Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-24.046
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
GBM (SARL)
Défendeur :
Novadelta France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 septembre 2018), la société GBM, qui exploite un fonds de commerce de bar-restaurant, a, le 1er septembre 2013, conclu avec la société Novadelta France (la société Novadelta), spécialisée dans la vente en gros de café, thé, cacao et épices aux bars et restaurants, un contrat d'approvisionnement exclusif, pour une durée de quatre ans renouvelable tacitement, par lequel elle s'est obligée à s'approvisionner en café et sucre, pour une quantité minimale mensuelle, auprès de la société Novadelta, obligation en contrepartie de laquelle cette société s'engageait à mettre du matériel à sa disposition.
2. Le contrat comportait une clause prévoyant, en cas de résiliation, le paiement d'une indemnité compensant le défaut de respect, par la société GBM, de ses engagements d'approvisionnement.
3. Un différend étant survenu entre les parties sur l'exécution de leurs obligations respectives, la société Novadelta, reprochant à la société GBM d'avoir cessé ses approvisionnements, l'a, après mise en demeure, assignée devant le tribunal de commerce de Pontoise, en paiement de l'indemnité due en cas de rupture et de dommages-intérêts pour inexécution du contrat, sur le fondement des articles 1134, 1146 et 1147 du Code civil, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
4. Par un jugement du 14 octobre 2016, ce tribunal a, notamment, dit que le contrat de fourniture était résilié de plein droit et a condamné la société GBM à payer une certaine somme à la société Novadelta sur le fondement de la clause de résiliation, en rejetant la demande de dommages-intérêts formée par cette dernière.
5. La société GBM, ayant fait appel de la décision, a demandé, en se fondant sur les articles L. 442-6 du Code de commerce et 1184 du Code civil à titre principal, que la résiliation du contrat soit prononcée aux torts de la société Novadelta pour manquements contractuels, que la clause de résiliation soit réputée nulle et de nul effet comme constitutive d'un déséquilibre significatif, et que la demande en paiement de cette dernière soit rejetée et, à titre subsidiaire, que soit prononcée la résolution du contrat.
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société GBM fait grief à l'arrêt de déclarer son appel irrecevable alors « que l'appel formé contre une décision de première instance rendue par un juridiction non spécialisée sur le fondement du droit commun, devant une Cour d’appel autre que celle de Paris, est recevable, et il appartient à la Cour d’appel de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel sur les demandes fondées sur le droit commun, seules étant irrecevables les demandes nouvellement formées devant elle sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; qu'en jugeant que l'appel formé devant la Cour d’appel de Versailles par la société GBM était irrecevable pour l'ensemble des demandes au motif qu'elle n'avait pas été saisie d'une demande de disjonction, quand elle constatait que le juge de première instance, le tribunal de commerce de Pontoise, n'avait pas statué sur l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui n'avait pas été invoqué en première instance, mais qu'il avait tranché le litige conformément au droit commun des contrats, et que ce n'était qu'en cause d'appel que les parties avaient fondé des demandes sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, la Cour d’appel a violé les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce et R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 442-6 III et D. 442-3 du Code de commerce et l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire :
7. Il résulte du deuxième de ces textes que seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées pour statuer sur l'application du premier d'entre eux sont portés devant la Cour d’appel de Paris, de sorte qu'il appartient aux autres cours d'appel, conformément au troisième de ces textes, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par le deuxième texte.
8. Pour déclarer l'appel formé par la société GBM irrecevable, l'arrêt relève que, si le tribunal de commerce de Pontoise a été saisi d'une action en responsabilité purement contractuelle et de résiliation judiciaire pour non-respect par la société GBM du contrat de fourniture exclusive conclu avec la société Novadelta, la société GBM, à hauteur d'appel, se prévaut de manière explicite, dans le dispositif de ses conclusions récapitulant ses demandes, de l'application des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1184 du Code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, après avoir, d'une part, expliqué s'être abstenue de respecter son obligation d'approvisionnement exclusif selon des volumes minimum dès lors que son partenaire commercial n'exécutait pas lui-même ses prestations contractuelles et, d'autre part, observé que la clause de résiliation unilatérale opposée par son adversaire est en totale contradiction avec le texte et l'esprit de l'article L. 442-6 du Code de commerce interdisant, dans un contrat entre professionnels, toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties.
9. En statuant ainsi, alors que le jugement frappé d'appel avait été rendu sur le fondement des articles 1134, 1146 et 1147 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et qu'il émanait d'une juridiction située dans son ressort, ce dont il résultait que l'appel formé devant elle était recevable, seules étant irrecevables les demandes nouvellement formées devant elle sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la Cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.