CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18-03064
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Office Français de Courtage d'Assurance (SARL), Ofracar Finances (SARL), AT Assistance (SAS)
Défendeur :
Chubb European Group (SE)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
Les sociétés Office Français de Courtage (ci-après « OFC »), Ofracar Finances (ci-après « Ofracar ») et AT Assistance sont spécialisées dans le secteur des activités des agents et courtiers d'assurances.
La société Chubb European Group SE (ci-après « Chubb »), anciennement Ace European Group Limited est une compagnie d'assurance qui porte les risques spécifiques Accidents du Travail contenus dans les sociétés et fonds de commerce acquis.
Le 6 juin 2014, aux termes d'un protocole sous conditions suspensives avec effet au 30 juin à minuit, la société OFC a acquis les titres de la société de courtage d'assurance AT Assistance, de la société Software Assurance Développement, et la société Ofracar Finances a acquis le fonds de commerce du cabinet Rémy L. afin de développer leurs activités sur le marché de la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Ce protocole prévoyait, concernant la cession du fonds de commerce Rémy L., plusieurs conditions suspensives dont la fourniture par le vendeur « du protocole conclu avec la société Ace Europe mentionnant le maintien de la totalité des conditions commerciales existantes à la suite de l'acquisition ».
Le protocole conclu entre Rémy L. et Ace Europe, daté des 2 et 5 mai 2014, a été conclu pour une première période expirant le 31 décembre 2014 avec tacite reconduction pour des périodes successives de 1 an.
Le 5 août 2015, la société Chubb a résilié le protocole des 2 et 5 mai 2014 avec effet le 31 décembre 2015.
Les sociétés OFC, Ofracar et AT Assistance considèrent cette rupture contraire aux termes et à l'esprit du protocole d'acquisition du fonds de commerce de Rémy L., la poursuite d'une relation commerciale durable avec Chubb étant essentielle pour leur stratégie et leur activité future.
Par jugement du 18 décembre 2017, sur assignation des sociétés OFC, Ofracar et AT Assistance, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit recevables les demandes de la société OFC ;
- débouté les sociétés Ofracar et AT Assistance de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;
- condamné la société OFC, la société Ofracar et la société AT Assistance à payer à la société Chubb, in solidum, la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du CPC ;
- dit les parties mal fondées en leurs moyens et demandes contraires aux termes du présent jugement, les en a débouté respectivement ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie ;
- condamné la société OFC, la société Ofracar et la société AT Assistance in solidum aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 129,24 euros dont 21,32 euros de TVA.
Le 5 février 2018 les sociétés OFC, Ofracar et AT Assistance ont interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.
Vu les dernières conclusions des sociétés OFC, Ofracar Finances et AT Assistance, appelantes, notifiées le 9 septembre 2019, qui prient la Cour de :
Vu les articles L. 442-6-I-5°, D. 442-3 et l'annexe 4-2-1 du Code de commerce,
Vu l'article 1382 (nouvel article 1240 du Code civil),
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats,
- recevoir les sociétés Office Français de Courtage d'assurance, Ofracar Finances et AT Assistance en leur appel, le disant bien fondé ;
- déclarer la société Chubb European Group mal fondée en son appel incident ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter ;
- confirmer la décision du Tribunal de Commerce de Paris en date du 18 décembre 2017 en ce qu'il a dit recevables les demandes de la SARL Office Français de Courtage d'assurance ;
- infirmer la décision précitée pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Chubb European Group SE a rompu brutalement la relation commerciale établie avec les sociétés Ofracar Finances et AT Assistance ;
En conséquence,
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société Ofracar Finances la somme de 670 965 euros (six cent soixante-dix mille neuf cent soixante-cinq euros) correspondant à la marge brute escomptée pour le risque Accident du Travail durant la période d'insuffisance du préavis outre les intérêts au taux légal qui courent sur cette somme depuis 1er janvier 2016 ;
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société AT Assistance la somme de 183 511 euros (cent quatre-vingt-trois mille cinq cent onze euros) correspondant à la marge brute escomptée pour le risque Accident du Travail durant la période d'insuffisance du préavis outre les intérêts au taux légal qui courent sur cette somme depuis 1er janvier 2016 ;
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société Ofracar Finances la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre de son préjudice moral ;
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société AT Assistance la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre de son préjudice moral ;
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société Office Français de Courtage d'assurance la somme de 926,18 euros (neuf cent vingt-six euros et dix-huit centimes) correspondant aux intérêts qu'elle aurait pu percevoir au titre de l'année 2016 si elle n'avait pas fait d'avance de trésorerie à la société Ofracar Finances à la suite de la rupture brutale et fautive initiée par la société Chubb European Group SE ;
- débouter la société Chubb European Group SE de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Chubb European Group SE à verser à la société Ofracar Finances la somme de 32 200 euros (trente-deux mille deux cents euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la société Chubb, notifiées le 4 septembre 2019, demandant à la Cour de :
Sur l'irrecevabilité des demandes de la société Office Français de Courtage d'Assurance (Ofracar)
Vu les articles 122 et suivants et 31 et 32 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1382 du Code civil (nouvel article 1240du Code civil),
- infirmer le jugement du 18 décembre 2017 dont appel en ce qu'il a dit recevables les demandes de la société Ofracar,
Et statuant à nouveau,
- juger irrecevables les demandes, fins et conclusions formulées par la société Office Français de Courtage d'Assurance (Ofracar) pour défaut d'intérêt à agir,
A défaut,
- débouter la société Office Français de Courtage d'Assurance (Ofracar) de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société ChubbEuropean Group Plc,
Sur la fin des relations commerciales
Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce,
Vu les décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 septembre 2015 (n° 1417.964) et du 3 mai 2016 (n° 15-10.158),
Vu l'article 1382 du Code civil (nouvel article 1240 du Code civil),
Vu la jurisprudence dans son ensemble,
- confirmer le jugement du 18 décembre 2017 dont appel en ce qu'il a débouté la société Ofracar Finances de ses demandes au titre de l'insuffisance de préavis,
- confirmer le jugement du 18 décembre 2017 dont appel en ce qu'il a débouté la société AT Assitance de ses demandes au titre de l'insuffisance de préavis,
- confirmer le jugement du 18 décembre 2017 dont appel en ce qu'il a débouté la société Ofracar Finances de ses demandes de réparation au titre d'un préjudice moral,
- confirmer le jugement du 18 décembre 2017 dont appel en ce qu'il a débouté la société AT Assistance de ses demandes de réparation au titre d'un préjudice moral,
En conséquence, et en tout état de cause,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Ofracar Finances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Chubb European Group Plc ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société AT Assistance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Chubb European Group Plc ;
- condamner la société Office Français de Courtage d'Assurance, la société Ofracar Finances et la société AT Assistance in solidum au paiement au profit de Chubb European Group Plc de la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- condamner la société Office Français de Courtage d'Assurance, la société Ofracar Finances et la société AT Assistance in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jeanne B. en application de l'article 699 du CPC.
Les parties ont donné leur accord à la procédure sans audience qui leur a été proposée.
SUR CE LA COUR
Sur l'irrecevabilité de l'OFC
Chubb soutient que l'OFC doit être déclarée irrecevable à agir sur le fondement des articles 32 et 122 du CPC, soutenant que, par cette action judiciaire, le Groupe Ofracar n'a pas pour volonté d'être indemnisé d'un préjudice prétendument subi du fait de la fin de relations commerciales, sachant qu'elle était tout à fait fondée et dans l'obligation de mettre un terme au protocole de collaboration, mais tente d'être indemnisée du coût des acquisitions d'AT Assistance et du fonds de commerce du Cabinet Rémy L..
Elle considère que l'OFC n'a ni qualité à agir car Ofracar ne justifiait pas de sa qualité d'associé d'Ofracar Finances (ce dont elle ne justifie qu'en instance d'appel), ni intérêt à agir en sa qualité de tiers aux relations l'unissant à Ofracar Finances.
Les sociétés OFC, Ofracar Finances et AT Assistance (ci-après le groupe Ofracar) rétorquent que OFC est recevable en son action, nonobstant l'absence de lien contractuel avec Chubb, qu'il est de jurisprudence constante que les associés d'une société victime de la rupture brutale sont recevables à agir dès qu'ils justifient avoir subi un préjudice personnel et distinct. Or OFC détient à 100% les sociétés AT Assistance et Ofracar qui ont été victimes de la rupture brutale de sa relation commerciale avec Chubb et elle a apporté un soutien financier à hauteur de 92.618 euros depuis le 1er janvier 2016 à la société Ofracar du fait de la rupture brutale du protocole du 2 mai 2014 ainsi que de la résiliation des polices d'assurance sous-jacentes, de sorte que OFC justifie d'un préjudice personnel et distinct de ceux subis par la société Ofracar.
Un tiers au contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice.
En l'espèce, OFC détient la société AT Assistance et Ofracar Finances et se prévaut d'un préjudice que lui a causé la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société Chubb.
Mais la qualité d'associé de OFC ne lui permet pas de se prévaloir d'un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société AT Assistance et par la société Ofracar Fiances au titre de la rupture brutale. Elle se trouve ainsi dépourvue d'intérêt à agir.
OFC est donc irrecevable en ses demandes et le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Ofracar Finances et AT Assistance invoquent des relations entre Chubb et le Cabinet Rémy L. et AT Assistance suivies, stables et habituelles depuis de nombreuses années, faisant valoir que le protocole régularisé entre Chubb et le Cabinet Rémy L. ' AT Assistance le 2 mai 2014, a succédé à une précédente convention du 8 octobre 2002.
Elles ajoutent que lors de l'acquisition du fonds de commerce du cabinet de courtage Rémy L. et de la société AT Assistance, les dispositions du protocole d'acquisition prévoyaient expressément que l'acquisition ne pouvait se faire qu'à la condition de la continuité de la relation commerciale avec l'assureur Chubb.
En second lieu, elles soutiennent que la rupture a été imprévisible, soudaine et violente, faisant valoir que la résiliation du protocole du 2 mai 2014 conclu entre Chubb et le cabinet Rémy L. et la rupture de la relation commerciale entre Chubb et AT Assistance n'ont jamais été envisagées, un second protocole reprenant les termes du premier devant être conclu entre Chubb et AT Assistance afin de formaliser leur partenariat.
Elles disent ne pas avoir été informées de cette résiliation formalisée le 5 août 2015 avant juin 2015 et que cette rupture du protocole était en totale contradiction avec les réunions et les échanges de courriels avec Chubb, que concomitamment à la résiliation du protocole du 2 mai 2014, Chubb a résilié les contrats AT Excess à l'échéance du 31 décembre 2015, représentant une partie significative des portefeuilles acquis, pour les remplacer par un nouveau produit dont Ofracar Finances n'a eu connaissance qu'à partir d'octobre 2015.
Elles soutiennent que de juillet 2014 à juin 2015, il était convenu avec Chubb de développer le produit AT Excess, de transférer le produit Ace Equilibre vers les contrats Excess et de réaliser quelques modifications non substantielles s'agissant du contrat AT Excess.
Enfin, elles considèrent que la rupture ne correspondait nullement à une nécessité économique, contrairement à ce que soutient Chubb qui se prévaut de l'application stricte du régime Solvabilité 2, dispositif postérieur aux faits de l'espèce et donc inapplicable.
En troisième lieu, elles invoquent le caractère insuffisant du délai de préavis au regard de la durée de la relation commerciale entretenue entre Chubb et AT Assistance et, Chubb et le cabinet Rémy L. dont le fonds de commerce a été acquis par Ofracar Finances qui, remonte à plus de 17 ans. Il estime que la violation de l'article 10 alinéa 2 des usages du courtage aux termes duquel : "Toute compagnie d'assurance qui résilie une police de son propre chef, pour quelque cause que ce soit, ou en reçoit dénonciation de l'assuré, avertit sans délai le courtier créateur", ne leur a pas permis de réorganiser leurs activités dans des conditions favorables dans le délai de préavis imparti, ayant initié la résiliation des polices d'assurance AT Excess aux échéances des 1er janvier, février, mars et avril 2016 à l'insu du groupe OFRACAR. Elles ajoutent que la communication tardive des nouvelles conditions du partenariat, radicalement différentes de celles auparavant en vigueur entre les parties, ne leur a pas permis de réorganiser favorablement leur activité dans le délai de préavis imparti.
Chubb dénie tout caractère brutal à la rupture, faisant valoir que dès septembre 2014 et février 2015, elle évoquait la nécessité de mettre en place un nouveau produit devant remplacer les produits AT existant, et plus particulièrement le produit AT Excess, que l'échec des échanges avec le Groupe Ofracar l'a contrainte à devoir prendre la décision de résilier le Protocole de collaboration et d'en faire part au Groupe Ofracar lors de la réunion du 18 juin 2015, puis par courriel du 16 juillet 2015, et par lettre recommandée AR du 5 août 2015, avec effet au 31 décembre 2015, respectant le préavis contractuel de trois mois, ainsi que cela ressort du jugement du 18 décembre 2017. Elle estime en conséquence que la lettre de notification de rupture du 5 août 2015 ne présente aucun caractère brutal, son envoi n'étant en rien imprévisible, soudain et violent.
Elle ajoute que la seule relation commerciale établie dont peut se prévaloir le Groupe Ofracar a débuté au jour de la reprise du fonds de commerce du cabinet Rémy L. le 30 juin 2014, ainsi que cela résulte du dernier état de la jurisprudence ; cette relation commerciale était donc d'une durée limitée d'un an au jour de la notification de la résiliation du Protocole de collaboration, de sorte que le préavis de cinq mois est très largement suffisant.
Elle estime avoir été dans l'obligation réglementaire d'arrêter les produits AT déficitaires et qu'il s'agissait d'une exigence de bonne gestion économique, aucune société ne pouvant continuer à vendre un produit avec lequel elle a perdu plusieurs millions et encore moins une société d'assurance dont la réglementation a pour objet la protection des assurés.
Enfin, Chubb indique avoir été dans l'obligation de résilier les polices sous-jacentes avec effet au 31 décembre 2015, dès lors que le Protocole de collaboration se terminait à cette date et que le Groupe Ofracar s'y est refusé pour des raisons purement financières liées aux gains facilement réalisés avec le produit AT Excess.
L'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.
Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
En l'espèce, Ofracar Finances et AT Assistance soutiennent à juste raison que le protocole régularisé entre Chubb et le Cabinet Rémy L. ' AT Assistance le 2 mai 2014, a succédé à une convention de courtage du 8 octobre 2002 entre Ace et le cabinet Rémy L. (pièces 2-2), et produisent des conditions particulières de contrats avec l'assureur Cigna racheté par Ace en 1999 (pièces 2-3), de sorte que les relations commerciales établies entre les parties remontaient à près de 17 années lorsque Chubb a résilié le protocole de collaboration du 2 mai 2014, le 5 août 2015 à effet du 31 décembre.
En effet :
- les conditions du protocole d'acquisition du fonds de commerce prévoient expressément (pièce 1 page 36) que l'acquisition ne pourra se faire qu'à la condition de la fourniture du protocole conclu avec la société Ace Europe mentionnant le maintien de la totalité des conditions commerciales existantes à la suite de l'acquisition.
- le protocole de collaboration venait juste d'être renouvelé entre Ace Europe (Chubb) et le cabinet Rémy L.-AT Assistance le 2 mai 2014, de sorte que le groupe Ofracar pouvait légitimement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec Chubb, peu important à cet égard que l'échéance du protocole soit fixé au 31 décembre 2014, dès qu'il est d'usage, ainsi que le fait valoir le groupe Ofracar, de conclure entre assureurs et courtiers- délégataires de gestion des conventions pour une durée déterminée renouvelées tacitement tous les ans, que du reste, le protocole de collaboration a été exécuté puisqu'en effet, dès les mois de juillet 2014, les sociétés Ofracar et AT Assistance ont perçu des commissions de Chubb en contrepartie de la distribution et de la gestion des produits AT Excess et Ace Equilibre (pièces 34 à 36 des appelantes) et que des discussions sont intervenues jusqu'en juin 2015 pour élaborer une stratégie de développement notamment des produits AT Excess.
Il sera ajouté que, si le transfert du fonds de commerce n'emporte pas de plein droit transfert de la relation commerciale, la circonstance que le protocole de collaboration ne figure pas au nombre des contrats transmis avec le fonds de commerce lesquels concernent le bail, les contrats de travail et les contrats avec le fournisseur d'électricité est indifférente alors que le protocole d'acquisition mentionne ainsi qu'il a été dit, que l'acquisition ne pourra se faire qu'à la condition de la fourniture du protocole conclu avec la société Ace Europe mentionnant le maintien de la totalité des conditions commerciales existantes à la suite de l'acquisition et que le principe de non-reprise des contrats ne figure pas au protocole de cession.
Également, si contrairement aux termes de l'article 29 du protocole de collaboration intitulé "intuitu personae", aucun accord écrit et préalable n'a été signé par Chubb, il n'en demeure pas moins que la réattribution par Chubb du "Code courtier" du cabinet Rémy L. à Ofracar Finances établit le consentement de Chubb à la continuation de la relation commerciale existante.
De même, il résulte des discussions entreprises entre les parties pour l'évolution de leur stratégie de développement et l'amélioration du produit que Ofracar Finances et AT Assistance pouvaient raisonnablement escompter la poursuite de cette relation commerciale de l'attitude du nouveau cocontractant.
A cet égard, il résulte du courriel du 5 septembre 2014 à la suite de la réunion du 4 septembre 2014 entre Ace et AT Assistance (pièce 32 des appelantes), qu'au titre des "pistes de réflexion et action", sont mentionnés notamment, une recherche pour compléter leur prestation actuelle, une campagne commerciale pour basculer les contrats du portefeuille de AT Assistance de "Equilibre" à "Excess" pour fin mars 2015, un travail sur des états de "reporting assureur" pour accompagner la gestion et le suivi du risque dans le temps, la recherche d'améliorations de gestion à envisager.
De même, si le compte rendu de la réunion du 18 février 2015 entre Ace et AT Assistance (courriel du 20 février suivant pièce 7-1) mentionne des résultats du portefeuille loin de leurs critères de rentabilité, il est prévu notamment un travail en commun pour obtenir une vision commune des résultats, également une refonte des "CG" afin de réduire l'incertitude sur les sinistres et améliorer la profitabilité, une baisse des commissions aux courtiers apporteurs, et la volonté de promouvoir AT Excess est réaffirmée. Il ne saurait donc se déduire de ce document ainsi que le soutient Chubb, qu'un nouveau produit devait être mis en place.
Ce n'est que lors de la réunion du 18 juin 2015 que Chubb a annoncé sa décision de cesser les cotations AC Excess et de résilier l'ensemble du portefeuille AT Excess (hors contrats Equilibre) (pièces 10) et Chubb dans son courriel du 26 juin en réponse (pièce 11) a fait part notamment, s'agissant des cotations, du respect de son protocole et de leur recommandation d'attendre et de proposer un produit de substitution afin de conserver ces clients et de pérenniser l'activité d'Ofracar ainsi que de sa volonté de trouver une solution pérenne pour tous.
Le 16 juillet 2015, par courriel (pièce 8), Chubb a indiqué confirmer sa volonté d'arrêter le produit AT Excess.
Il résulte des éléments ci-dessus un faisceau d'indices concordants de la volonté des parties de s'inscrire dans la continuité des relations commerciales établie et du caractère brutal de la rupture survenue, le préavis de cinq mois accordé par Chubb pour des relations de 17 années étant insuffisant, peu important le respect du préavis contractuel de 3 mois.
A cet égard, Chubb ne démontre pas que cette rupture lui aurait été imposée par les circonstances pour des raisons réglementaires et économiques alors qu'elle ne fait état que d'une évolution de longue date de la situation qu'il lui appartenait d'anticiper, impropre à justifier une décision prise "sans délai".
Sur l'indemnisation de la brutalité de la rupture
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Enfin, la brutalité de la rupture, seule indemnisable, est réparée par l'octroi d'une indemnité égale à la marge brute sur coûts variables qui aurait pu être réalisée pendant la durée de préavis manquante.
Ofracar Finances et AT Assistance estiment que compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale de 17 ans, un préavis de 17 mois aurait dû être accordé et non seulement un préavis de 5 mois.
A cet égard, si Ofracar soutient que le préavis accordé a été vidé de sa substance dans la mesure où Chubb n'effectuait plus de cotation du produit AT Excess et qu'il a résilié les polices sous-jacentes avec effet au 31 décembre 2015 en violation de l'article 10 des usages du courtage puisqu'il lui incombait d'en aviser sans délai le courtier, elle n'en tire aucune conséquence sur le délai du préavis de 12 mois dont elle sollicite réparation (17-5).
En revanche, Ofracar Finances et AT Assistance devaient pouvoir bénéficier d'un délai suffisant pour leur permettre de replacer les risques de leurs clients auprès d'un nouveau partenaire à des conditions contractuelles favorables à la suite de la résiliation de polices d'assurance par Chubb.
Ainsi et au regard notamment de l'ancienneté de la relation commerciale et de la spécificité des produits et services en cause, il convient de retenir qu'un délai de préavis de 9 mois aurait dû être accordé, de sorte que Ofracar Finances et AT Assistance doivent être indemnisées au titre d'un préavis manquant de 4 mois.
Les appelantes justifient d'une marge sur coûts variables en 2015 relativement au portefeuille Chubb de 670 965 euros s'agissant de Ofracar Finances et de 183 511 euros s'agissant de AT Assistance ainsi qu'il résulte notamment de l'attestation de l'expert-comptable (pièces 30 et 42-1).
Au vu de ces éléments et en l'absence d'attestation pour les années 2013 et 2014, la brutalité de la rupture sera justement réparée s'agissant de Ofracar Finances par l'allocation de la somme de 150 000 euros et s'agissant de AT Assistance par l'allocation de la somme de 45 000 euros, correspondant à 4 mois de préavis manquant avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt.
En revanche, seule la brutalité de la rupture étant indemnisée, la demande en paiement de la somme de 10 000 euros à chacune d'elles en réparation de leur préjudice moral, au titre de l'atteinte à l'image présentée par Ofracar Finances et AT Assistance, est rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Chubb qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement lui allouant une somme sur ce fondement, étant infirmé de ce chef.
Chubb est condamnée à payer à Ofracar Finances la somme de 8 000 euros sur ce dernier fondement.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare irrecevables les demandes de la société Office Français de Courtage d'Assurance ; Condamne la société Chubb European Group SE à verser : - à la société Ofracar Finances la somme de 150 000 euros - à la société AT Assistance, la somme de 45 000 euros ; en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, Déboute les sociétés Ofracar Finances et AT Assistance de leur demande respective en réparation de leur préjudice moral ; Déboute la société Chubb European Group SE de ses demandes ; Condamne la société Chubb European Group SE aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Ofracar Finances la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.