Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18/19099

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tribase SL (Sté)

Défendeur :

Multibase (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Lyon, du 18 janv. 2018

18 janvier 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Multibase est une société de plasturgie chargée de la mise au point, de la production et de la vente de tous mélanges à base de thermoplastique vierge, d'élastomère, de silicone et autres, vendus sous forme de granulés et de poudres.

Le 15 février 1994, elle a conclu avec la société de droit espagnol, Tribase, un contrat d'agent commercial exclusif pour la vente de tous les produits Multibase sur le territoire espagnol.

Le 1er janvier 1998, un nouveau contrat d'agent commercial exclusif a été conclu entre les parties portant sur la vente de 3 gammes de produits Multibase.

Les 17 et 22 décembre 2004, les parties ont signé un contrat de distribution non exclusive des produits Multibase en Espagne.

Les 4 mars et 11 mai 2016, un nouveau contrat de distribution non exclusive pour la distribution des produits Multibase en Espagne a été signé, contrat prenant effet le 1er janvier 2016 jusqu'au 31 décembre 2017 avec résiliation automatique.

Le 31 janvier 2017, la société Multibase a mis en demeure la société Tribase de lui payer la somme de 432 810,53 euros.

Le 10 mars 2017 la société Multibase a confirmé par courrier recommandé la fin du contrat de distribution au 29 mars 2017.

Le 4 mai 2017, la société Multibase a notifié à la société Tribase la rupture du contrat d'agent commercial.

Le 7 juin 2017, la société Multibase a fait assigner la société Tribase devant le tribunal de commerce de Grenoble afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 547 133,47 euros.

Le 4 juillet 2017, la société Tribase a fait assigner la société Multibase devant le tribunal de commerce de Lyon statuant en référé.

Le 1er août 2017, la société Tribase a fait assigner la société Multibase au fond devant ce même tribunal.

Par jugement du 18 janvier 2018, le tribunal de commerce de Lyon :

- s'est déclaré compétent pour trancher la demande relative au contrat d'agent commercial ;

- a dit que le contrat de distribution a été résilié par la société Multibase sans préavis mais en respectant les clauses dudit contrat ;

- a dit que la rupture est justifiée en raison de manquements graves de la société Tribase ;

- a condamné la société Multibase à payer à la société Tribase la somme de 114 988, 82 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial ;

- a déboute la société Tribase de l'ensemble de ses demandes au titre des commissions qui ne lui ont pas été versées ;

- a condamné la société Tribase à payer à la société Multibase la somme de 547 133,47 euros ainsi qu'au paiement des intérêts à hauteur de 1,5 % par mois à compter du terme prévu pour le paiement de chacune des factures ;

- a ordonné la compensation entre toutes les demandes ;

- a rejeté l'ensemble des autres demandes des sociétés Tribase et Multibase ;

- a dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation en application de l'article 700 du CPC ;

- a dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties.

Le 27 juillet 2018, la société Tribase et Me Lluis Guerra V. en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Tribase, ont interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions la société Tribase et de Me Lluis Guerra V. en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Tribase appelants, notifiées le 21 mai 2019, par lesquelles il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce, et plus particulièrement l'article L. 442-6, I°, 5 du Code de commerce,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 18 Janvier 2018,

- confirmer la décision du Tribunal de commerce de Lyon en date du 18 Janvier 2018, en ce qu'elle accorde à la société Tribase la somme de 114 988,92 euros (cent quatorze mille neuf cent quatre-vingt-huit euros et 92 cts), représentant une année de commissions, au titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture sans préavis du Contrat d'Agent Commercial en Espagne.

- réformer la décision du Tribunal de commerce de Lyon en date du 18 Janvier 2018, sur les autres points, et :

- condamner la société Multibase à verser à la société Tribase la somme totale de 218 287,42 euros H.T. représentant les commissions qui ne lui ont pas été versées, assorties d'un intérêt calculé au taux légal depuis leur date normale d'échéance,

- constater que la société Multibase a rompu brutalement le contrat de Distribution en Espagne qui la liait à la société de Multibase sans respecter un préavis suffisant,

- constater que la société Multibase a rompu brutalement le contrat d'Agent Commercial en Espagne qui la liait à la société de Multibase,

- dire, au sujet du contrat de Distribution, et puisque la relation commerciale portait sur la fourniture de produits sous la marque de distribution Multibase avec le logo Multibase, que le préavis doit être doublé, et que compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties, soit 23 ans, le préavis accordé à la société Tribase aurait dû être d'une durée de 46 mois,

- constater que la rupture brutale des relations a entraîné un quasi-déréférencement de Tribase au profit de Nexeo, une chute brutale du chiffre d'affaires de Tribase de l'ordre de 95 %, accompagnée d'une modification substantielle par Multibase des conditions générales de vente et des délais de paiement, et d'une importante réduction de l'encours du compte courant commercial de telle sorte que Tribase s'est trouvée dans l'impossibilité soudaine de s'approvisionner chez Multibase,

- condamner la société Multibase à verser à la société Tribase les dommages et intérêts suivants en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison :

- de la rupture brutale du contrat de distribution en Espagne, évalués sur la base d'un préavis qui aurait dû être d'une durée de 46 mois, à 1 535 362,24 euros (un million cinq cent trente-cinq mille trois cent soixante-deux euros et 24 cts),

- condamner la société Multibase à verser à titre de dommages et intérêts, la somme de 149 197,83 euros, réparant le coût des licenciements ayant eu lieu dans l'entreprise, et celle 10 882,50 euros, en réparation du montant des équipements spécifiques devenus inutiles,

- condamner la société Multibase à verser à la société Tribase la somme de 64 560euros, en application des dispositions de l'article 700 du CPC, car il convient de ne pas laisser les demandeurs supporter la charge des honoraires qu'ils ont dû engager afin d'assurer la défense de leurs intérêts,

- condamner la société Multibase aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Multibase notifiées le 17 janvier 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu l'article 1147 du Code civil

Vu l'article 1134 du Code civil, (ancienne numérotation s'agissant de contrats conclus avant octobre 2016)

Vu les articles 1103, 1193 et 1104 du Code civil nouvelle numérotation,

Vu les articles 1347 à 1347-7 du Code civil sur la compensation

Vu la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, et le règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (JOCE, 16 janvier 2001)

Vu l'article L. 134-11 du Code du commerce,

Vu les pièces,

- confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon du 18 janvier 2018 en ce qu'il a :

dit que le contrat de distribution a été résilié par la Société Multibase sans préavis, mais en respectant les clauses dudit contrat,

dit que la rupture était justifiée en raison de manquements graves de la Société Tribase à ses obligations contractuelles,

débouté la Société Tribase de l'ensemble de ses demandes au titre de commissions qui ne lui ont pas été versées,

condamné la Société Tribase à payer à la Société Multibase la somme de 547 133,47 euros, ainsi qu'au paiement des intérêts à hauteur de 1,5 % par mois à compter du terme prévu pour le paiement de chacune des factures,

ordonné la compensation entre toutes les sommes,

rejeté l'ensemble des autres demandes de la Société Tribase

- infirmer le jugement en ce qu'il a l'a condamnée au paiement de la somme de 114 988 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial.

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que le contrat d'agent commercial a été rompu sans préavis en raison de la faute grave de la Société Tribase,

- débouter la Société Tribase, représentée par son mandataire judiciaire Maître X, de toute demande indemnitaire au titre de la rupture du contrat d'agent commercial,

A titre subsidiaire,

- ordonner la compensation entre toutes les sommes ;

En tout état de cause :

- condamner la Société Tribase, représentée par son mandataire judiciaire Maître Y, à payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens, et ce compris les frais d'assignation en paiement devant le tribunal de commerce de Grenoble, dont distraction au bénéfice de la SCP W et de la société Z sur leurs affirmations de droit,

- fixer la créance de la Société Multibase aux sommes suivantes :

547 133,47 euros, outre intérêts à hauteur de 1,5 % par mois à compter du terme prévu pour le paiement de chacune des factures, créance à compenser avec les éventuelles sommes à laquelle le Société Multibase pourrait être condamnée à payer par la présente juridiction,

20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Sur la résiliation du contrat d'agent commercial

La société Tribase sollicite la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 114 988,82 euros correspondant à une année de commissions sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.

Mais la société Multibase oppose à bon droit que ce texte n'est pas applicable lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant.

La demande de la société Tribase sur ce fondement est irrecevable.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la résiliation du contrat de distribution

Tribase soutient que le contrat de distribution non exclusive du 4 mars 2016 a été rompu brutalement par la société Multibase qui :

- a modifié unilatéralement et rétroactivement les conditions de paiement en lui imposant un délai "à 90 jours, date de facture" à compter du 1er janvier 2016 au lieu d'un délai "à 90 jours le 25" auparavant,

- l'a privée des commissions auxquelles elle avait droit à compter du mois de janvier 2017 et qu'elle devait percevoir sur d'autres commandes qu'elle a gérées mais n'a pas livrées, qu'elle avait traitées mais que Multibase a également traitées, pour un montant total lui revenant de 218 287,42 euros HT au titre des commissions et stock revendu impayé,

- a empêché toute reprise de son fonds de commerce.

Mais le tribunal, qui a relevé des retards de paiement de la société Tribase apparus en 2015 ainsi que des échanges entre les parties au cours du second semestre 2015 pour un nouveau contrat, a justement retenu que la modification des délais de paiement du contrat liant les parties n'était pas substantielle, étant observé que le contrat de distribution non exclusive signé le 4 mars 2016 par Multibase et le 12 mai 2016 par Tribase, a vu ses conditions de règlement précisées par un courriel du 15 juin 2016 (pièce 49 de l'intimée) en ces termes :

" Par la présente et suite à notre appel téléphonique de ce matin, je voudrais confirmer le changement de terme de paiement de Tribase qui sera effectif le 15 juin 2016.

Le terme de paiement passera de 90 jours fin de mois à 90 jours net.

Ce nouveau terme de paiement en application jusque fin septembre 2016. Entre temps, nous ne tolèrerons plus de retard de paiement sinon le terme sera automatiquement changé vers 60 jours fin de mois à partir du 1er octobre 2016".

En effet, il résulte à suffisance des pièces produites par la société Multibase que la société Tribase rencontrait des difficultés de paiement depuis 2015, que la modification intervenue entre le contrat de 2005 prévoyant un délai de 90 jours 25e jour et celui de 2016, prévoyant 90 jours fin de mois, ne constitue pas une modification substantielle, la condition de paiement à 90 jours particulièrement avantageuse (au lieu de 60 voire 30 jours en Espagne) étant maintenue, et le passage des délais de paiement à 90 jours fin de mois à 90 jours date de facture à compter du 15 juin 2016, au demeurant limité dans le temps à la fin du mois de septembre 2016, ne peut davantage constituer une modification subtantielle.

La société Tribase échoue à établir que la société Multibase serait redevable à son égard de commissions non versées, s'agissant d'un contrat de distribution.

En outre, la société Tribase ne démontre pas que la société Multibase serait responsable de l'échec de la vente à la société Nexeo.

En revanche, la société Tribase n'a plus effectué aucun règlement entre le 7 juin 2016 et le 27 janvier 2017 en faveur de Multibase.

Dès lors, c'est à raison que, faisant application de l'article 15.2 du contrat qui prévoit que " les deux parties peuvent résilier le contrat avec effet immédiat et à juste titre si l'une des deux parties ne parvient pas à trouver une solution dans un délai de 30 jours calendaires après la réception de la notification écrite d'un manquement de sa part, du non-respect de ses engagements contractuels ou de ses obligations dans le cadre du présent contrat (...)", la société Multibase, après une mise en demeure de payer du 31 janvier 2017 adressée à la société Tribase demeurée infructueuse, a résilié le contrat de distribution à effet du 29 mars 2017 (sa pièce 47).

Ainsi, la résiliation sans préavis de ce contrat était justifiée, en raison du manquement grave de la société Tribase à ses obligations contractuelles.

Dès lors, la société Tribase ne peut se prévaloir d'une rupture brutale du contrat de distribution non exclusive et doit être déboutée de ces demandes sur ce fondement. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande en paiement de la société Multibase

C'est par des motifs justes et pertinents que la cour adopte que le tribunal a fait droit à la demande en paiement de la somme de 547 133,47 euros outre intérêts due par la société Tribase à la société Multibase. Le jugement est confirmé de ce chef sauf à fixer cette créance, conformément au dispositif de l'arrêt.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'équité commande de ne pas faire application de cet article.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Multibase à payer à la société Tribase la somme de 114 988,82 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial ; Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, Déclare irrecevable la demande de la société Tribase de dommages et intérêts en réparation de la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de procédure civile. Fixe à la somme de 547 133,47 euros, outre intérêts à hauteur de 1,5 % par mois à compter du terme prévu pour le paiement de chacune des factures, la créance de la société Multibase à l'égard de la société Tribase ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la société Tribase représentée par Maître X supportera les dépens de première instance devant le tribunal de commerce de Lyon et d'appel. Rejette toute autre demande.