Cass. com., 8 juillet 2020, n° 18-17.169
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Cegil (SAS)
Défendeur :
JCD & Co (SAS), JCD Communication (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Pomonti
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
Me Balat, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
LA COUR :
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 28 mars 2018), la société Lorinfo, en redressement judiciaire, a fait l’objet d’un plan de cession au profit de la société Cegil. Reprochant aux sociétés JCD & Co et JCD communication (les sociétés JCD), dont les offres de reprise avaient été rejetées, le débauchage fautif de certains salariés, la société Cegil les a assignées en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Examen du moyen unique, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
2. La société Cegil fait grief à l’arrêt du rejet de ses demandes alors « que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage du personnel d’une société, entraînant sa désorganisation ; en considérant que les tentatives de débauchage des sociétés JCD n’étaient « pas constitutives de concurrence déloyale, dès lors que les preuves produites par la société cessionnaire sont insuffisantes à établir une volonté manifeste des sociétés JCD de désorganiser la société Cegil, par suite de ces tentatives », cependant que, pour caractériser l’existence d’actes de concurrence déloyale, il n’est nul besoin de démontrer que l’auteur de ces actes a eu la « volonté manifeste » de désorganiser son concurrent et qu’il suffit que les actes en cause aient objectivement entraîné une désorganisation de l’entreprise concurrente, la Cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne contient pas, violant ainsi l’article 1240 du Code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1382, devenu 1240, du Code civil :
Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
3. Si l’embauche, dans des conditions régulières, d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas en elle-même fautive, elle le devient lorsqu’elle intervient dans des conditions déloyales et entraîne une désorganisation de cette entreprise.
4. Pour rejeter les demandes de la société Cegil, l’arrêt retient que, si MM. Messaoudi et Geoffroy ont présenté leur démission par une lettre datée du 14 avril 2014, cependant qu’ils n’ont en réalité pris leur décision que le lendemain dès qu’ils ont eu connaissance de la décision du tribunal de commerce relative à l’identité du repreneur de la société Lorinfo, aucune des pièces produites ne permet d’attribuer à la société JCD communication la responsabilité d’une fraude se trouvant en lien avec les démissions présentées, à cette date, par ces salariés, avec dispense subséquente d’effectuer le préavis. S’agissant de M. Houver, il estime qu’il n’est pas prouvé de manœuvres déployées par les sociétés JCD pour parvenir à un tel recrutement et relève la très faible ancienneté de ce salarié au sein de la société Lorinfo, excluant que son recrutement ait eu pour effet de désorganiser la société cessionnaire. Il ajoute que les tentatives de débauchage d’un nombre très limité d’autres salariés de la société Cegil, couronnées de succès ou non, ne peuvent être constitutives de concurrence déloyale, dès lors que les preuves produites par la société cessionnaire sont insuffisantes à établir une volonté manifeste des sociétés JCD de désorganiser la société Cegil, par suite de ces tentatives. Enfin, il estime que si M. Fritsch, ancien dirigeant de la société cédée, a, postérieurement au plan de cession, rejoint les effectifs du groupe JCD en qualité de « Directeur du développement JCD & Co », contrevenant ainsi à l’engagement de non-concurrence qu’il avait souscrit, aucun élément du dossier ne permet cependant de conclure que les sociétés JCD avaient eu connaissance de cette prohibition avant le 22 mars 2016, date du courriel adressé par M. Fritsch à M. Accorsi, dirigeant de JCD, qui donne date certaine à cette information.
5. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants dès lors que la caractérisation d’une faute de concurrence déloyale n’exige pas la constatation d’un élément intentionnel, et sans rechercher si, comme le soutenait la société Cegil, le débauchage simultané de M. Messaoudi, ingénieur d’affaires qui réalisait le chiffre d’affaires le plus important, de M. Geoffroy, responsable de l’activité ERP, qui tous deux avaient antidaté leur lettre de démission afin de permettre au dirigeant de la société reprise, lui-même embauché par le groupe JCD, de les dispenser d’effectuer leur préavis, ajouté à celui de M. Houver, ingénieur informatique actif dans le domaine de l’ERP, celui-ci serait-il arrivé quelques mois auparavant seulement, n’avait pas provoqué sa désorganisation, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Par ces motifs, LA COUR : Casse et Annule l'arrêt rendu le 28 mars 2018 par la Cour d’appel de Nancy ; Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d’appel de Metz.