CJUE, 4e ch., 16 juillet 2020, n° C-224/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Caixabank (SA), Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vilaras
Juges :
MM. Rodin (rapporteur), Šváby, Mme Jürimäe , M. Piçarra
Avocat général :
M. Saugmandsgaard Øe
Avocats :
Mes Martínez Blanco, Gutiérrez de Cabiedes Hidalgo de Caviedes, Salamanca Sánchez, Ruiz Reina, Fernández Vicién, Capell Navarro, Picón Franco
LA COUR (quatrième chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 3 à 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, CY à Caixabank SA et, d’autre part, LG et PK à Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA au sujet de clauses abusives présentes dans des contrats de prêt assortis de garanties hypothécaires.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les seizième, dix-neuvième, vingtième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 énoncent :
« considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ;
[...]
considérant que, pour les besoins de la présente directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; que l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses [...]
considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles ; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses, et que, en cas de doute, doit prévaloir l’interprétation la plus favorable au consommateur ;
[...]
considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 1er de la directive 93/13 énonce :
« 1. La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
2. Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »
5 Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de cette directive :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[...] »
6 L’article 4, paragraphe 2, de ladite directive dispose :
« L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
7 L’article 5 de la même directive prévoit :
« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. [...] »
8 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
9 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive est ainsi libellé :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
10 Aux termes de l’article 8 de ladite directive :
« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »
Le droit espagnol
Le décret royal 1426/1989
11 La règle 6.a de l’annexe II du Real Decreto 1426/1989, por el que se aprueba el arancel de los notarios (décret royal 1426/1989, portant approbation des honoraires des notaires), du 17 novembre 1989 (BOE n° 285, du 28 novembre 1989, p. 37169), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, dispose :
« [L’obligation de paiement des droits incombe à] la partie qui a requis l’intervention ou les services du notaire et, le cas échéant, à ceux ayant la qualité d’intéressé en vertu des règles de droit matérielles et fiscales [...] »
Le décret royal 1427/1989
12 La huitième règle de l’annexe II du Real Decreto 1427/1989, por el que se aprueba el arancel de los registradores de la propiedad (décret royal 1427/1989, portant approbation des honoraires des receveurs de l’enregistrement), du 17 novembre 1989 (BOE n° 285, du 28 novembre 1989, p. 37171), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, impose l’obligation [de payer les honoraires du receveur de l’enregistrement] à « celui ou ceux en faveur desquels le droit est immédiatement inscrit ou mentionné, les honoraires pouvant également être réclamés à [...] celui qui a sollicité le service concerné ou à celui au bénéfice duquel le droit a été inscrit ou le certificat a été demandé. »
La LCGC
13 L’article 7 de la Ley 7/1998, sobre condiciones generales de la contratación (loi 7/1998, relative aux conditions contractuelles générales), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, p. 12304), dans sa version applicable à la date de la signature des contrats en cause au principal (ci après la « LCGC »), prévoit :
« Les conditions générales suivantes sont réputées ne pas figurer dans le contrat :
a) celles dont le consommateur n’a pas eu réellement l’occasion de prendre intégralement connaissance avant la conclusion du contrat ou qui n’ont pas été signées, le cas échéant, aux termes de l’article 5 ;
b) les conditions illisibles, ambiguës, obscures et incompréhensibles, sauf, dans le cas de ces dernières, lorsque l’adhérent les a expressément acceptées par écrit et lorsqu’elles respectent la réglementation spécifique relative à la transparence des clauses contractuelles dans ce domaine. »
14 L’article 8 de la LCGC énonce :
« 1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de la partie adhérente, contreviennent aux dispositions de la présente loi ou de toute autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent différemment leur violation.
2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur [...] »
Le décret-loi royal 6/2000
15 L’article 40 du Real Decreto-Ley 6/2000, de Medidas Urgentes de Intensificación de la Competencia en Mercados de Bienes y Servicios (décret-loi royal 6/2000, portant mesures urgentes d’intensification de la concurrence sur les marchés des biens et des services), du 23 juin 2000 (BOE n° 151, du 24 juin 2000, p. 22440), dans sa version en vigueur à la date de la signature des contrats en cause au principal, dispose :
« [L]es établissements de crédit et autres établissements financiers indiquent expressément [...] le droit dont bénéficie l’emprunteur de désigner, d’un commun accord avec la partie prêteuse, la personne ou l’entité qui procédera à l’estimation de l’immeuble faisant l’objet de l’hypothèque [...] »
Le décret royal législatif 1/2007
16 Le Real Decreto Legislativo 1/2007, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias (décret royal législatif 1/2007, portant approbation du texte consolidé de la loi générale de protection des consommateurs et usagers et autres lois complémentaires), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181), prévoit, à son article 8, intitulé « Droits fondamentaux des consommateurs et usagers » :
« Constituent des droits fondamentaux des consommateurs et des usagers :
[...]
b) La protection de leurs intérêts économiques et sociaux légitimes, tout particulièrement face aux pratiques commerciales déloyales et à l’insertion de clauses abusives dans les contrats.
[...]
d) L’information exacte sur les différents biens ou services ainsi que l’éducation et la vulgarisation afin de favoriser la connaissance relative à l’utilisation, à la consommation ou à la jouissance appropriée de ces biens ou services. [...] »
17 L’article 60 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Information précontractuelle », est ainsi libellé :
« 1. Avant que le consommateur ou l’usager ne soit lié par un contrat ou une offre du même type, le professionnel lui fournit, d’une manière claire et compréhensible, sauf si elles sont évidentes en raison du contexte, les informations pertinentes, correctes et suffisantes sur les principales caractéristiques du contrat, notamment sur ses conditions juridiques et économiques.
2. Sont pertinentes, les obligations d’information sur les biens ou services établies par la présente loi ou toute autre norme applicable, ainsi que :
a) les principales caractéristiques du bien ou du service, dans la mesure appropriée au support de communication utilisé et au bien ou service concerné ;
[...]
c) le prix toutes taxes comprises. Lorsque la nature des biens ou des services signifie que le prix ne peut raisonnablement pas être calculé à l’avance, la manière dont le prix est calculé, ainsi que, le cas échéant, tous les coûts supplémentaires de transport, de livraison et postaux, ou, lorsque ces coûts ne peuvent raisonnablement pas être calculés à l’avance, la mention que ces coûts peuvent être à la charge du consommateur ;
Toute information à destination du consommateur ou de l’usager relative au prix des biens ou des services, en ce compris la publicité, renseigne le prix total, en distinguant, le cas échéant, le montant des suppléments ou réductions applicables, le montant des frais répercutés sur le consommateur ou l’usager, et les frais supplémentaires pour les services accessoires, le financement, l’utilisation de différents moyens de paiement ou les autres conditions de paiement similaires. [...] »
18 L’article 80 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Exigences applicables aux clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle », dispose :
« 1. Dans les contrats conclus entre des consommateurs et des usagers qui comprennent des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, [...] ces clauses doivent respecter les exigences suivantes :
a) la rédaction doit être précise, claire et simple, et doit pouvoir être directement comprise [...]
b) accessibilité et lisibilité, afin de permettre au consommateur et à l’usager de connaître leur existence et leur contenu avant la conclusion du contrat. [...]
c) bonne foi et juste équilibre entre les droits et obligations des parties, ce qui exclut, en tout état de cause, l’utilisation de clauses abusives. [...] »
19 L’article 82 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Notion de clause abusive », énonce :
« 1. Sont considérées comme abusives toutes les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle ainsi que toutes les pratiques qui ne résultent pas d’un accord exprès et qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur et de l’usager un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. [...] Si le professionnel prétend qu’une clause déterminée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.
3. Le caractère abusif d’une clause est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. [...] »
20 Aux termes de l’article 83 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Nullité des clauses abusives et subsistance du contrat » :
« Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites. À ces fins, après avoir entendu les parties, le juge constate la nullité des clauses abusives figurant dans le contrat, celui-ci restant néanmoins contraignant pour les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
21 L’article 87 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Clauses abusives pour cause d’absence de réciprocité », prévoit, à son paragraphe 5 :
« Sont abusives les clauses qui, dans le contrat, créent au détriment du consommateur ou de l’usager une absence de réciprocité contraire à la bonne foi, et, notamment :
[...]
5. [...] toute autre disposition qui prévoit un paiement pour des produits ou services qui n’ont pas été effectivement utilisés ou consommés. [...] »
22 L’article 89 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Clauses abusives affectant la perfection et l’exécution du contrat », dispose :
« Sont en tout état de cause considérées comme des clauses abusives :
[...]
4. L’imposition, au consommateur ou à l’usager, de biens ou de services complémentaires ou accessoires non sollicités.
5. Les majorations de prix pour des services accessoires [...] qui ne correspondent pas à des prestations supplémentaires susceptibles d’être acceptées ou rejetées [...] »
La loi 2/2009
23 La Ley 2/2009, por la que se regula la contratación con los consumidores de préstamos o créditos hipotecarios y de servicios de intermediación para la celebración de contratos de préstamo o crédito (loi 2/2009, portant réglementation de la conclusion, avec les consommateurs, de contrats de prêt ou de crédit hypothécaire et de contrats de services de courtage en vue de la conclusion de contrats de prêt ou de crédit), du 31 mars 2009 (BOE n° 79, du 1er avril 2009, p. 30843), dispose, à son article 5, paragraphe 1, intitulé « Obligations de transparence en matière de prix » :
« Les entreprises établissent librement leurs tarifs de commissions, de conditions et de frais susceptibles d’être répercutés sur les consommateurs, sans autres restrictions que celles reprises en matière de clauses abusives dans la présente loi, [...] ainsi que dans le [décret royal législatif 1/2007].
Les tarifs reprenant les commissions ou compensations et les frais susceptibles d’être réclamés, en ce compris les activités de conseil, indiquent les hypothèses et, le cas échéant, la fréquence à laquelle ils s’appliquent. Les commissions ou compensations ou frais répercutés sur le client doivent correspondre à des services effectivement fournis ou à des coûts supportés. Les services qui n’ont pas été expressément acceptés ou demandés par le client ne donnent lieu à aucune commission ni à aucun frais. »
La LEC
24 L’article 394 de la Ley 1/2000, de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000, relative au code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dans sa version en vigueur à la date de la signature des contrats en cause au principal (ci-après la « LEC »), dispose :
« 1. Dans les procédures déclaratives, les dépens en première instance incombent à la partie dont tous les chefs de demande ont été rejetés, sauf si le tribunal apprécie, en le justifiant dûment, que l’affaire soulevait de sérieux doutes en fait ou en droit.
[...]
2. En cas d’accueil ou de rejet partiel des chefs de demande, chaque partie paiera les frais liés à son instance et supportera par moitié les frais communs sauf juste motif de condamner l’une des parties aux dépens pour procédure abusive.
[...] »
Le code civil
25 L’article 1303 du Código Civil (code civil) est ainsi libellé :
« Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les parties doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet du contrat et leurs fruits, ou le prix majoré des intérêts, sous réserve des articles suivants. »
26 Aux termes de l’article 1964, paragraphe 2, du code civil :
« Les actions personnelles non soumises à un délai particulier se prescrivent par cinq ans à compter du jour où l’obligation est réputée applicable. Pour les obligations continues de faire ou de ne pas faire, le délai débute à chaque manquement à ces obligations. »
27 L’article 1969 du code civil énonce :
« En l’absence d’une disposition particulière contraire, le délai de prescription pour toutes les catégories d’actions est calculé à partir du jour où elles ont pu être exercées. »
L’arrêté relatif aux taux d’intérêt, aux normes opérationnelles, à l’information des clients et à la publicité des établissements de crédit
28 Le chapitre 1 de la Orden sobre tipos de interés y comisiones, normas de actuación, información a clientes y publicidad de las Entidades de crédito (arrêté relatif aux taux d’intérêt, aux normes opérationnelles, à l’information des clients et à la publicité des établissements de crédit), du 12 décembre 1989 (BOE n° 303, du 19 décembre 1989, p. 39289), dans sa version en vigueur à la date de la signature des contrats en cause au principal, est ainsi libellé :
« Cinquièmement. Les établissements de crédit fixent librement les commissions perçues pour les opérations ou les services qu’ils fournissent.
[...]
Les services qui n’ont pas été expressément acceptés ou demandés par le client ne donnent lieu à aucune commission ni à aucun frais. Les commissions ou frais répercutés sur le client doivent correspondre à des services effectivement fournis ou à des coûts supportés. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C-224/19
29 Le 16 mai 2000, CY a conclu avec l’établissement financier Caixabank un contrat de prêt hypothécaire devant notaire, d’un montant initial de 81 136,63 euros, prévoyant aussi le paiement d’intérêts variables.
30 La quatrième clause du même contrat exige de l’emprunteur le versement d’une « commission d’ouverture ». Cette clause dispose :
« Les commissions suivantes sont stipulées en faveur de [Caixabank] et à charge de la partie créditée :
A) – Commission d’ouverture sur le plafond total du prêt, à payer une seule fois lors [de la passation] du présent acte : un pour cent, soit un montant de cent-trente-cinq mille pesetas espagnoles (135 000) équivalentes à 811,37 euros. »
31 La cinquième clause dudit contrat impose à l’emprunteur le paiement de tous les frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque. Cette clause est ainsi libellée :
« La partie créditée supporte le paiement des frais d’estimation de l’immeuble hypothéqué [;] de tous les autres frais et prélèvements fiscaux découlant du présent acte notarié, des actes et contrats qui y sont formalisés ainsi que de son inscription au Registro de la Propiedad (registre de la propriété) [;] de tous les autres frais et prélèvements fiscaux résultant de toutes les passations d’actes qui seront nécessaires pour que le présent document et le document constatant l’extinction de ses effets soient admis au registre de la propriété, en ce compris tous les autres frais et prélèvements fiscaux résultant des quittances accusant réception, totale ou partielle, des sommes prêtées, ainsi que des honoraires d’avocat et des frais d’huissier en cas de recouvrement judiciaire, même si l’intervention de ces derniers n’est pas impérative. »
32 Le 22 mars 2018, CY a introduit un recours devant le Juzgado de Primera Instancia n. 17 de Palma de Mallorca (tribunal de première instance n° 17 de Palma de Majorque, Espagne), afin d’obtenir, sur le fondement de la législation en matière de protection du consommateur, la constatation de la nullité, en raison de leur caractère abusif, des quatrième et cinquième clauses du contrat en cause (ci-après les « clauses litigieuses »), ainsi que le remboursement de la totalité des montants payés en application de ces clauses. De son côté, Caixabank a invoqué la pleine validité des clauses litigieuses. Dans le cadre de cette procédure, CY a estimé nécessaire que la juridiction nationale pose à la Cour des questions préjudicielles concernant lesdites clauses litigieuses.
33 En ce qui concerne la clause relative aux frais de l’hypothèque, la juridiction de renvoi souligne que la jurisprudence espagnole considère, majoritairement, ce type de clauses comme étant abusives et, par conséquent, nulles. Néanmoins, cette juridiction remarque que, en ce qui concerne les effets de cette nullité, les juridictions espagnoles ont abouti à des décisions différentes et contradictoires qui placent les consommateurs et les établissements financiers dans une situation d’insécurité juridique. À cet égard, ladite juridiction rend compte de plusieurs pratiques jurisprudentielles qu’elle estime « modératoires » des effets restitutifs de la constatation de la nullité, en se posant la question de savoir si elles sont compatibles avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci.
34 S’agissant de la clause imposant une commission d’ouverture, le Juzgado de Primera Instancia n.°17 de Palma de Mallorca (tribunal de première instance n° 17 de Palma de Majorque) fait remarquer un consensus des cours provinciales sur son caractère abusif et sa nullité, en raison du fait qu’une telle commission ne correspond à aucun service ou frais réel ou effectif. Cependant, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) avait récemment contredit cette ligne jurisprudentielle, en considérant que la commission d’ouverture, en tant que partie de l’objet principal d’un contrat de prêt, devrait être exclue du contrôle de son caractère abusif au titre de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. La juridiction de renvoi s’interroge sur le bien-fondé de ce raisonnement du Tribunal Supremo (Cour suprême) et se demande également si la réponse à cette question est influencée par le fait que le Royaume d’Espagne n’a pas transposé ledit article 4 dans le droit espagnol pour assurer un niveau plus élevé de protection au consommateur, en conformité avec l’article 8 de cette directive.
35 Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia n.°17 de Palma de Mallorca (tribunal de première instance n° 17 de Palma de Majorque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les treize questions préjudicielles suivantes :
« 1) Compte tenu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, est-il permis de modérer les effets restitutifs de la constatation de la nullité, en raison de son caractère abusif, d’une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire ?
2) Lorsqu’une jurisprudence nationale prévoit que la constatation de la nullité d’une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire impose de partager les frais de notaire et de gestion par moitié entre le prêteur et l’emprunteur, est-il permis de considérer, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, que cette jurisprudence constitue une modération judiciaire de la constatation de la nullité d’une clause abusive, qui, par conséquent, est contraire au principe selon lequel les clauses abusives ne lient pas le consommateur, consacré à cet article ?
3) Lorsqu’une jurisprudence nationale prévoit que la constatation de la nullité d’une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire impose d’imputer malgré tout à l’emprunteur le paiement des frais d’estimation de l’immeuble et du prélèvement fiscal grevant la constitution de l’hypothèque résultants de la formalisation du prêt, est-il permis de considérer, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, que cette jurisprudence constitue une violation du principe selon lequel une clause abusive déclarée nulle ne lie pas le consommateur, et est-il contraire à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/13 d’imposer à l’emprunteur de prouver qu’il ne lui a pas été permis de fournir sa propre estimation de l’immeuble ?
4) Au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, une jurisprudence nationale en vertu de laquelle une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire, dont la nullité a été constatée, peut continuer à produire des effets pour l’emprunteur lorsque celui-ci réalise des novations modificatives ou lève l’hypothèque, en ce sens qu’il reste tenu de payer les frais résultant de cette modification ou de cette levée de l’hypothèque, est-elle contraire à [cette directive], et l’imputation de ces frais à l’emprunteur implique-t-elle une violation du principe selon lequel une clause abusive déclarée nulle ne lie pas le consommateur ?
5) Au regard de l’article 6, paragraphe 1, [de la directive 93/13,] lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de [celle-ci], [une] jurisprudence nationale qui exclut partiellement les effets restitutifs d’une constatation de la nullité, en raison de son caractère abusif, d’une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire, est-elle contraire à l’effet dissuasif à l’égard du professionnel consacré à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ?
6) Une jurisprudence nationale qui, en invoquant l’intérêt de l’emprunteur, modère les effets restitutifs d’une constatation de la nullité d’une clause imposant à l’emprunteur la totalité des frais de formalisation, de novation ou d’extinction d’un prêt assorti d’une garantie hypothécaire, est-elle contraire au principe de non modération des clauses déclarées nulles, consacré par la jurisprudence de la Cour, et au principe selon lequel les clauses abusives ne lient pas le consommateur, consacré à l’article 6 de la directive 93/13 ?
7) Au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13, une jurisprudence nationale en vertu de laquelle la clause dite de « commission d’ouverture » satisfait automatiquement au contrôle de transparence peut-elle impliquer une violation du principe de renversement de la charge de la preuve consacré à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/13, le professionnel n’ayant pas à démontrer qu’il a fourni des informations préalables sur cette clause ni que celle-ci a fait l’objet d’une négociation individuelle ?
8) Une jurisprudence nationale qui considère qu’un consommateur doit savoir per se que la facturation d’une commission d’ouverture est une pratique habituelle des établissements financiers est-elle contraire à l’article 3 de la directive 93/13 et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ? N’est-il donc pas nécessaire que le prêteur se ménage une quelconque preuve démontrant que la clause a fait l’objet d’une négociation individuelle, ou ce dernier doit-il au contraire démontrer dans tous les cas que ladite clause a fait l’objet d’une négociation individuelle ?
9) Au regard de l’article 3 et de l’article 4 de la directive 93/13 ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, une jurisprudence nationale en vertu de laquelle l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 interdit d’analyser le caractère abusif d’une clause dite de “commission d’ouverture” au motif qu’elle concerne la définition de l’objet principal du contrat est-elle contraire à cette directive, ou faut-il au contraire considérer que cette commission d’ouverture constitue non pas une partie du prix du contrat, mais une rémunération accessoire, de telle sorte que le juge national doit pouvoir contrôler la transparence ou le contenu de la clause afin de vérifier son caractère abusif conformément au droit national ?
10) Dans l’hypothèse où une clause dite de “commission d’ouverture” est considérée comme étant l’objet principal du contrat de prêt et compte tenu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 (que la LCGC n’a pas transposé dans le droit espagnol), l’article 8 de la directive 93/13 s’oppose t il à ce qu’une juridiction espagnole invoque et applique ledit article 4, paragraphe 2, alors que cette disposition n’a pas été transposée dans le droit espagnol par la volonté du législateur, qui a souhaité un niveau de protection intégrale pour toutes les clauses qu’un professionnel est susceptible d’insérer dans un contrat conclu avec des consommateurs (en ce compris les clauses relatives à l’objet principal du contrat), même lorsqu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible ?
11) Au regard de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, lorsqu’une clause dite de “commission d’ouverture” n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et que l’établissement financier ne démontre pas qu’elle correspond à des services effectivement fournis et à des frais qu’elle a exposés, cette clause crée-t-elle un déséquilibre important entre les droits et les obligations des parties au contrat, avec pour conséquence que le juge national est tenu d’en constater la nullité ?
12) Au regard de l’article 6, paragraphe 1, [ de la directive 93/13,] lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de [celle-ci], lorsqu’un consommateur exerce des actions en nullité contre des clauses abusives insérées dans un contrat qu’il a conclu avec un professionnel et obtient que les juridictions constatent la nullité de ces clauses en raison de leur caractère abusif, le principe selon lequel les clauses abusives ne lient pas le consommateur et le principe de l’effet dissuasif à l’égard des professionnels doivent-ils avoir pour conséquence la condamnation dudit professionnel aux dépens à l’issue d’une telle procédure, et ce indépendamment de la condamnation à la restitution concrète de sommes prononcée dans la décision, la demande de constatation de la nullité de la clause étant, en outre, considérée comme le chef de demande principal et la demande de restitution de sommes n’étant considérée que comme un chef de demande accessoire inhérent au chef de demande principal ?
13) Au regard du principe selon lequel les clauses abusives ne lient pas le consommateur et du principe de l’effet dissuasif consacrés par la directive 93/13 (article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1), les effets restitutifs de la constatation de la nullité, en raison de son caractère abusif, d’une clause insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel peuvent-ils être limités dans le temps en faisant droit à l’exception de prescription de l’action en restitution de sommes, bien que, en vertu de la législation nationale, l’action en nullité absolue aboutissant à la constatation de la nullité soit imprescriptible ? »
L’affaire C-259/19
36 Le 1er juillet 2011, LG et PK ont conclu avec l’établissement financier Banco Bilbao Vizcaya Argentaria un contrat de prêt hypothécaire qui incluait une clause stipulant, selon la juridiction de renvoi, que tous les frais de formalisation et d’extinction de l’hypothèque devraient être supportés par l’emprunteur.
37 Les requérants au principal ont saisi le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción de Ceuta (tribunal de première instance et d’instruction de Ceuta, Espagne) d’un recours visant à établir la nullité de ladite clause, en raison de son caractère abusif.
38 Les motifs étant, en substance, analogues à ceux de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C 224/19, le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción de Ceuta (tribunal de première instance et d’instruction de Ceuta) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Afin de garantir la protection des consommateurs et des utilisateurs et le respect de la jurisprudence de l’Union qui la met en œuvre, est-il conforme au droit de l’Union, à la directive 93/13 [...] et, plus particulièrement, à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de cette dernière que le Tribunal Supremo (Cour suprême) ait fixé comme critère non équivoque, dans ses arrêts nos 44 à 49, du 23/01/2019, le caractère abusif, dans les contrats de prêt assortis d’une garantie hypothécaire conclus avec des consommateurs, d’une clause non négociée prévoyant que les frais occasionnés par la constitution de l’opération de prêt hypothécaire doivent être pris en charge par l’emprunteur et ait réparti la charge des différents frais figurant dans cette clause abusive dont la nullité a été constatée entre l’établissement bancaire ayant inséré la clause et le consommateur emprunteur, afin de limiter la restitution des montants indûment versés en application de la législation nationale ?
2) Afin de garantir la protection des consommateurs et des utilisateurs et le respect de la jurisprudence de l’Union qui la met en œuvre, est-il conforme au droit de l’Union, à la directive 93/13 et, plus particulièrement, à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de cette dernière que le Tribunal Supremo (Cour suprême) procède à une interprétation supplétive d’une clause nulle en raison de son caractère abusif, lorsque la suppression de cette clause et les effets de cette suppression ne font pas obstacle à ce que le contrat de prêt assorti d’une garantie hypothécaire subsiste ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
Sur la recevabilité des deuxième à quatrième questions dans l’affaire C 224/19
39 Le gouvernement espagnol soulève l’incompétence de la Cour pour connaître des deuxième à quatrième questions préjudicielles dans l’affaire C 224/19, au motif que celles-ci portent sur la question de savoir à qui incombe le paiement de certains frais en vertu de la législation nationale en vigueur, ce qui serait une question d’interprétation et d’application du droit national, écartée, en tant que telle, du pouvoir d’appréciation de la Cour selon une jurisprudence constante (arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, C 467/08, EU:C:2010:620, point 22).
40 À cet égard, il convient de souligner que selon cette jurisprudence, dans le cadre de l’examen d’un renvoi préjudiciel, la Cour doit prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Partant, la Cour n’est pas compétente pour connaître de la question de savoir si l’interprétation donnée aux normes nationales par la juridiction de renvoi est correcte.
41 En revanche, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, C 467/08, EU:C:2010:620, point 21 et jurisprudence citée).
42 Or, il ressort clairement des deuxième à quatrième questions que la Cour est appelée à se prononcer sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13. Plus spécifiquement, la juridiction de renvoi se demande si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une certaine jurisprudence nationale. Il s’ensuit que la Cour n’est à aucun moment appelée à interpréter le droit national.
43 Il résulte de ce qui précède que les deuxième à quatrième questions dans l’affaire C 224/19 sont recevables.
Sur la recevabilité de la douzième question dans l’affaire C 224/19
44 Caixabank conteste la recevabilité de la douzième question posée dans l’affaire C 224/19 ainsi que la compétence de la Cour pour y répondre, en faisant valoir, d’une part, que la juridiction de renvoi n’a pas indiqué les éléments utiles pour répondre à cette question, à savoir les règles nationales concernant la condamnation aux dépens et la mesure dans laquelle ces règles peuvent porter atteinte aux droits des consommateurs garantis par la directive 93/13 et, d’autre part, que les règles nationales relatives aux dépens relèvent de la compétence des États membres.
45 Or, si la juridiction de renvoi n’a, en effet, pas indiqué la disposition du droit espagnol qui régit la répartition des dépens dans l’affaire au principal, le gouvernement espagnol a indiqué, dans ses observations écrites, qu’il s’agit de l’article 394 de la LEC, dont il a fourni le libellé, de telle sorte que la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer sur la douzième question dans l’affaire C 224/19. En outre, dans la mesure où cette question porte non pas sur l’interprétation ou sur l’application de l’article 394 de la LEC, mais, en substance, sur le point de savoir si l’article 6, paragraphe 1, ou l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une disposition telle que l’article 394 de la LEC dans les circonstances du litige au principal dans l’affaire C 224/19, la Cour est compétente pour y répondre.
Sur le fond
46 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 7 août 2018, Smith, C 122/17, EU:C:2018:631, point 34).
47 Par ailleurs, la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé sa demande de décision préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C 492/14, EU:C:2016:732, point 43 et jurisprudence citée).
48 Il convient de regrouper les quinze questions préjudicielles posées dans les deux affaires jointes en cinq volets, à savoir le premier relatif à la clause afférente aux frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque, le deuxième relatif à la clause imposant une commission d’ouverture, le troisième relatif à l’éventuel déséquilibre significatif des droits et des obligations des parties résultant d’une telle clause, le quatrième relatif à la limitation dans le temps des effets de la constatation de la nullité d’une clause abusive et le cinquième relatif au régime national de répartition des dépens dans le contexte des actions en constatation de nullité des clauses abusives.
Sur les première à sixième questions dans l’affaire C 224/19 et les deux questions dans l’affaire C 259/19 relatives aux effets de la nullité de la clause stipulant les frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque
49 Par ces questions, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, en cas de nullité d’une clause contractuelle abusive imposant le paiement de la totalité des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque par le consommateur, le juge national refuse la restitution au consommateur des montants payés en application de ladite clause.
50 À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, une fois qu’une clause est déclarée abusive et, partant, nulle, il incombe au juge national, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’écarter l’application de cette clause afin qu’elle ne produise plus d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si ce dernier s’y oppose (voir, notamment, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 65, ainsi que du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C 70/17 et C 179/17, EU:C:2019:250, point 52 ainsi que jurisprudence citée).
51 Il s’ensuit que le juge national ne saurait être habilité à réviser le contenu des clauses abusives, sauf à contribuer à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 60).
52 Une clause contractuelle déclarée abusive doit, dès lors, être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur. Partant, la constatation judiciaire du caractère abusif d’une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause abusive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 61).
53 Ainsi, la Cour a déjà considéré que le juge national devait tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif de la clause en cause afin de s’assurer que le consommateur ne soit pas lié par celle-ci (arrêt du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C 488/11, EU:C:2013:341, point 49). En particulier, l’obligation pour le juge national d’écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 62).
54 Cela étant rappelé, il y a également lieu de relever que le fait qu’une clause contractuelle jugée abusive est censée ne jamais avoir existé est de nature à justifier l’application des éventuelles dispositions du droit national qui régissent la répartition des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque en l’absence d’accord des parties. Or, si ces dispositions mettent à la charge de l’emprunteur l’intégralité ou une partie de ces frais, ni l’article 6, paragraphe 1, ni l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à ce que soit refusée la restitution, au consommateur, de la partie desdits frais qu’il doit lui même supporter.
55 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à sixième questions dans l’affaire C 224/19 et aux deux questions dans l’affaire C 259/19 que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, en cas de nullité d’une clause contractuelle abusive imposant le paiement de la totalité des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque par le consommateur, le juge national refuse la restitution au consommateur des montants payés en application de cette clause, à moins que les dispositions du droit national qui trouveraient à s’appliquer en l’absence de ladite clause imposent au consommateur le paiement de la totalité ou d’une partie de ces frais.
Sur les septième à dixième questions dans l’affaire C 224/19 relatives au contrôle du caractère abusif et de la transparence de la clause imposant le paiement d’une commission d’ouverture
56 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale qui exclut l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle imposant au consommateur le paiement d’une commission d’ouverture au motif que celle-ci serait un élément du prix du contrat conformément à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, tout en considérant qu’une telle clause suffit à satisfaire l’exigence de transparence imposée par cette dernière disposition.
57 En l’occurrence, il convient de constater, à titre liminaire, que la juridiction de renvoi a posé les septième à dixième questions en partant de la prémisse selon laquelle la transposition de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 dans l’ordre juridique espagnol fait défaut.
58 Or, pour répondre aux questions posées, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la transposition effective de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 dans l’ordre juridique espagnol (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C 125/18, EU:C:2020:138, point 42).
59 En effet, d’une part, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 8 de celle-ci, permet, néanmoins, aux États membres de prévoir, dans la législation transposant cette directive, que l’« appréciation du caractère abusif » ne porte pas sur les clauses visées à cette disposition, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C 484/08, EU:C:2010:309, point 32 ; du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C 26/13, EU:C:2014:282, point 41, ainsi que du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C 125/18, EU:C:2020:138, point 45).
60 Plus spécifiquement, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 se borne à énoncer que « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».
61 Ainsi, dans l’affaire au principal, c’est seulement si la clause imposant le paiement d’une commission d’ouverture par le consommateur portait sur l’un des deux sujets susmentionnés que le contrôle de son caractère abusif pourrait être limité conformément audit article 4, paragraphe 2.
62 À cet égard, la Cour a jugé que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat » doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de cette notion (arrêts du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C 186/16, EU:C:2017:703, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée, et du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 32).
63 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations du contrat de prêt concerné ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel ce dernier s’inscrit, si la clause en cause au principal constitue un élément essentiel du contrat de prêt hypothécaire en cause au principal (voir, par analogie, arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
64 Toutefois, afin de guider le juge national dans son appréciation, il est utile de préciser que la portée exacte des notions d’« objet principal » et de « prix », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, ne saurait être déterminée par la notion de « coût total du crédit pour le consommateur », au sens de l’article 3, sous g), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66) (arrêt du 26 février 2015, Matei, C 143/13, EU:C:2015:127, point 47). Une commission d’ouverture ne saurait être considérée comme étant une prestation essentielle d’un prêt hypothécaire du seul fait qu’elle est comprise dans le coût total de celui-ci.
65 Par ailleurs, il ressort des termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 que la seconde catégorie de clauses dont le caractère éventuellement abusif ne saurait faire l’objet d’une appréciation a une portée réduite, dès lors qu’elle ne concerne que l’adéquation entre le prix ou la rémunération prévus et les services ou les biens à fournir en contrepartie, cette exclusion s’expliquant par le fait qu’il n’existe aucun barème ou critère juridique pouvant encadrer et guider le contrôle de cette adéquation. Les clauses relatives à la contrepartie due par le consommateur au prêteur ou ayant une incidence sur le prix effectif devant être payé à ce dernier par le consommateur ne relèvent donc pas, en principe, de cette seconde catégorie de clauses, excepté en ce qui concerne la question de savoir si le montant de la contrepartie ou du prix tel que stipulé dans le contrat est en adéquation avec le service fourni en contrepartie par le prêteur (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).
66 D’autre part, la Cour a souligné que l’exigence de rédaction claire et compréhensible qui figure à l’article 5 de la directive 93/13 s’applique, en tout état de cause, y compris lorsqu’une clause relève du champ d’application de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive et même si l’État membre concerné n’a pas transposé cette disposition. Cette exigence ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical d’une clause contractuelle (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C 125/18, EU:C:2020:138, point 46).
67 Au contraire, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, ladite exigence doit être entendue d’une manière extensive, à savoir comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais aussi que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que le consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C 26/13, EU:C:2014:282, points 70 à 73 ; du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 37, ainsi que du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C 125/18, EU:C:2020:138, point 43).
68 La clarté et la compréhensibilité de la clause en cause au principal doivent être examinées par le juge de renvoi au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies par le prêteur dans le cadre de la négociation d’un contrat de prêt, et en tenant compte du niveau d’attention pouvant être attendu d’un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282, point 74 ; du 26 février 2015, Matei, C 143/13, EU:C:2015:127, point 75 ; du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C 186/16, EU:C:2017:703, points 46 et 47, ainsi que du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C 125/18, EU:C:2020:138, point 46).
69 Il s’ensuit que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 ainsi que l’article 5 de celle ci s’opposent à une jurisprudence selon laquelle une clause contractuelle est considérée comme étant en elle-même transparente, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen tel que celui décrit au point précédent.
70 Dans ces conditions, il appartient au juge national, en tenant compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat, de vérifier si l’établissement financier a communiqué au consommateur les éléments suffisants pour que ce dernier prenne connaissance du contenu et du fonctionnement de la clause lui imposant le paiement d’une commission d’ouverture, ainsi que son rôle dans le contrat de prêt. De cette manière, le consommateur aura accès aux motifs justifiant la rémunération correspondant à cette commission (voir, par analogie, arrêt du 26 février 2015, Matei, C 143/13, EU:C:2015:127, point 77), pouvant ainsi évaluer la portée de son engagement et, en particulier, le coût total dudit contrat.
71 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux septième à dixième questions que l’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat » doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de cette notion. Le fait qu’une commission d’ouverture est comprise dans le coût total d’un prêt hypothécaire ne saurait déterminer qu’elle soit une prestation essentielle de celui-ci. En toute hypothèse, une juridiction d’un État membre est tenue de contrôler le caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle portant sur l’objet principal du contrat, et ce indépendamment d’une transposition de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive dans l’ordre juridique de cet État membre.
Sur la onzième question relative à un éventuel déséquilibre significatif des droits et des obligations des parties résultant d’une clause imposant le paiement d’une commission d’ouverture
72 Par la onzième question, la juridiction de renvoi, dans l’affaire C 224/19, demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un établissement financier imposant au consommateur le paiement d’une commission d’ouverture, crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en dépit de l’exigence de bonne foi, lorsque l’établissement financier ne démontre pas que cette commission correspond à des services effectivement fournis et à des frais qu’il a exposés.
73 À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 47 et jurisprudence citée).
74 S’agissant de la question de savoir si l’exigence de bonne foi, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, est respectée, il importe de constater que, eu égard au seizième considérant de celle-ci, le juge national doit vérifier à ces fins si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 50).
75 En ce qui concerne l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif, la Cour a jugé qu’il peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle le consommateur, en tant que partie au contrat en cause, est placé en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d’une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d’une entrave à l’exercice de ceux ci ou encore de la mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 51).
76 Par ailleurs, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 que le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C 621/17, EU:C:2019:820, point 52).
77 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier le caractère éventuellement abusif de la clause en cause au principal à la lumière de ces critères.
78 À cet égard, il doit être tenu compte du fait que, ainsi qu’il ressort des indications de la juridiction de renvoi, selon la loi 2/2009, les commissions ou les frais répercutés sur le client doivent correspondre à des services effectivement fournis ou à des coûts supportés. Il s’ensuit qu’une clause qui aurait comme effet d’exempter le professionnel de l’obligation de démontrer que ces conditions sont remplies à l’égard d’une commission d’ouverture pourrait, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi à la lumière de l’ensemble des clauses du contrat, affecter de manière défavorable la position juridique du consommateur et, par voie de conséquence, créer, au détriment de celui ci, un déséquilibre significatif, en dépit de l’exigence de bonne foi.
79 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la onzième question dans l’affaire C 224/19 que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un établissement financier, imposant au consommateur le paiement d’une commission d’ouverture, est susceptible de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en dépit de l’exigence de bonne foi, lorsque l’établissement financier ne démontre pas que cette commission correspond à des services effectivement fournis et à des frais qu’il a exposés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur la treizième question dans l’affaire C 224/19 relative à la limitation des effets de la nullité d’une clause abusive au moyen de la fixation d’un délai de prescription
80 Par sa treizième question posée dans l’affaire C 224/19, qu’il convient d’examiner avant la douzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale prévoyant que l’introduction de l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle abusive soit soumise à un délai de prescription, bien que, en vertu de la législation nationale, l’action visant la constitution de la nullité absolue d’une clause contractuelle abusive soit imprescriptible.
81 À cet égard, il convient de rappeler que la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs s’oppose à une réglementation interne qui interdit au juge national, à l’expiration d’un délai de forclusion, de relever le caractère abusif d’une clause insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis, C 473/00, EU:C:2002:705, point 38).
82 Toutefois, la Cour a déjà reconnu que la protection du consommateur ne revêt pas un caractère absolu (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 68) et que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit de l’Union (arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C 40/08, EU:C:2009:615, point 41, ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 69).
83 À cet égard, il y a lieu de relever que, en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs, prévue à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir en ce sens, notamment, arrêt du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C 168/05, EU:C:2006:675, point 24 et jurisprudence citée).
84 Il s’ensuit que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.
85 S’agissant, plus particulièrement, du respect du principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, point 48 et jurisprudence citée).
86 Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi indique qu’il est question de l’application éventuelle à l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause abusive d’un contrat hypothécaire, du délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 1964, paragraphe 2, du code civil.
87 Dans la mesure où des délais de prescription de trois ans (arrêt du 15 avril 2010, Barth, C 542/08, EU:C:2010:193, point 28) ou de deux ans (arrêt du 15 décembre 2011, Banca Antoniana Popolare Veneta, C 427/10, EU:C:2011:844, point 25) ont été considérés dans la jurisprudence de la Cour comme étant conformes au principe d’effectivité, il y a lieu de considérer qu’un délai de prescription de cinq ans applicable à l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause abusive n’apparaît pas, en principe et sous réserve de l’appréciation, par la juridiction de renvoi, des éléments mentionnés au point 85 du présent arrêt, comme étant de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13.
88 La juridiction de renvoi s’interroge également, en substance, sur le caractère compatible avec le principe d’effectivité, lu en combinaison avec le principe de sécurité juridique, d’une jurisprudence nationale selon laquelle le délai de prescription de cinq ans pour l’introduction d’une action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle abusive commence à courir à partir de la conclusion du contrat qui contient cette clause.
89 Il ressort de la décision de renvoi que ce délai, prévu à l’article 1964, paragraphe 2, du code civil, apparaît courir à partir de la conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire contenant une clause abusive, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.
90 À cet égard, il convient de tenir compte de la circonstance qu’il est possible que les consommateurs ignorent le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat de prêt hypothécaire ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits découlant de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C-176/17, EU:C:2018:711, point 69).
91 Or, l’application d’un délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à partir de la conclusion du contrat, dans la mesure où elle implique que le consommateur ne peut demander restitution des paiements effectués en exécution d’une clause contractuelle jugée abusive que pendant les cinq premières années après la signature du contrat, indépendamment du point de savoir s’il avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de cette clause, est de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits de ce consommateur conférés par la directive 93/13 et, partant, méconnaître le principe d’effectivité lu en combinaison avec le principe de sécurité juridique.
92 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la treizième question posée dans l’affaire C-224/19 que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’introduction de l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle abusive soit soumise à un délai de prescription, pour autant que le point de départ de ce délai ainsi que sa durée ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit du consommateur de demander une telle restitution.
Sur la douzième question dans l’affaire C 224/19 relative à la compatibilité du régime légal de répartition des dépens avec la directive 93/13
93 Par sa douzième question posée dans l’affaire C 224/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime qui permet de faire peser une partie des dépens procéduraux sur le consommateur, selon le niveau des sommes indûment payées qui lui sont restituées à la suite de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle en raison de son caractère abusif.
94 En effet, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que l’application de l’article 394 de la LEC pourrait avoir pour effet de ne pas condamner le professionnel à la totalité des dépens lorsqu’il est fait entièrement droit à l’action en nullité d’une clause contractuelle abusive introduite par un consommateur, mais qu’il est seulement fait partiellement droit à l’action en restitution de sommes payées en vertu de cette clause.
95 À cet égard, il ressort de la jurisprudence, mentionnée au point 83 du présent arrêt que la répartition des dépens d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions nationales relève de l’autonomie procédurale des États membres sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.
96 Ainsi, il y a lieu de relever que rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de constater que ledit régime s’applique de manière différente selon que le droit en cause est conféré par le droit de l’Union ou par le droit national. Toutefois, il est nécessaire de se prononcer sur la question de savoir s’il est compatible avec le principe d’effectivité le fait de faire peser sur le consommateur les dépens d’une procédure selon les montants restitués à celui-ci, alors qu’il a obtenu gain de cause en ce qui concerne le caractère abusif de la clause contestée.
97 Pour ce qui est de la question du respect du principe d’effectivité, celle ci doit être appréciée au regard des éléments rappelés au point 85 du présent arrêt.
98 En l’occurrence, la directive 93/13 donne le droit au consommateur de s’adresser à un juge afin de faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle et d’écarter son application. Or, faire dépendre le sort de la répartition des dépens d’une telle procédure des seules sommes payées indûment et dont la restitution est ordonnée est de nature à dissuader le consommateur d’exercer ledit droit, eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C 176/17, EU:C:2018:711, point 69).
99 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la douzième question posée dans l’affaire C 224/19 que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime qui permet de faire peser une partie des dépens procéduraux sur le consommateur selon le niveau des sommes indûment payées qui lui sont restituées à la suite de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle en raison de son caractère abusif, étant donné qu’un tel régime crée un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer le droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif de clauses contractuelles tel que conféré par la directive 93/13.
Sur les dépens
100 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, en cas de nullité d’une clause contractuelle abusive imposant le paiement de la totalité des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque par le consommateur, le juge national refuse la restitution au consommateur des montants payés en application de cette clause, à moins que les dispositions du droit national qui trouveraient à s’appliquer en l’absence de ladite clause imposent au consommateur le paiement de la totalité ou d’une partie de ces frais.
2) L’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat » doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de cette notion. Le fait qu’une commission d’ouverture est comprise dans le coût total d’un prêt hypothécaire ne saurait déterminer qu’elle soit une prestation essentielle de celui-ci. En toute hypothèse, une juridiction d’un État membre est tenue de contrôler le caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle portant sur l’objet principal du contrat, et ce indépendamment d’une transposition de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive dans l’ordre juridique de cet État membre.
3) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un établissement financier, imposant au consommateur le paiement d’une commission d’ouverture, est susceptible de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en dépit de l’exigence de bonne foi, lorsque l’établissement financier ne démontre pas que cette commission correspond à des services effectivement fournis et à des frais qu’il a exposés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
4) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’introduction de l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle abusive soit soumise à un délai de prescription, pour autant que le point de départ de ce délai ainsi que sa durée ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit du consommateur de demander une telle restitution.
5) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime qui permet de faire peser une partie des dépens procéduraux sur le consommateur selon le niveau des sommes indûment payées qui lui sont restituées à la suite de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle en raison de son caractère abusif, étant donné qu’un tel régime crée un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer le droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif de clauses contractuelles tel que conféré par la directive 93/13.