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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 juillet 2020, n° 16/20412

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hôtel Trianon de Versailles (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Paris, du 26 sept. 2016

26 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Hôtel Trianon de Versailles (ci-après « Hôtel Trianon ») a fait appel à M. X en 2001 puis depuis 2002 à la société Y (ci-après « Y »), qui loue des voitures de moins de 9 places, pour transporter ses clients et ce, jusqu'au 22 janvier 2014, date à laquelle la société Trianon a annulé par courriel trois courses prévues au cours des semaines suivantes.

Par jugement du 26 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris, sur assignation du 15 janvier 2015 de la société Hôtel Trianon par la société Y et M. X, a :

- écarté la demande de rejet de pièces formulée in limine litis par la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles ;

- déclaré irrecevables les demandes en son nom propre de M. X ;

- dit que les relations commerciales entre la société Y et la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles sont établies, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce depuis 2001 ;

- dit que la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles a rompu brutalement et sans préavis ces relations le 22 janvier 2014 ;

- condamné la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à la société Y la somme de 19 537 euros au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

- débouté la société Y de sa demande de remboursement de frais financiers ;

- débouté la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamné la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à la société Y la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

débouté les parties de leur demandes autres complémentaires ou contraires ;

ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie ;

- condamné la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 104,68 euros dont 17,23 euros de TVA.

Par déclaration du 13 octobre 2016, la société Hôtel Trianon a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société Hôtel Trianon, notifiées le 12 octobre 2017, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris rendu le 26 septembre 2016 en ce qu'il a :

dit que les relations commerciales entre la société Y et l'hôtel Trianon sont établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce depuis 2001 ;

dit que la société Trianon a rompu brutalement et sans préavis ces relations depuis le 22 janvier 2014 ;

condamné la société Trianon à verser à la société Y la somme de 19.537 euros au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

débouté la société Trianon de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

condamné la société Trianon à verser à la société Y la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

condamné la société Trianon aux dépens de l'instance

Statuant à nouveau,

A titre principal :

- débouter purement et simplement la société Y de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner la société Y à payer la société Trianon la somme de 5 000 euros pour procédure abusive ;

A titre subsidiaire :

- réduire de plus justes proportions les demandes de la société Y ;

En tout état de cause:

- condamner la société Y à payer à la société Trianon la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- condamner la société Y aux entiers dépens de première instance et d'appel

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris rendu le 26 septembre 2016 en ce qu'il a :

déclaré irrecevable les demandes en son nom propre de M. X ;

débouté la société Y de sa demande de remboursement de frais financiers.

Vu les dernières conclusions de la société Y, intimée, signifiées et notifiées le 19 octobre 2017, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L. 442-6 du Code du commerce

- déclarer la société Y et de Monsieur X recevables et bien fondés en leur appel incident

En conséquence :

- confirmer la décision rendue le 26 septembre 2016 par le Tribunal de commerce de PARIS en ce qu'elle a :

- écarté des débats la demande de rejet de pièces formulée in limine litis par la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles

- dit que les relations commerciales entre la SARL Y et la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles sont établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce depuis 2001

- dit que la SAS à associé unique Hôtel Trianon a rompu brutalement et sans préavis ces relations le 22 janvier 2014

- infirmer la décision rendue le 26 septembre 2016 du surplus

Statuant à nouveau :

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à la société Y la somme de 32.216 euros à raison de son préjudice financier

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à la société Y la somme de 607,93 euros à raison des frais bancaires exposés durant la période préavis

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à Monsieur X la somme de 13.790 euros à raison de sa perte de rémunération.

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à verser à Monsieur X la somme de 10 000,00 euros à raison de son préjudice moral.

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles à payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société par actions simplifiée à associé unique Hôtel Trianon de Versailles aux entiers dépens.

SUR CE LA COUR,

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Hôtel Trianon de rejet de pièces formulée in limine litis par la SAS à associé unique Hôtel Trianon de Versailles, ce chef du jugement ne faisait pas l'objet d'un appel de cette dernière.

Sur l'irrecevabilité des demandes de M. X

Ainsi que l'a retenu le tribunal, M. X ne justifie d'aucun préjudice personnel distinct de celui qui aurait été causé à la société Y dont il est actionnaire et gérant, du fait de la rupture brutale alléguée des relations commerciales entre les parties. Il doit être déclaré irrecevable en ses demandes pour défaut d'intérêt à agir sur le fondement de l'article 122 du Code de procédure civile.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées en son nom propre par M. X.

Sur l'existence de relations commerciales établies entre la société Y et la société Hôtel Trianon au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

L'hôtel Trianon dénie toutes relations commerciales établies avec la société Y aux motifs que la conciergerie de l'hôtel intervenait en qualité de mandataire des clients de l'hôtel, que seules deux factures à l'ordre de l'hôtel sont produites, que les prix n'étaient pas fixés par l'hôtel mais communiqués à chaque client, que l'hôtel ne percevait aucune commission, que la précarité de la situation de la société Y exclut une telle qualification et qu'il ne peut avoir de relations commerciales avec des consommateurs personnes physiques.

Mais, même à admettre que l'hôtel Trianon ne touchait aucune commission de la société Y (seule la pièce 8 de l'intimée adressée par l'Hôtel à M. X et datant de l'année 2001 mentionnant des factures de commissions) et si le contrat de transport se nouait entre la société Y et les clients de l'hôtel, il n'en demeure pas moins que l'hôtel qui avait régulièrement recours aux services de la société Y pour le transport de ses clients, depuis l'année 2001 jusqu'à l'année 2013 ainsi qu'il résulte des pièces qu'elle produit (pièces 3 à 176 ainsi que 518 à 530), entretenait une relation commerciale avec cette dernière, présentant un caractère suivi, stable et habituel, de sorte que la société de transport pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité de son flux d'affaires avec son partenaire commercial. A cet égard, Y produit des attestations de chauffeurs (pièces 495 à 500). Celle de M. Z, gérant de la société Executive Limousine Services (pièce 501) relate avoir collaboré depuis juin 2008 "avec M. X via la société Y" et que "les courses dont disposait la société Y à la demande directe du Trianon Palace se chiffraient en dizaines tous les jours".

Y justifie de ce que, à tout le moins à compter de l'année 2013, le tarif des courses qui figurait à la réception (pièce 237) était fixé par l'hôtel (notamment pièces 385, 199, 218, 226). De même, l'hôtel facturait parfois le prix des courses qu'il reversait ensuite à la société de taxis (notamment pièces 194, 195, 203, 204, 213, 218).

Enfin, Y justifie de deux factures des 9 septembre et 8 octobre 2013 d'un montant respectif de 5 030 euros et 2 410 euros (pièces 192 à 193) libellées à l'ordre de l'hôtel Trianon.

Il s'ensuit que le tribunal a justement retenu l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce entre l'hôtel Trianon et la société Y.

Sur la brutalité de la rupture

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

En l'espèce, les relations commerciales entre les parties se sont achevées par un courriel du 22 janvier 2014 de l'hôtel Trianon annulant 3 réservations de clients pour 2014 (pièce 177). L'hôtel Trianon n'a plus jamais sollicité le concours de la société Y.

Il y a donc bien eu rupture brutale des relations commerciales établies puisqu'en effet, ainsi qu'il a été dit, la société de transport pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité de son flux d'affaires avec son partenaire commercial depuis près de 13 ans, la précarité alléguée de l'activité de transport de personnes étant à cet égard, sans emport.

Le tribunal a justement retenu que l'état de dépendance économique dans lequel la société Y s'était placée lui était imputable. A cet égard, il résulte de l'attestation produite (pièce 501 de l'intimée) que M. X refusait d'autres courses pour demeurer disponible pour le Trianon palace.

De même le tribunal a justement retenu qu'un préavis de 8 mois aurait dû être accordé à l'intéressée pour lui permettre de se retourner en prenant en compte l'ancienneté des relations commerciales et la spécificité de l'activité de transports de personnes.

Sur l'indemnisation

La brutalité de la rupture, seule indemnisable, est réparée par l'octroi d'une indemnité égale à la marge brute sur coûts variables qui aurait pu être réalisée pendant la durée de préavis manquante.

Y invoque devant la Cour une marge brute d'exploitation en se fondant sur les soldes intermédiaires de gestion des exercices 2011 à 2013 qu'elle produit (sa pièce 532).

La société Hôtel Trianon rétorque que, outre que cette pièce n'est pas certifiée par un expert-comptable, que les calculs de la société Y sont toujours fondés sur son chiffre d'affaires et que le résultat déficitaire de cette société s'oppose à l'indemnisation d'un préjudice au titre de la perte subie.

Au vu de ces éléments et des pièces produites, le document relatif aux soldes intermédiaires de gestion non certifiée par un expert-comptable ne pouvant être pris en compte, c'est par des motifs justes et pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu un taux de marge brute de 70 % du chiffre d'affaires moyen de 52 331 euros sur les exercices 2011 à 2013 (les charges liées à l'activité, carburant et entretien courant du véhicule pouvant être estimées à 30 % du chiffre d'affaires), composé à 80 % de clients de l'hôtel Trianon (taux de dépendance de 80 % donné par Y cohérent avec le listing des courses sur les derniers mois de 2013) et ainsi une marge brute annuelle réalisée par Y relativement à l'hôtel Trianon d'un montant arrondi de 29 305 euros.

Le préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture est ainsi évalué à la somme de 19 537 euros (2 442 x 8) et le jugement est confirmé de ce chef.

La demande au titre des frais bancaires supportés par la société Y à la suite de la rupture brutale ne peut qu'être rejetée, seule la brutalité de la rupture indemnisée ci-dessus pouvant l'être et non les conséquences de la rupture.

Sur la procédure abusive

Le sens de l'arrêt conduit à rejeter la demande de dommages-intérêts présentée par la société Hôtel Trianon pour procédure abusive, aucun abus du droit d'ester en justice n'étant établi.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

La société Hôtel Trianon qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel ; elle est aussi déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et est condamnée sur ce fondement à payer à la société Y la somme de 10 000 euros, en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement, Condamne la société Hôtel Trianon de Versailles aux dépens d'appel et à payer la somme de 10 000 euros à la société Y, Rejette toute autre demande.