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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 1 juillet 2020, n° 20/03764

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodexo Pass France (SA), Sodexo (SA)

Défendeur :

Octoplus (SAS), Ministre chargé de l’Economie, Autorité de la concurrence, Syndicat national de la restauration thématique et commerciale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ienne-Berthelot

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Khayat, Me Labaeye, Me Rocchi, Me Chartier

CA Paris n° 20/03764

1 juillet 2020

Par assignation enregistrée au greffe de la Cour d'appel de Paris le 6 mars 2020, les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA ont déposé une requête afin de sursis à exécution de la décision n° 19-D-25 de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) en date du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des titres-restaurant.

Le 2 mars 2020 les sociétés requérantes ont formé un recours en annulation et en réformation de cette décision devant la Cour d'appel de Paris.

Il ressort des éléments du dossier que, par ladite décision, l'Autorité de la concurrence a sanctionné plusieurs sociétés, dont Sodexo Pass France et Sodexo SA, pour avoir participé à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des titres-restaurant, en violation des dispositions des articles L. 420-1du Code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Par lettre du 9 octobre 2015, la société Octoplus a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’émission et de l’acceptation des titres-restaurant, assortie d’une demande de mesures conservatoires. Par lettres du 21 mai 2015 et 18 novembre 2016, le Syndicat National de la Restauration Thématique, le Syndicat national de la Restauration publique organisée et la Confédération des Professionnels Indépendants ont saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’émission et l’acceptation des titres-restaurant, il a été procédé à la jonction de l’instruction des affaires le 23 mai 2017.

Les rapporteurs de l’ADLC, le Commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Accor, Edenred France et Edenred SA, Natixis et Natixis Intertitres, Octoplus, Sodexo Pass France et Sodexo SA, UP, le syndicat National de la restauration publique organisée, le syndicat National de la restauration thématique et commerciale, l’association la Centrale de Règlement des Titres Traitement ont été entendus lors de la séance de l’ADLC du 18 juillet 2019.

Le 17 décembre 2019, l’ADLC a adopté une décision aux termes de laquelle elle sanctionne plusieurs émetteurs de titres-restaurant (les TR) et leur organisme commun, association de la loi du 1er juillet 1901, la centrale de règlement des titres (la CRT), pour avoir participé à des pratiques d’ententes dans le secteur des titres-restaurant, en violation de l’article L. 420-1 du Code de commerce et l’article 101 §1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Le secteur des titres-restaurant présente les caractéristiques d’une plateforme biface sur laquelle les émetteurs mettent en relation d’une part les salariés (utilisateurs de TR) par le biais de leurs employeurs, et d’autre part les commerçants qui acceptent ces titres comme moyens de paiement :

- face émission, l’émetteur vend aux employeurs les TR qui bénéficieront à leurs salariés ; et

- face acceptation, l’émetteur vend aux commerçants un service de remboursement des TR après réception et traitement de ces titres.

Dans ce cadre, la CRT assure, pour le compte de ses membres-sociétaires et d’émetteurs tiers, le traitement des TR qu’ils ont émis, en vue de leur remboursement auprès des commerçants.

Les échanges d’informations entre les membres-sociétaires par le biais de la CRT.

Selon la décision de l’ADLC, entre 2010 et 2015, les membres-sociétaires de la CRT, c’est à dire Edenred France, Natixis Intertitres, Sodexo Pass France et UP, se sont échangés, tous les mois, des informations relatives à leurs parts de marchés individuelles calculées à partir du nombre de titres traités le mois précédent par la CRT. Ces échanges transitaient par la CRT qui assurait la communication des informations par courriel unique au début de chaque mois.

Selon l’ADLC, plusieurs caractéristiques du marché ont donné à ces pratiques des effets restrictifs sur la concurrence. Etant donné la nature biface du marché, la transparence des prix sur la face acceptation du marché, la détention de la quasi-totalité des parts de marché par les quatre membres sociétaires, l’existence de fortes barrières à l’entrée, la fréquence constante et régulière des échanges et la précision des informations échangées, ces pratiques ont eu pour effet de réduire l’incertitude sur le marché des TR et l’autonomie commerciale des membres- sociétaires, en permettant à chacun d’entre eux d’apprécier la ligne stratégique de ses concurrents sur la face émission du marché.

Dans sa décision du 17 décembre 2019, l’ADLC estime que ces pratiques sont contraires aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, elle inflige au titre de ces pratiques d’échanges d’informations des sanctions pécuniaires aux sociétés Edenred France et Edenred SA, Natixis et Natixis Intertitres, Sodexo Pass France et Sodexo SA, société UP, à l’association la centrale de Règlement des titres traitement.

Le verrouillage du marché par le recours à des stipulations relatives au fonctionnement de la CRT.

Selon l’ADLC, entre 2002 et 2018, la CRT et ses membres-sociétaires ont mis en œuvre une entente ayant pour objet de verrouiller le marché des titres-restaurant par le biais de dispositions statutaires, règlementaires et protocolaires.

Cette entente comprend deux volets : le contrôle de l’accession des émetteurs à la CRT (1er volet) et le contrôle du développement des titres dématérialisés, sous forme de cartes ou d’application mobiles, par les membres-sociétaires (2d volet).

Tout d’abord les conditions relatives à l’adhésion à la CRT fixées par ses statuts et son règlement intérieur sont non objectives et non transparentes.

Sur ce point l’ADLC a suivi une pratique décisionnelle déjà fournie relative aux conditions d’adhésion à un organisme collectif non objectives, non transparentes et discriminatoires. En l’espèce, l’adhésion à la CRT est une condition du traitement des titres papier. Des conditions d’adhésion qui présentent ces caractéristiques négatives, qui laissent une marge de manœuvre discrétionnaire à la CRT et à ses membres-sociétaires pour apprécier qui peut y adhérer et permettre un accès à un traitement papier utilisé par la grande majorité des commerçants qui acceptent les titres constituent un obstacle au jeu de la concurrence.

Par ailleurs, dans sa décision, l’ADLC retient qu’en concluant un protocole par lequel les membres-sociétaires se sont interdits, jusqu’à sa résiliation en 2012, de développer en dehors de la CRT une plateforme de traitement des titres-restaurant dématérialisés, les membres- sociétaires ont limité l’innovation sur le marché.

Cette interdiction imposée aux membres-sociétaires, motivée dans le protocole par le développement parallèle par la CRT d’une plateforme similaire, n’était associée à aucun calendrier ni budget indicatif. Sa méconnaissance pouvait en revanche donner lieu à des sanctions particulièrement lourdes.

Le protocole aboutissait in fine à interdire l’émission par les membres-sociétaires de titres dématérialisés pour les utilisateurs de TR, alors même que la commercialisation de titres dématérialisés, y compris par les membres-sociétaires, se développait dans d’autres pays de l’Union européenne. Ces deux pratiques sont interconnectées en ce qu’elles ont érigé des barrières à l’entrée pour de nouveaux acteurs et ont retardé l’apparition de solutions de titres-restaurant innovants.

Dans sa décision du 17 décembre 2019, l’ADLC inflige au titre de ces pratiques de verrouillage du marché des sanctions pécuniaires aux sociétés Edenred France et Edenred SA, Natixis et Natixis Intertitres, Sodexo Pass France et Sodexo SA, société UP, à l’association la Centrale de Règlement des titres traitement.

Ainsi l’ADLC rend une décision en date du 17 décembre 2019, condamnant les sociétés au paiement d'une sanction pécuniaire et leur a enjoint de publier le résumé figurant au paragraphe

907 de la décision et de modifier les statuts et le règlement intérieur de la Centrale de Règlement des Titres (ci-après CRT), cette décision comporte 9 articles :

« Article 4 : Il est établi que les sociétés Edenred France et Edenred SA, Natixis et Natixis Intertitres, Sodexo Pass France et Sodexo SA, UP et l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE, en mettant en œuvre des pratiques d'échange d'informations relatives à l'activité nationale des membres-sociétaires de la CRT.

Article 5 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 4, les sanctions pécuniaires suivantes :

à la société Edenred France, solidairement avec la société Edenred SA, une sanction de 19 291 000 € ;

à la société Natixis Intertitres, solidairement avec la société Natixis, une sanction de 9 060 000 € ;

à la société Sodexo Pass France, solidairement avec la société Sodexo SA, une sanction de 15 339 000 € ;

à la société UP une sanction de 10 297 000 € ; et

à l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement, une sanction de 1 000 000 €.

Article 6 : Il est établi que les sociétés Edenred France et Edenred SA, Natixis et Natixis Intertitres, Sodexo Pass France et Sodexo SA, UP et l'association Centrale de Règlement des Titres Traitement ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE, en participant à une entente ayant pour objet de verrouiller le marché des titres-restaurant.

Article 7 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 6, les sanctions pécuniaires suivantes :

à la société Edenred France une sanction de 72 290 000 € ;

à la société Edenred France, solidairement avec la société Edenred SA, une sanction de 65 509 000 € ;

à la sanction Natixis Intertitres une sanction de 4 360 000 € ;

à la société Natixis Intertitres, solidairement avec la société Natixis, une sanction de 69 902 000 € ;

à la société Sodexo Pass France, solidairement avec la société Sodexo SA, une sanction de 110 983 000 € ;

à la société UP une sanction de 34 703 000 € ; et

à l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement, une sanction de 2 000 000 €.

Article 8 : Il est enjoint aux entités sanctionnées d'insérer, à frais partagés et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, le texte figurant au paragraphe 906 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans l'édition papier et sur le site Internet du journal Les Échos, de la revue 60 millions de consommateurs et de la revue Neo-Restauration. (…)

Article 9 : Il est enjoint aux sociétés Sodexo Pass France, UP, Natixis Intertitres, Edenred France et l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement de mettre en conformité les Statuts et le RI CRT avec le droit de la concurrence. Elles adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de la nouvelle version des documents, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision ».

Par assignation en date du 4 mars 2020, les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA (les requérantes) demandent qu'il soit sursis à l'exécution de l'injonction édictée à l'article 9 de ladite décision.

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 25 mars 2020, l’audience a été renvoyée au 6 mai 2020 et au 10 juin 2020 du fait de l’état d’urgence sanitaire (Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020).

Le 10 juin 2020, la société Octoplus représentée par son Conseil se présente à l’audience et dépose des conclusions écrites. Le SNRTC (syndicat national de la restauration thématique) représenté par son Conseil se présente à l’audience sans déposer de conclusions écrites.

A l’audience du 10 juin 2020 l’incident a été joint au fond et l’affaire a été mise en délibéré pour être rendue le 1er juillet 2020.

Sur l’incident de procédure :

Par conclusions déposées à l’audience le 10 juin 2020 visant l’article 15 du Code de procédure civile, les articles L. 464-8 et R. 464-22 et suivants du Code de commerce, la société Octoplus représentée par son Conseil fait valoir à l’audience :

1-Sur la caducité des assignations et le manquement manifeste à la loyauté des débats.

La société Octoplus se réfère à un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 10 octobre 2019 selon lequel une requérante ayant formé un recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence qui notifiait des conclusions à une partie en cause devant ladite Autorité est considérée comme “avoir appelé [la partie notifiée] dans la cause”. Dans le cas présent la demanderesse au référé a notifié ses conclusions récapitulatives par lettre recommandée reçue la veille de l’audience à Octoplus, et donc il convient de considérer qu’elle a ainsi appelé dans la cause la société Octoplus.

De plus selon les conclusions écrites, les articles 464-22 du Code commerce et suivants requièrent que la procédure de sursis à exécution formée contre une décision de l’Autorité doit inclure l’ensemble des parties, l’assignation n’ayant pas été signifiée à la société Octoplus, la Cour devra relever d’office sa caducité.

Dès lors que les parties ont estimé vouloir attraire la société Octoplus dans la cause, la communication tardive des conclusions sans les pièces ne permet pas à Octoplus de faire valoir ses arguments, ce comportement procédural est déloyal.

2- sur l’absence de conséquence manifestement excessive attachée à l’exécution de l’article 9 de la décision n° 19-D-25 de l’Autorité de la concurrence.

La société Octoplus conteste l’argumentation des demanderesses au référé et argue que le seul caractère irréversible de l’injonction, à le supposer établi, n’emporte pas nécessairement des conséquences manifestement excessives.

3- Sur l’urgence justifiant la mise en œuvre immédiate de l’injonction.

A l’inverse de ce que prétendent les demanderesses au référé, il y a bien une urgence à exécuter immédiatement l’injonction prononcée à l’article 9 de la décision N°19-D-25. En effet la société Octoplus attend avec impatience la mise à jour des statuts pour pouvoir formuler une demande d’adhésion car son développement a été entravé par cette impossibilité d’offrir à ses clients le choix entre sa solution électronique et des titres papiers. Depuis 6 ans, les nouveaux entrants sur le marché des titres restaurants en général et notamment Octoplus, on été privés du fait du verrouillage de la CRT par les 4 émetteurs historiques, de pouvoir commercialiser des titres papiers ce qui a freiné leur développement, le sursis à exécution de l’injonction de l’Autorité de la concurrence aurait pour conséquence de perpétuer l’effet des pratiques anticoncurrentielles pendant plusieurs mois ou années, ce qui serait fatal pour la plupart des concurrents sur le marché, il y a urgence à ce que cette injonction de mise en conformité du fonctionnement de la CRT avec le droit de la concurrence soit mis en œuvre.

Il est fait mention de la jurisprudence du Tribunal de l’Union ou de la Cour de justice qui selon Octoplus n’a jamais accepté de suspendre l’exécution d’une décision de la commission européenne comportant une injonction.

La société Octoplus demande à la Cour :

A titre liminaire : constater l’attrait à la cause de la société Octoplus par la notification, par lettre recommandée reçue le 9 juin 2020, des conclusions récapitulatives des sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA à défaut : admettre l’intervention volontaire de la société Octoplus à titre accessoire en conséquence adjuger à la société Octoplus le bénéfice des présentes écritures

A titre principal : relever la caducité des assignations des sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA portant demande de sursis à exécution de la décision de l’Autorité de la concurrence

A titre subsidiaire :

débouter les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA de leur demande de sursis à exécution de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-25 en ce qui concerne l’article 9 de la décision  

en tout état de cause condamner solidairement les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA à payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 à la société Octoplus.

Le SNRTC (syndicat national de la restauration thématique) représenté par son Conseil se présente à l’audience sans déposer de conclusions écrites et fait valoir à l’oral :  le syndicat SNRTC a reçu notifications des dernières conclusions des requérantes, il considère qu’il est attrait à la cause, qu’à défaut il intervient volontairement comme le lui permet la procédure orale. Il rappelle que le SNRTC avait saisi l’Autorité de la concurrence à l’origine de la procédure, que les restaurateurs critiquent les taux pratiqués et estiment que la libre concurrence n’est pas respectée, que bien que n’ayant rédigé aucune conclusion, il adhère aux arguments développés dans les conclusions du conseil d’Octoplus et présente les mêmes demandes.

Le conseil de Sodexo Pass France et Sodexo SA fait valoir à l’oral :

le recours au fond en date du 2 mars 2020 contre la décision de l’Autorité a bien été notifié à l’ensemble des parties, dont Octoplus et le SNRTC, en revanche Octoplus et le SNRTC ne sont pas parties dans la procédure de sursis à exécution, puisqu’elles n’ont pas été assignées. Il précise que la société Sodexo Pass France et la société Sodexo SA n’ont pas volontairement souhaité les attraire, qu’elles ont reçu un acte par erreur. En ce qui concerne leur demande en intervention volontaire ni Octoplus ni la SNRTC ne présente un acte d’intervention volontaire avec notification aux parties, ainsi les formes requises ne sont pas respectées, de plus elles ne justifient d’aucune qualité pour agir. En ce qui concerne l’assignation pour laquelle elles soulèvent la caducité, l’assignation obéit aux conditions de l’article R. 464-22 du Code de commerce.

L’Autorité de la concurrence s’en remet à la sagesse de la Cour.

Le ministre de l’Economie s’en remet à la Cour.

Le Ministère public, non présent à l’audience, n’a pu être consulté pour avis.

En accord avec les parties, l’incident est joint au fond.

Sur la demande de Sursis à exécution :

Par assignation déposée au greffe de la Cour d'appel de Paris le 6 mars 2020, les requérantes Sodexo Pass France et Sodexo SA font valoir :

I FAITS ET PROCÉDURE :

Les requérantes rappellent les termes de la décision du 17 décembre 2019 de l’ADLC, cette décision dans son article 9 enjoint aux entités auteures de l’infraction, y compris Sodexo Pass France et Sodexo SA en sa qualité de société mère, de modifier les statuts et le règlement intérieur de la CRT afin de les “mettre en conformité [...] avec le droit de la concurrence et d’ainsi supprimer ou modifier toute stipulation qui y conviendrait”. Il est enjoint aux sociétés d’y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. Les motifs de la décision ne contiennent pas d’indication sur le sens et la portée des modifications qu’il conviendrait d’apporter aux statuts et au règlement intérieur de la CRT. La décision a été notifiée le 6 février 2020, les destinataires de l’injonction doivent justifier de son exécution au plus tard le 6 mai 2020.

En l’espèce l’exécution de la Décision est susceptible d’entraîner à l’égard des requérantes des conséquences manifestement excessives qui justifient que le Premier Président de la cour d’Appel de Paris prononce le sursis à exécution de celle-ci dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le recours au fond, sur le fondement de l’article L. 464-8 al 2 du Code de commerce.

II DISCUSSION :

L’injonction édictée à l’article 9 n’a fait l’objet d’aucun débat contradictoire au cours de la procédure contentieuse devant l’ADLC ni au cours de la séance devant le collège de l’Autorité. Les destinataires de cette injonction n’ont pas été en mesure d’en débattre contradictoirement ce qui est une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense (A).

L’injonction édictée à l’article 9 méconnait la triple exigence de clarté, de précision et de certitude quant à son exécution que doit respecter toute injonction prononcée sur le fondement de l’article L. 464-2 du Code de commerce (B).

Compte tenu de l’incertitude totale dans laquelle sont placées les requérantes quant au sens et à la portée de l’injonction, son exécution provisoire placerait les requérantes en situation quasi- automatique de non-respect de l’injonction et les exposerait à une procédure de sanction sur le fondement de l’article L. 464-3 du Code de commerce, ce qui constituerait une “conséquence manifestement excessive” (C).

Si les requérantes exécutaient l’injonction, cette exécution serait irréversible et les requérantes seraient privées du bénéfice de leur recours au fond, ce qui constituerait encore une “conséquence manifestement excessive” au sens de l’article L. 464-8 du Code de commerce (D).

Aucune circonstance ne justifie l’exécution immédiate de l’injonction de l’article 9, celle-ci ayant pour objectif de remédier à une pratique présentant une gravité limitée et un dommage limité à l’Economie selon l’ADLC (E).

A – Premier moyen : violation flagrante du principe du contradictoire et des droits de la défense entraînant un risque sérieux d'annulation de l'article 9 de la décision

1 – Sur la possibilité d'invoquer une violation flagrante des règles de droit applicables au soutien d'une demande de sursis à exécution fondée sur l'article L. 464-8 du Code de commerce

Selon la jurisprudence, une violation flagrante des règles de droit applicables entraînant un risque sérieux d'annulation de la décision attaquée justifie en soi qu'il soit sursis à son exécution provisoire, dès lors que la violation est manifeste. C’est le caractère flagrant de la méconnaissance des règles applicables, faisant peser un risque sérieux d’annulation sur la décision, qui détermine le caractère manifestement excessif des conséquences engendrées par l’exécution de la décision.

2 – En l'espèce, violation flagrante du principe du contradictoire et des droits de la défense du fait de l'absence de tout débat contradictoire sur l'injonction visée à l'article 9 de la décision

Il est argué que l'article L. 463-1 du Code de commerce soumet la procédure contentieuse devant l'Autorité de la concurrence au principe du contradictoire, ce qui signifie que l'Autorité ne peut retenir des éléments dans sa décision de sanction qu'à la condition que les parties aient pu en débattre contradictoirement au préalable.

Il est précisé que ce principe ne s'applique pas seulement aux éléments retenus pour la qualification de l'infraction mais aussi aux sanctions adoptées par le Collège.

En l'espèce, l'injonction de modification des statuts et du règlement intérieur de la CRT n'a pas été évoquée par les services d'instruction au cours de la phase contradictoire écrite.

Il ressort du Rapport en date du 25 février 2019 que les services d'instruction n'ont pas recommandé, ni même évoqué, une quelconque injonction de modifier les statuts et le règlement intérieur de la CRT. A ce stade de la procédure, les requérantes n'ont donc pas été en mesure de présenter leurs observations sur une telle objection.

Par ailleurs, cette injonction n'a pas non plus été évoquée, ni a fortiori discutée, lors de la séance du 18 juillet 2019.

Il en découle une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, au principe du contradictoire et au principe de l'égalité des armes.

B – Deuxième moyen : violation flagrante de la triple exigence de clarté, de précision et de certitude quant à son exécution de l'injonction édictée à l'article 9 de la décision

Il est soutenu qu'il découle du principe d'interprétation stricte qui s'applique aux injonctions que toute injonction prononcée par l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce doit être formulée en des termes claires, précis et exempts d'incertitudes quant à son exécution.

Au cas présent, le constat de la non conformité de l'injonction édictée à l'article 9 de la décision à cette triple exigence résulte à l'évidence.

En effet, il suffit de se reporter au libellé du dispositif de la décision pour constater que l'Autorité s'est contentée d'enjoindre aux entités sanctionnées de « mettre en conformité les

Statuts et le RI CRT avec le droit de la concurrence », en se bornant ainsi à reprendre les termes généraux et impersonnels de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

Quant aux motifs de la décisions, ils se limitent à deux paragraphes succincts (907 et 908) qui ne font que paraphraser l'article L. 46-2 du Code de commerce, ils n’apportent pas d’éclairages sur le sens et la portée des modifications qu’il conviendrait d’apporter aux statuts et au règlement intérieur de la CRT pour satisfaire à l’injonction.

Il est argué qu'il existe une incertitude fondamentale sur le sens que devrait revêtir la « mise en conformité » des statuts et du règlement intérieur de la CRT.

En effet, les requérantes ne sont pas en mesure de déterminer si (i) une modification des modalités d'adhésion de nouveaux membres à la CRT est indispensable pour conformer les textes internes de la CRT au droit de la concurrence ou si (ii) la rédaction de nouvelles stipulations précisant les modalités de prestations de services aux tiers par la CRT, sans pour autant modifier les modalités d'adhésion de nouveaux membres, constituerait une alternative satisfaisante du point de vue de l'Autorité.

Il est soutenu que la décision ne permet pas de savoir si les deux options – accès au statut de membre ou aux services de la CRT – sont équivalents du point de vue du droit de la concurrence, ni si l'une ou l'autre pourraient être acceptables alternativement et selon quelles modalités, et que la rédaction de la formule « supprimer ou modifier toute stipulation qui y contreviendrait » est particulièrement vague et que les stipulations ne sont pas spécifiées.

L’usage du conditionnel laisse même penser qu’il pourrait ne pas en exister, l’injonction est à l’évidence indéterminée. Cette injonction est exposée à un risque sérieux d’annulation justifiant en soi de surseoir à l’exécution de cet article 9.

C – Troisième moyen : risque élevé de sanction à l'encontre des requérantes pour inexécution de l'injonction édictée à l'article 9 de la décision

Il est rappelé que l'article L. 464-3 du Code de commerce attribue à l'Autorité le pouvoir de contrôler elle-même l'exécution de ses décisions et, le cas échéant, de sanctionner leur non- respect par une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2.

Ainsi, en l'absence de sursis à exécution et dans l'hypothèse où l'Autorité viendrait à considérer que les requérantes n'ont pas correctement exécuté l'article 9 de la décision, celles-ci pourraient se voir infliger une sanction pécuniaire pouvant atteindre 10% de leur chiffre d'affaires total, ce qui est déjà arrivé par le passé envers des entreprises.

Il est soutenu que pour les raisons développées supra, le risque qu'une telle procédure contentieuse soit engagée à l'encontre des requérantes est assurément élevé, puisque toute diligence des requérantes destinées à exécuter l’injonction pourrait potentiellement être interprétée par l’autorité comme une exécution incomplète ou erronée, et donc comme une violation de cette injonction. Ainsi l’exécution de l’article 9 de la décision entraînerait des conséquences manifestement excessives à l’égard des requérantes.

D – Quatrième moyen : le caractère irréversible de l'injonction édictée à l'article 9 de la décision

D'après la jurisprudence, la notion de « conséquence manifestement excessive » au sens de l'article L. 464-8 du Code de commerce recouvre également l'exécution d'une injonction irréversible, c'est-à-dire d'une injonction rendant improbable un retour à la situation antérieure en cas de succès du recours au fond. Le sursis à exécution permet alors de préserver le caractère provisoire de l'exécution de la décision de sanction.

En l'espèce, à supposer que les requérantes procèdent de bonne foi à certaines modifications des statuts et du règlement intérieur de la CRT conjointement avec les autres destinataires de l'article 9 de la décision, et que l'Autorité s'en montre satisfaite, un retour à la situation antérieure serait improbable et cela quelles que soit les diligences entreprises dans la mesure où la structure et le fonctionnement de la CRT seraient irrémédiablement modifiés.

En outre, une nouvelle modification des statuts qui serait destinée à revenir à la situation antérieure en cas d'annulation de la décision supposerait l'accord des autres membres de la CRT. Les requérantes n'auraient donc aucune garantie que l'ensemble des membres de la CRT acceptent de procéder aux diligences nécessaires pour rendre effectif un retour à la situation antérieure et il en serait, a fortiori, de même si un nouvel émetteur devenait membre de la CRT sur la base des statuts et du règlement intérieur de la CRT modifiés en exécution de l'injonction. Il est enfin rappelé que selon la jurisprudence de la CEDH, le droit au procès équitable inscrit à l'article 6 de la CESDH couvre non seulement l'accès au juge mais également la mise en œuvre des décisions judiciaires et la possibilité de revenir à une situation antérieure en cas d'annulation d'une décision.

E – Cinquième moyen : sur l'absence d'urgence justifiant la mise en œuvre immédiate de l'injonction

Il est fait valoir qu'aucune circonstance ne justifie en l'espèce l'exécution immédiate de l'injonction prononcée à l'encontre des requérantes, compte tenu de la gravité relative ainsi que du dommage tout aussi limité à l'Economie de la seconde entente sanctionnée par la décision.

Il est argué que le caractère relatif de cette gravité s'explique par le fait qu'aucun émetteur en général ni aucun des cinq nouveaux entrants sur le marché (le saisissant Octoplus, Monéo, Crédit Mutuel, Digibon Et Lunch'r) n'a demandé à adhérer à la CRT ou à recourir à ses services ; aucun des saisissants (Octoplus ou les syndicats de restaurateurs et d'hôteliers) n'a dénoncé un quelconque verrouillage du marché par les conditions d'entrée et/ou d'accès aux services de la CRT ; les émetteurs non membres de la CRT sont déjà en mesure de demander à la CRT de leur fournir une prestation de traitement de leurs titres-papier, sans devenir membres de la CRT.

En outre, de l'aveu même de la décision, cette entente n'a causé aucun dommage à l'Economie (cf. paragraphes 834, 839 et 846).

Dans ces conditions, ni la gravité de la pratique ni le dommage à l’Economie ne justifient d’une telle urgence rendant nécessaire l’exécution immédiate de l’injonction.

Par conséquent, aucun motif d'intérêt général ne justifie l'exécution immédiate de l'injonction, au contraire sa mise en œuvre aurait des conséquences graves et irréversibles pour les requérantes.

En conclusion, il est demandé de :

- constater les conséquences manifestement excessives pour Sodexo Pass France et Sodexo SA qu'est susceptible d'entraîner l'exécution de l'article 9 de la décision n° 19-D-25 de l'Autorité de la concurrence ;

En conséquence,

- ordonner le sursis à l'exécution de l'injonction édictée à l'article 9 de la décision n° 19-D-25 jusqu'à ce que la Cour d'appel de Paris ait statué sur le bien-fondé du recours formé par Sodexo Pass France et Sodexo SA à l'encontre de la décision n° 19-D-25 ;

En tout état de cause,

- condamner l'Autorité de la concurrence à verser aux requérantes Sodexo Pass France et Sodexo SA une somme de 3 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dire que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux de l'instance au fond.

Par observations du 1 avril 2020 soutenues à l’audience du 10 juin 2020 le ministre de l’Economie fait valoir :

I– Sur l'office du Premier président de la Cour d'appel de Paris dans les procédures de sursis à statuer.

Il est rappelé le texte de l'article L. 464-8 du Code de commerce et soutenu que d'après la jurisprudence, s'il n'appartient pas au magistrat délégué de la Cour d'appel de Paris de « contrôler la légalité de la décision objet du recours, il lui revient en revanche de s'assurer, lorsqu'une irrégularité grave de procédure est invoquée, que la décision n'est pas sérieusement menacée d'annulation de ce chef, de sorte que son exécution dans ces conditions serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives visées à l'article L. 464-8 du Code de commerce ».

Il est précisé que ladite appréciation « suppose que la violation alléguée apparaisse manifeste, c'est-à-dire qu'elle résulte à l'évidence de la décision contestée et des pièces produites » (récemment, CA Paris, 23 janvier 2019, affaire Stihl, n° 18/26546).

II – Sur les demandes de sursis à exécution de l'injonction de l'article 9 de la décision

A – Sur la violation flagrante du principe du contradictoire et des droits de la défense

Les sociétés Edenred, Natixis, Sodexo et UP font valoir que l’injonction n’aurait fait l’objet d’aucun débat contradictoire, ni au stade du rapport, ni au cours de la séance devant le collège de l’Autorité, en méconnaissance des principes du contradictoire et des droits de la défense. Il est rappelé une jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris (12 mai 2016) selon laquelle de principe du contradictoire ne limite pas la liberté de délibérer de l’autorité ni celle de donner la suite qui lui paraît la plus appropriée

Au cas présent, l'instruction et la décision se sont fondées sur un ensemble d'arguments, de déclarations et de pièces matérielles, dont plusieurs ont été versées par les parties au cours du contradictoire, phase pendant laquelle les entreprises en cause ont disposé de la faculté de consulter l'ensemble de ces éléments et de formuler les observations qu'elles jugeaient utiles.

Le Collège de l'Autorité de la concurrence était, quant à lui, libre de déterminer les suites qui lui paraissaient appropriées à l'espèce.

Par ailleurs, il est souligné que la décision peut, en vertu de l'article L. 464-8 du Code de commerce, faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris, ouvrant un débat contradictoire sur les sanctions pécuniaires et les injonctions infligées aux requérantes.

B – Sur la violation flagrante de la triple exigence de clarté, de précision et de certitude et le risque élevé qui en résulterait de non-respect de l'injonction

Les sociétés Edenred, Natixis, Sodexo, UP et la CRT soutiennent que le libellé de l’injonction ne respecte pas cette exigence. De plus la CRT fait valoir qu’il existe un doute sur l’entité visée (CRT T, ex CRT ou CRT S ex SSIM). Les requérantes estiment que cette incertitude les expose au non respect de cette dernière et à une procédure de sanction.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris qu'une injonction « doit être formulée en des termes claires, précis et exempts d'incertitudes quant à son exécution ».

Or, en l'espèce, la décision explique sans ambiguïté dans quelle mesure les statuts et le règlement intérieur de la CRT sont contraires au droit de la concurrence et pose un cadre clair sur les modalités de leur mise en conformité. En effet, il est reproché aux conditions d'adhésion à la CRT d'être définies de manière non objective, non transparente ou discriminatoire (v. notamment § 605 à 622 de la décision).

Il s'en déduit que les modifications à apporter doivent être de nature à remédier à l'absence d'objectivité et de transparence des conditions d'adhésion à l'association.

Il est argué que le fait de prévoir les modalités de prestations de services aux tiers par la CRT ne saurait constituer une alternative suffisante à la mise en place de conditions d'adhésion objectives, transparentes et non discriminatoires.

Par ailleurs, l'injonction de mise en conformité de l'article 9 vise la Centrale de Règlement des Titres Traitement (CRT T), de sorte qu'il n'existe aucune ambiguïté quant à l'entité concernée par les modifications à apporter et, par conséquent, quant à la nature et à la portée de ces modifications.

Enfin, l'article 9 de la décision n'exclut pas une phase d'échange avec l'Autorité de la concurrence dans le délai imparti pour la mise en œuvre de l'injonction, dans l'hypothèse où les modifications proposées ne seraient pas jugées suffisantes.

C – Sur le caractère irréversible de l'injonction

Il est soutenu que les requérantes ne démontrent nullement de manière « concrète et chiffrée » les conséquences manifestement excessives qu'entraînerait l'exécution de l'injonction.

Quant à l'affirmation selon laquelle cette injonction fait courir des risques irréversibles, elle n'est appuyée d'aucun élément suffisamment probant.

En effet, l'argument selon lequel il existerait une incertitude quant au vote futur de l'Assemblée générale de la CRT T ne peut être de nature à rendre impossible la possibilité de revenir à une situation financière en cas d'annulation d'une décision de sorte que les requérantes se retrouveraient automatiquement privées du bénéfice de leurs recours au fond.

D – Sur la méconnaissance du principe de proportionnalité (argument soulevé par la CRTT)

E – Sur l'absence d'urgence justifiant la mise en œuvre immédiate de l'injonction

Selon la jurisprudence, l'urgence ne constitue pas une condition nécessaire à l'imposition d'une injonction mais permet seulement, au regard de l'impact anticoncurrentiel des pratiques visées, d'apprécier la nécessité de leur mise en œuvre immédiate.

Par conséquent, l'argument tiré de l'absence d'urgence est inopérant.

En conclusion, le ministre de l’Economie considère qu'il n'y a pas lieu de prononcer de sursis à statuer concernant l'injonction énoncée à l'article 9 de la décision n° 19-D-25.

Par observations du 20 avril 2020 soutenues à l’audience du 10 juin 2020, l’Autorité de la concurrence fait valoir :

I – Sur le principe de l'effet non suspensif du recours et la notion d'urgence

Edenred et Sodexo soutiennent qu’aucune urgence ou motif d’intérêt général ne justifie ni ne rend nécessaire l’exécution immédiate des injonctions prononcées à son encontre, or il est rappelé que l'exécution immédiate des décisions de l'Autorité, y compris des injonctions prononcées, est de droit et ne dépend donc d'aucune particulière d'urgence ni d'aucun motif d'intérêt général qui serait notamment lié à la gravité de l'infraction ou au dommage à l'Economie.

Dès lors, les arguments des requérantes sont inopérants.

De surcroît, la décision n'impose pas de « conditions particulières » à l'entreprise mais se borne, en réalité, à ordonner qu'il soit « mis fin aux pratiques » par la mise en conformité des dispositions statutaires et réglementaires litigieuses, énonçant, conformément à sa pratique décisionnelle, de façon claire et précise les obligations incombant aux entités sanctionnées.

II – Sur les moyens tirés de la violation flagrante de règles de droit.

A – Sur l'admissibilité des moyens tirés de la violation flagrante des règles de droit dans le cadre de la demande de sursis à exécution d'une décision de l'Autorité

Il ressort d'une jurisprudence constante qu'il n'appartient pas au magistrat délégué par le Premier président de contrôler la légalité de la décision, objet du recours dont la cour aura à connaître.

Si, dans de rares hypothèses, le sursis à exécution d'une décision a pu être accordé au motif d'une violation flagrante des règles de droit, ce n'est que lorsque des irrégularités graves de procédure étaient alléguées et à la stricte condition que la décision soit « sérieusement menacée d'annulation de ce chef de sorte que son exécution dans ces conditions serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives visées par l'article L. 464-8 du Code de commerce ».

Or, cela n'est pas le cas en l'espèce.

B – Sur les principes du contradictoire, des droits de la défense et de l'égalité des armes

Edenred, Natixis et Sodexo soutiennent que le principe du contradictoire à la procédure contentieuse devant l’ADLC, ainsi que les droits de la défense et l’égalité des armes ont été violés.

A titre liminaire, il est rappelé que l'injonction a été prononcée conformément au paragraphe I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, qui habilite l'Autorité à imposer des conditions particulières aux entreprises ou aux organismes ayant mis en place une pratique anticoncurrentielle afin d’y mettre fin.

Au cas présent, les pratiques visées au titre du premier volet du grief n° 2 étaient toujours en cours à la date de l'adoption de la décision. Ès lors l’article 9 enjoint aux requérantes d’y mettre fin.

L'Autorité cite plusieurs jurisprudences nationales et européennes précisant la portée des principes du contradictoire, des droits de la défense et de l'égalité des armes et argue que ces principes n'ont pas été violés à l'adoption de l'article 9 de la décision attaquée.

En effet et en premier lieu, dès lors que l'injonction a pour objectif de mettre un terme aux pratiques visées au grief n° 2 encore en cours à la date de la décision, les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'influer sur sa détermination avaient été communiqués aux requérantes au stade de l'instruction.

En deuxième lieu, les observations qui auraient pu être formulées par les requérantes ne concernent pas les éléments de fait et de droit pour la détermination de l'injonction mais sa seule formulation, dont la rédaction n'appartient qu'à l'Autorité.

En troisième lieu, la référence à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mai 2017 est inopérante au cas d'espèce dans la mesure où, dans cette affaire, les rapporteurs de l'Autorité avaient présenté des éléments nouveaux en séance ayant trait au dommage à l'Economie pris en compte, sur les aspects quantitatifs desquels les parties n'avaient pas pu répliquer.

Au cas particulier, l'injonction en cause n'a pas été établie à partir de nouveaux éléments de fait ou de droit dont le versement tardif aurait nécessité un tour de contradictoire supplémentaire mais à partir du constat, soumis au contradictoire, que les comportements infractionnels subsistaient au jour de la décision.

C – Sur la clarté, la précision, la certitude et le caractère proportionné de l'injonction

Sur l'absence de violation flagrante d'une règle applicable aux injonctions

Il est fait valoir que l'Autorité a requis la mise en conformité des statuts et du règlement intérieur de la CRT avec le droit de la concurrence, sans se substituer aux entités sanctionnées dans la définition des moyens pour y parvenir, qu'il appartient auxdites entités de définir.

Il ressort des motifs énoncés aux paragraphes 605 à 610 de la décision que celle-ci prend soin de viser les carences des stipulations des statuts et du règlement intérieur de la CRT du point de vue des règles de la concurrence en précisant en quoi les conditions d'adhésion à la CRT ne sont ni transparentes, ni objectives.

Dans ces conditions, les allégations des requérantes sont infondées.

S'agissant tout d'abord de la référence à la CRT dans l'expression « RI CRT », il s'agit ici du règlement intérieur de la Centrale de Règlement des Titres Traitement.

En ce qui concerne ensuite l'objet de la modification, il s'agit pour les requérantes de rendre les conditions d'adhésion à la CRT objectives et transparentes en modifiant les statuts et le règlement intérieur de la CRT.

Il est argué que la décision identifie avec précision les pratiques dont l'Autorité demande la cessation puisque cette injonction porte sur « les Statuts et le RI CRT », ces documents ayant été présentés de façon circonstanciée aux paragraphes 287 à 329 de la décision et leurs dispositions contraires au droit de la concurrence ayant été abondamment décrites dans sa motivation.

Concernant le caractère proportionné de la décision, l'Autorité a relevé que les conditions d'adhésion à la CRT n'étaient ni transparentes, ni objectives, contrairement à la jurisprudence applicable.

Ainsi que la cour d'appel de Paris l'a rappelé dans son arrêt du 20 décembre 2018 n° 17/01304, la vérification du caractère proportionné de l'injonction « suppose qu'elle soit d'abord apte à remplir son objectif ».

Il est soutenu que la mise en conformité ordonnée n'implique nullement une ingérence excessive ou une remise en cause d'une politique de décroissance éventuellement engagée, mais uniquement l'application de règles transparentes objectives dans toute politique que la CRT T souhaiterait engager.

Dans ces conditions, l'injonction apparaît parfaitement utile pour atteindre l'objectif poursuivi mais également proportionnée.

Par ailleurs, s'agissant de l'incompétence de la CRT T pour procéder à la modification de ses statuts, il suffit de renvoyer au texte de l'article 9 qui vise la CRT T, mais aussi les autres requérantes compétentes pour procéder à la modification des statuts dans le cadre d'une assemblée générale extraordinaire, qui est d'ailleurs convoquée par le Conseil d'administration de la CRT T. S'agissant du règlement intérieur, la décision n'implique nullement qu'il traite de points extérieurs à son rôle mais simplement que les requérantes modifient aussi ce document pour rendre les conditions d'adhésion transparentes et objectives.

Sur l'absence de conséquences manifestement excessives

Il est fait valoir que les requérantes ne fournissent, dans leurs écritures, aucun élément de nature à permettre à la cour d'apprécier l'existence de conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'absence de clarté, précision et certitude de l'injonction, mais se bornent à invoquer l'existence d'une menace sérieuse d'annulation de la décision.

III – Sur le moyen tiré du risque élevé de sanction pour inexécution de l'injonction

Il est soutenu que les requérantes auraient pu se rapprocher de l'Autorité afin d'en faire préciser les termes de la décision et éviter ainsi toute crainte de « discrétion totale » de sa part.

Par ailleurs, à supposer même qu'une sanction soit prononcée contre les requérantes pour non- respect de l'injonction, elles pourront introduire un recours en annulation de la décision de sanction devant la cour d'appel de Paris, ainsi qu'il est déjà arrivé par le passé.

IV – Sur le moyen tiré du caractère irréversible de l'injonction

Il est argué que les requérantes ne démontrent pas le caractère irréversible de l'injonction soulignant qu'un retour à la situation préalable serait « improbable ».

D'ailleurs, rien ne les empêche d'insérer une clause dans la nouvelle version des statuts et/ou du règlement intérieur permettant, en cas d'annulation de l'article 9 de la décision, que la version antérieure de ces textes soit rétablie automatiquement.

En conclusion, il est demandé d'écarter l'ensemble des moyens soulevés et de rejeter la requête tendant au sursis à exécution de l'injonction.

Par conclusions récapitulatives en date du 4 juin 2020 soutenues à l’audience du 10 juin 2020, les sociétés requérantes Sodexo Pass France et Sodexo SA font valoir :

A -Sur la violation flagrante du principe du contradictoire et des droits de la défense entraînant un risque sérieux d’annulation de l’article 9 de la décision ;

Les requérantes rappellent que c’est le caractère flagrant de la méconnaissance des règles applicables faisant peser un risque d’annulation sur la décision qui détermine le caractère manifestement excessif des conséquences engendrées par l’exécution de la décision et contestent les affaires citées par l’Autorité au paragraphe 30 de ses observations, qui ne sont pas comparables avec la demande des requérantes. Ainsi le sursis peut -être octroyé sans préjuger de quelque manière que ce soit du sens de l’arrêt de la Cour à intervenir sur le recours au fond.

Dans ses observations, l’Autorité tente de remettre en cause la recevabilité du premier moyen soulevé, elle prétend que l’application de l’article L. 464-8 du Code de commerce devrait être circonscrite aux cas ou la viabilité financière de l’entreprise serait en jeu, alors que la Cour d’appel de Paris a admis que le sursis à l’exécution de la décision de l’autorité pouvait être motivé de façon autonome, indépendamment de toute considération de viabilité financière, ce qui correspond à un courant de jurisprudence que l’Autorité ne peut ignorer. De plus l’Autorité prétend circonscrire la possibilité d’un sursis aux seules irrégularités flagrantes de procédure mais la jurisprudence qu’elle cite a permis de sursoir à statuer d’une décision affectée d’un risque d’annulation en raison d’une violation flagrante d’une règle de droit mais n’a pas circonscrit cette possibilité aux seuls cas de violation flagrante de règles de procédure.

Les requérantes maintiennent que le principe du contradictoire qui s’applique à la procédure devant l’ADLC s’applique aux éléments retenus par l’Autorité pour la qualification mais aussi aux sanctions adoptées par le collège, or en l’espèce il n’y a pas eu de débat contradictoire sur les termes de l’injonction, les parties n’ont pas été en mesure de présenter des observations sur le sens et la portée de l’injonction. D’ailleurs dans ses observations, l’Autorité elle-même invite les parties à la solliciter afin de clarifier le sens et la portée de son injonction, les parties estiment que de tels échanges doivent avoir lieu dans le cadre juridique du débat contradictoire au cours de la procédure contentieuse et non a postériori au stade de l’exécution.

B-Sur la triple exigence de clarté, de précision et de certitude de l’injonction.

Dans ses observations du 20 avril l’Autorité prétend que la clarté de l’injonction ne fait aucun doute, qu’il ressort clairement de la décision qu’il était demandé aux parties de prévoir des conditions transparentes et objectives d’adhésion à la CRT, elle affirme que le “ libellé de cette injonction est éclairé par les motifs de la décision figurant aux paragraphes 287 à 329 [...] puis aux points 605 à 654", or il s’avère que les paragraphes auxquels se réfère l’Autorité ne concernent pas seulement les conditions d’adhésion de la CRT, mais d’autres modalités qui appelleraient d’autres modifications de la part des destinataires de l’injonction. De plus l’autorité prétend que l’injonction est identifiable et précise alors que 92 paragraphes sont nécessaires à son interprétation. Ainsi la seule lecture de la décision ne permet pas de déterminer de façon claire et précise les modifications qu’il convient d’apporter aux statuts et au règlement intérieur de la CRT afin que ces textes soient considérés par l’Autorité comme conformes aux exigences découlant du droit de la concurrence. L’injonction est à l’évidence indéterminée.

C-Sur le risque élevé de sanction à l’encontre des requérantes pour l’inexécution de l’injonction édictée à l’article 9 de la Décision.

Contrairement à ce que prétend l’Autorité dans ses observations, une décision de sanction des requérantes pour non-respect de l’article 9 de la décision ne pourrait faire l’objet d’une demande de sursis à exécution, y compris dans l’hypothèse où cette sanction interviendrait avant l’issue du recours au fond contre la décision (il est rappelé la jurisprudence en l’espèce), de plus le recours en annulation ne serait d’aucun secours puisque les conséquences manifestement excessives que la présente demande vise à prévenir se seraient déjà matérialisées.

D-Sur le caractère irréversible de l’injonction édictée à l’article 9.

Contrairement à ce que prétend l’Autorité au §91 de ses observations du 20 avril, la jurisprudence n’exige pas de démontrer que toute possibilité d’un retour à la situation antérieure est exclue, mais de démontrer qu’un tel retour est “difficile” ou “improbable”. En l’espèce, si les requérantes procèdent à certaines modifications des statuts et du règlement intérieur et que l’autorité s’en montre satisfaite, la structure et le fonctionnement de la CRT seraient irrémédiablement modifiés et un retour à la situation antérieure serait improbable en cas d’annulation de la décision au fond. En ce qui concerne la “clause“ suggérée par l’Autorité, prévoyant un retour “automatique” à l’état antérieur des statuts et du règlement intérieur de la CRT en cas d’annulation de la décision au fond, elle n’est pas sérieuse et semble peu réaliste (modification des conditions d’adhésion à la CRT et des voies délibératives aux assemblées, modification des conditions de prestations de services aux tiers...)

E-Sur l'absence d'urgence justifiant la mise en œuvre immédiate de l'injonction.

Dans ses observations, l’Autorité soutient que l’argument des requérantes serait inopérant puisque l’exécution immédiate des décisions de l’Autorité, y compris les injonctions, ne serait pas subordonnée à l’existence d’une situation d’urgence. Or les requérantes ne prétendent pas que l’exécution immédiate de l’injonction de la décision est subordonnée à l’existence d’une urgence particulière ni que l’absence d’urgence est une condition d’obtention du sursis, mais cette absence d’urgence à exécuter une injonction est un élément qui peut-être pris en compte par le Premier président qui est saisi., en l’espèce, aucun motif d’intérêt général ne justifie l’exécution immédiate de l’injonction.

La société Octoplus représentée par son Conseil soutient oralement ses conclusions déposées à l’audience le 10 juin 2020 et argue de l’absence de conséquence manifestement excessive attachée à l’exécution de l’article 9 de la décision n° 19-D-25 de l’Autorité de la concurrence, et de l’urgence justifiant la mise en œuvre immédiate de l’injonction

Le SNRTC représenté par son Conseil soutient oralement les mêmes arguments.

Par avis déposé au greffe de la cour d’appel le 8 juin 2020, le Ministère public soutient :

1 – Sur le principe de l'effet non suspensif du recours et la notion d'urgence

Il découle de l'article L. 464-8 du Code de commerce que l'exécution immédiate des décisions de l'Autorité de la concurrence, y compris des injonctions prononcées, est de droit et qu'aucune condition particulière d'urgence ou aucun motif d'intérêt général ne sont requis.

2 – Sur la demande de sursis à exécution de l'injonction

– Sur la violation manifeste du principe du contradictoire et des droits de la défense

Selon une jurisprudence constante, « s'il n'appartient pas au magistrat délégué de contrôler la légalité de la décision, objet du recours, il lui revient en revanche de s'assurer, lorsqu'une irrégularité grave de procédure est invoquée, que la décision n'est pas sérieusement menacée d'annulation de ce chef de sorte que son exécution dans ces conditions serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives visées par l'article L. 464-8 précité ».

En l'espèce, s'agissant de la qualification de violation flagrante des règles de droit invoquée, aucune flagrance, communément définie comme une évidence qui ne peut être niée, ne peut être valablement soutenue.

Par ailleurs, l'instruction a été pleinement contradictoire dans la mesure où le rapport avait précisé la possibilité d'ordonner de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce et où les requérantes avaient été en mesure de formuler toutes observations utiles sur l'ensemble des éléments de fait et de droit ayant fondé la décision, le collège de l'Autorité étant le seul décisionnaire quant au choix d'infliger des sanctions pécuniaires aux entreprises concernées et/ou de leur enjoindre de cesser ou de modifier leurs comportements afin de se conformer au droit de la concurrence.

– Sur la violation flagrante de l'exigence de clarté, de précision et de certitude de l'injonction et le risque allégué de sanction pour inexécution

Il est soutenu que la lecture de la décision laisse apparaître que le libellé de l'injonction figurant à l'article 9 est parfaitement éclairé par les énonciations des paragraphes 287 à 329 relatifs aux « conditions d'entrée et de sortie de la CRT », ainsi que par l'appréciation détaillée portée sur ces conditions aux paragraphes 605 à 654.

Ainsi, contrairement aux allégations des requérantes, la décision a bien précisé en quoi les conditions d'adhésion à la CRT n'étaient ni transparentes, ni objectives et précisé au paragraphe 835 que « pour les émetteurs de titres-restaurant tiers, la possibilité ouverte par les statuts de la CRT de pouvoir offrir ses services à des tiers ne constituait pas une alternative crédible à l'adhésion d'un point de vue économique ».

Dans ces conditions, l'objet de la modification consistant à rendre les conditions d'adhésion à la CRT objectives et transparentes en modifiant les statuts et le règlement intérieur de la CRT est parfaitement identifiable et l'injonction s'appliquant expressément à « l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement », aucun doute sur l'entité visée ne saurait être valablement invoqué.

Enfin, s'agissant du risque de sanction pour inexécution de l'injonction, il est argué qu'à le supposer encouru, aucune conséquence manifestement excessive ne pourrait en résulter pour les requérantes.

Il est souligné qu'ainsi que le rappelle l'Autorité, en cas de doute sur le sens ou l'interprétation de l'injonction, les requérantes auraient pu se rapprocher d'elle afin d'en faire préciser les termes.

Par ailleurs, il leur serait toujours possible de contester l'injonction dans leur recours au fond devant la Cour d'appel de Paris et de la saisir en cas de décision de sanction pour inexécution.

– Sur le caractère disproportionné et irréversible de l'injonction

Le Ministère public soutient que la mise en conformité demandée vise à remédier aux dysfonctionnements constatés et s'inscrit dans la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, selon laquelle la vérification du caractère disproportionné d'une injonction « suppose qu'elle soit d'abord apte à remplir son objectif ».

Concernant l'incompétence alléguée de la CRT T pour procéder à la modification de ses statuts, il suffit de se reporter au texte de l'article 9 qui vise la CRT T, mais aussi les autres requérantes compétentes pour procéder à la modification des statuts dans le cadre d'une assemblée générale extraordinaire.

S'agissant du règlement intérieur, la décision n'implique nullement qu'il traite de points extérieurs à son rôle, mais simplement que les requérantes modifient également ce document pour rendre les conditions d'adhésion transparentes et objectives.

Il est également fait observer que les requérantes ne fournissent aucun élément matériel et chiffré à l'appui de leur argumentation selon laquelle l'exécution de l'injonction aurait un caractère irréversible, alors que la preuve des conséquences manifestement excessives résultant de la modification des statuts et du règlement intérieur de la CRT T incombe aux demandeurs.

Il est cité une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « en subordonnant (…) la reconnaissance de l'existence de conséquences manifestement excessives à la constatation du caractère irréversible de la situation invoquée, le délégué du premier président (…) a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comportait pas ».

En tout état de cause, la preuve d'une impossibilité de retour à la situation antérieure en cas d'annulation manifeste ou de réformation de la décision de l'Autorité, de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives n'est pas rapportée.

Le Ministère public estime donc que la requête tendant au sursis à exécution de l'injonction doit être rejetée.

En conclusion, le Ministère public invite la cour à :

- rejeter les demandes de sursis à exécution concernant l'injonction figurant à l'article 9 de la décision n° 19-D-25 du 17 décembre 2019 de l'Autorité de la concurrence.

SUR CE

Sur l’incident de procédure :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 464-22 du Code de commerce “les demandes de sursis à exécution prévues aux articles L. 464-7 et L. 464-8 sont portées par voie d’assignation devant le Premier Président de la cour d’appel de Paris, selon les modalités du deuxième alinéa de l’article 485 du Code de procédure civile”, qu’aux termes de l’article R. 464-24 “ à peine de caducité de la demande relevée d’office, l’assignation est délivrée à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’Economie”, que contrairement à ce qu’affirment la société Octoplus et le SNRTC les articles “464-22 du Code de commerce et suivants”, ne requièrent pas qu’une telle procédure de sursis à exécution doit inclure l’ensemble des parties en cause devant l’autorité, que la mention de la délivrance de l’assignation à “toutes les parties en cause” de l’article R. 464-24 du Code commerce a été abrogée par un décret du 5 mai 2017, ainsi les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA ont délivré le 4 mars 2020 une assignation à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’Economie conformément à l’article R. 464-24 du Code de commerce, qu’il n’ y a pas lieu de relever la caducité de l’assignation.

Considérant qu’il résulte de l’article R. 464-22 du Code de commerce que le Premier Président de la cour d’Appel de Paris est saisi d’une demande de sursis à exécution par voie d’assignation, qu’aucun article du Code de commerce ne prévoit qu’un requérant puisse intervenir dans la cause par un autre mode de saisine, que la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris invoquée par Octoplus et le SNRTC concerne les articles L. 464-8 et R. 464-17 du Code de commerce, applicables pour la procédure du recours au fond, et non pas pour le sursis à exécution, qu’il résulte des débats à l’audience que les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA n’ont pas eu la volonté d’attraire à la cause ni la société Octoplus ni le SNRTC, que la demande de constater l’attrait à la cause la société Octoplus et du SNRTC sera rejetée.

Considérant qu’il résulte des articles L. 464- 8, R. 464-22 et R. 464-24 du Code de commerce qui régissent le sursis à exécution que la voie de l’intervention volontaire n’est pas non plus prévue par les articles du Code de commerce dans ce cadre, que ni Octoplus ni le SNRTC n’indiquent le texte sur lequel ils se fondent pour être admis comme intervenant volontaire, que selon l’article 554 du Code de procédure civile “ peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elle y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité”, que dans ses écriture (2.) Octoplus se définit comme “partie devant l’Autorité de la concurrence”, que le conseil du SNRTC a déclaré oralement soutenir les mêmes prétentions, ainsi la demande d’admission en tant qu’intervenant volontaire de Octoplus et le SNRTC ne pourra qu’être rejetée.

Considérant que Octoplus et le SNRTC ne sont pas considérés comme parties à l’instance du sursis à exécution, toutes leurs demandes seront rejetées, ainsi que celle concernant l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur la demande de sursis à l’exécution :

Considérant qu'aux termes de l’article L. 464-8 du Code de commerce “les décisions de l’Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’Economie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris.

Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le Premier Président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l’exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s 'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité “.

Considérant que la décision n° 19-D-25 de l’Autorité de la concurrence comporte 9 articles dont :

Article 9 : Il est enjoint aux sociétés Sodexo Pass France, UP, Natixis Intertitres, Edenred France et l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement de mettre en conformité les Statuts et le RI CRT avec le droit de la concurrence. Elles adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de la nouvelle version des documents, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision », que les sociétés Sodexo Pass France et Sodexo SA ont saisi le premier président de la Cour d’appel de Paris d’une demande de sursis à exécution concernant cette injonction.

Considérant que ”le Premier Président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l’exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives “, que les parties soulèvent notamment que cette injonction n’a pas fait l’objet d’un débat contradictoire entre l’Autorité de la concurrence et les parties durant la phase contentieuse alors que cette phase est soumise au principe du contradictoire selon l’article L. 463-1 du Code de commerce, que la violation du principe du contradictoire entraîne un risque sérieux d’annulation de la décision attaquée, que cette injonction méconnaît la triple exigence de clarté, de précision et de certitude quant à son exécution, que compte tenu de cette incertitude à laquelle sont exposées les parties quant au sens et à la portée de l’injonction, son exécution provisoire les exposerait au risque de ne pas satisfaire l’Autorité et donc à une procédure de sanction sur le fondement de l’article L. 464-3 du Code de commerce pour inexécution de l’injonction ce qui serait constitutif d’une “conséquence manifestement excessive”, que la modification des statuts et du règlement intérieur de la CRT entraînerait une situation irréversible en cas d’annulation de la décision, que ce caractère irréversible est également constitutif de “conséquence manifestement excessive”, qu’aucun caractère d’urgence ne justifie l’exécution immédiate de l’injonction de l’article 9.

Considérant qu’il convient de rappeler qu‘il ressort de la jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris, ainsi que le souligne dans ses observations le ministre de l’Economie, qu‘une injonction “doit être formulée en termes clairs, précis et exempts d’incertitude quant à son exécution”, qu’il résulte de la décision du 17 décembre 2019 que l’injonction faite aux sociétés Sodexo Pass France, UP, Natixis Intertitres, Edenred France et l'association la Centrale de Règlement des Titres Traitement de mettre en conformité les Statuts et le RI CRT avec le droit de la concurrence est particulièrement imprécise quant à son exécution, qu’il est fait référence dans la décision à deux articles 907 et 908 qui sont censés éclairer cette injonction, que ces articles sont rédigés en termes généraux et ne donnent aucune explication technique sur les attentes de l’Autorité, que si la décision a précisé en quoi les conditions d'adhésion à la CRT n'étaient ni transparentes, ni objectives, elles ne donne aucune information pour y remédier, que les conclusions écrites des requérantes ont mis l’accent à juste titre sur une incertitude quant à la personne visée (la CRT) qui peut représenter des entités différentes (la CRT Traitement ou la CRT services), que le statut juridique associatif de la CRT permet peu de souplesse dans la modification des statuts et du RI qui dépendent d’un vote d’une Assemblée générale extraordinaire qui est souveraine en la matière, que les explications en réponses données par l’Autorité sont contenues dans des observations denses et techniques (qui renvoient à pas moins de 91 paragraphes de sa décision qui concernent les conditions d’adhésion à la CRT mais aussi la fourniture de services de la CRT aux tiers), que cela démontre que l’injonction est peu compréhensible et revêt un caractère indéterminé, que la proposition de l’Autorité, dans ses écritures et à l’audience, d’inviter les parties à se rapprocher d’elle pour clarifier le sens et la portée de l’injonction concernant son exécution de façon “informelle”, en dehors de tout cadre juridique, interroge et confirme la caractère peu précis de l’injonction, que de plus les parties évoquent à juste titre une insécurité juridique du fait de la possibilité pour l’Autorité de mettre en œuvre d’autres sanctions financières si les modifications statutaires effectuées ne lui convenaient pas, que la modification des statuts et du règlement intérieur entrainerait une situation irréversible dans la mesure ou la structure et le fonctionnement de la CRT seraient irrémédiablement modifiés, que la proposition de l’Autorité dans ses écritures pour les requérantes d’inclure dans les statuts et le règlement intérieur modifiés une clause de rétablissement “automatique” de la version antérieure en cas d’annulation de l’article 9 semble peu réalisable eu égard aux conséquences (modification des conditions d’adhésion à la CRT et des voies délibératives aux assemblées, modification des conditions de prestations de services aux tiers..).

Considérant que l’Autorité de la concurrence ne caractérise pas en quoi la suspension de l’exécution de l’injonction prévue à l’article 9 de sa décision serait susceptible d’entraîner une atteinte grave à l’ordre public économique.

Considérant que les éléments ci-dessus exposés caractérisent les “conséquences manifestement excessives“ de l’article L. 464-8 du Code de commerce susmentionné.

Considérant en conséquence qu’il y a lieu de surseoir à l’exécution de l’injonction de l’article 9 de la décision n° 19-D-25 du 17 décembre 2019 de l'Autorité de la concurrence, jusqu’à ce que la Cour statue sur le bienfondé du recours au fond.

Considérant qu’il convient de faire droit partiellement à la demande des parties concernant l’article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : -Déclarons irrecevables la demande d’attrait à la cause et la demande d’intervention volontaire de la société Octoplus et du SNRTC ; - Rejetons toutes les autres demandes de la société Octoplus et du SNRTC ; - Ordonnons le sursis à exécution de l’injonction de l’article 9 de la décision n° 19-D-25 de l’Autorité de la concurrence du 17 décembre 2019 prononcée à l’encontre de Sodexo Pass France et Sodexo SA jusqu’à ce que la Cour d’appel statue sur le bien-fondé du recours formé contre cette décision ; - Condamnons l’Autorité de la concurrence à verser la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à chaque société requérante Sodexo Pass France et Sodexo SA ; - Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux de l’instance au fond.