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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 17/18524

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chim 92 (SARL)

Défendeur :

Logedif (SARL), Total Marketing Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Lyon, du 22 sept. 2017

22 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 22 septembre 2017 qui :

- dit que la demande de sursis à statuer de Chim 92 est sans objet ;

- dit que le point de départ du préavis est fixé au 9 juillet 2013 ;

- juge ce préavis suffisant ;

- juge que les relations commerciales ont été régulièrement rompues, de manière loyale et non abusive ;

- déboute la société Chim 92 de l'ensemble de ses demandes au titre d'une rupture brutale des relations commerciales ;

- déboute la société Chim 92 de sa demande au titre de la reprise de ses stocks ;

- rejette comme non fondée toute autre demande ;

- condamne la société Chim 92 à payer à la société Logedif une indemnité de procédure de 2 000 euros et aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Chim 92, appelante, signifiées et notifiées le 22 décembre 2017, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les articles L. 442-6-I et suivants du Code de commerce,

Vu l'article 1134 et suivants du Code civil

Vu la jurisprudence précitée

Vu les pièces versées aux débats

- réformer en son entier la décision querellée

Statuant à nouveau :

I. Sur la rupture brutale des relations commerciales :

A titre principal :

- constater que le préavis devait être de 25 mois et n'a débuté qu'à la date du 10 juillet 2014

- dire et juger insuffisant le préavis appliqué

- condamner solidairement la Société Total Marketing Services et Logedif à payer à la Société Chim 92 la somme de 753 810 euros au titre du préjudice d'exploitation et des préjudices induits par la rupture.

A titre subsidiaire, si par exceptionnel la Cour estimait que le préavis a débuté le 9 juillet 2013

- dire et juger insuffisant le préavis appliqué

- dire et juger que la Société Logedif a rompu avant même la fin du préavis les relations commerciales en faisant chuter drastiquement les commandes,

- condamner solidairement les Sociétés Total Marketing Services et Logedif à payer à la Société Chim 92 la somme de 399 710 euros au titre du préjudice d'exploitation et des préjudices induits par la rupture.

II. Sur la rupture abusive et déloyale des relations commerciales :

- constater les agissements déloyaux de Total et Logedif vis-à-vis de Chim 92 sur la période de 2012 à 2015,

- dire et juger que ces agissements génèrent un préjudice distinct de la brusque rupture ;

- condamner solidairement la Société Total Marketing Services et la Société Logedif à payer à la Société Chim 92 la somme de 872.904 euros au titre du préjudice financier distinct ;

- condamner les mêmes solidairement à payer à la Société Chim 92 une indemnité de procédure de 20 000 euros et aux dépens, y compris les frais de la mesure d'instruction, distraits au profit de la SCP G. B., sur son affirmation de droit.

Vu les dernières conclusions des sociétés Total Marketing Services et Logedif, intimées, signifiées et notifiées le 20 mars 2018, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de:

Vu les articles 1134 et 1315 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

Vu l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- débouter la société Chim 92 de l'ensemble de ses demandes ;

- dire et juger que la rupture des relations commerciales devait être notifiée avec un préavis compris entre 12 et 16 mois ;

- dire et juger que les relations commerciales ont été régulièrement rompues avec un préavis d'une durée supérieure à 16 mois ;

- dire et juger que les relations commerciales ont été rompues de manière loyale et non abusive ;

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où la Cour considérerait que la société Logedif aurait dû respecter un préavis de 24 mois :

- dire et juger que le préjudice d'exploitation de la société Chim 92 résultant de la rupture s'établirait, sur la base de 3 mois de préavis manquants, à 32 235 euros ;

- débouter la société Chim 92 de toutes ses demandes au titre des préjudices dits induits ;

- débouter la société Chim 92 de toutes ses demandes au titre de la rupture déloyale ;

A titre très subsidiaire,

- dire et juger que le préjudice d'exploitation de la société Chim 92 résultant de la rupture s'établirait, sur la base de 6 mois de préavis manquants, à 64 470 euros;

A supposer que la Cour juge que la société Logedif aurait une obligation de reprendre une partie du stock, dire et juger que le préjudice induit au titre du stock devrait être fondé :

sur les seuls produits revêtus d'une étiquette à la marque Total, à supposer que la société Chim 92 rapporte la preuve de son impossibilité de les commercialiser avec une autre étiquette ;

sur une quantité pondérée de ses seuls produits au regard du nombre de produits en stock au 31 décembre 2009 ;

sur le taux de marge moyen sur coûts variables de 26 %.

- condamner la société Chim 92 à payer à la société Logedif une indemnité de procédure de 10 000 euros et aux dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Les parties ont accepté le 13 mai 2020 la procédure sans audience qui leur a été proposée par mail de Mme la présidente de cette chambre, au visa de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et de l'ordonnance du premier président de cette Cour du 23 avril 2020.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'au terme de l'article 954 alinéa 2 et 3 du Code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. (...) La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens invoqués au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constant que depuis 1990 la société Chim 92 est fournisseur de produits d'entretien chimiques pour les stations-services autoroutières détenues par Total et gérées par Logedif.

De 1999 à 2011, Chim 92 Total a fourni gratuitement à Chim 92 les bases olfactives provenant de la société Firmenich et entrant dans la composition des produits façonnés par Chim 92 pour Logedif, suivant contrat signé entre Total et Chim 92 le 30 mars 1999.

Après avoir informé Chim 92 d'un futur appel d'offres pour choisir ses prochains fournisseurs de produits d'entretien utilisés en station-service ainsi qu'en convient Chim 92 par mail du 8 février 2013 (pièce intimée 1), Logedif a annoncé officiellement ce projet à Chim 92 par lettre du 9 juillet 2013 qui se lit ainsi :

« Faisant suite à notre réunion du 5 février 2013, au cours de laquelle le cadre de la poursuite des relations commerciales entre CHIM 92 et LOGIDIF avait été discuté, nous vous confirmons par la présente que LOGEDIF a décidé de lancer une consultation par voie d'appel d'offre pour choisir ses prochains fournisseurs de produits d'entretien utilisés en station-service.

Cette consultation à laquelle nous vous proposons de participer, débutera dans le courant du mois de juin 2014 pour se terminer au plus tard fin mars 2015, date à laquelle prendront effet les contrats avec le ou les fournisseurs sélectionnés.

En votre qualité de fournisseur actuel des stations-service du réseau Total en produits d'entretien, nous tenions à vous informer dès à présent du lancement de cette consultation.

Nous vous confirmons que jusqu'à l'issue de cet appel d'offre nos relations commerciales seront maintenues conformément aux conditions actuelles. » (pièce CHIM 92 n° 42).

Cet appel d'offres a été notifié par lettre RAR du 10 juillet 2014 et Chim 92 a été informée que sa candidature n'était pas retenue par lettre du 15 décembre 2014 et de l'arrêt des relations commerciales au 1er avril 2015.

1 - Sur la rupture brutale

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

Chim 92 sollicite de ce chef un préavis de 25 mois en lieu et place du préavis de 20 accordé réduit à 17 mois du fait d'une baisse de commande de 50 %, compte tenu des circonstances suivantes qui justifient a minima le préavis de 24 mois prévu en pareil cas par les accords interprofessionnels du 6 mars 2013 :

- une ancienneté de la relation commerciale de 25 ans,

- une part de chiffre d'affaires réalisé avec Total de 29 % de son chiffre d'affaires global pour l'activité produits détergents, à l'exclusion de l'activité distincte de mécanique industrielle liée à la sérigraphie,

- une exclusivité de fait sur la gamme des produits olfactifs, assimilables à des produits sous marque de distributeurs,

- des investissements onéreux en R&D réalisés notamment à la demande de Total en 2012.

Cependant, la cour adopte les motifs pertinents du jugement entrepris qui a estimé le délai accordé suffisant pour permettre à Chim 92 de réorganiser son activité dont le volume par Logedif représente un pourcentage de son chiffre d'affaires compris entre 19,8 % et 29 % selon l'une ou les autres des parties, après avoir retenu que la notification du 9 juillet 2013 fixait le point de départ du préavis dès lors qu'elle était suffisamment explicite sur l'éventualité du terme de la relation commerciale, initiée en 1990 et rompue en mars 2015, après une réduction des commandes à compter de décembre 2014.

Il suffira d'ajouter ce qui suit.

D'une part, Chim 92 ne justifie pas de l'existence de deux activités distinctes, cette affirmation n'étant associée à aucune pièce de sorte que la combinaison de sa pièce 55 et de la pièce 6 de Logedif conduit à retenir une part de chiffre d'affaires avec Logedif de 20 % par rapport à son chiffre d'affaires global.

D'autre part, il ne saurait exister, comme allégué, aucune exclusivité de fait entre les parties, celle-ci ne se présumant pas et Chim 92 ne citant aucune stipulation du contrat du 30 mars 1999 signé entre ces deux seules parties la prévoyant ni aucun indice tendant à établir la volonté des intimés de la lui reconnaître. A cet égard, il importe peu que ce contrat ait pour objet la réalisation par Chim 92 de produits dédiés aux Stations Total en y incorporant les "bases parfumantes" que Total s'est engagée à lui fournir gratuitement, ce qui fut fait jusqu'en 2011. Au-delà de cette date, les parties ont convenu de remplacer ces bases par la proposition de parfum n° 6 de Chim 92 (sa pièce 38).

De troisième part, Chim 92 ne justifie pas utilement des investissements dédiés à ce parfum, notamment dans leur quantum, lesquels sont contestés par les intimés pour qui il s'agit d'un générique n'en nécessitant pas. Elle ne justifie pas utilement non plus des autres investissements allégués, ni quant à leur montant, ni quant à leur nécessité prétendument imposée par les intimées, n'indiquant pas en quoi ses pièces 1 à 40 l'établiraient (conclusions p. 16).

De quatrième part, les accords interprofessionnels FCD/FEEF du 6 mars 2013 (pièce intimées 7) sont dénués de pertinence au vu de leur article 1er dès lors qu'il est constant que les parties n'y sont pas adhérentes et qu’au demeurant, les produits concernés ne sont pas des produits sous marque de distributeurs, au sens de l'article L. 112-6 alinéa 2 du Code de la consommation, comme n'étant pas vendu au détail, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté non plus. En tout état de cause encore, la Cour observe que cet accord prévoit, eu égard aux usages de commerce (article 2.2.1) un préavis de 10 mois pour une relation commerciale de plus de 20 ans et une part de chiffre d'affaires de 15 à 25 %, ce qui est le cas en l'espèce.

Enfin, aucune pièce n'étaye l'affirmation de Chim 92 (conclusions p. 17) selon laquelle elle a consenti au maintien en 2013 de ses prix 2012 en contrepartie de la promesse d’une poursuite des relations commerciales, étant au surplus observé que l'appel d'offres annoncé dès le 9 juillet 2013 n'est pas limité quant aux produits. En outre, elle n'explique pas en quoi sa pièce 59, intitulée "mail de Chim 92 sur étude de la pièce 28 (tableau comparatif) et docs annexes", établirait qu'en lançant l'appel d'offres, les intimées savaient pertinemment qu'elle ne serait pas retenue (conclusions p.26).

2 - Sur "la rupture abusive et déloyale des relations commerciales "

Chim 92 soutient encore à l'appui de son appel, au visa des articles L. 442-6 I 1° à 4°, que les agissements déloyaux et/ou abusifs des intimées, en position dominante, à l'occasion de l'appel d'offres en litige et sur les trois années l'ayant précédé lui ont causé un préjudice distinct de la rupture brutale, qu'elle évalue à 24 mois de marge brute.

Cependant, les griefs articulés reprennent ceux formulés au titre de la rupture brutale, précédemment rejetés.

3 - Sur la reprise du stock

Le jugement entrepris retient à bon droit pour rejeter cette demande que Chim 92 ne justifie pas de la quantité de ce stock, sous réserve du contrôle de laquelle Logedif s'est engagée à le reprendre.

Chim 92 ne conteste pas utilement ces motifs en appel, auxquels ne correspond aucun paragraphe dédié de ses conclusions, notamment en réponse aux conclusions adverses qui font valoir l'absence d'obligation contractuelle de reprise de stock et, au demeurant, le caractère excessif de la marge perdue alléguée de 38 084 euros, en l'état d'un stock constitué de tous produits, revêtus ou non de la marque Total, aisément commercialisables sans étiquettes, d'une quantité anormale de produits en stock et de l'absence de justificatif du coût d'enlèvement et de traitement des produits pour 19 568 euros (conclusions p. 31-33).

4 - Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile, Chim 92, partie perdante doit supporter la charge des dépens, en ce non compris les frais de la procédure d'instruction sur lesquels il n'appartient pas à la cour de statuer dès lors qu'elle n'est pas saisie de cette procédure d'instruction et l'équité commande de la condamner à payer à la société Logedif l'indemnité de procédure ci-dessous.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; y ajoutant, Condamne la société Chim 92 aux dépens d'appel distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; La Condamne à payer à la société Logedif une indemnité de procédure complémentaire globale de 2 000 euros ; Rejette toute autre demande.