issu :

- de la marge manquée sur les ventes non réalisées des décodeurs,

- de la baisse de la marge unitaire sur les ventes réelles du décodeur Zapper.

Elles expliquent que le préjudice correspond à la différence entre la situation théorique et la situation réelle de Sagemcom sur la période allant d’avril 2016 à décembre 2018, sachant que les volumes de ventes théoriques et réels se basent sur les ventes réelles de box en 2016 et 2017 et sur les commandes prévisionnelles de la société SFR pour l’année 2018.

Elles indiquent que la marge réelle de la société Sagemcom sur la période prévue de commercialisation s’élève à 16,6 millions d’euros, et que son préjudice s’élève à un montant compris entre 9,8 millions d’euros en fourchette basse et 11,7 millions en fourchette haute.

Elles précisent que le volume théorique de décodeurs vendus est également calculé en considération des abonnés perdus par la société SFR résultant de la désorganisation du calendrier de commercialisation de ses décodeurs 4K. Elles considèrent que la perte estimée de 258 000 abonnés est conforme à l’évolution du marché et des déploiements Très Haut

Débit par la société SFR. Elles ajoutent qu’au moment des faits, en 2016, la 4K représentait une évolution du marché dont le développement était suffisamment présent pour qu’elle constitue un levier commercial majeur.

Elles soutiennent, par ailleurs, que la société Sagemcom a subi des surcoûts liés à l’inexécution dolosive du contrat. Elles affirment en effet que ladite société a dû reprendre le projet à son commencement et qu’elle n’a pas été en mesure de réutiliser la recherche et le développement liés aux puces Stmicroelectronics.

Elles considèrent alors que la société Stmicroelectronics a causé des préjudices à la société Sagemcom pour un montant total compris entre 9 895 000 € (9 800 000 + 95 000) et 11 995 000 € (11 900 000 + 95 000), au titre de son inexécution contractuelle.

Les appelantes estiment que la société SFR est fondée à invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, les manquements contractuels commis par STMicroelectronics vis-à-vis de la société Sagemcom, qui constituent des fautes à son égard, lesquelles lui ont causé un préjudice évalué à la somme de 64 millions d’euros.

4. A titre infiniment subsidiaire : la rupture abusive des pourparlers :

Les appelantes rappellent tout d’abord que si la rupture des pourparlers est libre, elle ne doit cependant pas être abusive ou fautive, ce qui est le cas lorsqu’un partenaire rompt brutalement les négociations, sans motif légitime, après les avoir fait durer pendant une longue période.

Elles soutiennent que le projet 4K était bel et bien encadré par le contrat de 2007 et que c’est dans ce cadre contractuel, obligeant les parties à discuter de bonne foi, que le développement et la commercialisation des puces 4K ont été discutés par les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics. Elles affirment donc qu’au moment de la rupture, les deux sociétés étaient en négociations continues depuis 9 mois sur le sujet et que les pourparlers concernant la fabrication et la commercialisation de la puce 4K étaient particulièrement avancés et prenaient l’apparence de l’exécution du contrat qu’ils préfiguraient.

Elles soulignent la déloyauté et la brutalité avec lesquelles la société Stmicroelectronics a mis fin unilatéralement au développement du projet de 4K en annonçant par voie de presse qu’elle cessait la fabrication de ce type de puces, sans prévenir préalablement ses partenaires historiques. Elles ajoutent qu’au moment de la rupture le projet 4K était particulièrement avancé et que toutes les apparences d’un contrat abouti, en cours d’exécution, étaient réunies.

Elles soulignent par ailleurs la croyance légitime de la société Sagemcom en la poursuite de la relation, travaillant avec la société Stmicroelectronics d’un commun accord depuis 2006 et ayant toujours eu des rapports conduits avec diligence et loyauté.

Elles estiment en outre que la décision de la société Stmicroelectronics ne repose sur aucun motif légitime, celle-ci ne pouvant faire valoir l’existence de difficultés économiques. Elles précisent également que l’annulation des commandes par la société Sagemcom a été postérieure à l’annonce faite par la société Stmicroelectronics, et que ces commandes démontrent au contraire l’état abouti du développement.

Elles soutiennent que le refus d’accepter la proposition alternative de la société Stmicroelectronics n’est pas constitutif d’une rupture des pourparlers compte tenu de l’absence de prise en charge, par cette dernière de la maintenance corrective et évolutive dans son entièreté après la mise en production du produit. Elles en concluent que cette proposition n’était ainsi pas acceptable en termes organisationnel, technique ou industriel.

Elles estiment, compte tenu du caractère brutal et abusif de la rupture des pourparlers par la société Stmicroelectronics, que la société Sagemcom est fondée à obtenir réparation de son préjudice à hauteur de 1 993 000€, correspondant aux coûts de recherche et développement jusqu’à un stade très avancé du projet. Elles rappellent que ces coûts n’étaient pas récupérables dès lors que tout changement de puce entraîne automatiquement une refonte de la partie matérielle du décodeur puisqu’il a fallu changer de partenaire. Elles précisent que ladite somme se décompose en frais de personnel internes pour 1 190 000€, et en charges externes (frais de sous-traitant) pour 803 000 €. Elles rappellent qu’il est admis de manière constante que les frais liés au temps passé à négocier, aux études effectuées, à la mise au point de prototypes ou encore aux investissements engagés à perte sont réparables au titre du préjudice causé par une rupture abusive de pourparlers.

Les appelantes soutiennent enfin que la rupture abusive des pourparlers au détriment de la société Sagemcom a également causé un important préjudice à la société SFR qui est fondée à en demander réparation à la société Stmicroelectronics sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Elles expliquent que la société SFR s’est en effet trouvée contrainte d’abandonner les projets basés sur les composants de la société Stmicroelectronics sur lesquels ses équipes travaillaient depuis plusieurs mois. Elles en concluent que la société SFR a subi un préjudice constitué par la perte d’abonnés et de valeur des abonnements, ainsi que par les surcoûts relatifs à l’achat d’équipements obsolètes et les coûts de recherche et développement perdus.

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 22 avril 2020, la société Stmicroelectronics demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° ancien du Code de commerce, 1108, 1147, 1150, 1315 et 1382 anciens du Code civil, 9 et 564 du Code de procédure civile, de :

A titre principal

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les sociétés Sagemcom et SFR de l’intégralité de leurs demandes au titre d’une prétendue rupture d’une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

- Débouter les sociétés Sagemcom et SFR de l’intégralité de leurs demandes formées à son encontre sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Au surplus, sur les demandes développées à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire :

- déclarer irrecevable car nouvelle la demande des sociétés Sagemcom et SFR visant à la voir condamner au titre d’une prétendue inexécution contractuelle ;

- en conséquence, débouter la société SFR de sa demande fondée sur l’article 1382 (ancien) du Code civil au titre de la demande formée par Sagemcom à titre subsidiaire sur le fondement d’une prétendue inexécution contractuelle ;

- déclarer irrecevable car nouvelle la demande des sociétés Sagemcom et SFR visant à la voir condamner au titre d’une prétendue rupture abusive de pourparlers ;

- en conséquence, débouter la société SFR de sa demande fondée sur l’article 1382 (ancien) du Code civil au titre de la demande formée par la société Sagemcom à titre infiniment subsidiaire sur le fondement d’une prétendue rupture abusive de pourparlers ;

A titre subsidiaire

Sur l’inexécution contractuelle dont elle se serait rendue coupable à l’égard de la société Sagemcom

- Constater qu’aucun contrat concernant le développement et la commercialisation des puces 4K de troisième génération n’a jamais été conclu entre elle et la société Sagemcom ;

- En conséquence, débouter les sociétés Sagemcom et SFR de l’intégralité de leurs demandes à ce titre ;

Sur la prétendue rupture abusive de sa part de pourparlers avec la société Sagemcom

- Constater qu’aucune rupture abusive de pourparlers ne peut lui être reprochée ;

- En conséquence, débouter les sociétés Sagemcom et SFR de l’intégralité de leurs demandes à ce titre ;

En tout état de cause

- Condamner in solidum les sociétés Sagemcom et SFR à lui payer la somme de 300 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles au titre de l’appel ;

- Condamner in solidum les sociétés Sagemcom et SFR aux entiers dépens d’appel avec recouvrement selon les dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

La société Stmicroelectronics fait valoir à titre principal, que les demandes de la société Sagemcom au titre de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont mal fondées.

L’intimée soutient que la phase de développement des projets 4K initiée en avril 2015 ne constitue pas une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Elle affirme en effet que la relation issue de l’accord de 2006 formalisé dans un cadre écrit en 2007 dont l’objet était limité à la fourniture de chipsets MPEG4 d’une part, et le projet de développement et de commercialisation des puces 4K d’autre part, ne présentaient aucune unité juridique, ni économique. Elle soutient que la commercialisation des puces de 2ème génération et le développement des puces de 3ème génération constituent deux relations distinctes ne pouvant donner lieu à une analyse globale. Elle considère artificielle la théorie des appelantes selon laquelle la relation commerciale, dès lors qu’elle porterait sur des « composants électroniques », ne pourrait qu'être unique. Elle souligne que les appelantes se contentent pourtant de limiter la relation commerciale aux seules puces électroniques destinées à être intégrées dans des décodeurs alors qu'elle fournit également à la société Sagemcom des puces destinées à d’autres produits. Elle en conclut que cette phase de développement des projets 4K ne correspond aucunement à une relation commerciale, encore moins à une relation établie, mais à une phase précontractuelle de développement.

Sur l’existence d’une « relation commerciale » au sens dudit texte, elle rappelle que cette notion suppose l’existence d’un courant d’affaires entre les parties, c’est à dire l’existence de commandes, de livraisons, et d’une façon générale d’un chiffre d’affaires entre les parties. Elle précise qu’il ne faut pas confondre rupture de relation commerciale et rupture de pourparlers. Elle ajoute que l’existence de commandes entre les parties ne suffit pas à caractériser l’existence d’une relation commerciale établie.

Elle fait également valoir que la phase de développement des projets 4K n’a jamais été achevée et n’a généré aucun courant d’affaires entre elle et la société Sagemcom. Elle ajoute que l’absence de chiffre d’affaires généré entre les parties illustre l’absence de commandes de puces 4K destinées à la commercialisation par la société Sagemcom et ayant fait l’objet d’une facturation. Selon l’intimée, les quelques « commandes » passées par la société Sagemcom fin 2015, début 2016, concernaient soit des échantillons destinés à des tests ou des essais, soit des produits qui ne pouvaient être destinés à la production de masse, le développement n’étant pas achevé et les puces commandées ne disposant pas des clés de production indispensables à leur mise sur le marché. Elle estime que la société Sagemcom échoue à démontrer que des commandes fermes auraient été passées pour « plusieurs dizaines de milliers de puces 4K ».

Elle en conclut que l’arrêt des projets OneBox FTTH et Zapper s’analyse comme la non- continuation de projets de développement qui, faute d’avoir généré le moindre courant d’affaires entre les parties, n’ont jamais atteint le stade d’une relation commerciale au sens de l’article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce.

Sur le caractère établi de la relation commerciale, elle fait valoir l’absence de stabilité de la relation qui se déduit de la simple observation de l’absence d’un courant d’affaires existant entre elle et la société Sagemcom s’agissant des projets visant à développer les puces 4K de 3 génération. Elle explique e ème n effet que les seules puces 4K qui ont été envoyées étaient des échantillons de prototypes destinés à des tests et évaluations, et non pas à une utilisation dans une production de masse.

Elle ajoute que l’absence de stabilité découle également de la liberté laissée aux parties d’interrompre le projet de développement des puces 4K, démontrant ainsi le caractère précaire de la relation entre les parties, dépourvue de toute stabilité. Elle précise que les appelantes ont elles-mêmes usé de cette liberté en interrompant les projets de développement de puces similaires à trois reprises en 2010, en juillet 2014 et en décembre 2014.

Elle soutient que la société Sagemcom ne peut prétendre qu’elle avait toutes les raisons de croire à la pérennité de sa relation avec elle concernant les puces 4K de 3ème génération alors que celle-ci se fonde sur des pièces qui ne concernent absolument pas les projets 4K mais des projets liés à la technologie HD pour lesquels les relations entre les parties se sont bien poursuives au delà du 27 janvier 2016.

Elle fait encore valoir que le processus d’appel d’offres mis en place par les sociétés Sagemcom et SFR pour sélectionner le fournisseur de puces rend la relation entre les parties empreinte d’aléa, ce qui est exclusif d’une relation commerciale établie. Elle prétend que la mise en concurrence opérée par la société Sagemcom a rendu très précaire dès l’origine la relation entre elles, et qu’en tout état de cause le caractère précaire du projet est intrinsèque à la nature même de sa phase de développement dont l’issue est incertaine.

L’intimée soutient qu’elle n’a pas rompu ses relations existant avec la société Sagemcom, celles-ci s’étant poursuivies et même amplifiées postérieurement à la date de la rupture alléguée par la société Sagemcom. Elle explique en effet que le flux d’affaires correspondant à la vente de puces de 2ème génération ne s’est pas interrompu mais a augmenté entre l’année 2015 et l’année 2016.

Elle précise par ailleurs que l’annonce faite le 27 janvier 2016 par la société Stmicroelectronics N.V., sa maison mère, présentait son choix de mettre un terme à l’activité du groupe dans le développement de nouvelles puces électroniques, justifié par des circonstances macro-économiques. Elle ajoute que l’annonce de sa maison mère a été suivie, de manière immédiate s’agissant du développement des projets 4K de puces de 3ème génération, par une proposition de poursuite du développement des activités avec les sociétés Sagemcom et SFR.

Elle considère que c’est en réalité la société SFR qui a mis fin au projet de développement des puces 4K de 3ème génération en ne donnant pas suite à ses propositions écrites. Elle soutient que la société SFR a décidé de cesser ses activités de développement, corroborant ainsi le refus de la société Sagemcom de poursuivre le développement des projets. Elle précise que cette dernière a en effet, les 5 février 2016 et 14 mars 2016 demandé l’annulation de l’ensemble des commandes d’achat d’échantillons de nouvelles puces 4K de 3 génération précédemment passées auprès d ème 'elle, sans l’indemniser. Elle souligne la cohérence de cette décision avec le refus de signer le contrat de licence de production software qui était nécessaire pour qu'elle puisse éventuellement produire et livrer des puces 4K.

L’intimée soutient en outre que la société Sagemcom, par le biais de son conseil financier, produit de nombreux documents au soutien de ses demandes pécuniaires dont la valeur probante est parfaitement insuffisante à justifier du préjudice qu’elle allègue.

Elle prétend par ailleurs que la durée alléguée de la relation commerciale d'environ 10 ans, et du préavis correspondant, soit 15 mois, sont l’un et l’autre, largement surestimés. Elle fait en effet valoir que la relation a duré tout au plus 8 ans, que le flux d’affaires ne s’est matérialisé entre les deux sociétés qu’à partir de l’année 2008 et non en 2006, et que la rupture partielle éventuelle est intervenue en janvier 2016. Elle précise en outre que l’activité de développement des projets 4K pour les puces de 3ème génération n’a duré que quelques mois entre le moment de sa reprise à l’initiative de la société SFR le 30 avril 2015 et la décision des appelantes d’arrêter cette activité au début de l’année 2016.

Sur la perte de marge, elle affirme que la demande de la société Sagemcom est fondée sur la marge prévisionnelle qui, selon cette dernière, aurait dû être réalisée après la rupture des relations, ce sans aucune référence au chiffre d’affaires historique réalisé avec elle en 2015 et 2016. Elle ajoute que les paramètres pris en considération par l’expert financier de la société Sagemcom dans le calcul de la perte de marge sont dénués de sérieux et s’appuient sur des hypothèses erronées. Elle explique en effet que la société Sagemcom se fonde sur les volumes théoriques de ventes de décodeurs à partir des mois d’avril et de juin 2016 alors que ces dates sont parfaitement irréalistes au regard de l’état d’avancement des projets de développement 4K à la date de l’annonce du 27 janvier 2016. Elle considère qu’il est fortement probable que les décodeurs HD commandés par SFR pour remplacer les décodeurs 4K auraient été acquis dans tous les cas, dans la mesure où ils n’étaient pas obsolètes en 2016.

Concernant les coûts de recherche et développement, elle soutient qu’il s’agit non pas de coûts supplémentaires mais de coûts qui auraient de toute façon été supportés en situation normale car nécessaires pour le développement des produits Zapper et OneBox FTTH. Elle ajoute qu’il n’est pas démontré par la société Sagemcom que ces coûts n’ont pas pu être réutilisés dans le cadre d’autres projets. Elle en conclut qu’inclure ces coûts dans le préjudice subi par la société Sagemcom fait doublon avec la demande relative à la perte de marge.

L’intimée soutient que les nouvelles prétentions de la société Sagemcom présentées pour la première fois en appel sont irrecevables.

Elle fait valoir qu’en première instance, la société Sagemcom a formé sa demande au seul titre d’une rupture brutale des relations commerciales établies, et qu’en cause d’appel, elle a repris cette demande tout en développant de nouvelles demandes subsidiaires que sont :

- sa condamnation sur le fondement d’une prétendue inexécution dolosive de ses obligations contractuelles,

- sa condamnation sur le fondement d’une prétendue rupture abusive de pourparlers.

Elle considère que ces demandes ne sont pas recevables car nouvelles en cause d’appel et ne tendant pas aux mêmes fins que les demandes formées en première instance. Elle explique que les fautes qui lui sont reprochées à ces titres ne sont pas les mêmes puisque s’ajoute désormais une inexécution intentionnelle de prétendues obligations contractuelles et la faute d’avoir entretenu la société Sagemcom dans la croyance infondée d’une issue favorable des négociations.

Elle estime également que l’appréciation juridique des faits en cause est différente et contradictoire puisque la société Sagemcom fonde une de ses prétentions nouvelles sur l’existence d’un contrat et une autre de ses prétentions nouvelles sur une rupture abusive de pourparlers, ce qui exclut donc l’existence d’un contrat. Elle ajoute que le préjudice indemnisable n’est pas le même selon les prétentions puisque l’action fondée sur la rupture brutale de relations commerciales établies vise à obtenir une indemnité compensatrice de préavis qui aurait dû être respecté, soit la marge brute perdue pendant ce préavis, alors que l’action fondée sur l’inexécution des obligations contractuelles vise la réparation intégrale du préjudice, et l’action fondée sur la rupture abusive des pourparlers ne vise qu’à indemniser les frais occasionnés par les négociations et études préalables.

Elle fait encore valoir que le quantum du préjudice allégué par la société Sagemcom ainsi que les postes de préjudice selon lesquels ce quantum est calculé sont distincts selon le fondement invoqué et diffèrent largement de ceux allégués en première instance.

A titre subsidiaire, la société Stmicroelectronics fait valoir que la demande fondée sur son inexécution dolosive de prétendues obligations contractuelles est mal fondée.

L’intimée rappelle que pour caractériser l’existence d’une telle faute intentionnelle ou dolosive, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l’existence cumulative d’un contrat entre les parties, d’une inexécution par le débiteur de ses obligations contractuelles et de la volonté délibérée de ce débiteur de ne pas exécuter ses obligations.

Elle réplique tout d’abord que la phase de développement des projets 4K initiée en avril 2015 ne constitue pas une relation contractualisée de “développement et de commercialisation”. Elle affirme qu’aucun contrat portant sur le développement et la commercialisation de puces de 3ème génération n’a été conclu entre les parties. Elle soutient qu’aucune modification du contrat de 2007 n’a eu lieu afin d’y inclure le développement et la commercialisation des puces 4K de 3ème génération, l’objet de ce contrat étant uniquement d’encadrer les relations commerciales entre les parties portant sur la vente de puces (déjà existantes) de 1ère et 2ème génération et ne saurait être étendu au développement et à la fourniture d’autres puces. Elle conteste l’existence d’un prétendu « avenant verbal » invoqué par les appelantes, rappelant au surplus qu’un tel document n’aurait eu aucune efficacité contractuelle puisque l’article 18.1 dudit contrat exige de formaliser par écrit tout avenant au contrat.

Elle ajoute que l’email qu'elle a adressé à la société Sagemcom du 30 juillet 2015 n’indique en aucun cas que les stipulations du “contrat de fourniture de puces MPEG4" auraient vocation à s’appliquer aux projet 4K, la citation utilisée par les appelantes ne s’appliquant qu’aux produits Stmicroelectronics expressément listés qui sont tous des puces HD de 2ème génération et non des puces 4K de 3ème génération.

Elle prétend encore que sa réponse à l’appel d’offres lancé par la société SFR n’a pas eu pour effet de l’engager contractuellement, dès avril 2015, ni à assumer une obligation illimitée de résultat de mise au point d’une puce 4K répondant aux caractéristiques posées par cette dernière. Elle explique que les diverses projections de prix et de calendrier qu’elle a communiquées avant d’être sélectionnée par la société SFR le 15 avril 2015 ne peuvent être assimilés à une offre ferme de sa part manifestant sa volonté de s’engager à commercialiser ces puces 4K pour un prix fixé, alors que la phase de développement n’avait pas encore commencé. Elle ajoute qu’aucun accord n’a pu intervenir alors qu’un certain nombre d’éléments, érigés comme prérequis essentiels à la fabrication en masse des puces de 3ème génération n’avaient pas encore été finalisés, à savoir le contrat de licence software concernant le développement du projet “OneBox FTTH”, la validation par la société Sagemcom de l’étape “Fuse Map”, et la délivrance des clés de production par la société Nagravision.

L'intimée fait encore valoir qu’aucune commande ferme portant sur des puces 4K de 3ème génération n’a été acceptée ni facturée par elle dans la mesure où le développement des puces 4K n’a jamais abouti à la mise au point d’un produit commercialisable. Elle souligne que les appelantes ne produisent à ce titre aucun bon de commande qui aurait été émis par la société SFR à l’attention de la société Sagemcom concernant des boîtiers décodeurs 4K intégrant une puce Stmicroelectronics.

Elle soutient qu'une inexécution contractuelle suppose l’existence d’un contrat et d’obligations corrélatives supportées par une partie qui ne les aurait pas exécutées et qu'aucun manquement à ce titre ne peut lui être reproché. Elle ajoute en outre que l’annonce de sa maison mère du 27 janvier 2016 n’a pas mis un terme à la phase de développement des projets 4K puisqu'elle a pris attache avec les sociétés Sagemcom et SFR pour échanger sur la poursuite du développement de ces projets et a en ce sens communiqué à la société SFR une proposition complète. Elle explique que la décision de mettre fin à la phase de développement des puces 4K de 3ème génération résulte en réalité du refus de la société SFR de donner suite à sa proposition et de l’annulation, par la société Sagemcom, de l’ensemble des commandes d’échantillons de puces 4K. Elle considère, en outre, que c’est bien la société Sagemcom qui a laissé le dernier mail de la société Stmicroelectronics sans réponse s’agissant du contrat de licence software indispensable à la fabrication et commercialisation des puces 4K de 3ème génération. Elle en conclut que l’absence de commercialisation ne saurait lui être imputée alors qu’elle s’est efforcée de proposer, de bonne foi, une proposition qui aurait pu permettre de mener à la fabrication en masse des puces 4K et à leur commercialisation dans des conditions acceptables pour l’ensemble des parties.

L’intimée invoque enfin l’absence de volonté délibérée de ne pas exécuter ses obligations, ayant formulé de bonne foi une proposition alternative pour poursuivre le développement des projets 4K suite à l’annonce de sa société-mère le 27 janvier 2016.

Sur le préjudice prétendument subi par la société Sagemcom, elle rappelle à titre liminaire que cette dernière a fait varier de manière significative à la baisse ses prétentions puisque celles-ci ont diminué de plus de 35 %. Elle estime qu’un tel comportement est révélateur de son manque de sérieux dans l’évaluation et la justification de son préjudice.

S’agissant de la perte de marge alléguée, elle fait valoir que le calcul des ventes théoriques repose sur le postulat, non établi, que les ventes des décodeurs de 1ère et 2ème génération n’ont servi qu’à pallier l’absence de décodeurs de 3ème génération. Elle soutient que la prétendue perte d’abonnés invoquée n’est fondée sur aucun élément probant, et que les estimations de ventes de décodeurs (825 000 décodeurs OneBox FTTH entre février 2016 et décembre 2018) sont en contradiction totale avec les ordres de grandeurs relatifs au nombre d’abonnés FTTH de la société SFR qui s’élevait à 220 000 fin 2015 et 252 000 fin 2016.

S’agissant des coûts de “R&D non amortis”, elle affirme que la méthodologie adoptée par la société Sagemcom qui revient à comparer les coûts engagés dans le cadre d’un projet entièrement finalisé et les coûts engagés dans le cadre d’un projet qui n’a pas été mené à son terme, non pertinente. Elle précise en effet que la société Sagemcom aurait dû prendre en compte dans son estimation les coûts qui auraient été engagés, dans tous les cas, pour finaliser les projets avec elle, et qu’elle aurait dû démontrer que ces coûts n’étaient pas récupérables dans l’hypothèse de la finalisation des projets.

La société Stmicroelectronics considère enfin que la demande de la société Sagemcom fondée sur une prétendue rupture abusive de pourparlers est également mal fondée.

Elle rappelle le principe de liberté dans la rupture des pourparlers et qu’il appartient à celui qui se prétend victime d’une rupture de pourparlers de prouver que les circonstances de ladite rupture sont constitutives d’un abus. Elle précise que ne constitue pas une rupture abusive la cessation de pourparlers justifiée par un motif légitime.

Elle soutient qu’aucun abus ne lui est imputable dans la rupture des pourparlers avec la société Sagemcom, estimant que les négociations intervenues avec ladite société étaient strictement limitées au développement des puces 4K de 3ème génération pour être intégrées dans les décodeurs « Zapper » et « OneBox FTTH », et que ces négociations n’ont jamais été étendues à une éventuelle commercialisation des puces 4K. Elle en conclut que les négociations relatives au développement des puces 4K de 3ème génération ne peuvent être rattachées au contrat conclu avec la société Sagemcom en 2007 portant sur la fourniture des puces de 1ère et 2ème génération.

Elle ajoute que la rupture des pourparlers, à la supposer avérée, ne peut lui être reprochée.

Elle souligne qu’à la suite de l’annonce faite par sa maison-mère le 27 janvier 2016, elle a immédiatement pris attache avec les sociétés Sagemcom et SFR afin de garantir la continuité du développement des projets 4K. Elle affirme que la cessation des discussions entre les parties relatives au développement des projets 4K résulte de l’annulation par la société Sagemcom des commandes d’échantillons et du refus catégorique de la société SFR de donner suite à la proposition qu'elle a faite visant à assurer la poursuite du développement des projets 4K.

Elle fait également valoir que l’état d’avancement des pourparlers est indifférent à caractériser un abus et rappelle que les appelantes ont elles-mêmes tardivement et unilatéralement décidé d’abandonner le développement de différents projets similaires en 2010 et 2014. Elle souligne que les phases de développement de tels projets peuvent être interrompues à tout moment.

Enfin, elle soutient que la décision prise par sa société mère est une décision stratégique prise au niveau de la tête de groupe au regard de la situation financière de celui-ci. Elle indique que cette décision a été prise pour des motifs économiques, dans un contexte de faible croissance du domaine des boîtiers décodeurs. Elle affirme enfin que sa réintroduction en bourse n’est pas concomitante à la cessation des négociations entre les parties mais est intervenue plus d’un an et demi plus tard, en septembre 2017.

Sur le préjudice prétendument subi par la société Sagemcom, elle rappelle tout d’abord que dans le cadre d’une rupture brutale de pourparlers, seuls les frais spécifiques engagés pour ces pourparlers, et qui n’auraient pas été engagés autrement, sont indemnisables. Elle prétend alors que la société Sagemcom ne justifie pas que les coûts de recherche et développement engagés pour les projets Zapper et OneBox FTTH n’ont pas pu être réutilisés, et souligne notamment que les coûts de R&D du projet Saturne 1, abandonné en 2014, ont pu être réutilisés dans le cadre du projet OneBox FTTH. Elle ajoute que la société Sagemcom ne fournit pas les éléments à même de justifier le détail des coûts R&D engagés dans ces projets.

La société Stmicroelectronics sollicite enfin que les demandes de la société SFR sur le fondement de l’article 1382 ancien du Code civil soient rejetées car mal fondées aux motifs que la société SFR n’apporte pas le moindre élément permettant de justifier et soutenir ses prétentions.

Sur la demande principale de la société SFR fondée sur une prétendue rupture brutale de la relation commerciale établie, elle fait valoir qu’aucune faute ne peut lui être reprochée à ce titre, aucune rupture brutale à l’égard de la société Sagemcom sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'étant caractérisée.

S’agissant de la demande subsidiaire de la société SFR fondée sur une prétendue inexécution contractuelle de sa part à l’encontre de la société Sagemcom, elle rappelle à titre liminaire que la prétention de la société Sagemcom sur ce fondement est nouvelle et doit être déclarée irrecevable, et qu’en conséquence SFR devra en être déboutée. Elle ajoute qu'à supposer cette demande recevable, aucune inexécution contractuelle ne pourrait lui être reprochée tel qu’il a déjà été démontré. Elle en conclut qu’aucune faute de sa part à l'égard de la société SFR n'est caractérisée. Elle affirme, en tout état de cause, que la société SFR est mal fondée à se prévaloir d’un quelconque préjudice à ce titre. Elle explique que la société SFR ne peut se contenter d’invoquer une prétendue faute contractuelle de sa part à l’égard de la société Sagemcom pour justifier son préjudice arbitrairement fixé à 64 millions d’euros mais doit démontrer que cette faute constitue per se une faute délictuelle ou quasi-délictuelle à son égard.

Sur la demande infiniment subsidiaire de la société SFR fondée sur une prétendue rupture abusive de pourparlers, l’intimée rappelle à titre liminaire que la prétention de la société Sagemcom sur ce fondement est nouvelle et doit être déclarée irrecevable, et qu’en conséquence la société SFR devra être déboutée de sa prétention. Elle ajoute qu'à supposer cette demande recevable, aucune rupture abusive de pourparlers ne pourrait lui être reprochée, tel qu’il a déjà été démontré. Elle en conclut qu’aucune faute de sa part n'est caractérisée vis-à-vis de la société SFR. Elle affirme, en tout état de cause, qu’un tiers ne peut se prévaloir d’une rupture abusive de pourparlers, aucun contrat n’étant par principe conclu et la société SFR ne prétendant ne pas avoir été partie aux négociations.

Elle considère en tout état de cause le préjudice allégué par la société SFR totalement fantaisiste.

L’intimée rappelle que le préjudice allégué par la société SFR a sensiblement augmenté par rapport au montant invoqué en première instance, et se chiffre désormais à 64 millions d’euros. Elle fait valoir que ce préjudice a été réclamé, au titre de la “perte d’abonnés” au mois de juillet 2016 pour des clients prétendument perdus à raison du retard dans le lancement d’une “box” qui devait être commercialisée à compter de “la rentrée 2016" selon la société SFR elle-même. Elle soutient, par ailleurs, que cette société ne peut avoir souffert d’un désavantage comparatif sur le marché des boîtiers équipés de puces 4K de 3ème génération dans la mesure où cette dernière proposait dès fin 2015 des boîtiers équipés de puces électroniques 4K de 3ème génération Broadcom.

Sur le préjudice lié à la “perte d’abonnés et perte de valeur d’abonnés fixe”, l’intimée estime que la société SFR ne démontre aucunement que la baisse de parts de marché serait exclusivement liée à un retard dans la commercialisation des boîtiers décodeurs “OneBox” et “Zapper” en 2016. Elle ajoute que le calcul réalisé pour définir le nombre d’abonnés perdus a été fait sur une période qui ne correspond pas à la période impactée par le retard de livraison des décodeurs, ce qui a pour conséquence de surévaluer de manière grossière l’estimation du préjudice invoqué. Elle prétend en outre que les calculs reposent sur des postulats erronés, le cabinet Eight Advisory ayant retenu une baisse significativement sous- estimée des parts de marché de la société SFR entre fin 2015 et fin 2016.

Sur le coût lié aux “achats d’équipements”, l'intimée estime que la société SFR ne justifie pas que l’acquisition de décodeurs d’ancienne génération a été rendue nécessaire pour pallier l’indisponibilité des décodeurs “Zapper” et “OneBox FTTH” , ces boîtiers ayant pu notamment être commandés en vue de satisfaire les clients SFR “entrée de gamme”. Elle ajoute qu’en tout état de cause, la société SFR ne justifie pas la durée d’amortissement qu’elle a retenue pour le calcul de ce poste de préjudice.

Sur le coût en « investissements R&D », elle considère que la société SFR ne démontre pas qu’une partie de ces coûts est irrécupérable, et que la demande fondée sur ces coûts fait donc doublon avec la demande de la société SFR au titre de la perte de marge.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions signifiées conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.

L’audience du 28 mai 2020 à laquelle l’affaire a été fixée s’est tenue en accord avec les parties en visio conférence et, à la demande de ces dernières, en chambre du conseil conformément aux dispositions de l’article 435 du Code de procédure civile. Lors de cette audience et à la demande des parties, la cour a entendu quatre consultants qui ont établi des notes techniques ou rapports amiables pour le compte de chacune des parties dans le cadre de la procédure, soit M. Hattab, technicien, et Mme Céline Leroy, expert financier, du Cabinet Eight Advisory désignés par les sociétés SFR et Sagemcom ainsi que Mme Karsenti et M. Nussembaum, experts financiers, de la société Sorgem, désignés par la société Stmicroelectronics.

SUR CE,

A titre liminaire, il convient de considérer que les mentions dans le dispositif des écritures des parties tendant à voir la cour “constater” ou “juger” ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du Code de procédure civile mais un résumé des moyens invoqués à l’appui de leurs demandes et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur celles-ci.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa version applicable au présent litige,

“I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel personne immatriculée au répertoire des métiers :

 5° “De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. ...Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.”

 - Sur le caractère établi de la relation commerciale

La relation commerciale établie doit présenter un caractère suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties permettant à la victime de la rupture d’anticiper légitimement et raisonnablement pour l’avenir la persistance d’un flux d’affaires avec son partenaire commercial.

Selon les éléments versés au débat et les explications des parties, les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont noué en 2006 une relation commerciale pour le développement et la commercialisation de puces électroniques, ces puces étant développées par la société Stmicroelectronics à destination de la société Sagemcom qui les intègre dans les boîtiers décodeurs TV qu’elle fournit notamment à la société SFR avec laquelle la société Sagemcom a conclu le 24 juillet 2009 un contrat de “fourniture et réalisation Set Top Box”.

La relation nouée entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics a été l’objet d’un contrat conclu les 18 et 27 avril 2007, intitulé “contrat de fourniture de Chipset MPEG4" (puce de 1 et 2 génération). Ce contrat est entré en vigueur rétroactivement le 1er avril 2006 pour se terminer le 31 décembre 2007 avec possibilité de tacite reconduction pour des périodes d’un an. Il présente la société Stmicroélectronics (article 3) comme le “fournisseur privilégié” ... “ce qui implique notamment des consultations privilégiées pour les nouvelles opportunités commerciales concernant les nouveaux produits Sagem ...”, Sagem acceptant “également d’informer ST en temps opportun des besoins futurs en produits”. Ce contrat est limité aux produits indiqués dans l’Annexe A soit les puces de première et deuxième génération MPEG4 (article 2) et ne peut être modifié sauf par “accord écrit des représentants autorisés à cet effet de chacune des parties” (article 18-1).

Il ressort également que sur plusieurs années consécutives, les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont entretenu un courant d’affaires d’importance, l’achat de puces de première et seconde génération par la société Sagemcom auprès de la société Stmicroelectronics générant pour cette dernière plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires annuel entre 2008 et 2018.

En 2013, la société SFR a lancé le développement d’un décodeur de troisième génération 4K basé sur Androïd OS, développement auquel ont participé la société Sagemcom en qualité d’OEM (original equipment manufacturer) et la société Stmicroelectronics. Cette dernière a répondu à une “request for proposal” ou RFP de la société SFR en décembre 2013 pour le projet Saturne devenu Stilla pour lequel l’intimée a été retenue, projet abandonné en décembre 2014 par la société SFR. Celle-ci a toutefois abandonné l’usagede la technologie Androïd OS pour privilégier une solution technologique alternative et lancé le 2 février 2015 un nouveau RFP pour une“Onebox Ftth”, projet dans le cadre duquel ont été retenues par la société SFR, la société Sagemcom en qualité d’OEM et, le 15 avril 2015, au vu de la proposition de prix présentée le 6 février 2015 (17$ pour 2015 et 16,4 $ pour 2016), la société Stmicroelectronics pour le développement des puces 4K (Stih418) nécessaires au fonctionnement de la “Onebox Ftth” ainsi qu’un logiciel associé. Un autre RFP pour le projet de box dite Zapper a été lancé au mois de novembre 2015 par la société SFR pour lequel la société Stmicroelectronics a également été retenue avec la société Sagemcom pour développer la puce de troisième génération (Stih318).

Il résulte de ce qui précède que la relation nouée entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics qui sont des partenaires privilégiés, porte sur le développement et la commercialisation de puces adaptées aux boîtiers décodeurs TV notamment destinés à la société SFR et ne se cantonne pas aux puces de première et deuxième génération objets du contrat de 2007, l’évolution de la technologie des puces faisant partie intégrante de cette relation d’affaires.

La société Sagemcom ne peut être suivie lorsqu’elle considère que les dispositions du contrat d’avril 2007 précité ont été étendues aux puces de troisième génération, le courriel du 30 juillet 2015 de M. Alberganti “Directeur régional des comptes principaux gérés globalement” indiquant de manière très générale “Toutes les conditions commerciales antérieurement convenues entre ST et Sagemcom s’appliquent (accord de fourniture, accord CMI)”, sans même mentionner les puces de troisième génération et ne constituant nullement un “accord écrit des représentants autorisés à cet effet de chacune des parties” tel que prévu par l’article 18-1 du contrat de 2007.

La relation commerciale doit néanmoins s’entendre dans une acception plus large que la relation contractuelle ainsi que le reconnaît elle-même l’intimée dans ses écritures par lesquelles elle considère que “c’est moins l’existence d’une relation contractuelle formalisée que l’existence d’un véritable courant d’affaires entre les parties, matérialisé par un volume tangible de chiffres d’affaires” qui détermine l’existence d’une relation commerciale, et il apparaît que la relation privilégiée entre ces deux partenaires ne se cantonne pas aux puces de première et deuxième génération.

Or, la continuité de cette relation pendant plus de dix années et l’importance du courant d’affaires existant entre les partenaires sur les puces de première et deuxième génération pouvaient laisser légitimement espérer à la société Sagemcom la pérennité de celle-ci en ce compris dans le cadre de l’évolution de la technologie et le développement des puces de troisième génération en partenariat avec la société Stmicroelectronics qui est son fournisseur privilégié.

La circonstance que la société Stmicroelectronics ait répondu, comme la société Sagemcom, à un appel d’offre ou consultation, lancé par la société SFR concernant les box 4K est indifférente, cet appel d’offre étant étranger à la relation nouée entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics et ne conférant nullement un caractère précaire à ladite relation.

De même, la fluctuation du chiffre d’affaires réalisé entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics concernant les puces de première et deuxième génération ne suffit pas à remettre en cause le caractère établi de la relation entre ces deux partenaires alors qu’il résulte des chiffres fournis par l’intimée elle-même, la persistance des relations d’affaires sur plusieurs années, ce malgré une baisse du chiffre d’affaires en 2010 et 2011, qui a ensuite connu une hausse significative les années suivantes.

La relation commerciale établie entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics est ainsi caractérisée.

- Sur la rupture brutale

Le 27 janvier 2016 la société Stmicroelectronics N.V., société mère de l’intimée a, dans le cadre du communiqué de presse annonçant ses résultats financiers pour le quatrième trimestre de l’exercice 2015, informé de sa décision de cesser de développer de nouvelles plate- formes et de nouveaux produits pour les boîtiers décodeurs en ces termes :

“Aujourd’hui nous annonçons l’arrêt du développement de nouvelles plate formes et de produits standard pour les set top box et les gateways domestiques. Cette décision difficile est en adéquation avec notre stratégie qui consiste à n’opérer que des activités soutenables financièrement, et est la conséquence des pertes significatives de l’activité produits pour set top box au cours des dernières années dans un environnement de marché de plus en plus difficile”.

Par courriel du 10 février 2016, la société Stmicroelectronics faisait un point auprès de la société Sagemcom comme de la société SFR sur la poursuite du développement des puces destinées au boîtiers décodeurs Zapper et OneboxFtth en précisant la liste d’activités qu’elle pouvait supporter (phase 1) et celle qu’elle ne supporterait pas (phase 2).

Cette proposition a été présentée dès le 9 février et ainsi précisée dans un courriel du 15 février 2016 adressé par M. Cihak, directeur général Europe de la société Stmicroelectronics à la société SFR : “J'insiste sur le fait que la décision de travailler avec SFR sur les produits STiH318/STiH418 intégrés dans les plateformes pour la 4K One Box et Zapper n'a jamais été remise en question (Phase 1). Par ailleurs, nous maintenons notre engagement pour la maintenance logiciel prévue en Phase 1 jusqu'à fin 2018.

Ce que nous avons évalué c'est notre capacité à soutenir les activités de développement de post - production et de maintenance continue (Phase 2). En l'occurrence, nous ne serons en mesure de terminer le développement du Chemin de données Sécurisé (Secure Data Path) avec les contraintes NAGRA et l’intergiciel SFR (spécifique à SFR par définition) que si SFR contribue à hauteur de 3,35 M USD aux frais de développement logiciel de la Phase 2. Les coûts de maintenance tels que prévus en Phase 2 sont estimés à environ 500 K USD par an. N'étant pas nous-mêmes en mesure d'assurer cette maintenance, vous devrez la prendre en charge. Nous restons toutefois à votre disposition pour vous aider à organiser cette activité et vous fournir une liste de prestataires logiciel potentiellement aptes à vous fournir cette maintenance continue.

À ce jour, nous disposons des personnes adéquates pour réaliser les actions susmentionnées. Mais pour garder ces ressources à disposition, nous avons besoin que vous nous confirmiez votre acceptation du coût NRE (Ingénierie non récurrente) susmentionné”.

Tant la société Sagemcom que la société SFR n’ont pas donné une suite favorable à cette proposition.

La société Sagemcom considère que cet arrêt de la fourniture de la puce de 3ème génération constitue une rupture brutale partielle de la relation commerciale établie nouée avec la société Stmicroelectronics, considérant qu’elle avait commandé un nombre important de puces qui ne constituaient pas des échantillons mais des produits finis.

Toute rupture brutale même partielle engage la responsabilité de son auteur.

Les éléments fournis au débat tels les notes techniques établies à la demande de chacune des parties montrent que lors du développement d’une puce, des échantillons sont fournis par la société Stmicroelectronics à la société Sagemcom pour que celle-ci teste les puces insérées dans les boîtiers.

Il n’est pas discuté qu’antérieurement à l’annonce précitée de la société Stmicroelectronics N.V., la société Sagemcom avait passé trois commandes auprès de la société Stmicroelectronics pour un total de 758 puces Stih418-SUB destinées au boîtier OneboxFtth pour un prix total de 12.285,90 USdollars. Ces puces ont bien été livrées par l’intimée ainsi qu’il résulte d’un courriel du 13 janvier 2016 adressé par la société Stmicroelectronics à la société Sagemcom. Cette correspondance fait également état de “commandes ouvertes” pour un total de 7.892 puces.

La société Sagemcom a également passé sept commandes pour un total de 33.092 puces Stih418-SUB entre le 23 décembre 2015 et le 28 janvier 2016 auprès de la société Stmicroelectronics pour un montant total de 543.520,90 dollars US. Elle a annulé ces commandes par mail du 5 février 2016.

Le compte-rendu d’une réunion téléphonique en date du 13 janvier 2016 mentionne : “Les prochaines livraisons sont gérées par les commerciaux de ST [ST SalesTeam] Statut MAT30 : il est demandé à Sagemcom de confirmer que la configuration/use est fonctionnelle avant de passer au MAT30".

Un courriel du 3 février 2016 adressé par la société Stmicroelectronics à la société Sagemcom faisant le compte-rendu d’une conversation téléphonique (“call”) du même jour, montre que postérieurement à l’annonce du 27 janvier 2016, l’intimée continuait à travailler sur le développement des puces de troisième génération. La demande de validation par la société Sagemecom de la “fuse map” est alors à nouveau requise par la société Stmicroelectronics. La société Sagemcom ne peut utilement arguer que dès le 16 juillet 2015 elle avait validé le “fuse map” en remplissant le formulaire“Silicon request form - SRF ID=3880 pour la famille de produits STiH418”, celle-ci n’ayant nullement, au cours des échanges postérieurs, répondu à la société Stmicroelectronics qui lui réclamait cette validation avoir approuvé un tel document, comme elle ne justifie pas l’avoir adressé à l’intimée.

Il ressort également des pièces versées au débat et notamment d’une lettre adressée par la société Sagemcom à la société Stmicroelectronics le 12 novembre 2015 qu’un contrat de licence développeur a été signé par celle-ci mais “que la décision de Sagemcom d'utiliser le logiciel ST dans ses produits commerciaux définitifs n'a pas encore été validée et qu'elle sera entre autres subordonnée à l'acceptation par ST Microelectronics des exigences de Sagemcom relatives aux modifications proposées dans le projet de Licence de production SW d'appareils grand public”. Le 6 janvier 2016, la société Stmicroelectronics rappelait à la société Sagemcom que “nous ne pourrons pas livrer les pièces pour la production sans signature de la licence”. Le contrat de licence de production ne sera pas signé entre les parties.

Il résulte de ce qui précède que font défaut les pré-requis pour la production en série des puces Stih418 soit la validation du “fuse map” par la société Sagemcom ainsi que la signature du “contrat de licence de production SW d’appareils grand public” et que le statut MAT30 n’a pas été atteint, statut qui est nécessaire pour enregistrer des commandes fermes ainsi que le rappelle la société Stmicroelectronics dans sa correspondance du 8 janvier 2016: “Nous ne pouvons pas passer de commande frame (anticipation de commandes de Sagemcom) avant que le produit soit en maturité 30. Nous attendons votre feed sur la validation des spec de ce produit avant de le passer en mat 30". S’il résulte du rapport technique établi à la demande des appelantes que le boîtier OneboxFtth était en phase de finalisation entre 83 % et 90 % au moment de l’annonce de la société Stmicroelectronics du 27 janvier 2016, il n’en demeure pas moins que ce rapport ne contredit pas utilement le fait que le développement des puces Stih418 n’avait pas atteint le stade de la production en série, l’affirmation selon laquelle sur les 758 puces livrées, seules 500 constituent des échantillons n’étant pas pertinente car résultant des seules déductions du technicien désigné par les appelantes en fonction des “Pairing Kases” (PKs) à la société SFR par Nagravision.

L’annonce par la société Stmicroelectronics N.V. marque la fin du partenariat entre les sociétés Stmicroelectronics et Sagemecom s’agissant du développement des puces de troisième génération, la proposition de l’intimée qui a suivi cette annonce et ci-dessus rappelée, pouvant légitimement être refusée par les appelantes, celle-ci entraînant une remise en cause profonde du projet en raison du désengagement de la société Stmicroélectronics des activités de développement des puces en post-production et à la maintenance, nécessitant pour les appelantes de recourir à un autre partenaire.

Néanmoins, à la date de cette annonce, les puces Stih418 destinées au boîtier Onebox FTTH et les puces Stih318 destinées au boîtier Zapper n’étaient pas susceptibles d’être intégrées dans un produit fini au regard de leur état d’avancement. Les commandes concernant 33.092 puces Stih418-SUB qui n’ont pas été suivies d’effet puis annulées par la société Sagemcom à la suite de l’annonce du retrait de la société Stmicroelectronics de ce marché, ne peuvent constituer un courant d’affaires en l’absence de fabrication en série d’une telle puce, ces commandes ne pouvant être honorées au moment de l’annonce et n’ayant généré aucun chiffre d’affaires.

Les 758 puces fabriquées et livrées qui constituent des échantillons ont quant à elle généré un chiffre d’affaires très résiduel de sorte que l’arrêt de ce projet n’a entraîné aucune baisse significative du chiffre d’affaire réalisé entre les parties.

En outre, il apparaît des éléments fournis que les puces de seconde génération dites HD ont continué à être commandées et fournies par la société Stmicroelectronics à la société Sagemecom en 2016 et 2017, le chiffre d’affaires réalisé étant en 2016 supérieur à celui de 2015.

Le courant d’affaires existant entre les parties s’est donc maintenu voire accru à la suite de l’annonce du 27 janvier 2016, la circonstance que ces puces aient été commandées pour pallier l’arrêt du développement des puces de troisième génération, à supposer démontrée, est indifférente, aucune modification substantielle de la relation nouée entre les parties n’étant établie.

Dans ces circonstances, il convient de considérer que la société Sagemcom échoue à caractériser une rupture partielle de la relation commerciale établie nouée avec la société Stmicroelectronics.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé par substitution de motifs, en ce qu’il a débouté la société Stmicroelectronics de ses demandes fondées sur les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et la société SFR de ses demandes fondées sur les dispositions de l’article 1382 (ancien) du Code civil en tant que victime indirecte d’une rupture brutale.

Sur la recevabilité des demandes subsidiaires fondées sur la responsabilié contractuelle et sur la rupture abusive de pourparlers

Selon l’article 563 du Code de procédure civile, pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

L’article 564 du Code de procédure civile prévoit qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’article 565 du même Code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Les sociétés Sagemcom et SFR forment devant la cour des demandes subsidiaires et infiniment subsidiaires sur le fondement de la responsabilité contractuelle, d’une part, et de la rupture abusive des pourparlers, d’autre part.

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, il ne s’agit pas de considérations destinées à justifier une prétention mais bien de prétentions distinctes de celles formées sur le fondement de l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce devant les premiers juges. Les dispositions de l’article 563 du Code de procédure civile autorisant les parties à invoquer devant la cour des moyens nouveaux sont donc inapplicables.

Ainsi qu’il a été précédemment relevé, les demandes de la société Sagemcom et de la société SFR tendaient, en première instance, à la réparation de leur préjudice en lien avec la rupture brutale d’une relation commerciale établie nouée avec la société Stmicroelectronics.

En cause d’appel elles sollicitent, à titre subsidiaire, la réparation d’un dommage résultant de l’inexécution dolosive par l’intimée de ses obligations nées du contrat que la société Sagemcom estime avoir conclu avec la société Stmicroelectronics, la société SFR réclamant quant à elle réparation de son préjudice en qualité de tiers victime de l’inexécution du contrat.

Ces demandes qui ont certes pour finalité de solliciter la condamnation de l’intimée au paiement de dommages et intérêts, tendent à la réparation d’un préjudice en lien avec l’inexécution intentionnelle d’une obligation contractuelle et non avec la brutalité de la rupture d’une relation commerciale.

En conséquence, ces demandes ne tendent pas aux mêmes fins et doivent donc être déclarées irrecevables.

A titre infiniment subsidiaire, les appelantes sollicitent la réparation de leur préjudice découlant de la rupture abusive des pourparlers que la société Sagemcom poursuivait avec la société Stmicroelectronics.

Cette prétention nouvelle qui vise à réparer le préjudice qu’estiment avoir subi les appelantes en raison de la brusque rupture de négociations en vue du développement et de la commercialisation de puces de troisième génération, tendent aux mêmes fins que celles présentées au premier juge de voir réparer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un préjudice causé par l’auteur de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Les demandes des sociétés Sagemcom et SFR au titre de la rupture abusive des pourparlers doivent être considérées comme recevables.

Sur les demandes fondées au titre de la rupture abusive des pourparlers

Les appelantes font valoir que la fabrication et la commercialisation d’une puce 4K faisaient l’objet de pourparlers particulièrement avancés entre les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics, ces pourparlers prenant l’apparence de l’exécution du contrat qu’ils préfiguraient.

Ainsi que le rappellent les parties, chacun étant libre de contracter, la rupture des pourparlers pré contractuels est libre. Elle ne doit pas pour autant être abusive.

Selon les éléments fournis aux débats, en suite de la “request for proposal” lancée par la société SFR au mois de février 2015 en vue du développement des décodeurs 4K, ont été retenues le 15 avril 2015 la société Sagemcom comme OEM et la société Stmicroelectronics en tant que fabricant des puces destinées à être intégrées dans le décodeur “Onebox Ftth”, puis au mois de janvier suivant pour le projet de décodeur “Zapper”. Le lancement du projet concernant le décodeur “Onebox Ftth” a eu lieu le 30 avril 2015.

Des échanges concernant le développement des puces sont intervenus entre la société Sagemcom, OEM retenue par la société SFR, et la société Stmicroelectronics notamment quant à la validation de l’étape “fuse map” par la société Sagemcom s’agissant de la puce Stih418 ou la finalisation du contrat de licence de production “Software”, des offres de prix de la société Stmicroelectronics faites le 20 novembre 2015 sur les puces Stih418-SUB (SFR) et Stih318 ayant été acceptées par la société Sagemcom le 23 décembre suivant et 758 échantillons de puces Stih418 destinées au décodeur “Onebox Ftth” commandés par la société Sagemcom ayant été livrés par la société Stmicroelectronics.

Il ressort de ce qui précède que les sociétés Sagemcom et Stmicroelectronics ont bien trouvé un accord sur le développement de la puce de troisième génération destinée à être intégrée au décodeur 4K.

En conséquence, l’abandon de la phase de développement des puces de troisième génération ne constitue pas une rupture de pourparlers pré-contractuels.

En revanche, aucun engagement contractuel de la part de la société Stmicroelectronics n’est démontré par la société Sagemcom concernant la commercialisation notamment en termes de volume de puces et la solution de maintenance des produits en cause, les sept commandes ultérieures d’un total de 33.092 puces par la société Sagemcom, qui doivent être considérées comme des anticipations de commandes fermes et qui ont pu être annulées par cette dernière, ne pouvant concerner la production de puces en série, le développement de celles-ci n’étant pas finalisé ainsi qu’il résulte des échanges de courriels entre les sociétés Stmicroelectronics et Sagemcom au mois de janvier 2016, la première mentionnant à la seconde qu’elle ne peut passer de commandes “frame avant que le produit soit à maturité 30".

Il n’existe aucune relation contractuelle portant sur la commercialisation et la maintenance de telles puces qui étaient toujours en cours de développement.

Néanmoins, une phase de négociation s’est engagée à la suite de l’annonce le 27 janvier 2016 par la société Microelectronics N.V. de l’arrêt au niveau mondial du développement de nouvelles plate formes et de nouveaux produits, et de l’annulation par la société Sagemcom le 5 février suivant des sept commandes de 33.092 puces Stih418, l’intimée ayant pris attache le 9 février 2016 tant auprès de la société Sagemcom que de la société SFR pour leur proposer de mener à son terme la phase de développement des projets 4K (puces Stih418 et Stih318) afin de lancer leur commercialisation (phase 1) tout en précisant les tâches qu’elle ne prend pas en charge sans investissement, précisant dans un courriel du 15 février suivant qu’elle n’est pas “en mesure de terminer le développement du Chemin de données Sécurisé (Secure Data Path) avec les contraintes NAGRA et l’intergiciel SFR (spécifique à SFR par définition) que si SFR contribue à hauteur de 3,35 M USD aux frais de développement logiciel de la Phase 2" et qu’elle n’assurera pas la maintenance dont les coûts tels que prévus en Phase 2 sont estimés à environ 500 K USD par an.

Cette proposition a été refusée par la société SFR suivie par la société Sagemcom.

L’origine de la fin des pourparlers entre les parties n’est donc pas l’annonce du 27 janvier 2016 de la société Stmicroelectronics N.V. de l’arrêt de la production des puces de troisième génération, mais le refus par la société SFR de la proposition ci-avant décrite de la société Stmicroelectronics.

La société Sagemcom ne peut donc reprocher à la société Stmicroelectronics une rupture abusive des pourparlers et sera déboutée de ses demandes à ce titre. La société SFR sera en conséquence également déboutée de ses demandes.

- Sur les autres demandes

Parties perdantes, les sociétés Sagemcom et SFR sont condamnées in solidum aux dépens d’appel et à payer à la société Stemicroelectronics en application de l'article 700 du Code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 50 000 euros.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris par substitution de motifs ; Y ajoutant, Dit non recevables les prétentions nouvelles formées à titre subsidiaire par les sociétés Sagemcom Broadband et Société Française du Radiotéléphone sur le fondement de l’inexécution dolosive d’un contrat ; Dit recevables les prétentions nouvelles présentées à titre infiniment subsidiaire par les sociétés Sagemcom Broadband et Société Française du Radiotéléphone sur le fondement de la rupture abusive des pourparlers ; Déboute les sociétés Sagemcom Broadband et Société Française du Radiotéléphone de l’ensemble de leurs demandes au titre de la rupture abusive des pourparlers ; Vu l’article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés Sagemcom Broadband et Société Française du Radiotéléphone à payer à la société Stmicroelectronics la somme de 50 000 euros ; Rejette toute demande autre ou plus ample ; Condamne in solidum les sociétés Sagemcom Broadband et Société Française du Radiotéléphone aux dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.