CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 8 juillet 2020, n° 19/16854
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ienne-Berthelot
Conseiller :
Avocats :
Me Winckler, Me de Bure
Le 21 mai 2014, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande de Paris (ci-après JLD) rendait, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance autorisant des visites et saisies dans les locaux des sociétés suivantes :
Y, <adresse> ;
X, <adresse> ;
Z, <adresse>.
Le juge des libertés et de la détention du TGI de Nanterre rendait une ordonnance le 22 mai 2014 sur commission rogatoire.
L'ordonnance rendue par le JLD de Paris faisait suite à une requête présentée à l'occasion de l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
La requête susmentionnée s'inscrivait dans la suite des visites et saisies réalisées, sur autorisation du JLD de BOBIGNY délivrée par ordonnance du 9 octobre 2013 dans le secteur de la distribution de produits "blancs" et "bruns" auprès des entreprises 1, 2, 3, 4 et 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11, 12, 13, 14, 15, 16 aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques d'ententes horizontales et verticales prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) TFUE.
L'ordonnance était accompagnée de 13 pièces annexées à la requête.
Il ressortait des informations transmises par l'ADLC que des extraits de cahiers de note et de tableaux avaient été saisis chez M. A, directeur général adjoint 1, M. B, directeur commercial France de la même société ainsi que chez M. C, directeur de la division « blanc » de 3, en consignant des échanges d'informations sensibles sur l'évolution des ventes d'appareils électroménagers de concurrents dont, Y et X, entreraient pleinement dans le champ d'application de la précédente ordonnance du 9 octobre 2013 visant à rechercher la preuve d'agissements suspectés dans le secteur de la distribution de produits « blancs » et « bruns ».
Ainsi, selon l'ADLC, les fabricants Y et X auraient convenu de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, en échangeant régulièrement entre concurrents des informations commercialement sensibles lors de réunions intitulées du nom du Z, ainsi qu'en imposant avec les grossistes et grandes enseignes spécialisées de détail des prix minimum de vente aux consommateurs, de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, et de limiter ou contrôler les débouchés en interdisant la commercialisation sur internet à certains distributeurs et pour certains appareils, par le biais d'actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, et ce, en violation des points 1, 2 et 3 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 101-1 a) et b) du TFUE.
Il était allégué qu'une première pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits « blancs » (petit et gros électroménager de nettoyage, lavage, de cuisine de cuisson et de froid), dont Y et X, à se concerter pour influer sur la variation des prix de leurs appareils tant sur internet que dans le réseau de revente des grandes enseignes spécialisées dans le détail. A l'appui de cette affirmation, il était produit un tableau établi par M. F, gérant du site G, qui par ailleurs faisait également état de consignes tarifaires orales.
Par ailleurs, ces éléments d'information sur les prix de revente imposés aux distributeurs internet seraient confortés par référence à la « Black list » dans les notes prises par M. B de l'entreprise 1, et cet élément serait aussi confirmé par les déclarations de M. F (citées en annexe 13).
Ainsi les distributeurs récalcitrants seraient victimes de blocages sur leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et il apparaîtrait que les fabricants de produits « blancs » échangeraient tant sur leur politique promotionnelle que sur leur stratégie tarifaire concernant les grandes enseignes spécialisées de détail.
Il ressortait qu'un document, qui corroborerait l'existence d'un comportement identique des fabricants s'agissant de la revente sur internet, intitulé « accords Z », saisi dans le bureau de M. H, permettrait de penser qu'un accord aurait été conclu entre les fabricants de produits « blancs », membres du Z, en vue de se concerter sur la détermination des prix de revente des grandes enseignes spécialisées de détail.
D'autre part, une seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits « blancs » à encadrer la revente de leurs produits sur internet en l'interdisant partiellement sur ce canal de distribution.
Il s'en déduirait que les fabricants 1, 3, X et Y seraient susceptibles d'interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur internet et ce, dans l'objectif d'aligner les prix de vente en ligne pratiqués par ces distributeurs sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement 16.
Ainsi, il existerait un parallélisme de comportement des fabricants de produits « blancs » qui pourrait être la conséquence de pratiques concertées entre ceux-ci, en particulier Y et X, les grossistes et grandes enseignes spécialisées de détail, lesquelles viseraient à faire respecter par les revendeurs sur internet les décisions prises entre fabricants, notamment au sein du Z.
Enfin, la troisième pratique prohibée serait l'échange régulier d'informations sensibles entre concurrents relatives aux données sur l'évolution de leurs ventes et leurs stratégies commerciales.
Cette allégation résulterait des extraits de cahiers de notes saisis chez 1 et 3 que les principaux fabricants de produits « blancs », notamment 9, 6, Y, 11, 7, 8, X, 3, 17 et 1, auraient participé de 2009 à 2012 à des échanges d'informations commercialement sensibles lors de réunions physiques ou téléphoniques intitulées Z.
Il ressortirait de ces extraits qu'à l'occasion de ces rencontres au sein du Z, les sociétés précitées rapporteraient à leurs concurrents l'évolution de leurs ventes par produits ou circuits de distribution, en les comparant aux statistiques qu'élabore le Z au bénéfice de ses adhérents.
Par ailleurs, certains concurrents prendraient le soin de préciser, lors de ces réunions, les raisons pouvant expliquer ces variations : ainsi, à titre illustratif, Y aurait indiqué, d'après les notes prises par M. B lors de la réunion du 10 septembre 2009, « Usine fermée une semaine sur quatre ».
Il apparaîtrait également que ces informations s'étendraient aussi au constat et prévision des ventes, comme semblent en attester les notes manuscrites de M. C de la société 3, prises lors de la réunion du 16 novembre 2011 au cours de laquelle le fournisseur 12 aurait présagé « une hausse de prix encore à venir » et X une augmentation de son prix moyen de vente et de sa marge (...).
Il en serait déduit que le Z, dont la mission consiste notamment à « rassembler les grandes marques de l'électroménager, soutenir leur activité industrielle, défendre leurs intérêts communs », réaliserait de nombreux services à destination de ses adhérents dont « l'établissement des statistiques professionnelles » ; que, dans ce contexte, le Z, dont le nom apparaîtrait à plusieurs reprises à côté des variations des ventes des fournisseurs susmentionnés, tant dans le cahier de notes de M. C, salarié de 3 que dans ceux de MM. A et B, pourrait avoir servi de support à l'entente présumée.
Ainsi les réunions au sein du Z sembleraient jouer un rôle déterminant, en matière commerciale, pour les dirigeants adhérents.
Il en ressortirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits 'blancs', les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail susceptibles de relever des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce en ses points 1°, 2° et 3°. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés, seraient établies selon des modalités secrètes.
Dès lors, il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'ADLC de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce, les sociétés susmentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulations, leurs destruction ou altération en cas de vérification.
Selon l'ALDC, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituerait le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre.
Le JLD de Paris autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder dans les locaux des entreprises susmentionnées aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits 'blancs' ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies au JLD de TGI de Nanterre et de Bobigny pour les locaux relevant de leur ressort et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait « faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...] ».
Le JLD de TGI de Nanterre rendait une ordonnance le 22 mai 2014 concernant l'autorisation de visite des locaux de X, <adresse>.
Les opérations de visite et de saisies se déroulaient les 27 et 28 mai 2014.
La société X interjetait appel le 5 juin 2014 contre l'ordonnance du JLD de Paris du 21 mai 2014 et sollicitait l'annulation de l'ordonnance et par voie de conséquence celle de l'ordonnance du JLD de Nanterre du 22 mai 2014 et celle des opérations de visite et saisie subséquentes des 27 et 28 mai 2014.
Par ordonnance du 1er juillet 2016, la Cour d'Appel de Paris, à la demande de X, décidait de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation concernant les opérations de visite et saisie menées à l'encontre de 3 lors des opérations autorisées par le JLD de Bobigny par ordonnance du 9 octobre 2013, certaines des pièces sur lesquelles se fondait l'autorisation du JLD de Paris étant issues du scellé n° 11 constitué dans les locaux de la société 3.
Par arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a annulé sans renvoi l'ensemble des opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de 3 les 17 et 18 octobre 2013 (cassation de l'ordonnance du 6 janvier 2016 de la CA de Paris pour violation des droits de la défense) ;
L'audience devant la Cour d'appel concernant l'appel interjeté par la société X a été fixée au 21 juin 2017, l'affaire a été mise en délibéré au 25 octobre prorogé au 8 novembre 2017.
Par décision en date du 8 novembre 2017, le magistrat délégué par le Premier président de la Cour d'appel de Paris a rejeté l'appel de X contre l'ordonnance, en considérant notamment que cette dernière n'avait pas été « mise en cause » au moment des saisies opérées dans ses locaux et que, par conséquent, « l'obligation de notification des [premières] OVS à son égard ne s'imposait pas » et a confirmé l'ordonnance du JLD de Paris du 21 mai 2014 et l'ordonnance du JLD de Nanterre du 22 mai 2014 rendue sur commission rogatoire.
Par arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions la décision du 8 novembre 2017, en renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel de Paris autrement composée, au motif que :
Vu l'article L. 450- 4 du Code de commerce ;
Attendu que selon ce texte, le procès- verbal et l'inventaire établis lors d'opérations de visite et de saisie doivent être notifiées aux personnes n'ayant pas fait l'objet de ces opérations mais qui sont mises en cause au moyen de pièces saisies lors de celles-ci et qui disposent d'un recours sur leur déroulement devant le premier président de la Cour d’appel| dans le ressort de laquelle le juge les a autorisées ;
Attendu que se trouve mise en cause au sens de ce texte la personne visée par une demande d'autorisation de procéder dans ses locaux à des opérations de visite et de saisie sur le fondement de pièces saisies au cours d'une précédente visite domiciliaire effectuée chez un tiers ;
Que le procès-verbal et l'inventaire dressés à l'issue de ces opérations antérieures doivent être annexés tant à la requête qu'à l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention qui doit être notifiée au moment de la visite, assurant ainsi l'exercice du droit à un recours effectif de la personne mise en cause ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que des opérations de visite et de saisie ont été menées en octobre 2013 dans les locaux des sociétés 1 et 3 ; que, statuant sur une requête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence se fondant sur des éléments issus de ces opérations, dans le cadre d'une enquête relative à un système d'ententes prohibées à dimension nationale, entre les fabricants, les grossistes et les grandes enseignes de détail dans le secteur de la distribution de produits électroménagers, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 21 mai 2014, en application de l'article L. 450-4 Du Code de commerce, des opérations de visite et de saisie dans les locaux de plusieurs sociétés, dont la société X, <adresse> ; que les opérations se sont déroulées dans les Iocaux de cette société les 27 et 28 mai 2014 ; que le 5 juin 2014, la société X a interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant ces opérations, et demande son annulation, ainsi que celle de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Nanterre rendue sur commission rogatoire de celui de Paris, et celle des opérations de visite et de saisie subséquentes effectuées dans ses locaux Ies 27 et 28 mai 2014 ;
Attendu que pour écarter le grief selon lequel le Premier Président a violé l'article L. 450 4 du Code de commerce et a irrémédiablement porté atteinte au droit au recours effectif de la société X contre les opérations d'octobre 2013, l'ordonnance énonce que selon le dernier alinéa de l'article L. 450 4 du Code de commerce, pour les personnes n'ayant pas fait l'objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, le délai de recours de dix jours court à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l'inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs prévue a l'article L. 463-2 du Code de commerce ; que le juge retient que, dès lors, il ne peut être reproché à l' Autorité de la concurrence de ne pas avoir notifié ces documents à la société X dans un délai de dix jours suivant le déroulement des opérations de visite et de saisie dans les Iocaux des sociétés 3 et 1; que le premier président en conclut qu'en conséquence, il n'y a pas eu de violation d'un droit au recours effectif de la société X contre les opérations de visite et de saisie d'octobre 2013 ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société X se trouvant mise en cause par une requête visant à obtenir l'autorisation d'effectuer des opérations de visite et de saisie dans ses locaux sur le fondement des résultats d'une opération antérieure effectuée chez des tiers, le procès-verbal et l'inventaire dressés à l'issu de cette dernière devaient être annexés à ladite requête et lui être notifiés au début de la visite autorisée, le Premier président a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé (principe du droit à un recours effectif contre les opérations antérieures).
La Cour d'appel s'est saisie d'office sur renvoi après cassation, la société X s'est constituée le 26 septembre 2019 devant la Cour d'appel.
L'affaire a été audiencée le 13 mai 2020, à cette date l'affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2020, par application de l'article 8 de l'ordonnance n° 304 du 25 mars 2020 qui prévoit la « procédure sans audience », suite à l'état d'urgence sanitaire (Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020), et selon l'acceptation des parties en date des 29 avril et 6 mai 2020.
Le 1er juillet 2020 le délibéré a été prorogé au 8 juillet 2020.
Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 22 avril 2020, la société X fait valoir :
A Sur la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du droit au recours de X contre les OVS d'octobre 2013
1 En droit
Conformément à l'article L. 450-4 du Code de commerce et ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 13 juin 2019 de la Cour de cassation, lorsque des personnes sont mises en cause au moyen de pièces saisies au cours d'opérations de visite et saisie antérieures dont elles n'ont pas fait l'objet, elles ont le droit de former un recours contre le déroulement desdites opérations. Afin que ledit recours puisse être exercé de façon effective, le procès-verbal et l'inventaire des pièces saisie doivent leur être notifiées dès leur mise en cause.
Il est rappelé que le droit à un recours effectif constitue un droit fondamental consacré par l'article 46 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après CEDH) a jugé que les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (ci-après CESDH) impliquent qu'en matière de visite domiciliaire, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que de la visite elle-même.
Il est soutenu que l'argument de l'Autorité de la concurrence selon lequel, par son arrêt du 13 juin 2019, la Haute juridiction n'aurait pas entendu préciser la notion de « personne mise en cause » au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce mais obtenir « de plus amples explications et éclaircissement du juge d'appel, en fait et en droit, sur la notion de personne mise en cause au sens du droit de la concurrence », n'est pas sérieux et revient à nier l'arrêt de cassation qui, au contraire, ne souffre d'aucune ambiguïté sur ce point.
Par ailleurs, le mode de diffusion particulièrement large (P+B+I) que la chambre criminelle a accordé à sa décision du 13 juin 2019 confirme qu'elle pose une solution de principe.
Ainsi, la Cour de cassation a pris position de manière très claire sur la notion de 'personne mise en cause' au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce.
Il est argué que le renvoi de l'affaire devant la Cour d'appel ne constitue que l'application de la règle de principe posée par l'article L. 431-4 du Code de l'organisation judiciaire, et ne signifie aucunement que la chambre criminelle a estimé que la notion de personne mise en cause devait être à nouveau débattue.
En l'espèce, le renvoi tient plus probablement aux deux notes en délibéré produites par l'Autorité de la concurrence devant la Cour de cassation, dans lesquelles elle a soutenu que le pourvoi de X serait devenu sans objet au motif que X aurait transigé dans le cadre de l'affaire n° 16/0071 F ayant donné lieu à la décision n° 18-D-24.
2 En fait
Ainsi que l'indique la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juin 2019, la requête présentée par l'Autorité de la concurrence au JLD était fondée sur des documents saisis lors de la visite domiciliaire d'octobre 2013 dans les locaux 1 et 3.
Dès lors, X avait le statut de mise en cause et aurait dû être en mesure d'exercer immédiatement un recours contre les opérations de visite et saisie ayant permis d'appréhender ces documents.
Par conséquent, dès lors que les procès-verbaux et les inventaires relatifs aux opérations chez 1 et 3 ne lui ont pas été notifiés au début de la visite dans ses locaux, l'ordonnance devra être annulée pour violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du principe du droit au recours effectif.
Il est fait valoir que, contrairement à ce que prétend l'Autorité, la violation du droit au recours effectif de X résultant de l'absence de notification des procès-verbaux et inventaires établis chez 3 et 1 n'a pas pu être « compensée » par d'autres options procédurales.
En effet et en premier lieu, les recours formés par X contre l'ordonnance et le déroulement des opérations de mai 2014 ne lui permettent pas de contester le déroulement de la visite domiciliaire d'octobre 2013, au cours de laquelle ont été saisies les pièces ayant fondé sa mise en cause, alors que c'est bien l'atteinte au droit au recours effectif de X contre cette première série d'opérations qui a donné lieu à cassation.
En deuxième lieu, le fait que X ait eu accès à l'intégralité du dossier à compter du 3 avril 2018, lorsqu'elle a reçu la notification de griefs dans l'affaire 16/0071 F, n'a d'incidence ni sur l'existence d'une atteinte à son droit au recours effectif, ni sur le caractère irrémédiable de cette atteinte.
Il est soutenu que cet argument repose sur le postulat désormais invalidé par la Cour de cassation selon lequel X n'aurait été mis en cause qu'à compter de la notification des griefs, et implique par ailleurs que l'exercice de son droit au recours était conditionné par le choix discrétionnaire des services d'instruction de lui adresser ou non une notification de griefs.
Au cas présent, dans la mesure où les enquêtes de l'Autorité ne donnent pas nécessairement lieu à une notification de griefs, X n'avait aucun moyen de savoir si et à quel moment elle serait en mesure d'exercer son droit au recours et de fait, cette possibilité ne s'est concrétisée que près de quatre ans après sa mise en cause.
Il est souligné que l'exigence posée par la Haute juridiction d'une notification « au début de la visite autorisée » signifie clairement que le défaut de notification à ce moment-là ne saurait être valablement « compensé » près de quatre ans plus tard à l'occasion de l'accès au dossier et de la réception de la notification des griefs dans l'affaire 16/0071 F.
De surcroît, au moment de la notification des griefs dans l'affaire 16/0071 F, X devait choisir si elle souhaitait s'engager dans la procédure de transaction proposée par les services d'instruction en application de l'article L. 462-4 III du Code de commerce. Il n'était pas concevable de solliciter le bénéfice de la procédure de transaction et d'introduire simultanément un recours contre des visites domiciliaires.
En troisième lieu, X ne pouvait pas former un recours en son propre nom contre les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de 3 et 1 sur le fondement de l'article 31 du Code de procédure civile, dans la mesure où, en matière de concurrence, les règles générales du Code de procédure civile s'appliquent « en l'absence de dispositions spéciales introduites au Code de commerce, notamment à son article L. 450-4 » et l'article L. 450-4 du Code de commerce contient des dispositions spéciales énumérant limitativement les titulaires du droit de former un recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie.
Enfin, l'Autorité est mal fondée à soutenir que X aurait pu contester en son nom, par le biais d'une intervention volontaire, les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de 3 et 1.
En effet, d'une part, X n'avait pas eu accès à l'ordonnance du 9 octobre 2013 ou aux procès-verbaux de visite et saisie et d'autre part, 1 n'a ni interjeté appel contre l'ordonnance du JLD ni formé un recours contre le déroulement de la visite.
B Sur l'irrégularité de l'ordonnance en ce qu'elle se fonde sur des pièces illégalement saisies dans les locaux de 3
Il est indiqué que par arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a annulé sans renvoi les opérations de visite et saisie autorisées dans les locaux de 3 et donc les saisies effectuées à cette occasion, sur lesquelles l'Autorité s'était largement fondée dans sa requête pour tenter d'établir l'existence de pratiques anticoncurrentielles.
Selon une jurisprudence constante, une ordonnance autorisant des visites domiciliaires sur le fondement de documents d'origine illicite est nulle.
Au cas présent, les documents saisis chez 3 ont une origine illicite, les opérations de visite et saisies menées dans ses locaux ayant été définitivement annulées.
Par conséquent, l'ordonnance encourt annulation et ce, indépendamment de l'origine apparemment licite des autres éléments au soutien de la requête.
Par ailleurs, l'annulation d'opérations de visite et saisie est rétroactive et interdit à l'Autorité de la concurrence ou au juge toute utilisation des pièces annulées.
Il en résulte que l'ordonnance fait référence à des documents réputés n'avoir jamais fait partie du dossier de l'Autorité et se trouve, par voie de conséquence, rétroactivement privée des conditions justifiant son existence, c'est-à-dire rétroactivement nulle.
Il est soutenu qu'il ne saurait être valablement argué que les pièces saisies chez 3 n'étaient pas essentielles à l'obtention de l'ordonnance.
En effet, si, comme le prétend l'Autorité, il existait dès le mois d'octobre 2013 des présomptions de pratiques horizontales suffisamment établies à l'encontre des fabricants de produits blancs, y compris X, ce dont attesterait l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 janvier 2016 à l'encontre de 4, la décision de l'ADLC de ne pas visiter les locaux de X en 2013 serait inexplicable.
De surcroît, en page 8 de l'ordonnance, le JLD indique clairement que « les cahiers de notes et tableaux saisis chez 3 et 1 permettent de justifier d'une opération de visite et saisie dans les locaux des sociétés Y et X».
Dès lors, l'annulation des saisies chez 3 prive l'ordonnance de l'essentiel de sa motivation, et celle-ci doit encore être annulée par défaut de motivation.
En conclusion, il est demandé de :
- annuler l'ordonnance rendue le 21 mai 2014 par le JLD du TGI de Paris ;
- annuler l'ordonnance rendue le 22 mai 2014 par le JLD du TGI de Nanterre sur commission rogatoire ;
- annuler les opérations de visite et saisie réalisées par l'Autorité de la concurrence dans les locaux de la société X en vertu des ordonnances rendues le 21 mai 2014 par le JLD du TGI de Paris et le 22 mai 2014 par le JLD du TGI de Nanterre ;
- ordonner la restitution à X de l'ensemble des documents saisis, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie ;
- condamner l'Autorité de la concurrence à verser à la société X la somme de 20 000 au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par observations déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 2 mars 2020, l'Autorité de la concurrence fait valoir :
A titre liminaire
Il est souligné que contrairement à l'arrêt du 4 mai 2017 de la chambre criminelle s'agissant de 3, l'arrêt du 13 juin 2019, en ce qui concerne X, casse et annule avec renvoi devant la juridiction du Premier président autrement composée.
Ainsi, il ne saurait être tiré de conséquences automatiques de l'arrêt du 13 juin 2019, la discussion reprenant dans toute sa plénitude devant le Premier président de la Cour d'appel de Paris.
I Sur la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du droit au recours de l'appelante contre les opérations de visite et saisie d'octobre 2013
- Sur la notion de personne mise en cause en droit de la concurrence
Il est rappelé que le droit des enquêtes de concurrence ne relève pas du droit pénal, la nature juridique de l'ordonnance d'autorisation du JLD étant civile.
Par conséquent, en l'absence de dispositions spéciales introduites au Code de commerce, notamment à son article L. 450-4 du Code de commerce, ce sont les règles générales du Code de procédure civile qui s'appliquent.
Au cas présent, il existe bien à l'alinéa 12 de l'article L. 450-4 du Code de commerce une disposition spéciale concernant la notion de personne mise en cause qui diffère de celle du Code de procédure pénale ou de celle de procédure civile.
En procédure concurrence, la notion de personne mise en cause est la personne contre qui il existe des indices graves, précis et concordants d'avoir commis une infraction aux règles de la concurrence, notamment à celles définies aux articles L. 420-1 et 420-2 du Code de commerce.
Il est argué que c'est la notion équivoque de personne mise en cause, selon que l'on se situe en procédure pénale, civile ou concurrence, qui est à l'origine de l'arrêt de la chambre criminelle du 13 juin 2019.
Il est soutenu que le législateur a prévu deux cas qu'il faut distinguer.
Le premier cas est celui de la personne à l'encontre de laquelle a été prise l'ordonnance d'autorisation, au cas présent, X, qui peut, à compter de la remise du procès-verbal et de l'inventaire à l'occupant des lieux ou à son représentant ou de sa réception (en l'espèce, à compter du 28 mai 2014), former un recours dans un délai de 10 jours contre le PV et l'inventaire dressés dans ses locaux, par combinaison des alinéas 10 et 12 de l'article 450-4 précité.
Selon une jurisprudence constante, la personne, morale ou physique, visée par la mise en œuvre des pouvoirs de visite et saisie de l'article L. 450-4 du Code de commerce, n'est, à ce stade de l'enquête préalable, que suspectée d'agissements anticoncurrentiels sur le fondement d'une simple présomption basée sur la description et l'analyse des pièces annexées à la requête de l'administration.
Ainsi, X n'est pas une personne mise en cause par le biais d'indices graves, précis et concordants qui constitueraient la preuve d'une pratique prohibée mais une personne simplement suspectée de comportements illicites sur le fondement des pièces qui ne constituent que des indices.
Dès lors, au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre de l'appelante, celle-ci ayant le simple statut de personne suspectée, l'Autorité n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui, par leur addition et leur confrontation, aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.
Il est fait valoir qu'en droit des pratiques anticoncurrentielles, la mise à disposition de l'intégralité du dossier ne commence qu'à la communication des griefs de l'Autorité de la concurrence, alors que la recherche de la preuve est terminée.
Par conséquent, au stade de la simple présomption de mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles, ni la requête et ses annexes du 16 mai 2014, ni le PV de visite et saisie et les inventaires, dans leur intégralité ou en partie, des opérations menées en octobre 2013 dans les locaux de 3 et 1, ne devaient être notifiés à l'occupant des lieux de l'entreprise X ou à son représentant, en même temps que la notification de l'ordonnance d'autorisation du 21 mai 2014 du JLD du TGI de Paris.
Conformément à une jurisprudence établie, le JLD n'a pas manqué à son obligation de contrôle en rendant une ordonnance sur la base des seules pièces annexées à la requête sans les dénaturer de quelque manière que ce soit, et sans être obligé, à ce stade de l'enquête préalable où X a le statut d'entreprise suspectée et non d'entreprise mise en cause, de lui notifier les PV et inventaires dressés en octobre 2013 dans les locaux de 3 et 1.
Enfin, l'alinéa 5 de l'article L. 450-4 du Code de commerce prévoit expressément et exclusivement la seule notification de l'ordonnance d'autorisation, sur place au moment de la visite, à l'occupant des lieux de l'entreprise suspectée ou à son représentant.
Par ailleurs, le second cas est celui des personnes mises en cause au moyen des pièces saisies au cours de ces opérations, qui peuvent former un recours dans le délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l'inventaire et, au plus tard, à compter de la notification de griefs prévue à l'article L. 463-2 du Code de commerce, par combinaison des alinéas 10 et 12 de l'article L. 450-4 du Code précité.
Il est argué que les pièces saisies au cours des opérations d'octobre 2013 dans les locaux de 3 et 1 n'ont pas permis la mise en cause directe de l'entreprise X, le standard de la preuve étant particulièrement élevé en droit de la concurrence (indices graves, précis et concordants), mais simplement la suspicion de sa participation à des agissements prohibés par le droit de la concurrence afin de diligenter une mesure de vérification par le biais d'une opération de visite et saisie dans ses locaux.
Au cas présent, des griefs ont été notifiés à X le 3 avril 2018 lui donnant ainsi le statut de personne mise en cause.
Au stade de l'enquête préliminaire, l'appelante avait le statut de personne suspectée et non pas celui de personne mise en cause et ce, conformément à la volonté du législateur qui a bien distingué, en droit de la concurrence, le cas de la personne à l'encontre de laquelle a été prise l'ordonnance du cas de la personne mise en cause ultérieurement au moyen des pièces saisies.
En définitive, conformément à l'alinéa 5 de l'article L. 450-4 du Code de commerce, seule l'ordonnance d'autorisation devait être notifiée à l'entreprise suspectée X, ce qui a été le cas en l'espèce.
Sur la prétendue violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du droit au recours effectif de l'appelante contre les opérations de visite et saisie d'octobre 2013
Il est d'abord fait valoir que X a pu interjeter appel contre l'ordonnance d'autorisation et déposer un recours contre le déroulement des opérations dans ses locaux devant le Premier président de la Cour d'appel de Paris afin d'obtenir a posteriori un redressement approprié, le cas échéant, de ce qui constitue un recours effectif, en fait et en droit, au regard de la jurisprudence de la CEDH.
Ainsi, l'appelante a été en mesure de contester les extraits de PV et d'inventaires et les pièces saisies dans les locaux de 3 et 1 qui ont fondé utilement l'autorisation judiciaire du 21 mai 2014, en ayant accès à l'intégralité du dossier.
Il est précisé que l'ordonnance du JLD de Paris listait les pièces annexées à la requête qui pouvaient être consultées à son greffe et faire l'objet de l'emport d'une copie par voie numérique dès le jour de la notification, à savoir le 27 mai 2014, ce qui a été le cas en l'espèce.
Par ailleurs, les personnes morales mises en cause par l'Autorité de la concurrence à la suite d'une opération de visite et de saisie qui n'a pas concerné leurs locaux peuvent la contester au plus tard à compter de la notification des griefs.
Il est argué que comme l'appelante n'avait pas encore le statut de personne mise en cause lors des opérations de 2014 mais simplement celui de personne suspectée, le rapporteur général de l'Autorité n'avait pas à lui notifier l'intégralité des extraits des PV de visite et saisie et des inventaires dressés dans les locaux 1 et 3, simultanément à la notification de l'ordonnance du JLD du TGI de Paris le 21 mai 2014.
C'est seulement à partir de la notification des griefs, le 3 avril 2018, que le rapporteur général a notifié à X le PV de visite et saisie et l'inventaire, en lui donnant également accès à l'intégralité du dossier.
En tout état de cause, l'appelante n'a pas été dépourvue de voie de recours puisqu'elle a pu contester les extraits de PV et d'inventaires d'octobre 2013 ainsi que les pièces qui y sont mentionnées lors du contentieux ouvert en 2014 contre l'ordonnance d'autorisation et pouvait toujours contester, conformément à l'alinéa 12 de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le PV et l'inventaire qui ont été établis chez 1 au plus tard à compter de la notification des griefs, le 3 avril 2018, ce qu'elle s'est abstenue de faire préférant entrer en voie de transaction avec l'Autorité de la concurrence.
De surcroît, le fait que 1 n'ait pas contesté les opérations de visite et saisie implique que toutes les saisies réalisées dans ses locaux sont considérées comme régulières.
Il est soutenu que l'appelante aurait pu contester en son nom la saisie dans les locaux de 3 et/ou 1 sur le fondement de l'article 31 du Code de procédure civile, car elle avait un intérêt à agir en étant active dans le secteur de la distribution de produits « blancs », et qu'une intervention volontaire sur le fondement des articles 325 et 554 du Code de procédure civile est toujours possible.
Il découle de ce qui précède qu'aucune violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du droit au recours effectif de l'entreprise X ne peut être établie.
II Sur la demande d'annulation de l'ordonnance du JLD du TGI de Paris en ce qu'elle se fonde sur des pièces irrégulièrement saisies dans les locaux de 3
En premier lieu, il est rappelé que des pièces saisies lors d'une précédente opération de visite et saisie peuvent être utilisées pour motiver une nouvelle visite domiciliaire sous la double condition que la seconde ordonnance précise que les documents utilisés pour sa motivation ont été régulièrement saisis comme se rapportant aux agissements retenus dans l'ordonnance antérieure et que l'administration indique au moyen de quelle procédure elle a distrait lesdits documents de la précédente saisie pour les présenter à l'appui de sa nouvelle requête et ce, conformément à la jurisprudence.
Au cas présent, ces deux conditions ont été remplies au moment où le premier juge a accordé son autorisation, ainsi que son ordonnance en atteste (v. notamment pages 1, 3 et 4).
En deuxième lieu, si le secteur a été circonscrit en toute logique à la distribution de produits « blancs », contrairement à la première enquête qui visait le secteur de la distribution de produits « blancs » et « bruns », c'est tout simplement du fait que ni X ni Candy ne fabriquent de produits « bruns » alors que dans la précédente enquête les entreprises comme 12 et 3 fabriquaient les deux catégories de produits.
En troisième lieu, au cours du contentieux qui a suivi les opérations de visite et saisie réalisées en 2013, le Premier président de la Cour d'appel de Paris a relevé l'existence d'une entente horizontale potentielle entre fabricants dans le secteur de la distribution de produits « blancs » et « bruns ».
Dans ces conditions, les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence étaient habilités à saisir des éléments d'information concernant ce point.
En quatrième lieu, ni l'entreprise 1 ni le Z n'ont contesté l'ordonnance du JLD du TGI de BOBIGNY du 9 octobre 2013 pour l'une et l'ordonnance du JLD du TGI de Paris du 21 mai 2014 pour l'autre ou l'exécution de la mesure autorisée dans leurs locaux respectifs.
En cinquième lieu, l'autorisation judiciaire du JLD du TGI de Paris s'appuie non seulement sur les pièces saisies chez 3 mais aussi sur d'autres pièces telles que des pages internet du site Z, un tableau établi par F, gérant du site internet de la société G, etc.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'annulation d'une pièce annexée à la requête ne peut aboutir à l'annulation de l'ordonnance d'autorisation mais seulement à l'annulation de l'annexe 7, dès lors que l'ordonnance repose également sur d'autres pièces qui ont permis de mettre en exergue des indices d'agissements présumés illicites.
L'Autorité cite des jurisprudences à l'appui de son argumentation.
En dernier lieu, l'analogie que fait l'appelante entre la saisie dans les locaux de 3 et des jurisprudences ayant conclu à l'annulation d'autorisation de visite domiciliaire s'appuyant sur « des documents volés ou détournés ou présumés l'être » ou encore « reçus (') au moyen d'un envoi anonyme », est hors de propos, l'annulation intervenue le 4 mai 2017 de l'ensemble des opérations de visite et saisie dans les locaux de 3 par la Haute juridiction reposant sur l'interdiction de différer l'appel téléphonique à son conseil à la suite de la notification de l'ordonnance d'autorisation.
Dès lors que l'ordonnance du JLD du TGI de Paris fait état de présomptions d'ententes anticoncurrentielles et de l'éventualité que des documents incriminants puissent se trouver dans les locaux de X, il est demandé de conclure à la validité de l'autorisation de visiter ses locaux et rejeter les moyens tirés d'une violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et de la jurisprudence en vigueur.
En conclusion, il est demandé de :
- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 21 mai 2014 par le JLD du TGI de Paris et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD du TGI de Nanterre le 22 mai 2014 ;
- rejeter la demande de restitution de l'intégralité des pièces saisies dans les locaux de -X;
- condamner X au paiement de 20 000 euros aux titres de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par avis en date du 5 mai 2020, le Ministère public fait valoir :
La chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l'ordonnance du Premier président de la cour d'appel du 8 novembre 2017, en renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel. La cassation est intervenue en considération de ce que la requête présentée au JLD de Paris était accompagnée de pièces, dont l'une faisait état des résultats d'une opération de visite antérieure chez un tiers (3). Pour la Cour de cassation, "le PV et l'inventaire dressés à l'issue de l'opération 3 devaient être annexés à la requête X et être notifiés en début de visite autorisée". L'ordonnance du JLD de Paris était fondée sur plusieurs indices de participations de X à des pratiques anticoncurrentielles, l'un de ces indices était tiré d'une ancienne procédure de l'ADLC contre 3, dont les PV mettant en cause X n'avaient pas été annexés à la requête auprès du JLD De Paris et n'avaient pas été notifiés en début de visite autorisée dans les locaux de X.
Selon le Ministère public, ceci ne peut pas être corrigé et cet indice doit être écarté.
La question posée du fait de la cassation avec renvoi est pour la Cour d'appel de Paris d'apprécier si, hors le scellé n° 11 constitué dans les locaux de la société 3, l'ordonnance du JLD de Paris du 21 mai 2014 était ou non fondée sur un ou plusieurs autres indices graves et concordants établissant une présomption simple de participation de X à des agissements prohibés. La requête présentée au JLD comportait plusieurs annexes. La question est de savoir si ces annexes sont de nature à établir la suspicion.
Il est rappelé que l'appelante a transigé le 5 décembre 2018 avec l'Autorité de la concurrence pour une somme de 56 millions d'euros.
Au cas présent, les indices présentés au premier juge figurent dans d'autres pièces que celles de l'annexe n° 7 relatives aux documents saisis chez 3 : il s'agit des annexes n° 8, 12 et 13.
Par conséquent, sans prendre en considération l'annexe n° 7, il sera constaté que l'ordonnance reste fondées sur d’autres indices étayés de participation de X à des pratiques anticoncurrentielles.
Dès lors, la légalité de l'ordonnance rendue par le JLD de Paris le 21 mai 2014 et, sur sa commission rogatoire le 22 mai 2014 par le JLD de Nanterre, ne peut être contestée.
Par ailleurs, le déroulement des opérations de visite et saisie dans les locaux de X ne peut davantage être mis en cause.
Il est soutenu qu'aucune violation du droit au recours effectif de X contre la visite domiciliaire en octobre 2013 dans les locaux de 3 et 1 ne peut être invoquée, l'appelante n'étant pas directement concernée par les investigations.
Selon le Ministère public si X avait estimé être concernée, alors qu'elle était informée par différents articles de presse, elle aurait pu effectuer une intervention volontaire dans le cadre des recours déposés par les sociétés visitées, en justifiant de son intérêt à agir concernant un soupçon de participation à un système d'ententes horizontales et verticales dans le secteur des produits blancs.
En conclusion, le Ministère public invite la Cour à confirmer l'ordonnance rendue par le JLD de Paris le 21 mai 2014 autorisant une visite domiciliaire dans les locaux de X ainsi que l'ordonnance rendue par le JLD du TGI de Nanterre le 22 mai 2014 et à constater la régularité des opérations menées pour leur exécution, après avoir écarté des débats l'annexe n° 7 à la requête présentée au JLD du TGI de Paris.
SUR CE
A Sur la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du droit au recours de X contre les OVS d'octobre 2013
Il résulte de la rédaction de l'article L. 450-4 du Code de commerce que le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours [....]. Le ministère public, la personne à l'encontre de laquelle a été prise l'ordonnance et les personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations peuvent former ce recours. Ce dernier est formalisé [...] pour les personnes n'ayant pas fait l'objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès- verbal et de l'inventaire et au plus tard à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification de griefs [...]'.
Il convient de rappeler que le droit à un recours effectif constitue un droit fondamental consacré par l'article 46 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après CEDH) a jugé que les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme impliquent qu'en matière de visite domiciliaire, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que de la visite elle-même.
Dans son arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation a affirmé que pour respecter ce principe du droit à un recours effectif contre les opérations de visite et saisie, le procès-verbal et l'inventaire dressés à l'issu de des opérations antérieures devaient être annexés à ladite requête et être notifiés au début de la visite autorisée à la société X, mise en cause sur le fondement des résultats d'une opération antérieure effectuée chez des tiers, et la Cour de cassation a ainsi pris position de manière très claire et non équivoque sur la notion de 'personne mise en cause' au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce sans qu'il soit besoin de procéder à une autre analyse.
Ainsi que l'indique la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juin 2019, la requête présentée par l'Autorité de la concurrence au JLD était fondée sur des documents saisis lors de la visite domiciliaire des 17 et 18 octobre 2013 dans les locaux M... et 3.
Dès lors, X avait le statut de mise en cause et aurait dû être en mesure d'exercer immédiatement un recours contre les opérations de visite et saisie ayant permis d'appréhender ces documents.
Par conséquent, dès lors que X n'avait pas eu accès à l'ordonnance du 9 octobre 2013 ou aux procès-verbaux de visite et saisie et ne pouvait exercer aucun recours, et les procès-verbaux et les inventaires relatifs aux opérations chez 1 et 3 ne lui ayant pas été notifiés au début de la visite dans ses locaux, elle n'a pu exercer son droit au recours effectif.
Ce moyen sera déclaré recevable.
Ainsi, l'ordonnance du JLD de Paris du 21 mai 2014 et par conséquent l'ordonnance du JLD de Nanterre du 22 mai 2014, devront être annulées pour violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du principe du droit au recours effectif.
B Sur l'irrégularité de l'ordonnance en ce qu'elle se fonde sur des pièces illégalement saisies dans les locaux de 3.
Le JLD de Paris a rendu son ordonnance du 21 mai 2014 sur le fondement de 13 annexes produites par l'Autorité, destinées à établir un faisceau d'indices laissant présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de X, qu'il précise que les pièces présentées à l'appui de la requête 'ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance'.
Il convient de rappeler que par arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a annulé sans renvoi les opérations de visite et saisie autorisées dans les locaux de 3 et donc les saisies effectuées à cette occasion, (notamment l'annexe 7 concernant des cotes issues du scellé n° 11), qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'une ordonnance autorisant des visites domiciliaires sur le fondement de documents d'origine illicite est nulle.
Au cas présent, les documents saisis chez 3 (annexe 7 et extraits de l'annexe 3) ont une origine illicite, les opérations de visite et saisies menées dans ses locaux ayant été définitivement annulées.
Par conséquent, l'ordonnance encourt annulation, et cela d'autant plus que cette ordonnance se fonde très largement sur des extraits des pièces des annexes 7 et 3 pour tenter d'établir l'existence de présomptions de pratiques concurrentielles concernant X.
Ce moyen sera déclaré recevable.
Ainsi, l'ordonnance du JLD de Paris du 21 mai 2014 et par conséquent l'ordonnance du JLD de Nanterre du 22 mai 2014, devront être annulées pour violation du principe de la licéité des pièces qui doivent fonder l'ordonnance du JLD.
Enfin aucune considération ne commande de faire application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort : - Annulons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 21 mai 2014 et l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Nanterre en date du 22 mai 2014. - Annulons les opérations de visite et saisies en date des 27 et 28 mai 2014 effectuées dans les locaux dans les locaux de la société X, sis 2 rue Benoit Malon, 92156 Suresnes - Ordonnons la restitution à X de l'ensemble des documents saisis, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie ; - Rejetons toute autre demande - Disons n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. - Disons que la charge des dépens sera supportée par l'Autorité de la concurrence.