CJUE, 1re ch., 16 juillet 2020, n° C-73/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Belgische Staat, Directeur-Generaal van de Algemene Directie Controle en Bemiddeling van de FOD Economie, K.M.O., Middenstand en Energie
Défendeur :
Movic (BV), Events Belgium (BV), Leisure Tickets & Activities International (BV)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bonichot
Juges :
MM. Safjan, Bay Larsen, Mme Toader (rapporteure) , M. Jääskinen
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Mes Savelkoul, Schildermans, Baes, Vervaeke
LA COUR (première chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Belgische Staat (État belge), représenté par le Minister van Werk, Economie en Consumenten (ministre de l’Emploi, de l’Économie et des Consommateurs), chargé du Buitenlandse handel (Commerce extérieur), et par le Directeur-Generaal van de Algemene Directie Controle en Bemiddeling van de FOD Economie, K.M.O., Middenstand en Energie (directeur général de la direction générale du contrôle et de la médiation du service public fédéral de l’économie, des PME, des classes moyennes et de l’énergie), devenue l’Algemene Directie Economische Inspectie (direction générale de l’inspection économique), ainsi que le directeur général de la direction générale du contrôle et de la médiation du service public fédéral de l’économie, des PME, des classes moyennes et de l’énergie, devenue la direction générale de l’inspection économique (ci-après les « autorités belges »), à Movic BV, à Events Belgium BV et à Leisure Tickets & Activities International BV, des sociétés de droit néerlandais, au sujet, notamment, de la cessation par ces dernières de leur pratique commerciale de revente de titres d’accès à des événements organisés en Belgique.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.
[...] »
4 Intitulé « Application de la législation », l’article 11 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22), est ainsi libellé :
« 1. Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs.
Ces moyens doivent inclure des dispositions juridiques aux termes desquelles les personnes ou organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à lutter contre les pratiques commerciales déloyales, y compris les concurrents, peuvent :
a) intenter une action en justice contre ces pratiques commerciales déloyales,
et/ou
b) porter ces pratiques commerciales déloyales devant une autorité administrative compétente soit pour statuer sur les plaintes, soit pour engager les poursuites judiciaires appropriées.
Il appartient à chaque État membre de décider laquelle de ces procédures sera retenue et s’il convient que les tribunaux ou les autorités administratives puissent exiger le recours préalable à d’autres voies établies de règlement des plaintes, y compris celles mentionnées à l’article 10. Les consommateurs doivent avoir accès à ces moyens, qu’ils soient établis sur le territoire du même État membre que le professionnel ou sur celui d’un autre État membre.
[...]
2. Dans le cadre des dispositions juridiques visées au paragraphe 1, les États membres confèrent aux tribunaux ou aux autorités administratives des pouvoirs les habilitant, dans les cas où ceux-ci estiment que ces mesures sont nécessaires compte tenu de tous les intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt général :
a) à ordonner la cessation de pratiques commerciales déloyales ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner la cessation desdites pratiques,
ou
b) si la pratique commerciale déloyale n’a pas encore été mise en œuvre mais est imminente, à interdire cette pratique ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner son interdiction,
même en l’absence de preuve d’une perte ou d’un préjudice réels, ou d’une intention ou d’une négligence de la part du professionnel.
Les États membres prévoient en outre que les mesures visées au premier alinéa peuvent être prises dans le cadre d’une procédure accélérée :
– soit avec effet provisoire,
– soit avec effet définitif,
étant entendu qu’il appartient à chaque État membre de déterminer laquelle de ces deux options sera retenue.
En outre, les États membres peuvent conférer aux tribunaux ou aux autorités administratives des compétences les habilitant, en vue d’éliminer les effets persistants de pratiques commerciales déloyales dont la cessation a été ordonnée par une décision définitive :
a) à exiger la publication de ladite décision en tout ou en partie et dans la forme qu’ils jugent adéquate ;
b) à exiger, en outre, la publication d’un communiqué rectificatif.
[...] »
5 Selon son article 1er, la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO 2009, L 110, p. 30), a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux actions en cessation visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs inclus dans les directives énumérées à l’annexe I de cette directive, afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
6 L’annexe I de ladite directive mentionne les directives 93/13 et 2005/29 parmi celles visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs.
7 Les considérants 10 et 34 du règlement no 1215/2012 énoncent :
« (10) Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies, [...].
[...]
(34) Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)], le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de [ladite] convention [...] et des règlements qui la remplacent. »
8 L’article 1er du règlement no 1215/2012, qui figure au chapitre I de celui-ci, intitulé « Portée et définitions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). »
Le droit belge
La loi du 30 juillet 2013
9 L’article 5, paragraphe 1, de la Wet betreffende de verkoop van toegangsbewijzen tot evenementen (loi relative à la revente de titres d’accès à des événements), du 30 juillet 2013 (Belgisch Staatsblad, 6 septembre 2013, p. 63069, ci–après la « loi du 30 juillet 2013 »), interdit le fait d’exposer en vue de la revente de manière habituelle des titres d’accès à des événements et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une telle revente. L’article 5, paragraphe 2, de cette loi interdit la revente de manière occasionnelle des titres d’accès à des événements à un prix supérieur à leur prix définitif.
10 Selon l’article 14 de la loi du 30 juillet 2013, le président du rechtbank van koophandel (tribunal de commerce, Belgique), devenu ultérieurement l’ondernemingsrechtbank (tribunal de l’entreprise), constate l’existence d’un acte constituant une infraction à l’article 5 de cette loi et ordonne sa cessation. Cette disposition prévoit qu’une action en cessation d’un tel acte est formée à la demande du ministre qui a l’Économie dans ses attributions, ou du directeur général de la direction générale du contrôle et de la médiation du service public fédéral de l’économie, des PME, des classes moyennes et de l’énergie, ou des intéressés.
Le CDE
11 Le livre VI du Wetboek economisch recht (code de droit économique) du 28 février 2013, dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après le « CDE »), contient, à son titre 4, un chapitre 1, intitulé « Pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs », sous lequel figurent les articles VI.92 à VI.100 de ce code, qui constituent une mise en œuvre de la directive 2005/29. Dans ce cadre, les articles VI.93, VI.97, VI.99 et VI.100 dudit code définissent des pratiques commerciales déloyales.
12 Selon l’article XVII.1 du CDE, le président du rechtbank van koophandel (tribunal de commerce) constate l’existence d’un acte constituant une infraction aux dispositions de ce code, sous réserve de certaines actions particulières, et ordonne sa cessation.
13 L’article XVII.7 du CDE prévoit que l’action fondée sur l’article XVII.1 de ce code est formée à la demande, notamment, des intéressés, du ministre qui a l’Économie dans ses attributions, du directeur général de la direction générale du contrôle et de la médiation du service public fédéral de l’économie, des PME, des classes moyennes et de l’énergie, d’un groupement professionnel ou interprofessionnel ayant la personnalité juridique, ou bien d’une association ayant pour objet la défense des intérêts des consommateurs, lorsque celle-ci agit en justice pour la défense de leurs intérêts collectifs statutairement définis.
14 En vertu de l’article XV.2, paragraphe 2, du CDE, les procès-verbaux établis par les agents compétents en la matière font foi jusqu’à preuve du contraire.
15 Selon l’article XV.3.1 de ce code, les agents visés à l’article XV.2 dudit code peuvent dresser un procès-verbal d’avertissement ou un procès-verbal ou proposer une sanction administrative s’appuyant notamment sur les constatations effectuées.
Le code judiciaire
16 Le Gerechtelijk Wetboek (code judiciaire) contient un chapitre XXIII, intitulé « De l’astreinte », sous lequel l’article 1385 bis de ce code dispose que le juge peut, à la demande d’une partie, condamner l’autre partie, pour le cas où il ne serait pas satisfait à la condamnation principale, au paiement d’une somme d’argent, dénommée astreinte, le tout sans préjudice des dommages-intérêts, s’il y a lieu. Selon l’article 1385 ter dudit code, le juge peut fixer l’astreinte, notamment, à une somme déterminée par contravention.
Les litiges au principal et la question préjudicielle
17 Le 2 décembre 2016, les autorités belges ont assigné en justice devant le président du rechtbank van koophandel Antwerpen-afdeling Antwerpen (tribunal de commerce, division d’Anvers, Anvers, Belgique), en formation de référé, Movic, Events Belgium et Leisure Tickets & Activities International, en demandant à titre principal, d’une part, de faire constater que ces sociétés pratiquaient la revente, en Belgique, au moyen de sites Internet gérés par elles, des titres d’accès à des événements pour un prix supérieur à celui initial, activité constitutive des infractions aux dispositions de la loi du 30 juillet 2013 et du CDE, et, d’autre part, d’ordonner la cessation de ces pratiques commerciales.
18 À titre accessoire, les autorités belges ont demandé d’ordonner des mesures de publicité de la décision prononcée aux frais desdites sociétés, d’imposer une astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à partir de la signification de cette décision et de dire pour droit que les infractions futures pourront être constatées par simple procès–verbal dressé par un fonctionnaire assermenté de la direction générale de l’inspection économique, conformément au CDE.
19 Les trois sociétés en cause ont soulevé une exception d’incompétence internationale des juridictions belges, en soutenant que les autorités belges avaient agi dans l’exercice de la puissance publique, de sorte que leurs actions ne relevaient pas du champ d’application du règlement no 1215/2012.
20 Par décision du 25 octobre 2017, le président du rechtbank van koophandel Antwerpen-afdeling Antwerpen (tribunal de commerce, division d’Anvers, Anvers) a considéré qu’il ne disposait pas de la compétence internationale pour connaître des actions au principal. À cet égard, il a jugé que le règlement no 1215/2012 n’était pas applicable en l’espèce, au motif que ces actions ne pouvaient pas être considérées comme relevant de la « matière civile ou commerciale », au sens de ce règlement.
21 Les autorités belges ont interjeté appel de cette décision devant le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique).
22 Les parties au principal s’opposent sur la question de savoir si l’exercice de la compétence d’une autorité publique pour intenter une action destinée à mettre fin à des infractions à la loi du 30 juillet 2013 et au CDE procède ou non de la manifestation de l’exercice de la puissance publique.
23 Les autorités belges font valoir que, dans les litiges au principal, elles défendent non pas un intérêt public assimilable au leur, mais un intérêt général, consistant à faire respecter la réglementation nationale en matière de pratiques commerciales qui, elle-même, vise à protéger les intérêts privés, tant ceux des entrepreneurs que ceux des consommateurs, ces pratiques étant régies par des dispositions de droit commun applicables aux relations entre particuliers, de sorte que ces litiges relèvent de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.
24 Les défenderesses au principal soutiennent, à l’inverse, que les autorités belges agissent en vertu d’un droit propre à l’autorité publique, sur la base duquel elles peuvent, contrairement aux simples particuliers ou aux entreprises, intenter une action en cessation, sans disposer d’un intérêt propre. Les autorités belges agiraient, dès lors, dans l’exercice de la puissance publique, puisqu’elles ne sont pas elles–mêmes affectées par les pratiques commerciales des sociétés concernées.
25 Dans ces conditions, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Une procédure judiciaire relative à une action tendant à faire constater et cesser des pratiques de marché ou des pratiques commerciales illégales vis-à-vis des consommateurs, intentée par les autorités belges au titre de l’article 14 de la loi du 30 juillet 2013 [...] et au titre de l’article XVII.7 du [CDE], à l’encontre de sociétés néerlandaises qui, à partir des Pays-Bas, s’adressent par l’intermédiaire de sites Internet à une clientèle principalement belge en vue de la revente de tickets pour des événements qui se déroulent en Belgique, doit-elle être considérée comme étant une procédure en [“]matière civile et commerciale[”], au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012], et une décision judiciaire rendue dans une telle procédure peut-elle relever pour ce motif du champ d’application de ce règlement ? »
Sur la question préjudicielle
26 La question formulée par la juridiction de renvoi concerne, en substance, la détermination de la juridiction compétente pour connaître des actions intentées par les autorités d’un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre et visant à faire constater et cesser des pratiques commerciales prétendument illégales de ces sociétés destinées à des consommateurs résidant dans le premier État membre.
27 Il y a lieu de relever que le litige pendant devant cette juridiction comprend également trois demandes formulées à titre accessoire, à savoir des demandes tendant à ce que soient ordonnées des mesures de publicité, à ce que soit imposée une astreinte et à ce qu’il soit dit pour droit que les infractions futures pourront être constatées par simple procès–verbal dressé par un fonctionnaire assermenté de l’une desdites autorités.
28 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 14 de ses conclusions, afin de vérifier sa compétence au titre du règlement no 1215/2012 pour connaître des litiges au principal, la juridiction de renvoi doit établir qu’aucun des chefs de demande introduits par les autorités belges n’est susceptible d’exclure ces litiges, en tout ou en partie, du champ d’application matériel de ce règlement.
29 Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour de fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union susceptibles de permettre à celle-ci de trancher le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C 205/07, EU:C:2008:730, point 31 ainsi que jurisprudence citée, et du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai, C 567/13, EU:C:2015:88, point 32 ainsi que jurisprudence citée), en reformulant, le cas échéant, la question préjudicielle.
30 Dans ces conditions, il sera répondu à la demande de décision préjudicielle au regard non seulement des chefs de demande formulés à titre principal devant la juridiction de renvoi, mais également de ceux formulés à titre accessoire devant cette juridiction.
31 Dès lors, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matière civile et commerciale », figurant à cette disposition, une action opposant les autorités d’un État membre à des professionnels établis dans un autre État membre dans le cadre de laquelle ces autorités demandent, à titre principal, à ce que soit constatée l’existence d’infractions constituant des pratiques commerciales déloyales prétendument illégales et ordonnée la cessation de celles-ci, ainsi que, à titre accessoire, à ce que soient ordonnées des mesures de publicité, à ce que soit imposée une astreinte pour les infractions constatées et à ce qu’il soit déclaré que les infractions futures pourront être constatées par simple procès–verbal dressé par un fonctionnaire assermenté de l’une desdites autorités.
32 Il importe d’emblée de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 abroge et remplace le règlement no 44/2001, qui a lui-même remplacé la convention mentionnée au considérant 34 du règlement no 1215/2012, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces instruments juridiques vaut également pour ce règlement, comme il ressort de ce considérant, lorsque les dispositions desdits instruments peuvent être qualifiées d’« équivalentes ».
33 En vue d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et des obligations qui découlent du règlement no 1215/2012 pour les États membres et les personnes intéressées, il convient de ne pas interpréter la notion de « matière civile et commerciale » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement comme un simple renvoi au droit interne d’un État membre. Cette notion doit être considérée comme une notion autonome qu’il faut interpréter en se référant, d’une part, aux objectifs et au système dudit règlement ainsi que, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des ordres juridiques nationaux (arrêt du 7 mai 2020, Rina, C 641/18, EU:C:2020:349, point 30 et jurisprudence citée).
34 Par ailleurs, ainsi qu’il résulte notamment du considérant 10 du règlement no 1215/2012, la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ainsi que celle d’éviter, pour le fonctionnement harmonieux de la justice, que des décisions irréconciliables ne soient rendues dans les États membres requièrent une interprétation large de ladite notion de « matière civile et commerciale » (arrêt du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C 579/17, EU:C:2019:162, point 47 et jurisprudence citée).
35 Enfin, la Cour a itérativement jugé que, si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement no 1215/2012, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, Sapir e.a., C 645/11, EU:C:2013:228, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 septembre 2013, Sunico e.a., C 49/12, EU:C:2013:545, point 34).
36 En effet, la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers, exclut un tel litige de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêts du 15 février 2007, Lechouritou e.a., C 292/05, EU:C:2007:102, point 34 ainsi que jurisprudence citée, et du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C 579/17, EU:C:2019:162, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
37 Il s’ensuit que, pour déterminer si une matière relève ou non de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, et par voie de conséquence du champ d’application de ce règlement, il y a lieu d’identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige et l’objet de celui-ci, ou, alternativement, d’examiner le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 1976, LTU, 29/76, EU:C:1976:137, point 4, et du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C 579/17, EU:C:2019:162, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
38 S’agissant du fondement d’une demande telle que celle formulée à titre principal dans les litiges au principal, il y a lieu de rappeler que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13 prévoit que les États membres doivent instituer des actions en cessation de l’usage de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
39 De même, la directive 2005/29 prévoit, à son article 11, qui s’intitule « Application de la législation », différentes modalités visant à faire constater le caractère illicite de pratiques commerciales et d’en faire ordonner la cessation.
40 Enfin, à son annexe I, la directive 2009/22 vise les directives 93/13 et 2005/29 parmi les instruments du droit de l’Union protégeant les intérêts collectifs des consommateurs.
41 Concernant les actions en cessation et la notion de « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, la Cour a déjà jugé que l’action relative à l’interdiction pour les commerçants d’utiliser des clauses abusives, au sens de la directive 93/13, dans les contrats qu’ils concluent avec les consommateurs, en ce qu’elle vise à soumettre au contrôle du juge des rapports de droit privé, relève de la notion de « matière civile » (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2002, Henkel, C 167/00, EU:C:2002:555, point 30). Cette jurisprudence a ultérieurement été réitérée et plus généralement étendue pour les actions en cessation visées par la directive 2009/22 (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Verein für Konsumenteninformation, C 191/15, EU:C:2016:612, points 38 et 39).
42 Il s’ensuit que des actions qui visent à faire constater et cesser des pratiques commerciales déloyales, au sens de la directive 2005/29, relèvent également de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.
43 En l’occurrence, les actions pendantes devant la juridiction de renvoi visent à faire respecter l’interdiction, édictée par la réglementation nationale en cause au principal, de procéder à la revente de manière habituelle de titre d’accès à des événements ou à la revente de manière occasionnelle de tels titres à un prix supérieur à leur prix définitif, de telles reventes étant susceptibles d’être considérées comme une pratique commerciale déloyale au regard de cette réglementation.
44 Néanmoins, s’agissant des modalités d’exercice de l’action intentée, il y a lieu d’observer que les actions en cause au principal ont été introduites non pas par des personnes de droit privé, telles que des consommateurs ou des organismes œuvrant pour la protection des consommateurs, mais par les autorités belges chargées par l’État membre concerné de veiller, notamment, à la protection des consommateurs.
45 En l’occurrence, les défenderesses au principal contestent que les actions soient susceptibles de relever de la notion de « matière civile et commerciale », en faisant valoir, tout d’abord, que les autorités belges ne sont pas tenues de démontrer qu’elles ont un intérêt propre pour engager des procédures telles que celles au principal.
46 À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la liste des personnes habilitées à former une telle action en justice conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la loi du 30 juillet 2013 et à l’article XVII.7 du CDE a été arrêtée par le législateur national.
47 À ce propos, la Cour a déjà dit pour droit que la circonstance qu’une compétence ou un pouvoir ont été conférés par une loi n’est pas déterminante en soi pour conclure qu’une autorité étatique a agi dans l’exercice de la puissance publique [voir, par analogie, s’agissant de la notion de « matière civile et commerciale », au sens du règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil (JO 2007, L 324, p. 79), arrêt du 11 juin 2015, Fahnenbrock e.a., C 226/13, C 245/13 et C 247/13, EU:C:2015:383, point 56].
48 En l’occurrence, il ressort du libellé de l’article 14, paragraphe 1, de la loi du 30 juillet 2013 et de l’article XVII.7 du CDE que les autorités belges ont, au même titre que des intéressés et des associations de protection des consommateurs, la faculté de saisir le président du rechtbank van koophandel (tribunal de commerce), devenu l’ondernemingsrechtbank (tribunal de l’entreprise) aux fins de constater la violation de la réglementation nationale en la matière et d’ordonner la délivrance d’une injonction de cessation.
49 Il s’ensuit que la situation procédurale des autorités belges est, à cet égard, comparable à celle d’un organisme de protection des consommateurs.
50 En second lieu, la réglementation nationale en cause au principal ne paraît pas davantage retenir pour les autorités belges qu’elle mentionne des règles de reconnaissance de l’intérêt pour agir qui leur confèreraient des conditions de recours exorbitantes par rapport à celles prévues pour les autres requérants.
51 En particulier, et sous réserve des vérifications qui incombent au juge de renvoi, les autorités publiques ne sont pas davantage que les deux autres catégories de requérants mentionnées à l’article XVII.7 du CDE dispensées de présenter un intérêt pour agir.
52 Ainsi, s’il est exact que, dans les litiges au principal, les autorités belges ne semblent pas avoir eu à faire la preuve d’un intérêt pour agir, cette circonstance est nécessairement inhérente au fait qu’elles ne pouvaient agir que sur le fondement d’une compétence qui leur est conférée par la loi en matière de lutte contre certaines pratiques commerciales déloyales.
53 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 29 de ses conclusions, la défense de l’intérêt général ne saurait être confondue avec l’exercice de prérogatives de puissance publique.
54 Ainsi, dans les litiges au principal, les conditions posées pour que les autorités belges aient intérêt à agir ne semblent pas, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, constituer l’exercice de prérogatives de puissance publique.
55 Ensuite, les défenderesses au principal mettent en exergue la circonstance que les autorités belges utilisent leurs propres constatations et déclarations en tant qu’éléments de preuve en justice, de sorte que les pièces cruciales du dossier seraient constituées d’une série de rapports et de constatations procédant de contrôleurs étatiques, ce qui constituerait l’exercice de prérogatives de puissance publique.
56 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, considérer qu’une action introduite par une autorité publique est exclue du champ d’application du règlement no 1215/2012 du seul fait de l’usage, par cette autorité, d’éléments de preuve réunis grâce à ses prérogatives affaiblirait l’efficacité pratique des moyens de mise en œuvre de la protection des consommateurs reconnus par le législateur de l’Union. En effet, à la différence du modèle dans lequel c’est l’autorité administrative elle-même qui statue sur les conséquences à tirer d’une infraction, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’autorité publique est chargée de la défense des intérêts des consommateurs devant les instances judiciaires.
57 Ce n’est que si, en raison de l’usage qu’elle a effectué de certains éléments de preuve, une autorité publique ne se trouve pas concrètement dans la même situation qu’une personne de droit privé dans le cadre d’un litige analogue, qu’il conviendrait alors de considérer qu’une telle autorité a fait usage, dans le cas d’espèce, de prérogatives de puissance publique.
58 Il y a lieu de préciser que le simple recueil et la compilation de griefs ou d’éléments de preuve, comme pourrait le faire un collectif de professionnels ou de consommateurs, ne sauraient équivaloir à l’exercice de telles prérogatives.
59 À ce propos, il ne ressort pas des informations dont la Cour dispose que, dans le cadre de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi, les autorités belges aient fait un quelconque usage d’éléments de preuve qui auraient été obtenus au moyen de leurs prérogatives de puissance publique, ce qu’il incombe, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier.
60 Il s’ensuit qu’une action opposant les autorités d’un État membre à des professionnels établis dans un autre État membre dans le cadre de laquelle ces autorités demandent, à titre principal, à ce que soit constatée l’existence d’infractions constituant des pratiques commerciales déloyales prétendument illégales et ordonnée la cessation de celles-ci, relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.
61 En ce qui concerne les demandes formulées à titre accessoire dans les litiges au principal, il y a lieu de relever que celles tendant à ce que soient ordonnées des mesures de publicité et à ce que soit imposée une astreinte constituent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 71 et 72 de ses conclusions, des mesures usuelles de la procédure civile visant à s’assurer de l’exécution de la décision de justice à venir.
62 En revanche, s’agissant de la demande formulée devant la juridiction de renvoi par les autorités belges, tendant à se voir octroyer la compétence d’établir l’existence d’infractions futures par simple procès-verbal rédigé par un fonctionnaire assermenté de la direction générale de l’inspection économique, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 75 à 77 de ses conclusions, il ne peut être considéré qu’une telle demande relève de la notion de « matière civile et commerciale », car cette demande porte en réalité sur des pouvoirs exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers.
63 Cependant, le système général du règlement no 1215/2012 n’impose pas de lier nécessairement le sort d’une demande accessoire à celui d’une demande principale (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C 523/14, EU:C:2015:722, point 33 ainsi que jurisprudence citée), de sorte que la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre pour connaître d’une demande principale peut être fondée sur ce règlement sans que cela doive forcément être le cas aussi en ce qui concerne les demandes accessoires à celle-ci, et inversement.
64 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matière civile et commerciale », figurant à cette disposition, une action opposant les autorités d’un État membre à des professionnels établis dans un autre État membre dans le cadre de laquelle ces autorités demandent, à titre principal, à ce que soit constatée l’existence d’infractions constituant des pratiques commerciales déloyales prétendument illégales et ordonnée la cessation de celles-ci, ainsi que, à titre accessoire, à ce que soient ordonnées des mesures de publicité et à ce que soit imposée une astreinte.
Sur les dépens
65 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (première chambre) dit pour droit :
L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matière civile et commerciale », figurant à cette disposition, une action opposant les autorités d’un État membre à des professionnels établis dans un autre État membre dans le cadre de laquelle ces autorités demandent, à titre principal, à ce que soit constatée l’existence d’infractions constituant des pratiques commerciales déloyales prétendument illégales et ordonnée la cessation de celles-ci, ainsi que, à titre accessoire, à ce que soient ordonnées des mesures de publicité et à ce que soit imposée une astreinte.