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Décisions

Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-17.041

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Biocoral Inc. (Sté), Bio Holdings (Sté)

Défendeur :

Maco Pharma (SAS), Allianz IARD (SA), HDI Global (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP L. Poulet-Odent, SCP Ortscheidt

Douai, 2e ch. sect. 1, du 22 févr. 2018

22 février 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 février 2018), la société Inoteb, qui a pour objet toute activité liée au génie biologique dans le domaine médical, a recherché un fabricant de poches sanguines et s'est rapprochée de la société Maco Pharma, fabricant de médicaments, pour développer des prototypes d'un kit de pochettes plastiques destinées à la préparation de colle autologue afin d'être testés sur une cohorte de patients. En 2001, la société Inoteb a commandé à la société Maco Pharma 120 dispositifs de cette nature. A la suite de difficultés techniques rendant le produit inutilisable, la société Inoteb a arrêté les tests le 5 juillet 2002 et a imputé au fabricant la responsabilité de cet échec. La société Maco Pharma a contesté cette thèse et refusé de remplacer les produits défectueux, préférant cesser les relations.

2. La société Inoteb l'a alors assignée, le 9 novembre 2004, sur le fondement des articles 1134, 1147, 1184 et 1603 du Code civil, en réparation du préjudice de manque à gagner résultant du défaut de commercialisation du produit. La société Maco Pharma a appelé en garantie ses assureurs, la société AGF, devenue Allianz IARD, son assureur jusqu’au 1er janvier 2004, et la société Gerling Konzern, aux droits de laquelle vient la société HDI Global.

3. La société Inoteb ayant été dissoute le 30 juin 2009, les sociétés Biocoral Inc., sa société mère, et Biocoral Holdings, cessionnaire de son portefeuille de brevets, sont intervenues volontairement à l'instance.

4. A hauteur d’appel, ces sociétés ont ajouté, dans leurs conclusions, la mention de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce au soutien de leurs demandes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Biocoral et Bio Holdings font grief à l’arrêt de constater l’absence de demande de leur part sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce alors :

« 1°) que constitue un moyen, auquel le juge est tenu de répondre, l'énonciation par une partie d'un fait, d'un acte ou d'un texte, d'où, par un raisonnement juridique, elle prétend déduire le bien-fondé d'une demande ou d'une défense ; que les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings sollicitaient en cause d’appel réparation du préjudice qu’elles prétendaient avoir subi du fait de la rupture brutale et unilatérale, par la société Maco Pharma, du partenariat que cette dernière avait nouée et entretenue durant plusieurs années avec la société Inoteb ; qu’à l’appui de cette demande unique, les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings invoquaient, outre les articles 1134, 1147 et 1149 (anciens) du Code civil, la règle édictée à l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; que pour justifier qu’il soit fait application de cette disposition au cas d’espèce, les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings se fondaient sur la cessation brutale et sans préavis, par la société Maco Pharma, des relations commerciales stables, pérennes et anciennes que celle-ci avait entretenues avec la société Inoteb ; qu’il s’ensuit qu’une demande avait bel et bien été formée par les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings, ayant pour fondement l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu’en retenant, dans ces conditions, l’absence de demande formée par les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la Cour d’appel a violé l’article 954 du Code de procédure civile ;

2°) que les sociétés Biocoral et Bio Holdings sollicitaient en cause d’appel réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi du fait de la rupture brutale et sans préavis, décidée unilatéralement par la société Maco Pharma, du partenariat noué par celle-ci avec la société Inoteb ; que cette demande unique, reprise par les  sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings dans le dispositif de leurs conclusions, reposaient sur différents fondements juridiques ; que les sociétés Biocoral et Bio Holdings invoquaient en effet, outre le bénéfice des articles 1134, 1147 et 1149 (anciens) du Code civil, celui de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu’en retenant l’absence de toute demande fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du commerce tout en admettant par ailleurs l’existence d’une demande fondée sur les articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil, quand il s’agissait en réalité d’une seule et même demande, tendant aux mêmes fins, la Cour d’appel a violé l’article 954 du Code de procédure civile ;

3°) qu’après avoir admis qu’elle avait le pouvoir de statuer sur la demande présentée par les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings au titre de l’article L. 442-6, I, 5°, ce dont il se déduisait qu’elle reconnaissait l’existence d’une telle demande, la Cour d’appel a finalement refusé de se prononcer sur celle-ci motif pris de son absence ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 954 du Code de procédure civile ;

4°) que tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, le juge doit vérifier, au besoin d'office, que les conditions d'application de la loi sont réunies ; que pour conclure à l’absence de demande formée par les sociétés Biocoral et Bio Holdings au titre de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la Cour d’appel a notamment relevé que « si elles allèguent de relations durables entre Inoteb et Maco Pharma et d'une rupture brutale de ces relations, [les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings] n'en tirent aucune conséquence quant à la durée d'un préavis à respecter et de l'incidence qui en résulterait alors que les dispositions visées tendent à réparer le préjudice résultant de la rupture brutale, d'une relation commerciale établie, en l'absence ou l'insuffisance de préavis écrit » ; qu’en statuant de la sorte, alors que, tenue de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, la Cour d’appel se devait de déterminer elle-même si le préjudice allégué par les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings était réparable sous l’égide de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et dans l’affirmative, de l’évaluer en tenant compte de la durée du préavis qui aurait dû être respecté par l’auteur de la rupture, la Cour d’appel a méconnu son office et violé l’article 12 du Code de procédure civile ;

5°) que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu’en se fondant notamment, pour étayer leurs demandes de dommages-intérêts à l’encontre de la société Maco Pharma, sur le fait que celle-ci avait brutalement, et sans préavis, rompu la relation commerciale qu’elle entretenait de longue date avec la société Inoteb, et en en déduisant que la responsabilité de Maco Pharma était engagée en application de L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings ont formulé un moyen présentant un caractère déterminant pour la solution du litige ; que la Cour d’appel a néanmoins refusé de faire application en la cause de l’article L. 442-6, I, 5° au motif qu’aucune demande fondée sur ce texte n’aurait été présentée par les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des sociétés Biocoral Inc. Et Bio Holdings fondées sur l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir rappelé que, selon l’article 954 du Code de procédure civile, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, l'arrêt relève que si, dans leurs conclusions, les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings mentionnent, dans le prolongement des articles 1134 , 1147 et 1149 du Code civil, l'article  L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce comme fondement à leur demande, elles ne reprennent pas l'intégralité des éléments susceptibles d'engager la responsabilité de la société Maco Pharma en application de ce dernier article et, en particulier, ne tirent de leur allégation sur l'existence de relations durables entre les parties et de leur rupture brutale aucune conséquence quant à la durée d'un préavis à respecter et à l'incidence qui en résulterait. Il relève également que les demandes des sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings n'ont fait l'objet d'aucune discussion entre les parties au regard de ce fondement juridique, qui n'est pas développé de manière spécifique dans leurs conclusions, contrairement à ce qu'exigent les dispositions légales.

7. Ayant ainsi fait ressortir que les conclusions dont elle était saisie ne la mettaient pas en mesure de statuer sur le fondement, invoqué, de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la cour d‘appel a, sans méconnaître son office, exactement retenu que les demandes devaient être examinées sur le seul fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Biocoral et Bio Holdings font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts fondées sur le défaut de conformité, sur la rupture de l’engagement contractuel et sur la rupture des pourparlers alors :

« 1°) que dès 1996, la société Inoteb a confié à la société Maco Pharma la mission de fabriquer des prototypes du dispositif de préparation de la colle autologue, pour différentes manipulations techniques et tests, puis pour l’utilisation de la colle biologique autologue lors de la réalisation des différentes études, conduites par Inoteb, et nécessaires à la validation clinique du produit ; qu’entre 1996 et 2000, la société Inoteb a ainsi fait appel à plusieurs reprises à la société Maco Pharma puis lui a confié le dépôt de marque CE de son produit, ce qui a conféré à la société Maco Pharma une place incontournable dans le projet de développement de la colle biologique autologue ; qu’il résulte de ces différents éléments qu’un partenariat commercial, empreint de confiance mutuelle, existait dès 1996 entre les sociétés Inoteb et Maco Pharma en vue du développement et de la commercialisation du dispositif de colle biologique autologue mis au point par Inoteb ; qu’ainsi que le faisaient valoir les société Biocoral Inc. et Biocoral Holdings dans leurs écritures d’appel, ce partenariat avait donné naissance à une relation contractuelle tacite entre les parties, formant le cadre des différentes commandes passées par Inoteb auprès de Maco Pharma ; que pour écarter l’existence d’un tel contrat, la Cour d’appel s’est contentée d’affirmer que les sociétés Biocoral Inc. et Biocoral Holdings n’étaient pas en mesure de rapporter la preuve d’un autre engagement que celui constitué par la commande, en 2001, de cent vingt dispositifs pour la préparation de la colle biologique autologue et de cent vingt kits d’application ; qu’en statuant ainsi, sans s’interroger sur l’existence d’une relation contractuelle entre les parties excédant la seule commande passée en 2001, alors qu’elle avait elle-même constaté que le partenariat entre les parties pour le développement de la colle biologique autologue avait débuté en 1996, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) que si une partie à un contrat à exécution successive dans lequel aucun terme n’est prévu, a le droit de le résilier unilatéralement, l’exercice de ce droit requiert l’observance d’un juste préavis ; que la méconnaissance de cette exigence constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur, quels que soient les motifs pour lesquels la résiliation est intervenue ; que cette solution trouve également à s’appliquer dans l’hypothèse d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie, n’ayant pas donné lieu à la conclusion d’une convention à exécution successive ; que pour écarter toute faute commise par Maco Pharma dans la rupture brutale, et sans préavis, du partenariat qu’elle avait noué dès 1996 avec la société Inoteb en vue du développement et de la commercialisation du procédé de colle biologique autologue mis au point par celle-ci, la Cour d’appel a, sans jamais remettre en cause la brutalité de la rupture intervenue, relevé que la société Maco Pharma « avait un motif légitime de cesser la collaboration » ; qu’en statuant ainsi, alors que le fait pour la société Maco Pharma de rompre brutalement et sans préavis la relation commerciale qu’elle entretenait de longue date avec la société Inoteb était en soi constitutif d’une faute, quels qu’aient été les motifs pour lesquels cette rupture était intervenue, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1147, 1149 et 1382 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. D'une part, analysant les relations entretenues par les parties à partir de 1996, l'arrêt relève que la société Inoteb s'est adressée à la société Maco Pharma pour l'étude et la réalisation de prototypes de dispositif de préparation de la colle autologue, la société Maco Pharma devant, en sa qualité de fabricant, déposer le dossier de marquage CE, lequel a été obtenu en juin 2000, à la suite de quoi elle a, en avril 2001, livré 120 dispositifs de préparation et kits d'application, conformément à la commande passée. Il relève encore qu'après la livraison des produits, la société Maco Pharma a adressé à la société Inoteb un projet de contrat de collaboration qui reprenait l'essentiel de leurs projets, notamment de licence mondiale et de reprise par elle des réseaux de vente, qui n'a pas été accepté par la société Inoteb, de sorte que, lorsque les essais sur les produits livrés, demandés par l'AFSSAPS, ont commencé en avril 2002, aucun contrat n'avait été signé. Il constate que des problèmes de coagulation de la colle ont conduit à l'arrêt des essais, sans qu'il ait été possible d'en déterminer la cause, et retient que, le projet des parties étant de commercialiser le produit, le protocole pour parvenir à une thérapie applicable, tant qu'il n'était pas terminé, pouvait être remis en cause si les essais sur les patients ne donnaient pas de résultat, ce qui a été le cas, de sorte que la société Maco Pharma avait un motif légitime de mettre un terme à la collaboration en cours. Il ajoute que, si la société Inoteb souhaitait poursuivre les relations, elle a, dans le même temps, mis en cause la qualité des poches fournies, imputant à la société Maco Pharma l'entière responsabilité de l'échec des essais thérapeutiques, sans en rapporter la preuve, contribuant ainsi à la rupture des relations, et relève, enfin, que la société Maco Pharma a, de son côté, justifié les motifs de son retrait par la remise en cause du concept par des experts et la nécessité de procéder à de nouvelles recherches pour obtenir un produit commercialisable, ce qui nécessitait un financement supplémentaire. Il en déduit qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société Maco Pharma, ni contractuelle, ni délictuelle.

11. En cet état, la cour d'appel, qui s'est prononcée au vu de l'ensemble des relations commerciales qui avaient existé entre les parties, a légalement justifié sa décision de rejeter les demandes de dommages-intérêts formées par la société Inoteb.

12. D'autre part, le grief de la seconde branche, qui invoque un préjudice né de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, étrangère aux textes dont la violation est alléguée, est inopérant.

13. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Biocoral et Bio Holdings font grief à l’arrêt de déclarer sans objet les demandes formées contre les sociétés HDI Global et Allianz alors « qu’en vertu de l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le premier et/ou le deuxième moyen, en ce que l’arrêt attaqué a constaté l’absence de demande des sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et les a déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts fondées sur la rupture du partenariat conclu entre Inoteb et Maco Pharma, s'étendra nécessairement, par voie de conséquence, au chef de l'arrêt ayant déclaré sans objet les demandes à l’encontre des sociétés HDI Global et SA Allianz au motif que les sociétés Biocoral Inc. et Bio Holdings avaient été déboutées de leurs prétentions. »

Réponse de la Cour

11. Le rejet des premier et second moyens rend le moyen sans portée.

Par ces motifs, la Cour :

Rejette le pourvoi.